Texte intégral
Il me revient la difficile tâche de clôturer ce débat.
Difficile car les échanges que nous avons eus tout au long de cet après-midi ont été riches, passionnants et émouvants.
Difficile aussi car il ne sagit pas simplement de clore une journée déchange particulièrement fructueuse, mais bien de sappuyer sur tous vos témoignages et vos analyses pour progresser, ensemble, sur ce thème qui doit être au centre du débat public.
Jai dit « doit être », mais en réalité il lest déjà grâce au Président de la République.
Car cest bien lui qui a voulu associer lensemble de la société française à la réflexion sur son propre avenir.
Cest en effet à celui-ci que ces 26 journées, organisées dans toutes nos régions, sont consacrées. Réfléchir sur la place que notre pays, la France, souhaite réserver à ses aînés en perte dautonomie, nest-ce pas se pencher sur notre destin commun ?
Nest-ce pas penser le lien intergénérationnel et donc ce qui fait notre cohésion sociale et nationale ?
La réponse est évidemment oui, et cest pour répondre à cette haute ambition que le Président et le Gouvernement ont choisi un processus dynamique et participatif pour ce grand débat.
Quatre groupes de travail nationaux ont tout dabord été lancés début février, traitant des enjeux démographiques et financiers, des relations de la société au vieillissement, des modes daccompagnement des personnes âgées et de la couverture financière de ce quon peut appeler le risque dépendance.
Ces thématiques seront reprises dans le cadre de quatre grands colloques fin mai-début juin. Roselyne Bachelot et moi-même avons également estimé essentiel dentendre les principaux responsables politiques et syndicaux, représentants professionnels et des usagers, représentants des cultes et des familles de pensées. Tous ont répondu présents, nous apportant des éclairages dont lintérêt le dispute à la diversité. Nous avons voulu ainsi associer étroitement toutes les composantes de notre pays à ce débat. En effet, celui-ci, on ne le répètera jamais assez, nest pas et ne doit pas être abordé uniquement sous langle étroitement technique, même si de nombreuses questions auxquelles nous sommes confrontées sont très complexes.
Répétons-le une fois encore, il sagit bel et bien dun débat éthique qui interroge lensemble de notre société.
En outre, un site internet a également été ouvert pour recueillir les contributions de tous ceux parmi nos compatriotes qui souhaiteront faire part de leur réflexion.
A cet état davancement de notre démarche collective, je souhaiterais revenir sur quelques éléments de réflexion que les échanges de la journée sont venus conforter :
1/ En matière daccompagnement de la perte dautonomie, nous ne partons pas de rien. Les très nombreux témoignages de cette journée viennent confirmer cette quasi évidence.
Pour sen convaincre, il suffit de constater la présence nombreuse aujourdhui dans cette salle de professionnels qui oeuvrent dans des établissements et des services à destination des personnes âgées ou de voir limportant engagement des bénévoles auprès des aînés, la mobilisation des élus et des collectivités, linvestissement des familles et des solidarités de proximité. Notre pays consacre dores et déjà quelque 25 milliards deuros à la couverture des besoins liés à la dépendance, quil sagisse de dépenses directes ou indirectes - par le biais des réductions dimpôts. Ces dépenses publiques sont portées par la solidarité nationale à hauteur de 80% que ce soit par lEtat, lassurance maladie ou la Caisse nationale de solidarité pour lautonomie, et par la solidarité locale à hauteur de 20% à travers la contribution des Conseils généraux. Et ces 25 milliards deuros nintègrent pas les quelque 7 milliards deuros pris en charge directement par les personnes et les familles elles-mêmes. De plus, ces 10 dernières années ont été marquées par de nombreuses avancées, notamment suite au drame de la canicule de 2003 qui a ému, dans ses profondeurs, la société française :
- la création de lallocation personnalisée dautonomie, lAPA, tout dabord, qui mobilise les efforts de financement des collectivités locales et de la solidarité nationale. Ce sont près de 5,4 milliards deuros qui lui sont consacrés, pour 1,2 millions de bénéficiaires. En Bretagne, ce sont près de 62 000 personnes âgées qui bénéficient de cette allocation, financée à hauteur de 294 millions deuros par vos quatre conseils généraux bénéficiant dun concours national de quelques 92 millions deuros par la CNSA.
- le financement des établissements et services médico-sociaux a bénéficié dune augmentation de moyens sans précédent : les crédits dassurance maladie effectivement consommés dédiés à leur financement sont passés de 4,690 milliards deuros en 2006 à 7,953 en 2010, soit une augmentation de 69,7% en 5 ans. La Bretagne a ainsi bénéficié entre 2006 et 2009, à mi-parcours du plan de solidarité Grand Age, de financements pour la création de 2180 places nouvelles, soit plus de 21,3 millions deuros ; 43% dentre elles sont effectivement ouvertes à ce jour. Ces crédits ont également permis le renforcement des moyens dédiés aux établissements dans le cadre de démarches dites de médicalisation. Grâce aux réserves financières de la CNSA, le secteur des EHPAD a également bénéficié dun important effort de modernisation financé à hauteur de plus dun milliard deuros de subventions entre 2006 et 2010, bénéficiant à plus de 79 000 places.
- la professionnalisation des professionnels du secteur a fait lobjet de financements complémentaires depuis la création de la CNSA grâce à des conventions passées avec les conseils généraux, comme celles que les quatre départements bretons ont signé pour un montant de 12,213 millions deuros.
- Enfin, lappui aux aidants familiaux est une préoccupation constante des pouvoirs publics. Elle constitue en particulier un axe fort du plan Alzheimer et maladies apparentées 2008-2012. Elle a donné lieu à la création de solutions de répit pour les familles et a été étoffée dune attention portée à la formation des aidants, dans la loi HPST votée en juillet 2009.
Ces quelques chiffres mettent en évidence les efforts considérables fournis par les acteurs traditionnels de la politique gérontologique que sont lassurance maladie et les conseils généraux. Ils soulignent également le rôle central de la création de la CNSA dans ce dispositif, dont lintervention concomitante dans le champ médicosocial et dans le champ social, à travers lappui financier apporté aux conseils généraux, est une innovation précieuse.
2/ Malgré ces efforts importants de la Nation à destination des personnes âgées dépendantes, notre système est confronté à court terme à des défis auxquels il convient de répondre rapidement.
Les différents acteurs impliqués dans laccompagnement de nos aînés soulignent tous le caractère central de la question des financements :
- les conseils généraux, qui financent lallocation personnalisée dautonomie, font face à des dépenses toujours croissantes. Dans votre région, force est ainsi de constater que les dépenses dAPA ont été multipliées par 2,2 en 8 ans. La création de la contribution solidarité pour lautonomie, la CSA, a permis dalléger la tension. Toutefois, malgré une progression en valeur absolue du concours national, celui-ci seffrite rapporté aux dépenses.
Il est désormais passé en dessous de la barre de 30%. Cest une situation qui met en grande difficulté certains départements et interroge le principe dégalité de traitement sur le territoire.
- les professionnels médico-sociaux signalent quant à eux les besoins de renforcement de moyens dans les établissements médico-sociaux pour faire face à leurs responsabilités. Vous témoignez en particulier de lévolution de la population accueillie en EHPAD, plus âgée à lentrée, plus dépendante.
Cest ce à quoi le processus de médicalisation cherche en particulier à répondre.
- Nombre de familles, souvent désemparées, évoquent par ailleurs non seulement la difficulté pour trouver une place pour leur proche dans un établissement adapté et accessible financièrement mais aussi leur besoin dune meilleure information sur le service rendu, pour sorienter ;
- les services à domicile alertent sur leur situation financière difficile, notamment en raison dune politique de tarification qui ne permet pas de faire face aux coûts croissants de leur fonctionnement mais aussi parfois aux conditions structurelles qui leur sont propres ;
- les personnes concernées elles mêmes et leurs familles subissent un reste-à charge de plus en plus important, que ce soit en établissement dont le coût sapproche en moyenne de 1500- et largement plus en zone urbaine - ou à domicile, lAPA ne permettant pas de couvrir tous les besoins. Le défi démographique ne fait que renforcer lurgence à agir. Dans votre région, 1 breton sur 3 aura ainsi plus de 60 ans dici 2030, et plus de 10% auront alors plus de 80 ans. Ce phénomène de vieillissement de notre population se rencontre, de manière contrastée mais persistante, sur tout notre territoire. Permettez-moi simplement dinsister sur le fait que ce phénomène heureux de laugmentation de lespérance de vie met toutefois au défi nos systèmes sociaux.
Cétait déjà lobjet de la réforme des retraites conduite lannée dernière que de sadapter à ce vieillissement de la population française. Il était du devoir des pouvoirs publics doffrir aux Français des perspectives davenir compatibles avec lévolution de la démographie.
Le chantier de la dépendance a également pour objet de garantir lavenir de nos dispositifs.
En posant le cadre de la réflexion, le Président de la République a demandé que toutes les solutions soient explorées. Il a toutefois posé trois principes qui guident les travaux du Gouvernement :
- il a refusé la piste du financement par lendettement et le déficit, qui reporterait sur nos enfants la charge du financement ;
- il a également rejeté demblée toute solution qui viendrait augmenter le coût du travail ;
- il sest opposé à ce quaucune autre option ne soit fermée au nom de considérations étroitement idéologiques.
Les différentes solutions proposées seront évidemment évaluées au regard de leur efficacité. Elles le seront aussi à laune des choix politiques quelles traduisent. Cest lobjet de ce débat que de définir ouvertement ceux-ci, en refusant le confort du non-dit, afin de permettre à nos compatriotes de sexprimer en toute connaissance de cause.
Cest ainsi que derrière les difficultés de financement signalées par les conseils généraux, nous sommes interrogés sur le modèle particulier de gouvernance du risque dépendance. Légalité de traitement sur le territoire sappuie traditionnellement sur la solidarité nationale. Toutefois, le rôle joué par les conseils généraux dans la construction des réponses à nos aînés est reconnu de tous, tant est évidente la nécessité délaborer des réponses de proximité tenant compte des caractéristiques de lenvironnement de vie des personnes. Quel niveau de responsabilité locale, cela implique-t-il dans le financement ?
5 millions de Français ont dores et déjà souscrits des contrats dassurance, considérant sans doute quil était de leur responsabilité de se prémunir, et de protéger leurs proches. Cest une réalité daujourdhui. La question de lassurance nous interroge sur le niveau de responsabilité individuelle qui peut aussi être invoqué et accepté. Nous avons pu constater, avec Roselyne Bachelot, un consensus fort en faveur du maintien dun socle de solidarité. La place accrue de lassurance conduit cependant lEtat à devoir réfléchir, dès maintenant, aux garanties quil pourrait apporter à ceux qui ont souscrit des contrats.
Il doit particulièrement veiller à la clarté et laccessibilité de linformation sur les conditions générales auxquelles souscrivent tant de nos compatriotes. Voilà, avec la baisse du reste à charge et lamélioration de la situation des services à domicile, quelques-unes des questions importantes qui devront trouver des réponses à court terme.
3/ Les réponses à apporter aux personnes âgées en perte dautonomie à horizon de 2030 ou 2040 nous obligent à nous interroger sur la place que nous souhaitons faire aux personnes âgées dans notre société.
Les défis de demain ne sont certes pas la résultante dune simple extrapolation chiffrée des impasses daujourdhui. Les personnes âgées dans 20 ans ne seront plus les mêmes. Les modes daccompagnement vont devoir évoluer, sadapter. Or, la société sinterroge déjà sur le modèle social qui se dégage des réponses que nous apportons. Je lai constaté aujourdhui.
Cette deuxième dimension de la réflexion collective à laquelle nous a invité le Président de la République, nous avons le temps dy répondre, à condition tout dabord de ne pas en perdre et surtout dinvestir pleinement le débat de société qui se dégage petit à petit du débat technique sur la tarification des EHPAD ou des différents modes dintervention des services à domicile.
Je veux vous livrer des réflexions sur trois questions qui me paraissent largement conditionner le système que nous serons appelés à financer dans 20 ans.
1 Interrogeons-nous tout dabord sur le modèle daccompagnement des personnes âgées dépendantes que nous voulons pour la France de 2020-2030.
Laugmentation du nombre de personnes âgées dépendantes fait monter la pression sur le nombre de places dEHPAD. Avec le vieillissement de la population française, allons-nous véritablement devoir développer uniquement ce modèle institutionnel de prise en charge ? Quel modèle de prise en charge des personnes âgées, cela dessine-t-il ?
Je ne crois pas que nous devions continuer de répondre de manière aussi stéréotypée. Pendant les 20 dernières années, nous avons renforcé la réponse santé face à laugmentation de la dépendance, en faisant évoluer les maisons de retraite en lieux de vie certes, mais surtout en lieux de soins. Gardons nous de continuer à fabriquer de la réponse santé seulement parce que nous savons financer de la réponse santé. Il est temps de réinterroger toute la logique de la chaîne de prise en charge qui va du domicile à lhôpital en passant par le foyer-logement et les EHPAD. Entre le maintien à domicile ordinaire et lentrée en établissement, il y a bien de la place pour des solutions innovantes qui proposent de nouvelles manières de vivre « chez soi » lorsquon a besoin de sécurité et daccompagnement. Je suis persuadée quune telle inflexion contribuera à prévenir les phénomènes de glissement vers la dépendance, en privilégiant la participation sociale.
En organisant mieux toute la chaîne, en évitant les trop nombreuses hospitalisations des personnes âgées, on a sans doute là un levier doptimisation des moyens mobilisés.
2 Cela me conduit à revenir sur une question souvent évoquée aujourdhui : le rôle de la prévention. Limpact du vieillissement sur les besoins liés à la dépendance nest en effet pas inéluctable en raison des progrès permis par la prévention. Certes les nouvelles prévisions du groupe de travail national présidé par Jean-Michel Charpin ne nous conduisent malheureusement plus à privilégier comme scénario central celui où toute nouvelle année de vie gagnée serait une année en bonne santé. Nest-ce justement pas une invitation à agir ? Il a souvent été question de la responsabilité des acteurs de la santé publique. Je veux insister sur le fait que la prévention de la dépendance doit mobiliser bien au-delà. Il faut en particulier citer le rôle des villes et des agglomérations dont les politiques daccessibilité ou de cohésion sociale permettent de lutter contre lisolement, limmobilité, la désinsertion sociale, facteurs de fragilité des personnes âgées.
3 La famille, enfin, est le troisième déterminant essentiel du modèle de long terme de laccompagnement de la dépendance. Face à la dépendance, les familles sont dores et déjà en première ligne. Ce sont les proches qui sorganisent pour apporter les premiers soins ou organisent les réponses portées par des tiers. LEtat na pas à remplacer les familles, mais à les accompagner. La solidarité familiale est une réalité que nous pouvons appréhender par exemple à travers les transferts financiers intrafamiliaux et intergénérationnels. Tous nont toutefois pas la capacité daccompagner leur proche. Certains, enfin, sont seuls. Quel modèle de solidarité devons-nous construire pour intégrer pleinement le fait familial ? Il y aura à mieux prendre en compte la situation des aidants dont le projet de vie est de pouvoir accompagner leur proche et vivre leur vie. Prendre en compte ce projet de vie, cest la condition dune société solidaire ; cest aussi la garantie de réponses durables.
Mesdames, Messieurs, Dautres questions soulevées cet après-midi mériteraient sans nul doute dêtre reprises. Pour ne pas prolonger davantage ces échanges riches et déjà longs, je naurais malheureusement pas le temps de les évoquer. Puissiez-vous maintenant devenir dans vos familles, vos institutions, vos associations, vos institutions ou vos organisations respectives, les relais de cette réflexion collective ! Poursuivons tous ensemble lanimation de ce grand débat national pour repenser notre cohésion sociale et national, au regard des défis démographique et de la dépendance ! Je vous remercie.
Source http://www.dependance.gouv.fr, le 20 mai 2011