Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, dans "Le Figaro" du 2 juin 2011, sur l'adhésion future de la Croatie à l'Union européenne et sur l'Europe face aux "printemps arabes" .

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Q - Bruxelles salue «un geste historique», Nicolas Sarkozy «une étape de plus dans l'intégration». Quelles sont les conséquences pour la Serbie de l'arrestation de Ratko Mladic ?
R - Cette arrestation nous rappelle la première vocation de l'Europe : assurer la paix sur le continent européen. S'il n'y avait pas eu la pression de l'enjeu européen, Mladic n'aurait sans doute pas été arrêté et le génocide perpétré à Srebrenica serait resté impuni. Il faut saluer la décision très courageuse du président serbe Boris Tadic. Finalement, la Serbie a démontré qu'elle pouvait affronter son histoire avec courage pour faire partie de la famille européenne. Le jour de l'intégration de la Serbie dans l'Union européenne se rapproche ; on ne peut que s'en réjouir.
Q - Et en ce qui concerne la Croatie ?
R - La position de la France repose sur deux convictions. Premièrement, la Croatie sera le 28ème État membre de l'Union. Elle peut être une véritable «histoire à succès» de l'élargissement. C'est un pays que les Français connaissent bien : 400.000 touristes y vont chaque année. La France y est le cinquième investisseur. Mais le deuxième point, c'est que l'on doit tirer les leçons du passé : plus de fuite en avant. Plus d'élargissement si ce n'est pas sur des bases saines et solides. C'est précisément parce que je suis pro-européen que je ne veux plus de cette fuite en avant. J'ai suffisamment de convictions européennes pour ne pas vouloir galvauder le coupon d'entrée dans l'Union européenne.
D'autre part, on observe souvent un mouvement d'essoufflement des pays candidats dès que l'on a conclu les négociations. Il se passe deux ans, en général, entre la clôture des négociations et l'adhésion… On a l'impression que l'on a franchi la ligne d'arrivée, et les efforts s'arrêtent. Ce n'est bon pour personne. Nous voulons un élargissement rigoureux jusqu'au bout. C'est pourquoi nous souhaitons la mise en place d'un «dispositif de suivi», un système de coaching qui nous permette de vérifier la poursuite des efforts entre la clôture des négociations et l'adhésion. D'autant que, dans bien des domaines, il faut un retour sur expérience ! Actuellement, on finalise un accord sur cette question avec nos partenaires, notamment les Allemands. De plus, les Croates ont compris que c'était dans leur intérêt. Ils veulent être le bon élève de l'élargissement. Si tout se passe bien, on pourrait clore les négociations dès le mois de juin, et la Croatie pourrait adhérer en 2013.
Q - Les Français sont très réticents à propos de l'élargissement. Comment peut-on les faire changer d'avis ?
R - L'idée est justement de montrer qu'il n'y aura plus d'élargissement à la va-vite, pour faire plaisir. Et que l'élargissement n'est pas un processus sans fin. L'Europe a des frontières. Ces frontières, ce sont celles avec la Turquie, avec le Maroc, avec la Tunisie. On n'ira pas au-delà.
Q - Est-ce que l'Union européenne en a fait assez pour le printemps arabe ?
R - Que le G8, grâce la dynamique imprimée par le président de la République et par Alain Juppé, ait apporté une réponse au «printemps arabe», c'est une bonne chose. Est-ce que cette mobilisation des grandes puissances mondiales doit éclipser celle de l'Union européenne ? Bien sûr que non! Qui a été la première à réagir sur le «printemps arabe» ? Qui verse des sommes considérables ? C'est l'Union européenne, avec en tout 12 milliards d'euros. On le fait parce que l'on sait que stabiliser la frontière Sud est dans notre intérêt. C'est vraiment la marque du volontarisme français, c'est une réussite de la politique étrangère française, que beaucoup ont injustement critiquée. Or, les succès sont là : la Côte d'Ivoire, la Tunisie d'une part. Et d'autre part, les avancées en Libye, les soutiens aux positions de la France sur la Syrie et le Yémen, sur lesquels l'Union européenne continue d'ailleurs de mettre la pression.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2011