Texte intégral
* Oui je crois, comme vous, que le vieillissement de la France est une chance. Mais cette chance, comme toute chance, cest aussi un défi et je nai cessé de vouloir en faire prendre conscience aux Français quand jétais Secrétaire dEtat aux Aînés.
* Lallongement constant de la durée de la vie (les Français gagnent un trimestre de vie supplémentaire chaque année), en France, en Europe, dans le monde, est lacquis humain du 21ème siècle.
* Vivre plus longtemps, cest bien, mais il faut vivre plus longtemps, et mieux.
* La première richesse, cest que le vieillissement de notre société est une occasion de revisiter notre humanisme : respecter les personnes plus âgées, leur dignité, cest améliorer linclusion sociale et le lien intergénérationnel.
* Ces valeurs exigent de nous, acteurs politiques, économiques, ou sociaux, le sens du devoir et de lintérêt général. Cest pourquoi nous devons avancer de manière parallèle sur plusieurs fronts : la valorisation des aînés actifs et de leur rôle dans la société, la prévention de la perte dautonomie, le traitement de la dépendance.
- Un changement de mentalité à concrétiser -
* Cesser définitivement ou progressivement une vie professionnelle, cest désormais débuter une nouvelle vie active.
* Il faut cesser de considérer quon est trop vieux à partir de 40 ans dans le monde de lentreprise : cest un gâchis humain et un gâchis économique.
* De plus, la retraite nest plus un synonyme dinactivité programmée, de désengagement de la vie sociale. Bien au contraire, cest une perspective heureuse, pour être plus à lécoute des autres et de soi-même : davantage de pratiques artistiques, culturelles, socioculturelles permettent datteindre ce but.
* De nombreux seniors sont également engagés dans la vie associative et dans la démocratie de proximité, celle de leur ville, de leur village, de leur quartier. Quand on sait que beaucoup dassociations à caractère social, culturel, sportif, vivent grâce au bénévolat, où sont engagés tant de seniors, on voit bien combien ceux-ci contribuent à cette république du bien commun à laquelle nous aspirons.
* Ils représentent, pour une majorité de familles, le facteur dunité de celle-ci, de mémoire, de solidarité entre les générations.
* En contribuant à consolider la famille, foyer damour, déducation, de continuité des cultures, de transmission des valeurs, les aînés consolident un des piliers majeurs de notre société.
* Il faut donc changer notre regard sur la vieillesse, et aussi celui que nous portons sur notre propre vieillissement.
- Le pouvoir économique des aînés : Une réalité favorable à lensemble des Français -
* Les seniors ont une épargne plus importante que les générations plus jeunes.
* Léducation des enfants étant payée, leur logement souvent acquis, et leur retraite représentant une ressource sécurisée, les seniors sont grands consommateurs de produits et services : ce sont les premiers acheteurs de voitures neuves, de voyages, de biens de consommation de qualité, de services bancaires ou assurantiels. Le succès grandissant du Salon des Seniors en est lillustration emblématique.
* Ils constituent aussi une opportunité de créer de nombreux emplois dans les métiers médicaux et paramédicaux.
* Ils animent une économie nouvelle dans les territoires : dans les zones littorales, à louest et au sud, mais aussi dans les régions enclavées ou souffrant plus de la crise économique : ils sont un facteur de stabilité économique, voire de croissance.
- "Bien vieillir", une nouvelle exigence -
* Cest un plan national que jai lancé (le deuxième en 2010) : bien vieillir passe par une hygiène de vie et une nutrition adaptées, par des activités physiques et sportives, par la meilleure transmission des savoirs entre les générations.
* Cest mieux prendre soin de sa santé, en pratiquant des activités épanouissantes. Et cest un "plus" social qui profite à lensemble de la société.
- Vivre chez soi -
* Bien vivre, pour les seniors, cest aussi pouvoir vivre chez soi, non pas pour sy replier mais pour y profiter dun lieu de confort, de sécurité qui fonctionne comme un véritable relais depuis lintérieur. Jai pu vérifier ce désir lors de mes nombreuses rencontres avec les aînés à travers notre pays, et cest pour cela que jai créé le projet national "Vivre chez soi".
* Vous allez vous-mêmes pouvoir évaluer lenjeu, limpact humain, social et économique que ces 6 axes majeurs représentent à eux seuls pour lensemble de la société française, mais aussi pour la croissance et la restructuration de notre économie :
1) Cest, dabord, sécuriser lhabitat, premier lieu des risques disolement, daccidents domestiques,dabus de confiance. Ces risques augmentent avec lâge, à tel point que nos aînés sont les premières victimes des accidents domestiques, qui sont très souvent un facteur déterminant dans les placements en institution. Le rôle de la prévention à domicile sera donc décisif pour déplacer le curseur de la perte dautonomie. Cest aussi un facteur de modernité et de croissance, au même titre quun élément de qualité de vie.
Mon objectif était de créer un "diagnostic" pour lautonomie à domicile destiné aux aînés désireux de vivre chez eux et qui sont en bonne santé : cest plus de 80% des 60 ans et plus. Ce diagnostic pourra également intervenir en cas de sortie dhospitalisation. Cela implique de changer le visage de lurbanisme, de léconomie urbaine, dans et à lextérieur des logements : cest un immense chantier économique et industriel.
2) Ensuite, les technologies et services de lautonomie sont un atout essentiel pour répondre aux besoins et aux attentes des aînés en matière dautonomie, de mobilité, daccès à linformation et aux services, de sécurité, de liens familiaux : elles représentent là aussi, à elles seules, une nouvelle économie qui va profiter à lensemble de notre société.
Mon objectif était :
* didentifier les besoins et les services nécessaires au vivre chez soi, élargis à lensemble des aînés dans leur parcours de vie (autonome, fragile et dépendant) et en lien avec leur entourage familial.
* de définir les technologies et les services associés susceptibles dêtre développés rapidement et les conditions techniques et économiques de ce développement.
Jai sur ce point constaté que les aînés ont une pratique de plus en plus familière des nouvelles technologies de linformation, notamment dinternet. Ils les "boostent".
Il faut à présent transformer ces atouts en richesse, en éléments et secteurs économiques cohérents. Cest un pari énorme sur lavenir, mais je suis persuadée que nos entreprises, nos pouvoirs publics, vont savoir relever ce défi, comme ils lont fait quand il sest agi de transformer la gestion urbaine et lenvironnement, en une véritable composante économique.
3) Mieux prévenir la perte dautonomie, cest aussi vivre dans un environnement favorable incitant à la mobilité, qui est non seulement symbole de liberté, mais aussi facteur de production accélérée de richesses.
Les besoins spécifiques des aînés sont insuffisamment pris en compte dans lurbanisme, laménagement des espaces et des réseaux de transports : les élus locaux, ici présents, le savent.
Là encore, on sait quil sagit dinvestissements coûteux, mais porteurs de croissance, de richesses et de développement durable.
Cest pourquoi mon objectif fut dinitier, dans le sillage du label "bien vieillir" une véritable stratégie dadaptation de nos villes et villages au vieillissement de la population : imaginez ce que cela représente à léchelle de notre ville de Lyon ! En termes de transports, de mobilité, daccessibilité Les aînés vont nous aider à repenser la ville à laune des plus fragiles. Nous sommes tous concernés car nous avons tous été fragilisés, ou le serons un jour : une femme enceinte, un malade, une personne handicapée.
4) Pour mieux prévenir la perte dautonomie des aînés, nous avons aussi besoin de professionnels compétents. Cette cause humaine constitue une immense réserve demplois davenir.
Les métiers sont nombreux : aide à la vie, aide ménagère, infirmière, aide-soignante, aide médico-psychologique, aide à la mobilité, aide à la sécurité, installation et maintenance des technologies à domicile. Il sagit demplois pérennes, non délocalisables, qui profitent à toutes les générations et tous les territoires. Mais il faut aussi valoriser ces emplois, en faire des métiers qualifiés, offrant des perspectives de carrière. Cest pourquoi javais ouvert un vaste chantier sur ce sujet.
5) Lutter contre les effets de la perte dautonomie des aînés, cest aussi une question de droit. Notre société fondée sur légalité des droits, doit garantir à tous nos aînés, quils soient autonomes ou dépendants, le respect dû à tout citoyen et à tout être humain.
Le vieillissement de notre société nous impose donc de revoir les fondements et les usages de notre droit. Jai eu loccasion den parler avec les notaires lyonnais (successions, transmission du patrimoine, tutelle des personnes dépendantes).
Cest pourquoi, jai souhaité proposer une charte des aînés qui affirme légalité des droits et valorise les acteurs qui les respectent, et que jai inscrit la lutte contre la maltraitance envers les aînés comme lune de mes priorités ministérielles : javais, par exemple, pris la décision de veiller à ce que lensemble des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes observent des règlements strictes en matière de bientraitance. Ceux qui nétaient pas aux normes, ont été fermés : là encore, limpératif de respect des personnes et de qualité de vie vient apporter une stimulation à la qualité de vie et à la croissance. Il lui donne des critères précis, normés, qui relèvent directement de lamélioration du niveau global de la qualité de vie.
6) Enfin, pour lutter contre la dépendance des aînés, il faut, en amont, avoir une vision économique globale axée non pas sur une économie de la dépendance, mais une véritable économie de lautonomie. Cela suppose dorganiser les filières économiques en valorisant les parcours professionnels des aidants, mais aussi en offrant des prestations de services de meilleure qualité, adaptées et accessibles à tous, sur lensemble du territoire. Car cest depuis les territoires eux-mêmes que doit se construire, dès aujourdhui, une économie du vieillissement. Cest une source de richesse pour les villes et les territoires. Vous, jeunes chefs dentreprise, vous êtes aussi concernés par la construction de cette nouvelle économie, dont les perspectives doivent être tracées.
Tant que les personnes âgées restent chez elles, nous devons donc, Mesdames, Messieurs, pouvoir leur garantir un accompagnement sur mesure.
Dans ce dispositif, je ne veux pas oublier dévoquer le rôle primordial des aidants familiaux, qui assument souvent une grande partie de laide à domicile.
Les chiffres en témoignent : les 3/4 des bénéficiaires de lallocation personnalisée dautonomie (APA) à domicile perçoivent une aide de leur entourage. Nous avons tous fait lexpérience de ce soutien dans nos familles. Ce sont les proches de la personne âgée dépendante qui consacrent en moyenne quatre heures par jour aux démarches administratives, aux courses, à la préparation des repas et à la surveillance de leur proche en situation de dépendance.
Cest pourquoi javais prévu dans le cadre de la LFSS 2010 de multiplier les solutions dites de répit (accueil de jour et hébergement temporaire) pour soulager ces aidants familiaux de ce dévouement de tous les instants. Car je ne voulais pas que les aidants soient les 2èmes victimes de la dépendance de leur proche, alors quils constituent un exemple de solidarité et de proximité qui honore notre modèle social et humain.
Là encore, vous le voyez, la solidarité des proches dune personne âgée en situation de fragilité vient refonder le sens de notre "Vivre ensemble".
Je ne puis conclure sans évoquer un point qui semble au premier abord en contradiction avec le thème de votre réflexion : le vieillissement représente un coût croissant pour la société. Et la prise en charge des personnes dépendantes, avec la progression constante des maladies neurodégénératives représente une charge financière qui atteint aujourdhui 14 milliards deuros pour lEtat.
Mais comme la dit le Président de la République, qui a une mission prospective, cette charge nest pas une fatalité.
Le défi qui nous est lancé, est de transformer précisément ce qui est aujourdhui une charge nette pour la société, en croissance. Les effets de la crise économique mondiale sur notre économie nationale, dont nous connaissons la rudesse, ont été amortis par le fait que 30% de notre PIB est socialisé. Cest la preuve que notre pays a déjà intégré le bien-être et la santé de lensemble des citoyens comme un élément de richesse et de production de richesses !
Aujourdhui, je continue ce combat que jai mené au service des aînés, avec la même conviction pour lensemble du domaine de la santé.
Je suis de retour de Chine, où jai lancé une coopération approfondie entre nos hôpitaux publics. Le Ministre chinois de la santé, qui connaît bien notre pays, a entrepris une vaste réforme de la santé qui sinspire de la France.
En Chine, la protection sociale, les services médicaux, le remboursement des médicaments restent limités, alors que la population aspire à être mieux soignée. On na encore rien prévu pour gérer le vieillissement très important de ce peuple d1,4 milliards dhabitants.
Créer un système de protection sociale pour la santé, pour les personnes âgées notamment, permettrait :
* de faire baisser drastiquement lépargne privée des ménages ;
* de les inciter à investir ;
* mais surtout de consommer, car les salaires, en 2 ans, ont progressé de 20% ;
* ce faisant, le commerce intérieur serait stimulé ;
* on échapperait aussi au dumping social dans lequel ce pays sest enfermé ;
* on voit aussi se dessiner une perspective qui amène à transformer une charge et des coûts, en croissance, et en mieux-vivre : cest cela le progrès.
Imaginons, Mesdames et messieurs, ce quune telle évolution en cours peut représenter pour notre pays, en termes dexportation de ses savoir-faire dans le monde entier.
Nos savoir-faire en matière de gériatrie, de logement, durbanisme, déquipements logiciels, pour transformer des objets de la vie quotidienne en outils de qualité de vie pour les aînés ; sont appréciés dans le monde entier.
Ils peuvent et vont créer un potentiel de croissance à lintérieur, comme à lextérieur de nos frontières.
Cest pour moi un des plus grands et exaltants combats de la femme engagée que je suis. Alors oui, le vieillissement de la population française et mondiale est une chance et une richesse pour lhumanité.
Mais il faut la saisir ensemble, acteurs publics et privés, pour transformer un coût en croissance, et, pour tout dire, en bonheur !
Source http://www.sante.gouv.fr, le 3 mai 2011