Déclaration de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale, sur le débat sur le vieillissement et l'accompagnement des personnes âgées dépendantes, Dinan le 29 avril 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture du débat sur la dépendance à Dinan le 29 avril 2011

Texte intégral


Il me revient la difficile tâche de clôturer ce débat.
Difficile car les échanges que nous avons eus tout au long de cet après-midi ont été riches, passionnants et émouvants.
Difficile aussi car il ne s’agit pas simplement de clore une journée d’échange particulièrement fructueuse, mais bien de s’appuyer sur tous vos témoignages et vos analyses pour progresser, ensemble, sur ce thème qui doit être au centre du débat public.
J’ai dit « doit être », mais en réalité il l’est déjà grâce au Président de la République.
Car c’est bien lui qui a voulu associer l’ensemble de la société française à la réflexion sur son propre avenir.
C’est en effet à celui-ci que ces 26 journées, organisées dans toutes nos régions, sont consacrées. Réfléchir sur la place que notre pays, la France, souhaite réserver à ses aînés en perte d’autonomie, n’est-ce pas se pencher sur notre destin commun ?
N’est-ce pas penser le lien intergénérationnel et donc ce qui fait notre cohésion sociale et nationale ?
La réponse est évidemment oui, et c’est pour répondre à cette haute ambition que le Président et le Gouvernement ont choisi un processus dynamique et participatif pour ce grand débat.
Quatre groupes de travail nationaux ont tout d’abord été lancés début février, traitant des enjeux démographiques et financiers, des relations de la société au vieillissement, des modes d’accompagnement des personnes âgées et de la couverture financière de ce qu’on peut appeler le risque dépendance.
Ces thématiques seront reprises dans le cadre de quatre grands colloques fin mai-début juin. Roselyne Bachelot et moi-même avons également estimé essentiel d’entendre les principaux responsables politiques et syndicaux, représentants professionnels et des usagers, représentants des cultes et des familles de pensées. Tous ont répondu présents, nous apportant des éclairages dont l’intérêt le dispute à la diversité. Nous avons voulu ainsi associer étroitement toutes les composantes de notre pays à ce débat. En effet, celui-ci, on ne le répètera jamais assez, n’est pas et ne doit pas être abordé uniquement sous l’angle étroitement technique, même si de nombreuses questions auxquelles nous sommes confrontées sont très complexes.
Répétons-le une fois encore, il s’agit bel et bien d’un débat éthique qui interroge l’ensemble de notre société.
En outre, un site internet a également été ouvert pour recueillir les contributions de tous ceux parmi nos compatriotes qui souhaiteront faire part de leur réflexion.
A cet état d’avancement de notre démarche collective, je souhaiterais revenir sur quelques éléments de réflexion que les échanges de la journée sont venus conforter :
1/ En matière d’accompagnement de la perte d’autonomie, nous ne partons pas de rien. Les très nombreux témoignages de cette journée viennent confirmer cette quasi évidence.
Pour s’en convaincre, il suffit de constater la présence nombreuse aujourd’hui dans cette salle de professionnels qui oeuvrent dans des établissements et des services à destination des personnes âgées ou de voir l’important engagement des bénévoles auprès des aînés, la mobilisation des élus et des collectivités, l’investissement des familles et des solidarités de proximité. Notre pays consacre d’ores et déjà quelque 25 milliards d’euros à la couverture des besoins liés à la dépendance, qu’il s’agisse de dépenses directes ou indirectes - par le biais des réductions d’impôts. Ces dépenses publiques sont portées par la solidarité nationale à hauteur de 80% que ce soit par l’Etat, l’assurance maladie ou la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, et par la solidarité locale à hauteur de 20% à travers la contribution des Conseils généraux. Et ces 25 milliards d’euros n’intègrent pas les quelque 7 milliards d’euros pris en charge directement par les personnes et les familles elles-mêmes. De plus, ces 10 dernières années ont été marquées par de nombreuses avancées, notamment suite au drame de la canicule de 2003 qui a ému, dans ses profondeurs, la société française :
- la création de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, tout d’abord, qui mobilise les efforts de financement des collectivités locales et de la solidarité nationale. Ce sont près de 5,4 milliards d’euros qui lui sont consacrés, pour 1,2 millions de bénéficiaires. En Bretagne, ce sont près de 62 000 personnes âgées qui bénéficient de cette allocation, financée à hauteur de 294 millions d’euros par vos quatre conseils généraux bénéficiant d’un concours national de quelques 92 millions d’euros par la CNSA.
- le financement des établissements et services médico-sociaux a bénéficié d’une augmentation de moyens sans précédent : les crédits d’assurance maladie effectivement consommés dédiés à leur financement sont passés de 4,690 milliards d’euros en 2006 à 7,953 en 2010, soit une augmentation de 69,7% en 5 ans. La Bretagne a ainsi bénéficié entre 2006 et 2009, à mi-parcours du plan de solidarité Grand Age, de financements pour la création de 2180 places nouvelles, soit plus de 21,3 millions d’euros ; 43% d’entre elles sont effectivement ouvertes à ce jour. Ces crédits ont également permis le renforcement des moyens dédiés aux établissements dans le cadre de démarches dites de médicalisation. Grâce aux réserves financières de la CNSA, le secteur des EHPAD a également bénéficié d’un important effort de modernisation financé à hauteur de plus d’un milliard d’euros de subventions entre 2006 et 2010, bénéficiant à plus de 79 000 places.
- la professionnalisation des professionnels du secteur a fait l’objet de financements complémentaires depuis la création de la CNSA grâce à des conventions passées avec les conseils généraux, comme celles que les quatre départements bretons ont signé pour un montant de 12,213 millions d’euros.
- Enfin, l’appui aux aidants familiaux est une préoccupation constante des pouvoirs publics. Elle constitue en particulier un axe fort du plan Alzheimer et maladies apparentées 2008-2012. Elle a donné lieu à la création de solutions de répit pour les familles et a été étoffée d’une attention portée à la formation des aidants, dans la loi HPST votée en juillet 2009.
Ces quelques chiffres mettent en évidence les efforts considérables fournis par les acteurs traditionnels de la politique gérontologique que sont l’assurance maladie et les conseils généraux. Ils soulignent également le rôle central de la création de la CNSA dans ce dispositif, dont l’intervention concomitante dans le champ médicosocial et dans le champ social, à travers l’appui financier apporté aux conseils généraux, est une innovation précieuse.
2/ Malgré ces efforts importants de la Nation à destination des personnes âgées dépendantes, notre système est confronté à court terme à des défis auxquels il convient de répondre rapidement.
Les différents acteurs impliqués dans l’accompagnement de nos aînés soulignent tous le caractère central de la question des financements :
- les conseils généraux, qui financent l’allocation personnalisée d’autonomie, font face à des dépenses toujours croissantes. Dans votre région, force est ainsi de constater que les dépenses d’APA ont été multipliées par 2,2 en 8 ans. La création de la contribution solidarité pour l’autonomie, la CSA, a permis d’alléger la tension. Toutefois, malgré une progression en valeur absolue du concours national, celui-ci s’effrite rapporté aux dépenses.
Il est désormais passé en dessous de la barre de 30%. C’est une situation qui met en grande difficulté certains départements et interroge le principe d’égalité de traitement sur le territoire.
- les professionnels médico-sociaux signalent quant à eux les besoins de renforcement de moyens dans les établissements médico-sociaux pour faire face à leurs responsabilités. Vous témoignez en particulier de l’évolution de la population accueillie en EHPAD, plus âgée à l’entrée, plus dépendante.
C’est ce à quoi le processus de médicalisation cherche en particulier à répondre.
- Nombre de familles, souvent désemparées, évoquent par ailleurs non seulement la difficulté pour trouver une place pour leur proche dans un établissement adapté et accessible financièrement mais aussi leur besoin d’une meilleure information sur le service rendu, pour s’orienter ;
- les services à domicile alertent sur leur situation financière difficile, notamment en raison d’une politique de tarification qui ne permet pas de faire face aux coûts croissants de leur fonctionnement mais aussi parfois aux conditions structurelles qui leur sont propres ;
- les personnes concernées elles mêmes et leurs familles subissent un reste-à charge de plus en plus important, que ce soit en établissement dont le coût s’approche en moyenne de 1500€- et largement plus en zone urbaine - ou à domicile, l’APA ne permettant pas de couvrir tous les besoins. Le défi démographique ne fait que renforcer l’urgence à agir. Dans votre région, 1 breton sur 3 aura ainsi plus de 60 ans d’ici 2030, et plus de 10% auront alors plus de 80 ans. Ce phénomène de vieillissement de notre population se rencontre, de manière contrastée mais persistante, sur tout notre territoire. Permettez-moi simplement d’insister sur le fait que ce phénomène heureux de l’augmentation de l’espérance de vie met toutefois au défi nos systèmes sociaux.
C’était déjà l’objet de la réforme des retraites conduite l’année dernière que de s’adapter à ce vieillissement de la population française. Il était du devoir des pouvoirs publics d’offrir aux Français des perspectives d’avenir compatibles avec l’évolution de la démographie.
Le chantier de la dépendance a également pour objet de garantir l’avenir de nos dispositifs.
En posant le cadre de la réflexion, le Président de la République a demandé que toutes les solutions soient explorées. Il a toutefois posé trois principes qui guident les travaux du Gouvernement :
- il a refusé la piste du financement par l’endettement et le déficit, qui reporterait sur nos enfants la charge du financement ;
- il a également rejeté d’emblée toute solution qui viendrait augmenter le coût du travail ;
- il s’est opposé à ce qu’aucune autre option ne soit fermée au nom de considérations étroitement idéologiques.
Les différentes solutions proposées seront évidemment évaluées au regard de leur efficacité. Elles le seront aussi à l’aune des choix politiques qu’elles traduisent. C’est l’objet de ce débat que de définir ouvertement ceux-ci, en refusant le confort du non-dit, afin de permettre à nos compatriotes de s’exprimer en toute connaissance de cause.
C’est ainsi que derrière les difficultés de financement signalées par les conseils généraux, nous sommes interrogés sur le modèle particulier de gouvernance du risque dépendance. L’égalité de traitement sur le territoire s’appuie traditionnellement sur la solidarité nationale. Toutefois, le rôle joué par les conseils généraux dans la construction des réponses à nos aînés est reconnu de tous, tant est évidente la nécessité d’élaborer des réponses de proximité tenant compte des caractéristiques de l’environnement de vie des personnes. Quel niveau de responsabilité locale, cela implique-t-il dans le financement ?
5 millions de Français ont d’ores et déjà souscrits des contrats d’assurance, considérant sans doute qu’il était de leur responsabilité de se prémunir, et de protéger leurs proches. C’est une réalité d’aujourd’hui. La question de l’assurance nous interroge sur le niveau de responsabilité individuelle qui peut aussi être invoqué et accepté. Nous avons pu constater, avec Roselyne Bachelot, un consensus fort en faveur du maintien d’un socle de solidarité. La place accrue de l’assurance conduit cependant l’Etat à devoir réfléchir, dès maintenant, aux garanties qu’il pourrait apporter à ceux qui ont souscrit des contrats.
Il doit particulièrement veiller à la clarté et l’accessibilité de l’information sur les conditions générales auxquelles souscrivent tant de nos compatriotes. Voilà, avec la baisse du reste à charge et l’amélioration de la situation des services à domicile, quelques-unes des questions importantes qui devront trouver des réponses à court terme.
3/ Les réponses à apporter aux personnes âgées en perte d’autonomie à horizon de 2030 ou 2040 nous obligent à nous interroger sur la place que nous souhaitons faire aux personnes âgées dans notre société.
Les défis de demain ne sont certes pas la résultante d’une simple extrapolation chiffrée des impasses d’aujourd’hui. Les personnes âgées dans 20 ans ne seront plus les mêmes. Les modes d’accompagnement vont devoir évoluer, s’adapter. Or, la société s’interroge déjà sur le modèle social qui se dégage des réponses que nous apportons. Je l’ai constaté aujourd’hui.
Cette deuxième dimension de la réflexion collective à laquelle nous a invité le Président de la République, nous avons le temps d’y répondre, à condition tout d’abord de ne pas en perdre et surtout d’investir pleinement le débat de société qui se dégage petit à petit du débat technique sur la tarification des EHPAD ou des différents modes d’intervention des services à domicile.
Je veux vous livrer des réflexions sur trois questions qui me paraissent largement conditionner le système que nous serons appelés à financer dans 20 ans.
1– Interrogeons-nous tout d’abord sur le modèle d’accompagnement des personnes âgées dépendantes que nous voulons pour la France de 2020-2030.
L’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes fait monter la pression sur le nombre de places d’EHPAD. Avec le vieillissement de la population française, allons-nous véritablement devoir développer uniquement ce modèle institutionnel de prise en charge ? Quel modèle de prise en charge des personnes âgées, cela dessine-t-il ?
Je ne crois pas que nous devions continuer de répondre de manière aussi stéréotypée. Pendant les 20 dernières années, nous avons renforcé la réponse santé face à l’augmentation de la dépendance, en faisant évoluer les maisons de retraite en lieux de vie certes, mais surtout en lieux de soins. Gardons nous de continuer à fabriquer de la réponse santé seulement parce que nous savons financer de la réponse santé. Il est temps de réinterroger toute la logique de la chaîne de prise en charge qui va du domicile à l’hôpital en passant par le foyer-logement et les EHPAD. Entre le maintien à domicile ordinaire et l’entrée en établissement, il y a bien de la place pour des solutions innovantes qui proposent de nouvelles manières de vivre « chez soi » lorsqu’on a besoin de sécurité et d’accompagnement. Je suis persuadée qu’une telle inflexion contribuera à prévenir les phénomènes de glissement vers la dépendance, en privilégiant la participation sociale.
En organisant mieux toute la chaîne, en évitant les trop nombreuses hospitalisations des personnes âgées, on a sans doute là un levier d’optimisation des moyens mobilisés.
2 – Cela me conduit à revenir sur une question souvent évoquée aujourd’hui : le rôle de la prévention. L’impact du vieillissement sur les besoins liés à la dépendance n’est en effet pas inéluctable en raison des progrès permis par la prévention. Certes les nouvelles prévisions du groupe de travail national présidé par Jean-Michel Charpin ne nous conduisent malheureusement plus à privilégier comme scénario central celui où toute nouvelle année de vie gagnée serait une année en bonne santé. N’est-ce justement pas une invitation à agir ? Il a souvent été question de la responsabilité des acteurs de la santé publique. Je veux insister sur le fait que la prévention de la dépendance doit mobiliser bien au-delà. Il faut en particulier citer le rôle des villes et des agglomérations dont les politiques d’accessibilité ou de cohésion sociale permettent de lutter contre l’isolement, l’immobilité, la désinsertion sociale, facteurs de fragilité des personnes âgées.
3 – La famille, enfin, est le troisième déterminant essentiel du modèle de long terme de l’accompagnement de la dépendance. Face à la dépendance, les familles sont d’ores et déjà en première ligne. Ce sont les proches qui s’organisent pour apporter les premiers soins ou organisent les réponses portées par des tiers. L’Etat n’a pas à remplacer les familles, mais à les accompagner. La solidarité familiale est une réalité que nous pouvons appréhender par exemple à travers les transferts financiers intrafamiliaux et intergénérationnels. Tous n’ont toutefois pas la capacité d’accompagner leur proche. Certains, enfin, sont seuls. Quel modèle de solidarité devons-nous construire pour intégrer pleinement le fait familial ? Il y aura à mieux prendre en compte la situation des aidants dont le projet de vie est de pouvoir accompagner leur proche et vivre leur vie. Prendre en compte ce projet de vie, c’est la condition d’une société solidaire ; c’est aussi la garantie de réponses durables.
Mesdames, Messieurs, D’autres questions soulevées cet après-midi mériteraient sans nul doute d’être reprises. Pour ne pas prolonger davantage ces échanges riches et déjà longs, je n’aurais malheureusement pas le temps de les évoquer. Puissiez-vous maintenant devenir dans vos familles, vos institutions, vos associations, vos institutions ou vos organisations respectives, les relais de cette réflexion collective ! Poursuivons tous ensemble l’animation de ce grand débat national pour repenser notre cohésion sociale et national, au regard des défis démographique et de la dépendance ! Je vous remercie.
Source http://www.dependance.gouv.fr, le 20 mai 2011