Interview de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, à France Inter le 1er juin 2011, sur le sexisme dans la vie politique.

Prononcé le 1er juin 2011

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

PASCALE CLARK Secrétaire d'Etat à la Jeunesse, bonjour Jeannette BOUGRAB.
 
JEANNETTE BOUGRAB Bonjour.
 
PASCALE CLARK Marre des machos, « la France des machos » à la une des journaux. Est-ce que vous trouvez qu'on découvre la lune ?
 
JEANNETTE BOUGRAB J'en ai un petit peu l'impression oui. Je pense… ce qui me surprend encore plus, c'est qu'on est convaincu que – parce qu'on a mis sur le devant de la scène deux affaires – ça va régler le problème du fond. Comme vous le savez, j'ai beaucoup travaillé sur les questions de manière globale de discrimination…
 
PASCALE CLARK Vous avez dirigé la HALDE.
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, et puis comme j'ai travaillé quand j'étais maître de conférence sur des sujets d'égalité, et notamment la question de la discrimination positive, on est quand même dans le pays où les écarts de salaires entre les femmes et les hommes sont de 27 %, que 80 % d'emplois à temps partiel est assuré par des femmes, que le pourcentage d'une pension d'une femme à la retraite c'est 50 % de celle d'un homme, que 80 % des tâches ménagères sont assurées par les femmes et que (c'est l'INSEE) une femme meurt tous les deux jours des coups portés par son conjoint. Alors si dans ce tableau que je viens de vous décrire, vous allez… on peut penser que d'avoir mis sur le devant de la scène deux faits terribles qui montrent à quel point les femmes sont parfois si peu considérées et considérées comme des objets, eh bien…
 
PASCALE CLARK Quelle est votre expérience, petites scènes d'un machisme ordinaire auxquelles vous avez été confrontée ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Oh la, parce que moi c'est toujours un peu compliqué parce que… soit j'ai droit au racisme soit j'ai droit au machisme, alors de toute façon, tout ce qui…
 
PASCALE CLARK Oui, double peine pour vous, hein ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, tout ce qui se termine par « isme », j'y ai droit, donc…
 
PASCALE CLARK Alors, commençons, par le sexisme ou le machisme.
 
JEANNETTE BOUGRAB Le sexisme. La phrase la moins pire qu'on peut éventuellement… ce qu'on m'a dit une fois… enfin il y a deux choses, il y a le monde que j'ai pu avoir à l'université, au Conseil d'Etat et ce que je peux avoir dans la vie politique qui est différent. La seule chose, c'est quand une femme a réussi un raisonnement, on vous dit : « ah, vous avez beaucoup d'intuition », une femme ne peut pas avoir d'intelligence…
 
PASCALE CLARK Ça, c'est le moins pire que vous ayez entendu ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, c'est…
 
PASCALE CLARK Et est-ce qu'on peut aller jusqu'au pire, c'est quel genre ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Au pire c'est les remarques sur le décolleté, voilà, le pire c'est ça, c'est-à-dire que vous faites quand même très attention à la manière… alors maintenant j'ai quand même 37 ans, je vais avoir 38 ans, donc je suis un peu plus assurée, mais c'est vrai qu'il y a 4 ou 5 ans… 5 ans parce que j'ai fait… je me suis arrêtée en politique pendant plus de 4 ans, et quand on est un peu plus jeune on est toujours parfois un peu mal à l'aise, voilà.
 
PASCALE CLARK Mais ça va mieux donc ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Disons que quand on me fait une remarque, maintenant j'envoie un peu barrer, voilà.
 
PASCALE CLARK Oui, c'est ça…
 
JEANNETTE BOUGRAB J'envoie un peu balader et donc… voilà, ce qui change c'est un peu l'assurance qu'on peut avoir. Mais ce qui me choque – et ça a été peut-être ma redécouverte quand je suis revenue en politique – c'est de voir que des femmes peuvent être porteuses de valeurs ou de principes qui relèvent plus du sexisme, voilà. Et notamment sur la question des tenues vestimentaires, ce sont elles parfois qui vont vous faire des remarques alors que d'habitude, vous les entendiez par des hommes.
 
PASCALE CLARK Ah oui, c'est-à-dire qu'il y a aussi un sexisme féminin, c'est ça que vous êtes en train de nous dire ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, mais parce que je pense qu'elles ont reproduit ou intégré des comportements très masculin, c'est-à-dire à force d'entendre tout ça, elles estiment… soit pour essayer de vous protéger soit parce qu'elles estiment que c'est la norme, eh bien ! Elles vous font des remarques.
 
PASCALE CLARK Quelle est votre façon de répondre à ça, machisme, racisme, bêtise ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Je peux vous dire… généralement, je dis toujours ce que je pense, donc ça… voilà, mais je conçois les limites de dire ce que l'on pense…
 
PASCALE CLARK Pourquoi les limites ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Parce que quand vous avez en face de vous des gens qui ne sont pas très intelligents, parce que pour dire de tels profonds, il ne faut fondamentalement pas être très fin. C'est quand même très difficile de leur faire comprendre, quand vous entendez des mots d'une violence sans nom, c'est-à-dire quand on vous dit…
 
PASCALE CLARK Par exemple dans une réunion UMP à Besançon ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, c'est-à-dire que « y'en a marre des bougnoules », c'est sûr que je n'ai pas… le fait de m'être levée et d'avoir demandé à plusieurs reprises que ça… ce n'était pas acceptable, ce n'est pas… Moi je me suis levée, c'était naturel, c'est-à-dire à un moment vous vous levez et vous n'acceptez plus, voilà.
 
PASCALE CLARK Et vous partez ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui parce que si vous sentez que la… si vous n'avez pas de possibilité de…
 
PASCALE CLARK On ne peut pas affronter ça, il faut partir ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Non mais… enfin, la manière dont était conçue la salle, je ne vois pas ce que… un moment, c'était un samedi matin, j'étais venue de Paris à Besançon pour faire une formation, d'entendre à plusieurs reprises « y'en a marre des bougnoules », j'ai mes limites aussi, j'ai mes limites aussi.
 
PASCALE CLARK Vous vous sentez toujours à l'aise dans ce parti, l'UMP ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Ah oui, mais… mais bien sûr que je me sens à l'aise, sinon je partirai, je n'aurai aucun problème…
 
PASCALE CLARK Parce que vous avez quitté la réunion, vous pouvez aussi quitter le parti.
 
JEANNETTE BOUGRAB Je pourrai aussi mais je pense que les… aujourd'hui, il y a quand même quelque chose que les gens sous-estiment, voilà. Je crois profondément que… vous le savez, dans l'ensemble de l'Europe vous avez des montées de l'extrême droite, si on prend les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, cette monarchie constitutionnelle dont on expliquait que tout allait bien, avec un véritable modèle social, des députés d'extrême droite sont rentrés au Parlement. Hier c'est la Finlande, aujourd'hui la France, quand vous interrogez les gens, leur première intention de vote c'est le Front national…
 
PASCALE CLARK Mais pourquoi vous me parlez du Front national, je vous parle de l'UMP moi.
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, mais moi je vous dire qu'aujourd'hui, que ce soit à droite ou à gauche, il y a quand même une espèce de tension ou de violence, de rejet de l'autre.
 
PASCALE CLARK Quand vous entendez par exemple Christian VANNESTE, député UMP, tenir des horreurs homophobes, vous qui êtes en faveur du mariage et de l'adoption pour les couples homosexuels, vous ressentez quoi ?
 
JEANNETTE BOUGRAB J'ai mal, bien sûr que j'ai mal, vous pensez que…
 
PASCALE CLARK Et vous n'avez pas le pouvoir de demander qu'il soit exclu ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Vous m'accordez beaucoup de pouvoir, mais moi le fait de tenir ces propos, le fait que je me sois toujours engagée pour la cause, je dis bien pour l'égalité parce que je… je ne dis pas la cause homosexuelle, c'est-à-dire le droit au mariage, le droit à l'adoption, j'ai toujours tenu mes propos, je me suis parfois fait un peu embêter pour cela, voilà, je tiens les mêmes propos sur la diversité, et voilà, je ne vais pas… mais vous m'accordez beaucoup plus de pouvoir que j'en ai.
 
PASCALE CLARK Je croyais. Dernière chose, c'était hier la fête de la jeunesse à votre initiative, vous aimeriez avoir 20 ans aujourd'hui et est-ce que vous seriez indignée ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Alors je n'aimerais pas avoir 20 ans aujourd'hui, je vous le dis, voilà, je n'ai pas… ça vous paraît bizarre que je le dise, parce que je pense que… d'abord moi, j'étais une fille… j'étais une fille d'ouvrier… oui je sais, il faut que je sois très courte, je n'aimerais pas avoir 20 ans parce que c'est difficile et que je serai sans doute indignée, mais je le suis déjà.
 
PASCALE CLARK Jeannette BOUGRAB, secrétaire d'Etat à la Jeunesse, merci d'être venue, bonne journée.
 
JEANNETTE BOUGRAB C'est moi qui vous remercie.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er juin 2011