Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, à France-Inter le 18 mai 2011, sur les mobilisations contre les suppressions de classes dans l'enseignement primaire et les suppressions de postes d'enseignants à la rentrée scolaire 2011.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
PATRICK COHEN Bonjour Luc CHATEL.
 
LUC CHATEL Bonjour Patrick COHEN.
 
PATRICK COHEN Est-il vrai que Nicolas SARKOZY vous a interdit de prononcer le nom de Dominique STRAUSS-KAHN dans vos commentaires publics ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, non. D’abord je n’ai pas vu le président de la République depuis le début de la semaine, donc…
 
PATRICK COHEN Bon, donc il ne vous a rien interdit.
 
LUC CHATEL Il ne m’a rien interdit, et ensuite je n’ai pas cette information, Patrick COHEN.
 
PATRICK COHEN Bon. Est-ce que… on peut lire le commentaire d’un conseiller de Nicolas SARKOZY dans LE PARISIEN ce matin, malgré la consigne apparente qui est dans tous les journaux, «désormais l’espoir a changé de camp», il parle de l’élimination probable d’un des principaux rivaux du chef de l’Etat.
 
LUC CHATEL Ecoutez, si nous faisions preuve d’un petit peu de retenue et si nous prenions un peu de recul, je crois qu’il faut garder son calme, il faut rester zen et il faut continuer son travail, voilà. La seule chose que le président de la République m’a demandé, moi, c’est de continuer mon travail, donc je continue mon travail de ministre, c’est ça qu’attendent les Français. Ensuite, cette affaire est évidemment terrible, laissons faire la justice américaine, laissons les choses aller à leur terme et nous verrons, et gardons-nous bien de commentaires hâtifs.
 
PATRICK COHEN François FILLON a dit, devant les députés UMP hier, que si les accusations sont avérées, il s’agit d’un acte grave.
 
LUC CHATEL Il a raison, je veux dire, il a raison, c’est un acte qui est assimilé à un crime, et c’est extrêmement grave. Maintenant, laissons le procès aller à son terme. N’oublions pas la victime, encore une fois, j’entends beaucoup de compassion, il faut avoir beaucoup de compassion d’abord pour la victime, il y a une victime dans cette affaire, et puis il y a un droit à la présomption d’innocence, donc laissons la justice faire son travail, et encore une fois gardons-nous de spéculations, de commentaires, qui me paraissent hâtifs et parfois déplacés.
 
PATRICK COHEN Ce n’est pas encore une victime, Luc CHATEL, c’est une plaignante, victime présumée.
 
LUC CHATEL Oui, enfin en tout cas, victime présumée.
 
PATRICK COHEN Une majorité de Français pense que Dominique STRAUSS-KAHN a été victime d’un complot. Un commentaire ?
 
LUC CHATEL Non, moi je n’ai jamais été un adepte de la théorie du complot, mais la justice nous dira la vérité.
 
PATRICK COHEN L’Education. La mobilisation contre les suppressions de classes dans le primaire s’étend dans toute la France, un rassemblement d’enseignants, d’élus locaux, de parents d’élèves, est prévu aujourd’hui près de votre ministère, Luc CHATEL. Sur les chiffres qui sont les vôtres, 9000 postes supprimés chez les professeurs des écoles, 1500 classes de primaire fermées à la rentrée, vous ne bougerez pas ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, le président de la République en 2007, il n’était pas encore président d’ailleurs, c’était le candidat SARKOZY, a expliqué aux Français que compte tenu de l’état de nos finances publiques il proposait de ne pas remplacer la moitié des fonctionnaires qui partaient en retraite, de manière à mieux rémunérer les autres, à mieux les former.
 
PATRICK COHEN Il a évolué depuis.
 
LUC CHATEL Non, puisque nous tenons sur cette ligne du non-remplacement d’1 fonctionnaire sur 2.
 
PATRICK COHEN Pas dans la police.
 
LUC CHATEL Ecoutez, sur l’ensemble des fonctionnaires nous ne remplacerons pas la moitié des fonctionnaires qui partent en retraite, et c’est important d’expliquer aux Français pourquoi nous le faisons. Je suis le ministre de l'Education nationale, le budget voté par le Parlement cette année pour l’Education nationale c’est 60 milliards d’euros. La France va emprunter pour boucler son budget sur le même exercice, 2011, 180 milliards d’euros, c'est-à-dire trois fois le budget de l’Education nationale. Est-ce qu’on peut continuer éternellement cette fuite en avant ou finalement on laisse aux enfants qui sont dans nos classes aujourd’hui, 20 000 euros de dette par élève, 20 000 euros de dette ? Ce n’est pas possible. Donc nous avons décidé de mener cette politique, qui est difficile sans doute. Oui, c’était sans doute plus facile d’être ministre de l'Education nationale quand on créait 10 ou 15 000 postes par an, et quand on ouvrait régulièrement des classes. Simplement, nous devons mener cet effort, nous le menons avec discernement. je rappelle que dans beaucoup de pays d’Europe aujourd’hui, on licencie des enseignants, on baisse leur rémunération, et on ferme, comme dans certains pays, comme au Portugal par exemple, un tiers des classes, un tiers des écoles de ce pays. Donc, nous n’avons pas décidé d’adopter la même méthode, nous avons décidé d’agir avec discernement, c'est-à-dire de réfléchir comment on peut mieux organiser le système éducatif. Je rappelle qu’à la rentrée prochaine, Patrick COHEN, il y aura plus de professeurs qu’il n’y en avait il y a 15 ans dans le système éducatif, alors qu’il y a moins d’élèves.
 
PATRICK COHEN Il y aura aussi beaucoup plus d’élèves, Luc CHATEL, 4900 élèves de primaire et de maternelle en plus à la rentrée prochaine, et des professeurs en moins.
 
LUC CHATEL Regardez sur une longue période. Si vous regardez la démographie à l’école de la République sur une quinzaine, une vingtaine d’années, il y aura 500 000 élèves de moins à la rentrée prochaine qu’il n’y en avait au début des années 90, alors qu’il y a 35 000 professeurs de plus. Donc le taux d’encadrement il est meilleur. A la rentrée il y aura 25 élèves par maternelle en moyenne.
 
PATRICK COHEN C’est une moyenne.
 
LUC CHATEL Au début des années 90…
 
PATRICK COHEN C’est une moyenne.
 
LUC CHATEL Oui c’est une moyenne, je compare ce qui est comparable.
 
PATRICK COHEN Qui risque d’être beaucoup plus élevée dans des zones où l’Education devrait être prioritaire, d’ailleurs ça s’appelle comme ça, Zones d’Education Prioritaires.
 
LUC CHATEL Non, c’est l’inverse, la moyenne c’est justement le fait que dans les Zones d’Education Prioritaires on ait moins d’enfants par classe, et on ait plus de moyens.
 
PATRICK COHEN C’est vraiment le cas ?
 
LUC CHATEL C’est ce que nous faisons, 1 milliard d’euros sont consacrés à l’éducation prioritaire, et ça passe notamment par le fait que dans les collèges il y a 4 élèves de moins par classe, en moyenne, dans les Zones d’Education Prioritaires. Et donc si on regarde sur une longue période… Prenons les lycées professionnels, c’est très important de préparer nos jeunes à des filières qui les insèrent dans la vie active, eh bien en lycée professionnel il y a aujourd’hui une moyenne de 18 élèves par classe, ils étaient 23 au milieu des années 90. Donc, la vraie question c’est, est-ce que moi ministre de l'Education nationale, j’ai les moyens d’assurer un service public d’Education digne de ce nom ? La réponse, je vous le dis ce matin sur France inter, est oui. Le budget de l’Education n’a jamais été aussi élevé. Simplement la question, Patrick COHEN, c’est de savoir comment on répartit ces moyens. Est-ce qu’on continue à faire comme depuis 20 ans, où la seule réponse que nous avions dans le domaine éducatif, c’est de créer des postes et d’ouvrir des classes ? Eh bien ce n’est pas la bonne réponse, parce que si c’était la bonne réponse, ça aurait obtenu de meilleurs résultats.
 
PATRICK COHEN Convenez-vous, Luc CHATEL, que la prochaine rentrée se fera dans des conditions difficiles, comme l’a dit le rapporteur de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, le député UMP Gilles CARREZ ?
 
LUC CHATEL Gilles CARREZ est d’ailleurs lui-même un adepte de la révision générale de la politique publique puisque c’est lui qui a préconisé le non-remplacement d’1 fonctionnaire sur 2, et il a raison, et je le soutiens dans cette démarche.
 
PATRICK COHEN Dans ce cas d’espèce, dans l’Education, il pense que la rentrée sera difficile. LUC CHATEL Je pense que la rentrée se passera dans de bonnes conditions, parce que nous avons travaillé sur la base des propositions du terrain. Je n’ai pas décidé, de manière unilatérale, depuis le 110 rue de Grenelle, où nous allions ouvrir, ou fermer des classes, ne pas remplacer un professeur qui part en retraite. Nous avons travaillé…
 
PATRICK COHEN Non, mais vous avez fixé un cadre très strict et des objectifs que vous avez rappelés tout à l’heure.
 
LUC CHATEL Oui, un cadre strict, et nous avons travaillé au cas par cas, lycée par lycée, école par école, pour optimiser les choses. Vous citiez tout à l’heure un chiffre de 1500 classes, mais je rappelle que cette année nous allons ouvrir 3000 classes, et effectivement en fermer 4500, mais c’est 0,6% des classes qui existent dans notre pays. Donc il faut rappeler que le service public de l’Education, c’est le plus grand service public de proximité, qu’il y a 55 000 écoles dans notre pays, et que nous allons continuer à investir dans l’école, c’est le premier budget de l’Etat, je le rappelle, 22% du budget de l’Etat y est consacré, et la France continue à investir, près d’1 point de plus de son Produit Intérieur Brut, que la moyenne des pays développés, dans l’Education.
 
PATRICK COHEN Les parents d’élèves et les enseignants qui vous écoutent, peuvent comprendre des arguments budgétaires. En même temps, sur la règle du 1 fonctionnaire partant à la retraite, sur 2, non-remplacé, on a entendu il y a quelques semaines Claude GUEANT, ministre de l’Intérieur, dire «c’est une règle qui sera difficile d’appliquer dans la police à l’approche de la présidentielle.» Pourquoi ce qui est valable dans la police n’est pas valable pour l’Education ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, moi je ne m’occupe pas de la police, je m’occupe de l’Education nationale. Ce que je constate c’est que, encore une fois, depuis 15 ans, si on regarde objectivement les choses, le nombre d’élèves qui préparent le baccalauréat, n’augmente plus. C'est-à-dire que nous avons progressé considérablement entre le début des années 80 et le milieu des années 90, nous avons triplé la proportion d’une classe d’âge que nous portons au baccalauréat, aujourd’hui nous n’augmentons plus nos résultats. Quand on regarde les comparaisons internationales, la France, 5ème puissance mondiale, est à la 22ème place des classements dans son système éducatif. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que la politique qui a consisté à garder les mêmes méthodes que nous avions au début des années 80 vis-à-vis de l’Education, ne fonctionne plus, et qu’il faut mettre en place une autre politique - c’est ce que nous faisons depuis 2 ou 3 ans - qui a pour objectif de personnaliser et de faire en sorte qu’on trouve une solution pour chaque élève, donc de différencier les moyens, de faire plus là où il y a plus de besoins, d’accepter qu’on fasse confiance au terrain, aux acteurs locaux, de mettre en place un système d’autonomie des établissements. C’est ça que nous devons faire. Et ce n’est pas… la réponse, encore une fois, ne réside pas dans un puit sans fond, et nous l’avons vu, qui n’obtient pas les résultats escomptés.
 
PATRICK COHEN Luc CHATEL, ministre de l'Education, invité de France Inter.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 19 mai 2011