Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le lancement du Centre Pompidou mobile, Paris le 18 mai 2011.

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Circonstance : Présentation du Centre Pompidou mobile à Paris le 18 mai 2011

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60 ans, jour pour jour, après la mise en oeuvre de la commande publique – c’était un 18 mai 1951, le sculpteur René Iché créait le fameux 1% culturel permettant le financement d'une oeuvre monumentale ou de décoration dans le cadre d’un projet de construction - 30 ans après la naissance des Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), 1 an après l’ouverture du Centre Pompidou-Metz, le lancement du Centre Pompidou mobile est une étape importante dans l’effort de décentralisation culturelle à l’oeuvre dans notre pays. C’est une grande fierté pour le Ministère de la Culture et de la Communication de pouvoir offrir à tous les publics, avec le concours des collectivités territoriales qui accompagneront chaque étape du projet, les collections exceptionnelles d'un Etablissement public national reconnu internationalement, un Etablissement qui conserve l'une des plus riches collections du monde. Le Centre Pompidou mobile manifeste l’attention constante portés par mon Ministère à la démocratisation des pratiques culturelles et ma volonté de placer les musées au centre de cette ambition.
Je sais que beaucoup d’établissements, beaucoup de musées disposent de services et travaillent déjà sur les enjeux de médiation culturelle, sur la sensibilisation des publics, sur une offre diversifiée adaptée à chacun d’entre eux. Dans l’univers numérique, à l’heure de la « société des écrans », cette exigence doit être renouvelée et repensée car l’oeuvre artistique peut être capturée, dupliquée, copiée à l’infini. L’enjeu consiste bien à recréer ce « désir » sans lequel il ne saurait y avoir de politiques culturelles durables. Le très beau projet de Patrick Bouchain, qui s’inscrit, comme tout son travail, dans l’esprit des chapiteaux forains et du cirque ambulant, participe de ce rapport à la fois ludique et privilégié à l’oeuvre.
Mais ce projet va bien au-delà. Outil d’aménagement culturel du territoire, instrument de sensibilisation du public exemplaire, le Centre Pompidou mobile est un projet innovant qui s’inscrit dans le dialogue renouvelé que j’entends porter entre l’Etat et les collectivités locales.
Je suis donc particulièrement heureux de partager ce lancement avec vous aujourd’hui.
Je tiens avant tout à remercier tous les acteurs et les partenaires qui ont rendu ce projet possible.
Je tiens en premier lieu à rendre hommage aux équipes du Centre national Georges Pompidou qui se sont, depuis des mois, mobilisées à vos côtés, cher Alain Seban, pour donner vie à ce projet. Face à certains esprits frileux, conservateurs, Georges Pompidou sut imposer une modernité parfois vécue comme une hérésie. Cet amoureux des arts visuels, qui aimait se ressourcer à Cajarc dans le Lot, qui aimait la France des hautes terres du massif central dont il était originaire, n’aurait pas renié ce projet au service des territoires et de la démocratisation culturelle.
Je veux aussi remercier tous les élus qui se sont emparés du projet et qui ont saisi cette présence des plus grands chefs d’oeuvre du XXe siècle comme un outil favorisant l’attractivité et le développement de leur territoire : Monsieur le Président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat Jacques Legendre, Monsieur le Président de la région Nord-Pas de Calais Daniel Percheron, Monsieur le Président de la région Aquitaine Alain Rousset Monsieur le député-maire de Cambrai François-Xavier Villain, monsieur le député-maire de Boulogne-sur-Mer Frédéric Cuvillier, monsieur le maire du Havre, Edouard Philippe, Madame Magali Giovannangeli, présidente de la Communauté d'Agglomération du Pays d'Aubagne et de l'Etoile.
Je souhaite enfin tout particulièrement remercier les mécènes ici présents sans lesquels ce projet n’aurait pas pu voir le jour, et qui ont manifesté leur intérêt dès le début : Monsieur Philippe Houzé (Galeries Lafayette), Monsieur Olivier Jaillon (La Parisienne), Monsieur Christophe de Margerie (Total), Monsieur Gérard Mestrallet (GDF-Suez). Je n’oublie pas que Marin Karmitz a été le premier à apporter son soutien à ce projet. Je souhaite également saluer votre engagement, Monsieur le Ministre, cher Luc Chatel, à la fois comme ministre de l’Education nationale et comme maire de Chaumont, dans ce département de la Haute-Marne où la tradition industrielle voisine avec l’esprit des Lumières, de Voltaire trouvant refuge à Cirey-sur-Blaise, à Diderot élevé sur l’éperon de Langres, dans cette ville de Chaumont où la tradition graphique et la création visuelle ont une histoire, à travers le Festival international de l’affiche.
Avec le Centre Pompidou mobile, les collections d’art du XXe siècle d’un des plus grands musées d’art moderne au monde seront désormais accessibles à tous partout en France. Avec 800 000 visiteurs en un an, avec une exposition des chefs d’oeuvre des collections du musée qui a été plébiscitée, le Centre Pompidou-Metz, ouvert en mai 2010, a rencontré son public et le succès. Depuis peu, l’expérience de magie visuelle que nous devons à Daniel Buren, déjà saluée par la critique, traduit cet état d’esprit, cette « évolution permanente » que Georges Pompidou appelait lui-même de ses voeux lorsqu’il imaginait et rêvait le projet.
Chacun le sait, la collection du Musée national d’art moderne jouit d’un grand prestige et d’une réputation internationale. Sa présence doit beaucoup à l’action résolue et déterminée du Président Pompidou en faveur de l’art contemporain et de la création. A l’occasion du 100e anniversaire de sa naissance (1911), je tenais à rappeler l’ambition de celui qui chérissait autant le patrimoine littéraire que les nouveaux langages artistiques, de celui qui nourrissait une véritable ambition modernisatrice pour Paris : édifier, pour le citer, un « musée des Arts contemporains (…) sur le plateau Beaubourg ».
Cet esprit d’innovation, je l’identifie également dans ce projet unique de musée nomade, de musée itinérant, qui répond profondément à la culture de la mobilité présente dans les sociétés contemporaines.
Dans une société de la mobilité en effet, de nouveaux modèles de développement émergent, de nouvelles frontières apparaissent, de nouveaux risques de ségrégation – spatiale, générationnelle – se manifestent. Les modes de vie et l’économie modernes sont à la fois urbains et mondialisés, globaux et locaux, en lien direct permanent. L’urbanité historiquement fondée sur le lieu a cessé d’être le monopole de la ville, la culture a cessé d’être abritée en des lieux : elle s’est peu à peu « virtualisée », elle est devenue « multi-lieux » pour ainsi dire. Ce sont là les grands défis d’avenir auxquelles les politiques culturelles et notamment la politique des musées devront faire face : conserver les collections tout en développant une accessibilité nouvelle. Je crois pouvoir dire que le projet du Centre Pompidou mobile répond à cette mutation profonde des pratiques et des comportements.
De la même façon, votre projet architectural, qui est lui-même une oeuvre du Centre Pompidou mobile, cher Patrick Bouchain, s’inscrit pleinement dans la culture et les aspirations du public du XXIe siècle. Je suis persuadé notamment que ce musée à taille humaine est à même de lever les préventions et les intimidations de ceux qui n’osent pas franchir les portes des temples de la culture. Ce travail remarquable s’inscrit dans la grande histoire architecturale du Centre Pompidou du binôme Renzo Piano-Richard Rogers pour Beaubourg à Shigeru Ban à Metz.
Ce projet s’inscrit fondamentalement dans ma politique en faveur des territoires.
J’ai effectué de très nombreux déplacements depuis deux ans : j’ai pu mesurer la qualité des projets lancés en région et le niveau d’expertise des acteurs culturels. Dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales, je me suis battu pour conserver la possibilité de financements croisés dans le secteur culturel. Dans ce contexte, nous devons approfondir les partenariats entre l’Etat les collectivités territoriales. Le Centre Pompidou mobile est une illustration de cette nouvelle donne. Seule la mobilisation et l’attention des collectivités qui accueilleront le Centre peuvent donner vie au projet.
Je tiens donc à saluer les maires des villes qui ont accepté d’accueillir les premières étapes du Centre Pompidou mobile : Chaumont en octobre 2011, Cambrai au début de l’année 2012, Boulogne- sur-Mer en mai 2012. Ces villes moyennes, souvent riches d’un patrimoine considérable, révèlent la nouveauté de ce projet, qui bouscule la géographie de ce que Malraux appelait le « musée imaginaire ».
J’ai fait des musées en régions l’une des priorités de mon action en faveur des territoires. Porter les chefs d’oeuvres des musées nationaux, internationalement reconnus, au plus près de leur public est au coeur des grands chantiers de mon ministère. Il s’agit de faire de ces musées des équipements culturels attractifs, d’appuyer le développement des territoires, de mettre un patrimoine commun à la disposition du plus grand nombre. La décentralisation et la démocratisation culturelle sont deux piliers de l’action de ce ministère depuis 50 ans : j’entends les réaffirmer et les mettre en oeuvre.
Le Louvre Lens participe de cette ambition. Après le Centre Pompidou-Metz, il s’agit de la deuxième antenne d’un musée national délocalisé. Engagé en 2004, c’est un projet dans lequel le Louvre est pleinement mobilisé avec, là encore, le concours actif et précieux des collectivités, et celui, tout particulièrement, de la région Nord-Pas-de-Calais, cher Daniel Percheron.
Le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) sera pour sa part le premier musée national entièrement déconcentré, dans le cadre de Marseille-Provence capitale européenne de la Culture en 2013. Au point de rencontre entre patrimoine et création, dans le magnifique bâtiment de Rudy Ricciotti, au coeur d’une ville en pleine transformation, le MuCEM mêlera l’histoire et l’avenir des deux rives.
En septembre 2010, j’ai lancé le « plan musées » en régions, avec la même volonté de rééquilibrer l’offre muséographique et de favoriser l’attractivité des territoires. Riche de plus de 1200 musées de France labellisés par mon ministère, notre pays présente une mosaïque exceptionnelle, trop méconnue, qu’il importe de mettre en valeur, comme ce fut le cas le week-end dernier à l’occasion de la Nuit européenne des musées qui a rencontré le succès, avec près de 2 millions de visiteurs. En accompagnant 79 projets de musées partout en France, le Plan pour les musées en régions met en valeur la qualité des collections, mais aussi les politiques des publics et les projets culturels de ces établissements majoritairement portés par des collectivités.
Car c’est avec l’ensemble des institutions présentes en région que le Centre Pompidou mobile va pouvoir nouer des partenariats inédits, contribuant à renouveler la relation entre l’ Etat et les collectivités. Les musées d’art moderne présents dans nos régions seront des partenaires privilégiés, des relais, des caisses de résonance. Je pense au musée de Villeneuve d’Ascq que j’ai inauguré l’été dernier ou au musée d’art moderne de Troyes que j’ai visité encore récemment, dans deux régions qui accueilleront le Centre Pompidou mobile. A mes yeux, la présence des uns ne dessert pas l’autre ; bien au contraire elle l’enrichit, elle le nourrit en suscitant un intérêt. Il faut concevoir la présence du Centre Pompidou mobile non pas comme un épiphénomène ou une manifestation éphémère mais bien comme un outil de développement sur le long terme pour les institutions régionales dédiées à l’art moderne et pour l’éveil des publics à cette dimension.
A cet égard, les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et les Centres d’art seront associés à ces étapes. Créés dans les années 1980 à l'initiative du ministère de la Culture, en partenariat avec les Régions, les FRAC sont un soutien à la création, un outil d’aménagement culturel du territoire, un instrument de sensibilisation du public exemplaire. Ils sont les seules institutions à couvrir tout le processus artistique allant du soutien aux artistes par la participation à la production d'oeuvre, à l'acquisition et la présentation au public. Depuis 30 ans, avec près de 24 000 oeuvres, les FRAC ont constitué non pas des collections d'art contemporain « régionales » mais bien des collections pour les régions.
A leur image, je suis certain que le projet de Centre Pompidou mobile portera haut l’exigence de diffusion et d’accessibilité, qu’il proposera des formes de sensibilisation inventives et renouvelées, en impliquant les associations, les collèges, les lycées, les hôpitaux, en d’autres termes des lieux qui ne sont pas spécifiquement consacrés aux arts visuels.
Le Centre Pompidou mobile sera donc un outil formidable au service de ce travail capillaire, de la formation d’une culture artistique mieux enracinée et plus diffuse. Rien ne substitue le choc esthétique de la rencontre avec l’oeil de Miro, rien ne remplace l’émotion ressentie à la vue d’un mobile de Calder, notamment chez les plus jeunes. Aujourd’hui plus encore qu’hier, la muséographie, la scénographie, expositions et musées peuvent amener le visiteur vers une expérience sensible, le visiteur pouvant « dériver » au gré des nouvelles technologies et des oeuvres exposées. C’est cette exigence nouvelle dont prend acte le Centre Pompidou mobile, dans la mesure où il se présente comme expérience des sens et mise en présence de l’oeuvre. Dans l’approche de l’art, il convient de recréer la surprise, l’extraordinaire, l’événement, la fantaisie.
A cet égard il s’inscrit dans la politique volontariste en matière d’éducation artistique et culturelle que nous portons ensemble, cher Luc Chatel. La généralisation d’un enseignement d’histoire des arts depuis 2008 à tous les niveaux scolaires de même que l’épreuve obligatoire au brevet des collèges cette année en est la traduction. Mais la « réconciliation du sensé et du sensible », pour reprendre l’expression de Didier Lockwood, ne va pas de soi, nous devons poursuivre notre engagement et notre effort.
Pour faire pièce au « dépaysement », au « changement d’horizon » ressentis par certains publics face aux oeuvres – ces oeuvres dont ils ne disposent pas toujours des codes, dont ils ne partagent pas toujours le « capital symbolique » - il faut une initiation, un accompagnement, une médiation. Pour chaque étape, le Centre Pompidou mobile a envisagé cette dimension, notamment à destination du jeune public, des enseignants, des scolaires. Toute politique des publics ambitieuse doit avant tout sensibiliser les non-initiés, former les publics de demain, former ces « regards instruits » sans lesquels la visite est un leurre ou un divertissement sans lendemain. C’est tout l’enjeu du dialogue qui doit accompagner la venue du Centre Pompidou mobile, avec le milieu éducatif, avec les associations, avec les acteurs culturels du territoire.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, l’ambition territoriale est au coeur de mon action à la tête de ce ministère. Elle est plus que jamais nécessaire pour reconquérir les « territoires perdus » de l’action culturelle. Hier, mes prédécesseurs travaillaient à réduire les « déserts culturels » par une active politique d’aménagement du territoire ; cette ambition doit aujourd’hui être poursuivie et prolongée, jusque dans ces « déserts de l’intimité » où l’art ne pénètre que par effraction. C’est le sens du programme du Centre Pompidou mobile, dans un dialogue renforcé avec les collectivités territoriales.
A l’ère de la numérisation, de l’individualisation de l’accès aux biens culturels – notamment la culture du divertissement dans ses formes standardisées, parfois aseptisées – je reste convaincu de la force de notre « modèle culturel » et de la nécessité de préserver la diversité culturelle. A l’heure où de grands acteurs de l’internet présentent des oeuvres et des musées sur la toile, je reste convaincu de la pertinence du musée en tant que lieu physique. Le musée est et restera un lieu de rencontres, un lieu d’émotions, un lieu d’apprentissages. Le contact exceptionnel et rare avec une oeuvre entre un visiteur et une oeuvre, un document historique, forme l’imagination et la sensibilité autant qu’il ouvre l’esprit. Il ne faut pas bien entendu céder à l’illusion du « choc esthétique », dire combien la beauté est exigeante et suppose une mise en contexte, un récit explicatif, une pédagogie. Le cahier des charges du Centre Pompidou mobile épouse précisément ces enjeux.
Et je veux dire combien l’idée de porter en tous points du territoire, en tous lieux les chefs d’oeuvre de l’art moderne présent au Centre Georges Pompidou marque une véritable charnière dans l’histoire de nos politiques culturelles. A l’heure où nous commémorons le 150e anniversaire de la naissance de Georges Méliès, à l’heure où son Voyage dans la lune (1902) a été présenté dans une version restaurée et colorisée en ouverture du Festival de Cannes, je me réjouis de voir combien la culture nomade et l’esprit forain inspirent également la politique d’un grand Établissement culturel en matière d’art visuel. En matière de politiques culturelles, chaque période est la somme des précédentes mais cela ne doit pas nous empêcher de proposer de « nouveaux territoires » pour l’action. Je vois dans le Centre Pompidou mobile un outil adapté à notre temps pour les grandes missions prioritaires du Ministère de la Culture : la conquête des territoires et la démocratisation de la culture et des savoirs.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 19 mai 2011