Texte intégral
Chers camarades,
Mon intervention porte sur la méthode que nous pourrions retenir pour l'élaboration du projet communiste que nous avons décidé de mettre à l'ordre du jour de notre Congrès.
Je m'appuie pour cela sur la réflexion du groupe de travail piloté par Robert Hue et mis en place depuis un peu plus d'un mois.
Quelques mots de contenu d'abord.
Que signifie d'être, aujourd'hui, communiste ? Pas une militante, pas un militant communiste, qui n'ait été, une fois au moins, pressé de répondre à cette question.
Même si la question plonge souvent dans l'embarras le militant sommé d'expliquer en quelques mots les raisons de ses choix, il faudrait être distrait pour ne pas remarquer qu'elle nous est posée aujourd'hui avec de plus en plus d'insistance et d'acuité.
Certes la liste de ceux qui ont décrété une fois pour toute notre décès reste longue. Mais la question de la pertinence du communisme au 21ème siècle n'est ni rhétorique ni ironique.
Elle traduit tout simplement de la curiosité, un désir de savoir, de comprendre, chez ceux qui nous l'adressent.
Et c'est précisément en quoi elle est déroutante. Elle stimule et elle dérange. Car au fond, avec elle, nous découvrons soudainement à quel point des gens, plus nombreux que nous ne le pensions, prennent au sérieux la vision du monde, l'idée et le mot de communisme.
Ne nous cachons pas que c'est dur d'être communiste. Au regard du passé bien entendu, mais pas seulement, loin s'en faut. Choisir de s'appeler ainsi, c'est d'emblée "annoncer la couleur" : admettre que notre utilité, notre raison d'être, reste de transformer radicalement la société ou ne sera pas.
Y-a-t-il une autre force politique dont les objectifs identitaires puissent être un tant soit peu comparés à cette ambition ?
Je crois profondément que la fidélité à notre histoire, aux valeurs qui ont fondé notre engagement, à ce désir de révolution que le temps n'efface pas, ouvre sur le devoir d'élaborer un projet communiste de société, mobilisateur, lisible, concret et anticipateur. Dans cette période, il n'est pas un signe, pas un événement, qui ne nous pousse ailleurs que dans cette direction. Il nous faut donc réussir ce pari. Nous avons un devoir d'invention. Nous nous devons de reconstruire des repères forts avec tous ceux qui rêvent d'un autre monde, de redonner confiance à ceux qui tremblent à l'idée que nous pourrions entrer dans un âge obscur comme l'histoire en a connu plus d'une fois.
Beaucoup de choses ont été dîtes sur les messages adressés lors des élections municipales, plus encore sur les revers que nous avons subis. Mais pas assez sur le paradoxe, l'ambivalence qu'ils révèlent. Car au fond, ce que nous disent les électrices et les électeurs, a tout à voir avec le désir de projet. Les communistes ne sont utiles -car on leur demande plus qu'à tout autre : pourquoi diable serions-nous communistes sans cette exigence ?- qu'en portant un projet alternatif, efficace et crédible.
C'est donc bien l'actualité politique qui nous conduit à réinvestir publiquement le chantier du projet de société. La teneur et la tonalité des luttes et des mobilisations du moment le confirment.
Pour autant, il ne s'agit aucunement de repartir à zéro, de faire comme si nous n'avions plus le moindre repère... Martigues a produit des textes de qualité. Les récentes années ont été riches en innovations, en créativité théorique et politique. Et pourtant, l'insatisfaction demeure ; un sentiment de carence est partagé par beaucoup de communistes.
Pourquoi, me dira-t-on ? A mes yeux, c'est avec la notion même de projet que nous entretenons un passif. Lors des vingt années qui viennent de s'écouler, les communistes français ont rompu avec une conception erronée du projet de société.
Il nous a fallu prendre nos distances avec une approche abstraite et stérile de l'idéal, afin de s'extirper de son pendant politique, la version mécanique et réductrice du projet de société. Cette entreprise salvatrice s'est pour une part retournée contre nous. Car nous avons, en quelque sorte, tordu le bâton dans un autre sens en oubliant que le projet, la visée, avaient besoin d'être dits pour être, tout simplement.
C'est de cette confusion, de ce malaise entretenu autour de l'idée même de projet de société qu'il convient désormais de sortir. Sans une mise en perspective, les possibilités qui naissent du mouvement réel de la société ne peuvent déboucher sur sa transformation radicale.
Le contenu du projet ne sera rien, en effet, sans l'entrecroisement fécond des images, des désirs et de la rationalité le plus souvent enracinée dans la représentation, le raisonnement, le mode de pensée de ceux à qui nous entendons soumettre notre projet de société. Débarrassons-nous de l'illusion d'élaborer un projet comme on fait pousser une oasis dans le désert. Nous ne sommes pas confrontés à un vide de représentations. A bien des égards c'est le trop plein qui est la règle, et c'est donc la mise en cohérence, le choix de finalités, qui figurent en tête du cahier des charges que nous devons nous imposer.
La question est moins de s'interroger sur la pertinence du communisme que de s'interroger sur le contenu idéal et concret qu'il doit prendre aujourd'hui. Ce n'est qu'à ce prix que le mot communisme retrouvera une nouvelle jeunesse, retrouvera un sens, une force et une utilité comme regard critique permanent sur " l'ordre des choses ".
D'ores et déjà, quelques pistes peuvent être évoquées. Elles sont dans toutes les têtes, et ne préfigurent en rien l'élaboration à laquelle les communistes vont se livrer. Je vous présente en vrac une ébauche non exhaustive des premières réflexions du collectif piloté par Robert Hue. Que nous sommes-nous dit au cours de nos premières réunions ?
Il est tout d'abord un constat impossible à éluder : d'autres que nous sont porteurs d'un projet de société. Il serait bien naïf de notre part d'en sous-estimer la cohérence, l'impact, la capacité à structurer les représentations, l'univers mental de tout un chacun ! La droite dispose de relais patronaux pour diffuser son idéologie, mais par les temps qui courent, elle reprend de la vigueur pour s'acquitter elle-même de cette tâche.
La social-démocratie, elle, affine sans cesse ses positions, en faisant de l'aménagement du capitalisme son seul horizon, comme si l'affaire se résumait à installer quelques digues...
Mais quoi que nous en pensions, elle dispose d'un projet clair à usage immédiat : " oui à l'économie de marché, non à la société de marché ". Elle l'utilise, elle le décline, elle rallie autour de lui. Quant à ceux avec qui nous partageons une visée anticapitaliste, il leur arrive le plus souvent de différer la construction d'une alternative, en restant embourbés sur le registre de l'incantation.
Pour notre part, les turbulences actuelles ne nous laissent pas quittes : il s'agit donc de hisser considérablement le niveau de notre intervention politique dans la vie publique. Je l'évoquais plus haut, l'air du temps nous somme de prendre l'initiative politique d'un projet communiste. Lors d'un reportage télévisé, une ouvrière, victime de la chasse à l'emploi menée par les actionnaires ces temps derniers, déclarait : " Voilà, c'est donc ça le capitalisme ! ".
Il y a de la colère et de l'indignation dans ce cri mais aussi la soif d'une autre société, d'une organisation politique qui serve à cela.
Nous serons cette force si nous venons à bout d'un impensé omniprésent dans les débats actuels : au nom de quoi une société construite pour et par les hommes se retourne-t-elle contre eux ?
Qu'on ne compte pas sur nous pour se contenter de préserver la société d'une logique économique imparable, de prémunir le social des dégâts de l'économique. Il suffit d'une seconde pour réaliser l'absurdité de cet énoncé. Dans la manière de produire, de créer des richesses, d'échanger des biens et des informations, de se former, tout est culturel, historique, donc tout est contingent. Il ne sert à rien de demander plus de social si cela brouille la nécessité de faire tout autre chose.
L'originalité communiste est ailleurs. Il faut lui redonner le souffle de l'envergure qu'elle a perdu en s'arrimant au mouvement même de la société contemporaine, au cur des contradictions de son système économique, à la faveur des valeurs et des représentations qui émergent. La perspective communiste que nous voulons incarner ne manque pas de matière, c'est l'inverse. Certains parmi nous choisissent ainsi de parler de "communisme brut", à propos de ce qui est en train d'éclore autour de nous. La formule est discutable ? Tant mieux. Débattons-en. Mais ce qui est sûr en revanche, c'est que notre désir d'élaborer un projet communiste avec ceux qui ne le sont pas ne relève ni d'un choix tactique, ni seulement d'un souci de transparence démocratique.
Les clefs du dépassement de la vieille société ne sont pas notre propriété. Nous les détenons avec d'autres, ceux dont les valeurs, les rêves et les idées peuvent troubler le cours concret des choses humaines en devenant de " véritables forces matérielles ".
Pour cela, nul ne peut se passer d'un projet qui fasse la clarté sur les formes les plus contemporaines du capitalisme. Dresser la liste des ravages du capitalisme ne suffit pas. Il n'y a pas d'anticapitalisme digne de ce nom sans une intelligibilité critique de ce système. Il n'y a pas non plus d'anticapitalisme sans des solutions mobilisatrices pour s'engager ici et maintenant dans le processus de son dépassement. De cette intuition, surgissent une multitude d'interrogations. D'où ce système tire-t-il sa capacité à se régénérer ? De même, nous savons désormais que la société est percluse de dominations, qui excèdent le champ de l'exploitation capitaliste.
Mais nous constatons aussi, avec d'autres, qu'au même moment, le règne universel de la marchandise accroît celui de la lutte des classes. Comment rendre raison de cette évolution, apparemment paradoxale ?
Par ailleurs, la promotion des individus, comme fondement et finalité de la société, est désormais la clef de voûte de notre identité communiste. Une société qui marginalise la soif de liberté et d'épanouissement de ses membres n'est-elle pas une société qui marche sur la tête ?
Pour autant, la remettre sur ses pieds passe par le collectif. A ce titre, le décrochage ambiant entre l'individuel et le collectif ne peut nous satisfaire. Pousser à l'extrême, il porte en son sein la fin du politique. Là encore, débat ! Il en est de même à propos de l'impératif d'efficacité de notre projet. Par définition, un projet qui souffre d'un manque de crédibilité n'en est pas un.
Demander de nouveaux droits pour les salariés, les femmes, obtenir pour chacun celui de décider de ce qu'il veut être ; ce n'est pas seulement justice, c'est source d'efficacité pour toute la société, c'est la nouvelle norme du progrès.
Ce progrès n'interviendra qu'au sein du devenir planétaire de l'humanité. Dépasser le capitalisme ici, implique que la mondialisation n'est pas hors d'atteinte du politique, de l'intervention des hommes sur leur destin commun.
Ne sommes-nous pas ainsi à l'étroit dans les concepts de solidarité internationale, de coopération entre les peuples, pour s'opposer efficacement à la mondialisation capitaliste ?
Pour en finir avec ces quelques questions fragmentaires et incomplètes, je veux évoquer la place que doit faire le projet à notre histoire. Aujourd'hui, faire remarquer qu'il n'y a pas de projet sans mémoire est presque devenu un lieu commun. Nous nous sommes appliqués ce précepte à nous-mêmes, sans indulgence. La compréhension de ce qui a échoué au 20ème siècle, est loin d'être épuisée. Si nous y avons contribué, c'est aussi, à mes yeux, parce que nous avons su rester fidèles à nous-mêmes.
Je suis ici tenté de paraphraser Paul Ricoeur : il arrive parfois que fidélité et vérité fassent bon ménage. En ce sens, on peut dire aussi qu'il n'y a pas véritablement de mémoire sans projet. Mais alors faisons preuve d'audace. Les gens veulent savoir qui nous sommes, à quoi nous servons. Ils nous pressent de décliner notre identité. Nous ne pouvons pas nous contenter de leur répondre que nous ne sommes plus ce que nous avons été.
Ces questions et beaucoup d'autres, ce n'est pas une clause de style, seront abordées dans le cadre d'ateliers de travail que le collectif met en place. Nous ferons largement connaître dans les prochaines semaines leurs travaux, leurs thèmes, leur cap que nous n'avons pas voulu corseter dans des libellés trop réducteurs, pour permettre, tant sur les aspirations contemporaines, l'efficacité économique, les rapports de l'homme et de la nature, la mondialisation que le partage des pouvoirs, des entrées diverses. Le choix de la transversalité a été retenu pour déterminer leur champ d'investigation et leur problématique . Nous nous garderons -et nous sommes, je crois, unanimes sur ce point- d'en faire des laboratoires du prêt à penser, du prêt à agir.
Il s'agit avant tout d'outils, de points d'appui pour permettre aux communistes d'apporter leur contribution individuelle au projet.
Il faut sur ce plan avoir beaucoup d'ambition. Je pense que des dizaines de milliers de communistes -pourquoi pas ?- désirent participer à ce débat d'idées.
C'est chez les communistes qu'on trouve, a priori, le plus grand désir de politique. Mais faut-il encore qu'ils expriment cette envie d'expression ! Cela nous renvois à la discussion précédente sur la vie de notre organisation.
Les membres de notre groupe de travail travailleront toutes les contributions qui nous parviendront, dans le but de comprendre la nature des attentes du plus grand nombre de nos camarades.
Mais veillons bien à ne pas retomber dans les écueils dont nous sommes coutumiers. Pourquoi le texte de Martigues a-t-il eu peu d'impact politique dans la société et dans le parti lui-même ? L'explication est simple. Chacun se souvient que nous n'avons pas péché par le manque de questions ou de textes adressés aux communistes durant les huit mois qui ont précédé le Congrès. Certains s'en disaient même saoulés. Mais inviter les communistes à s'approprier un texte qu'ils n'avaient pas pleinement élaboré, conduisait inexorablement à cette impasse. Les communistes ne peuvent pas seulement être appelés à contribuer à un projet, ils doivent être appelés à l'élaborer.
On ne répond bien qu'à une question que l'on a envie de voir poser.
Ce souci de ne pas tarir la parole n'induit pas un effacement de la responsabilité collective. Je pense qu'à tous niveaux des initiatives sont à prendre pour stimuler le débat. Les membres de notre collectif sont disponibles pour toute présence d'animation. Nous veillerons à une transparence des débats, à la circulation des idées. Nous nous efforcerons de restituer les problématiques les plus fécondes. La mise en place depuis déjà un certain temps d'une commission projet par les communistes du Val de Marne est sans aucun doute une expérience à conduire, ailleurs, dans le même esprit et dans les formes appropriées aux besoins de chacun.
Quelques mots en terme de calendrier. Cet été, après les premières analyses des textes parvenus et un travail atelier par atelier de notre collectif national suivi d'un séminaire, un premier canevas de texte sera présenté pour alimenter en retour ces contributions. Un reflet plus conséquent de l'état de la réflexion des communistes pourra ainsi être mis en discussion lors du congrès d'octobre.
Ce processus trouvera un prolongement et une résonance publique avec la tenue du " Forum pour un autre monde " en décembre, et bien évidemment avec l'engagement des communistes dans la campagne présidentielle.
Je crois que nul n'envisage de différer le moment de faire du projet communiste l'affaire bien entendue de toute la société. C'est pourquoi je crois nécessaire le lancement public d'un appel à contribution de Robert Hue qui s'adresserait à tous ceux qui ont intérêt à la transformation de la société, sans exclusive d'aucune sorte ; aux intellectuels, aux syndicalistes comme à tous les acteurs de la création.
Un forum Internet sera mis en place très prochainement pour recueillir des contributions, qu'elles émanent de communistes ou de non communistes, d'individus ou de groupes. Chacune d'elles sera ainsi consultable par tous.
De même, le collectif de travail vous propose de décider de la réalisation d'un film confié par l'équipe Eleb-Campana autour du projet communiste pour la société. Sa vocation serait de se mettre à l'écoute de ce que les gens ont à nous dire.
Ce film, outil pour recueillir la parole citoyenne, instrument de dialogue entre les communistes et toute la société française, donnerait la parole à un panel représentatif de citoyens, dans six à huit sites géographiques. Il s'accompagnerait d'une enquête qualitative et d'un dispositif de réunions publiques, jusqu'à la veille du congrès. La conception même de ce projet implique que les communistes jouent un rôle d'animateurs.
Voilà donc les toutes premières pistes de réflexion et de travail que j'étais chargé de vous présenter.
Un mot pour finir. Ce que nous sommes en train d'engager relève d'une initiative politique majeure. Peut être ne mesurons-nous pas bien, à ce stade, l'impact que peut produire sur la société cet appel à l'intelligence individuelle et collective. Gilles Deleuze disait qu'il est sot d'expliquer aux hommes que l'échec de révolutions du passé est une bonne raison pour ne pas engager celles du présent. Le désir de révolution se suffit à lui-même. Nous ne sommes pas seuls à le pressentir, moins que jamais peut être.
(source http://www.pcf.fr, le 21 mai 2001)
Mon intervention porte sur la méthode que nous pourrions retenir pour l'élaboration du projet communiste que nous avons décidé de mettre à l'ordre du jour de notre Congrès.
Je m'appuie pour cela sur la réflexion du groupe de travail piloté par Robert Hue et mis en place depuis un peu plus d'un mois.
Quelques mots de contenu d'abord.
Que signifie d'être, aujourd'hui, communiste ? Pas une militante, pas un militant communiste, qui n'ait été, une fois au moins, pressé de répondre à cette question.
Même si la question plonge souvent dans l'embarras le militant sommé d'expliquer en quelques mots les raisons de ses choix, il faudrait être distrait pour ne pas remarquer qu'elle nous est posée aujourd'hui avec de plus en plus d'insistance et d'acuité.
Certes la liste de ceux qui ont décrété une fois pour toute notre décès reste longue. Mais la question de la pertinence du communisme au 21ème siècle n'est ni rhétorique ni ironique.
Elle traduit tout simplement de la curiosité, un désir de savoir, de comprendre, chez ceux qui nous l'adressent.
Et c'est précisément en quoi elle est déroutante. Elle stimule et elle dérange. Car au fond, avec elle, nous découvrons soudainement à quel point des gens, plus nombreux que nous ne le pensions, prennent au sérieux la vision du monde, l'idée et le mot de communisme.
Ne nous cachons pas que c'est dur d'être communiste. Au regard du passé bien entendu, mais pas seulement, loin s'en faut. Choisir de s'appeler ainsi, c'est d'emblée "annoncer la couleur" : admettre que notre utilité, notre raison d'être, reste de transformer radicalement la société ou ne sera pas.
Y-a-t-il une autre force politique dont les objectifs identitaires puissent être un tant soit peu comparés à cette ambition ?
Je crois profondément que la fidélité à notre histoire, aux valeurs qui ont fondé notre engagement, à ce désir de révolution que le temps n'efface pas, ouvre sur le devoir d'élaborer un projet communiste de société, mobilisateur, lisible, concret et anticipateur. Dans cette période, il n'est pas un signe, pas un événement, qui ne nous pousse ailleurs que dans cette direction. Il nous faut donc réussir ce pari. Nous avons un devoir d'invention. Nous nous devons de reconstruire des repères forts avec tous ceux qui rêvent d'un autre monde, de redonner confiance à ceux qui tremblent à l'idée que nous pourrions entrer dans un âge obscur comme l'histoire en a connu plus d'une fois.
Beaucoup de choses ont été dîtes sur les messages adressés lors des élections municipales, plus encore sur les revers que nous avons subis. Mais pas assez sur le paradoxe, l'ambivalence qu'ils révèlent. Car au fond, ce que nous disent les électrices et les électeurs, a tout à voir avec le désir de projet. Les communistes ne sont utiles -car on leur demande plus qu'à tout autre : pourquoi diable serions-nous communistes sans cette exigence ?- qu'en portant un projet alternatif, efficace et crédible.
C'est donc bien l'actualité politique qui nous conduit à réinvestir publiquement le chantier du projet de société. La teneur et la tonalité des luttes et des mobilisations du moment le confirment.
Pour autant, il ne s'agit aucunement de repartir à zéro, de faire comme si nous n'avions plus le moindre repère... Martigues a produit des textes de qualité. Les récentes années ont été riches en innovations, en créativité théorique et politique. Et pourtant, l'insatisfaction demeure ; un sentiment de carence est partagé par beaucoup de communistes.
Pourquoi, me dira-t-on ? A mes yeux, c'est avec la notion même de projet que nous entretenons un passif. Lors des vingt années qui viennent de s'écouler, les communistes français ont rompu avec une conception erronée du projet de société.
Il nous a fallu prendre nos distances avec une approche abstraite et stérile de l'idéal, afin de s'extirper de son pendant politique, la version mécanique et réductrice du projet de société. Cette entreprise salvatrice s'est pour une part retournée contre nous. Car nous avons, en quelque sorte, tordu le bâton dans un autre sens en oubliant que le projet, la visée, avaient besoin d'être dits pour être, tout simplement.
C'est de cette confusion, de ce malaise entretenu autour de l'idée même de projet de société qu'il convient désormais de sortir. Sans une mise en perspective, les possibilités qui naissent du mouvement réel de la société ne peuvent déboucher sur sa transformation radicale.
Le contenu du projet ne sera rien, en effet, sans l'entrecroisement fécond des images, des désirs et de la rationalité le plus souvent enracinée dans la représentation, le raisonnement, le mode de pensée de ceux à qui nous entendons soumettre notre projet de société. Débarrassons-nous de l'illusion d'élaborer un projet comme on fait pousser une oasis dans le désert. Nous ne sommes pas confrontés à un vide de représentations. A bien des égards c'est le trop plein qui est la règle, et c'est donc la mise en cohérence, le choix de finalités, qui figurent en tête du cahier des charges que nous devons nous imposer.
La question est moins de s'interroger sur la pertinence du communisme que de s'interroger sur le contenu idéal et concret qu'il doit prendre aujourd'hui. Ce n'est qu'à ce prix que le mot communisme retrouvera une nouvelle jeunesse, retrouvera un sens, une force et une utilité comme regard critique permanent sur " l'ordre des choses ".
D'ores et déjà, quelques pistes peuvent être évoquées. Elles sont dans toutes les têtes, et ne préfigurent en rien l'élaboration à laquelle les communistes vont se livrer. Je vous présente en vrac une ébauche non exhaustive des premières réflexions du collectif piloté par Robert Hue. Que nous sommes-nous dit au cours de nos premières réunions ?
Il est tout d'abord un constat impossible à éluder : d'autres que nous sont porteurs d'un projet de société. Il serait bien naïf de notre part d'en sous-estimer la cohérence, l'impact, la capacité à structurer les représentations, l'univers mental de tout un chacun ! La droite dispose de relais patronaux pour diffuser son idéologie, mais par les temps qui courent, elle reprend de la vigueur pour s'acquitter elle-même de cette tâche.
La social-démocratie, elle, affine sans cesse ses positions, en faisant de l'aménagement du capitalisme son seul horizon, comme si l'affaire se résumait à installer quelques digues...
Mais quoi que nous en pensions, elle dispose d'un projet clair à usage immédiat : " oui à l'économie de marché, non à la société de marché ". Elle l'utilise, elle le décline, elle rallie autour de lui. Quant à ceux avec qui nous partageons une visée anticapitaliste, il leur arrive le plus souvent de différer la construction d'une alternative, en restant embourbés sur le registre de l'incantation.
Pour notre part, les turbulences actuelles ne nous laissent pas quittes : il s'agit donc de hisser considérablement le niveau de notre intervention politique dans la vie publique. Je l'évoquais plus haut, l'air du temps nous somme de prendre l'initiative politique d'un projet communiste. Lors d'un reportage télévisé, une ouvrière, victime de la chasse à l'emploi menée par les actionnaires ces temps derniers, déclarait : " Voilà, c'est donc ça le capitalisme ! ".
Il y a de la colère et de l'indignation dans ce cri mais aussi la soif d'une autre société, d'une organisation politique qui serve à cela.
Nous serons cette force si nous venons à bout d'un impensé omniprésent dans les débats actuels : au nom de quoi une société construite pour et par les hommes se retourne-t-elle contre eux ?
Qu'on ne compte pas sur nous pour se contenter de préserver la société d'une logique économique imparable, de prémunir le social des dégâts de l'économique. Il suffit d'une seconde pour réaliser l'absurdité de cet énoncé. Dans la manière de produire, de créer des richesses, d'échanger des biens et des informations, de se former, tout est culturel, historique, donc tout est contingent. Il ne sert à rien de demander plus de social si cela brouille la nécessité de faire tout autre chose.
L'originalité communiste est ailleurs. Il faut lui redonner le souffle de l'envergure qu'elle a perdu en s'arrimant au mouvement même de la société contemporaine, au cur des contradictions de son système économique, à la faveur des valeurs et des représentations qui émergent. La perspective communiste que nous voulons incarner ne manque pas de matière, c'est l'inverse. Certains parmi nous choisissent ainsi de parler de "communisme brut", à propos de ce qui est en train d'éclore autour de nous. La formule est discutable ? Tant mieux. Débattons-en. Mais ce qui est sûr en revanche, c'est que notre désir d'élaborer un projet communiste avec ceux qui ne le sont pas ne relève ni d'un choix tactique, ni seulement d'un souci de transparence démocratique.
Les clefs du dépassement de la vieille société ne sont pas notre propriété. Nous les détenons avec d'autres, ceux dont les valeurs, les rêves et les idées peuvent troubler le cours concret des choses humaines en devenant de " véritables forces matérielles ".
Pour cela, nul ne peut se passer d'un projet qui fasse la clarté sur les formes les plus contemporaines du capitalisme. Dresser la liste des ravages du capitalisme ne suffit pas. Il n'y a pas d'anticapitalisme digne de ce nom sans une intelligibilité critique de ce système. Il n'y a pas non plus d'anticapitalisme sans des solutions mobilisatrices pour s'engager ici et maintenant dans le processus de son dépassement. De cette intuition, surgissent une multitude d'interrogations. D'où ce système tire-t-il sa capacité à se régénérer ? De même, nous savons désormais que la société est percluse de dominations, qui excèdent le champ de l'exploitation capitaliste.
Mais nous constatons aussi, avec d'autres, qu'au même moment, le règne universel de la marchandise accroît celui de la lutte des classes. Comment rendre raison de cette évolution, apparemment paradoxale ?
Par ailleurs, la promotion des individus, comme fondement et finalité de la société, est désormais la clef de voûte de notre identité communiste. Une société qui marginalise la soif de liberté et d'épanouissement de ses membres n'est-elle pas une société qui marche sur la tête ?
Pour autant, la remettre sur ses pieds passe par le collectif. A ce titre, le décrochage ambiant entre l'individuel et le collectif ne peut nous satisfaire. Pousser à l'extrême, il porte en son sein la fin du politique. Là encore, débat ! Il en est de même à propos de l'impératif d'efficacité de notre projet. Par définition, un projet qui souffre d'un manque de crédibilité n'en est pas un.
Demander de nouveaux droits pour les salariés, les femmes, obtenir pour chacun celui de décider de ce qu'il veut être ; ce n'est pas seulement justice, c'est source d'efficacité pour toute la société, c'est la nouvelle norme du progrès.
Ce progrès n'interviendra qu'au sein du devenir planétaire de l'humanité. Dépasser le capitalisme ici, implique que la mondialisation n'est pas hors d'atteinte du politique, de l'intervention des hommes sur leur destin commun.
Ne sommes-nous pas ainsi à l'étroit dans les concepts de solidarité internationale, de coopération entre les peuples, pour s'opposer efficacement à la mondialisation capitaliste ?
Pour en finir avec ces quelques questions fragmentaires et incomplètes, je veux évoquer la place que doit faire le projet à notre histoire. Aujourd'hui, faire remarquer qu'il n'y a pas de projet sans mémoire est presque devenu un lieu commun. Nous nous sommes appliqués ce précepte à nous-mêmes, sans indulgence. La compréhension de ce qui a échoué au 20ème siècle, est loin d'être épuisée. Si nous y avons contribué, c'est aussi, à mes yeux, parce que nous avons su rester fidèles à nous-mêmes.
Je suis ici tenté de paraphraser Paul Ricoeur : il arrive parfois que fidélité et vérité fassent bon ménage. En ce sens, on peut dire aussi qu'il n'y a pas véritablement de mémoire sans projet. Mais alors faisons preuve d'audace. Les gens veulent savoir qui nous sommes, à quoi nous servons. Ils nous pressent de décliner notre identité. Nous ne pouvons pas nous contenter de leur répondre que nous ne sommes plus ce que nous avons été.
Ces questions et beaucoup d'autres, ce n'est pas une clause de style, seront abordées dans le cadre d'ateliers de travail que le collectif met en place. Nous ferons largement connaître dans les prochaines semaines leurs travaux, leurs thèmes, leur cap que nous n'avons pas voulu corseter dans des libellés trop réducteurs, pour permettre, tant sur les aspirations contemporaines, l'efficacité économique, les rapports de l'homme et de la nature, la mondialisation que le partage des pouvoirs, des entrées diverses. Le choix de la transversalité a été retenu pour déterminer leur champ d'investigation et leur problématique . Nous nous garderons -et nous sommes, je crois, unanimes sur ce point- d'en faire des laboratoires du prêt à penser, du prêt à agir.
Il s'agit avant tout d'outils, de points d'appui pour permettre aux communistes d'apporter leur contribution individuelle au projet.
Il faut sur ce plan avoir beaucoup d'ambition. Je pense que des dizaines de milliers de communistes -pourquoi pas ?- désirent participer à ce débat d'idées.
C'est chez les communistes qu'on trouve, a priori, le plus grand désir de politique. Mais faut-il encore qu'ils expriment cette envie d'expression ! Cela nous renvois à la discussion précédente sur la vie de notre organisation.
Les membres de notre groupe de travail travailleront toutes les contributions qui nous parviendront, dans le but de comprendre la nature des attentes du plus grand nombre de nos camarades.
Mais veillons bien à ne pas retomber dans les écueils dont nous sommes coutumiers. Pourquoi le texte de Martigues a-t-il eu peu d'impact politique dans la société et dans le parti lui-même ? L'explication est simple. Chacun se souvient que nous n'avons pas péché par le manque de questions ou de textes adressés aux communistes durant les huit mois qui ont précédé le Congrès. Certains s'en disaient même saoulés. Mais inviter les communistes à s'approprier un texte qu'ils n'avaient pas pleinement élaboré, conduisait inexorablement à cette impasse. Les communistes ne peuvent pas seulement être appelés à contribuer à un projet, ils doivent être appelés à l'élaborer.
On ne répond bien qu'à une question que l'on a envie de voir poser.
Ce souci de ne pas tarir la parole n'induit pas un effacement de la responsabilité collective. Je pense qu'à tous niveaux des initiatives sont à prendre pour stimuler le débat. Les membres de notre collectif sont disponibles pour toute présence d'animation. Nous veillerons à une transparence des débats, à la circulation des idées. Nous nous efforcerons de restituer les problématiques les plus fécondes. La mise en place depuis déjà un certain temps d'une commission projet par les communistes du Val de Marne est sans aucun doute une expérience à conduire, ailleurs, dans le même esprit et dans les formes appropriées aux besoins de chacun.
Quelques mots en terme de calendrier. Cet été, après les premières analyses des textes parvenus et un travail atelier par atelier de notre collectif national suivi d'un séminaire, un premier canevas de texte sera présenté pour alimenter en retour ces contributions. Un reflet plus conséquent de l'état de la réflexion des communistes pourra ainsi être mis en discussion lors du congrès d'octobre.
Ce processus trouvera un prolongement et une résonance publique avec la tenue du " Forum pour un autre monde " en décembre, et bien évidemment avec l'engagement des communistes dans la campagne présidentielle.
Je crois que nul n'envisage de différer le moment de faire du projet communiste l'affaire bien entendue de toute la société. C'est pourquoi je crois nécessaire le lancement public d'un appel à contribution de Robert Hue qui s'adresserait à tous ceux qui ont intérêt à la transformation de la société, sans exclusive d'aucune sorte ; aux intellectuels, aux syndicalistes comme à tous les acteurs de la création.
Un forum Internet sera mis en place très prochainement pour recueillir des contributions, qu'elles émanent de communistes ou de non communistes, d'individus ou de groupes. Chacune d'elles sera ainsi consultable par tous.
De même, le collectif de travail vous propose de décider de la réalisation d'un film confié par l'équipe Eleb-Campana autour du projet communiste pour la société. Sa vocation serait de se mettre à l'écoute de ce que les gens ont à nous dire.
Ce film, outil pour recueillir la parole citoyenne, instrument de dialogue entre les communistes et toute la société française, donnerait la parole à un panel représentatif de citoyens, dans six à huit sites géographiques. Il s'accompagnerait d'une enquête qualitative et d'un dispositif de réunions publiques, jusqu'à la veille du congrès. La conception même de ce projet implique que les communistes jouent un rôle d'animateurs.
Voilà donc les toutes premières pistes de réflexion et de travail que j'étais chargé de vous présenter.
Un mot pour finir. Ce que nous sommes en train d'engager relève d'une initiative politique majeure. Peut être ne mesurons-nous pas bien, à ce stade, l'impact que peut produire sur la société cet appel à l'intelligence individuelle et collective. Gilles Deleuze disait qu'il est sot d'expliquer aux hommes que l'échec de révolutions du passé est une bonne raison pour ne pas engager celles du présent. Le désir de révolution se suffit à lui-même. Nous ne sommes pas seuls à le pressentir, moins que jamais peut être.
(source http://www.pcf.fr, le 21 mai 2001)