Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Europe 1" le 3 juin 2011, sur l'action de la France en faveur de la reprise du dialogue israélo-palestinien et de l'organisation d'une conférence de paix, la résolution de reconnaissance de l'Etat palestinien à l'ONU, et la situation en Syrie et en Libye.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q - En quasi-direct de Jérusalem, Alain Juppé bonjour.
R - Bonjour Monsieur Elkabbach.
Q - Vous êtes en train de proposer une conférence de la paix à Paris fin juin, début juillet. Cette initiative a-t-elle une petite chance de progresser ?
R - Une petite chance, c'est ce que je pense après avoir rencontré au cours des derniers jours le président de l'Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas et son Premier ministre Salam Fayyad, hier, le Premier ministre israélien Netanyahu et, tout à l'heure, le ministre de la Défense Ehud Barak.
La France cherche tout simplement à faciliter la reprise du dialogue, parce que si rien ne se passe d'ici le mois de septembre, nous risquons de nous retrouver à l'Assemblée générale des Nations unies dans une situation difficile pour tout le monde.
Q - Et quelqu'un vous a-t-il déjà dit non ?
R - Personne ne m'a dit non pour aujourd'hui. Je pense qu'il y a une chance parce que les grands pays qui constituent ce qu'on appelle «le Quartet», c'est-à-dire pour simplifier les Américains, les Européens, les Russes et les Nations unies sont aujourd'hui sur la même ligne pour dire, à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens «mettez-vous autour de la table et discutez sur la base suivante : retour à la frontière de 1967, mais une frontière négociable avec des échanges de territoires ; garantie de sécurité, et puis ensuite on abordera les autres sujets».
C'est ce que j'ai proposé, on ne m'a pas dit non, ces propositions sont en cours d'examen. J'espère que des réactions positives pourront venir et nous allons continuer notre travail de coordination. Je serai lundi et mardi prochain aux Etats-Unis. La France évidemment ne doit pas prendre cette initiative toute seule, elle le fera en liaison avec l'ensemble de ceux qui peuvent faire avancer le processus.
Q - C'est-à-dire que si la démocratie l'emportait dans les pays arabes, Israël ne serait plus le seul Etat démocratique de la région. Est-ce que M. Netanyahu le sait ou commence à le comprendre, et que cela exclut le statu quo ?
R - Ce que nous ne cessons de dire aux deux parties, c'est que le statu quo n'est pas tenable parce que, comme vous le dites très justement, tout change autour du Proche-Orient, autour d'Israël et de la Palestine.
Les changements en Syrie ont très certainement poussé le Hamas à changer de position et à se rapprocher du Fatah. Tout change aussi en Égypte et Dieu sait si l'Égypte a joué un rôle très important dans la stabilisation de la région. Il faut donc tenir compte de ces changements, c'est la raison pour laquelle il faut reprendre le dialogue et non pas de se barricader dans le statu quo qui risque de conduire à des affrontements.
Q - Le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas se sont réconciliés, ils devraient former un gouvernement d'union dirigé par Mahmoud Abbas, sans le Hamas mais soutenu par le Hamas. Est-ce que, pour vous, le Hamas est en train de devenir un interlocuteur fréquentable ?
R - Pas encore, nous avons comme toujours à rappeler les conditions de tout dialogue avec le Hamas. Il faut qu'il renonce au terrorisme et à la violence, qu'il respecte les accords qui ont déjà été passés et qu'il reconnaisse - bien entendu - l'existence, la pérennité, la sécurité de l'Etat d'Israël. On n'y est pas encore mais ce qui est clair, c'est que s'il y a négociation, elle sera conduite par Mahmoud Abbas qui, lui, est prêt ou serait prêt à s'engager sur une plate-forme de discussion qui intègre parfaitement tout ce que je viens de dire. Il nommerait un gouvernement d'union dans lequel ne siègeraient pas des représentants des partis. Ce gouvernement serait naturellement soutenu par les partis, y compris le Hamas, et toute la question est de savoir si en soutenant ce gouvernement, le Hamas évoluera vers le respect des paramètres que je viens de rappeler.
Q - Avec le G8, le président Obama et le président Sarkozy, quel délai donnez-vous aux Palestiniens et aux Israéliens pour qu'ils renouent et éventuellement s'engagent ?
R - Vous avez raison d'évoquer le G8 parce que, précisément, lorsque le président Medvedev, le président Obama, le président Sarkozy, mais aussi Mme Merkel, le secrétaire général des Nations unis se sont rencontrés, ils étaient sur cette ligne-là. Le délai est bref, j'ai parlé tout à l'heure de septembre, c'est la date de l'Assemblée générale des Nations unies, au cours de laquelle sera sans doute déposée une résolution de reconnaissance de l'Etat palestinien. Il faut absolument qu'il se passe quelque chose auparavant et nous sommes prêts - s'il y a une réaction favorable aux propositions que nous faisons naturellement - à organiser à Paris à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, une Conférence de la paix qui permettrait de repartir sur des bases nouvelles.
Q - Et cela pourrait se faire si vite, dans un délai si rapproché ?
R - Si cela ne se fait pas dans ce délai, nous nous retrouverons confrontés à la situation que j'évoquais. S'il y a une résolution reconnaissant l'Etat de Palestine en septembre, cela à mon avis ne fera pas avancer les choses, parce que je crains qu'Israël ne soit davantage isolé et je ne suis pas sûr que pour les Palestiniens eux-mêmes, au lendemain du vote de cette résolution, les choses changent réellement dans la vie quotidienne.
Q - Vous avez rencontré les parents de Gilad Shalit qui se battent pour la libération de leur fils détenu depuis cinq ans. Les choses évoluent-elles ? Avez-vous des nouvelles ? Est-ce que, pour vous, il est prisonnier ou otage ?
R - Vous savez en tout cas que le président de la République, le gouvernement et moi-même sommes totalement mobilisés pour mettre fin à cette détention qui est inacceptable au regard du droit humanitaire international et des droits de l'Homme. J'ai rencontré effectivement ses parents, des médiations sont en cours aujourd'hui. Je ne veux pas laisser trop d'espoirs, mais j'ai fait notamment remarquer aux responsables palestiniens que s'ils veulent rassurer la communauté internationale et montrer que le rapprochement avec le Hamas est porteur de progrès, eh bien, il y a là l'occasion de faire un signe qui serait apprécié je crois par tout le monde.
Q - La France veut Gilad Shalit et il est à Gaza, le confirmez-vous ?
R - Nous le voulons parce que, je le répète, sa détention est insupportable et inacceptable.
Je rencontrerai aussi la mère d'un prisonnier franco-palestinien, Salah Hamouri, qui devrait être libéré au mois de novembre et pour qui nous demandons la clémence des autorités israéliennes.
Q - En Syrie, aujourd'hui, les opposants vont encore manifester avec le risque de tirs à balles réelles. La plupart des pays sont scandalisés par les atrocités commises contre le peuple syrien. Est-ce qu'il faut des sanctions plus lourdes et est-ce que, comme tous les dictateurs de la région, Bachar el-Assad doit partir ?
R - Je crois que quand on a utilisé des armes lourdes, des canons, des chars pour réprimer sa propre population, on perd toute légitimité. C'est ce que nous disons en Syrie comme nous le disons en Libye. Je vous rappelle que nous avons, nous Européens, pris des sanctions, que nous sommes prêts à durcir d'ailleurs le cas échéant. On ne peut donc pas dire qu'il y a deux poids et deux mesures. Ce qui est bloqué, c'est le vote d'une résolution au Conseil de sécurité. Nous continuons à y travailler et il n'est pas exclu que nous arrivions à notre objectif.
R - Est-ce que pour la Libye vous confirmez que Kadhafi est isolé ?
R - De plus en plus isolé, vous avez vu qu'il y a eu encore des défections autour de lui. Nous recevons des messages de son entourage proche qui a bien compris qu'il devait quitter le pouvoir.
Q - Est-ce que ses jours au pouvoir sont comptés ?
R - Je ne veux pas faire de prédiction imprudente mais, en tout cas, nous allons tout faire pour qu'il parte. Nous allons donc accentuer la pression militaire, comme nous le faisons depuis plusieurs jours, parce que malheureusement il ne comprend que la force. Mais dans le même temps, nous discutons avec tous ceux qui peuvent le convaincre de partir.
Q - Qu'il parte du pouvoir ou du pays ?
R - Du pouvoir à coup sûr…
(…)
Q - Je sais que lundi vous allez à Washington voir Hillary Clinton.
R - J'aurai une séance de travail avec Hillary Clinton, parce que nous avons beaucoup de choses à nous dire sur tous les sujets que nous venons d'évoquer avec vous.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 juin 2011