Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, dans le quotidien polonais "Rzeczpospolita" du 9 juin 2011, sur les priorités de la présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne, notamment l'élargissement aux pays des Balkans, l'Europe de la Défense et la sécurité énergétique.

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Média : Rzeczpospolita

Texte intégral

A partir du 1er juillet 2011, la Pologne sera chargée de la présidence du Conseil de l’UE. Quelles sont vos attentes envers Varsovie ?
L. W. : D’abord, je veux dire combien cette première présidence polonaise est importante à mes yeux. La réunification du continent européen, la libération des pays d’Europe centrale et orientale est le grand tournant historique de la seconde moitié du XXème siècle. Que la Pologne prenne aujourd’hui la tête de l’UE est évidemment pour moi un symbole très fort. La Présidence a été très bien préparée, depuis de longs mois et j’ai toute confiance dans la Pologne pour assumer cette responsabilité. C’est un moment important pour l’UE, les enjeux sont majeurs, du renforcement de l’espace Schengen à la gouvernance économique. La France fera naturellement tout pour soutenir la Présidence polonaise dans ses travaux et je serai mobilisé pour l’y aider avec mon partenaire Milkolaj Dowgielewicz. C’est pour cela que voulais venir à Varsovie quelques semaines avant le début de la Présidence !
Varsovie s’est donné des objectifs nombreux et ambitieux, notamment le rapprochement avec l’Ukraine et le Partenariat oriental. Au moment où surtout la France mais également le reste de l’UE est tournée vers les pays de l’Afrique du Nord et les pays arabes dans la tourmente, ces objectifs semblent difficiles à réaliser…
L. W. : Il n’y a aucune hiérarchie à faire entre voisinage oriental et voisinage méridional. Le "printemps arabe" est un événement historique, comme l’avait été l’année 1989, et le défi pour l’UE est d’être à la hauteur des attentes au Sud de la Méditerranée. Cela ne veut évidemment pas dire que l’on sacrifie le voisinage oriental. Je vais vous donner un seul chiffre pour le démontrer : d’ici 2013, l’UE aura augmenté de plus de 60% son aide financière au voisinage Est par rapport à 2007 et ce malgré la crise financière et économique mondiale. La France est très active en direction de nos voisins orientaux, nous l’avons prouvé durant notre Présidence, que ce soit vis-à-vis de la Géorgie ou de l’Ukraine. Comme le montrera le sommet du Partenariat oriental à Varsovie fin septembre, le rapprochement entre l’UE et ses voisins de l’Est progresse réellement. Mais soyons réalistes ! Les choses ne changeront pas du jour au lendemain. Les objectifs que nous nous sommes fixés sont très ambitieux et demandent de gros efforts d’adaptation à nos voisins.
L’élargissement de l‘UE, que Varsovie veut faire avancer, n’est pas du goût de tout le monde. Vous-même avez dit récemment, après l’arrestation de Ratko Mladic, qu’il faut plus de temps avant d’accueillir les pays des Balkans. Cet élargissement est-il encore possible ? Est-ce une façon de dire que rien ne va plus ?
L. W. : Les États des Balkans occidentaux ont clairement vocation à intégrer l’Union européenne. Il n’y a aucune ambiguïté et l’arrestation de Mladic rapproche la Serbie de l’Union européenne. La Croatie sera le 28e État membre de l’Union. La France y est très favorable et souhaite que le traité d’adhésion avec la Croatie puisse être signé rapidement. Cette adhésion est très importante car elle constituera un signal positif pour les tous les pays des Balkans et pour la stabilité de la région. Avec la mise en place des réformes attendues, la perspective d’adhésion devient en effet une réalité tangible. Là aussi, soyons réalistes. Pour que l’élargissement reste accepté par nos opinions publiques, nous devons veiller au sérieux du processus jusqu’au bout. C’est une démarche résolument européenne qui nous anime, et il en va de la crédibilité de l’UE toute entière.
Q : La Pologne souhaite relancer de l’Europe de la Défense. Objectif que la France n’a pas pu réaliser pendant sa présidence de l’UE. Pourquoi cette fois-ci ce projet devrait-il aboutir ?
L. W. : D’abord, je suis convaincu que pour peser sur la scène internationale et défendre sa sécurité, l’Europe a besoin d’outils rénovés, y compris militaires. Je me félicite que la Pologne ait pris conscience de l’enjeu et en ait fait une priorité de sa Présidence. Cela se fait dans la continuité de la présidence française de 2008 et je me réjouis de la volonté de progresser avec l’Allemagne dans le cadre du triangle de Weimar. Nos trois pays ont ainsi proposé des pistes d’action à Mme Ashton pour muscler la politique de défense européenne. Je souhaite qu’elles puissent être mises en œuvre rapidement sous présidence polonaise. Il faut en particulier que l’Europe soit capable de planifier plus rapidement ses interventions militaires. Par ailleurs, le contexte budgétaire est difficile. Mieux mutualiser nos capacités et nos matériels est une nécessité. L’Europe doit développer des projets concrets pour le transport militaire aérien ou le déminage maritime par exemple. Tout cela se fait de façon complémentaire avec l’Otan et je m’en réjouis.
La sécurité énergétique est une autre priorité de la présidence polonaise. Le projet North Stream a montré que ceux qui parlent le plus de politique commune et d’intérêt commun, conduisent ensuite une politique favorable à leur intérêt national. Comment la France veut-elle soutenir Varsovie à cet égard ?
L. W. : Là encore il y a beaucoup de convergences entre la Pologne et nous. La sécurité énergétique était l’une des priorités de la présidence française en 2008. La Présidence polonaise a saisi l’ampleur de l’enjeu et veut passer aux actes. Il faut l’en féliciter. Chaque État membre fait librement son choix entre les différentes sources d’énergie pour atteindre nos objectifs communs, c’est-à-dire une énergie qui soit à la fois propre, sûre et compétitive. C’est ce que dit le traité. Ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de place pour une action forte de l’Union, bien au contraire ! Les pays européens doivent mieux se coordonner pour parler d’une seule voix dans les négociations avec les pays tiers, notamment la Russie. Nous devons aussi appliquer le principe de réciprocité à l’énergie : c’est une excellente chose que l’Europe soit à la pointe sur la lutte contre le changement climatique ou les normes de sûreté nucléaire mais nous devons pousser les pays voisins à accepter le même niveau d’exigence.
La Pologne souhaite également aider les démocraties naissantes en Tunisie, Libye et Égypte. Quel rôle la Pologne peut-elle jouer dans le processus de transformation dans ces pays ?
La Pologne a vécu une transition politique et une démocratisation rapide depuis 1989. Elle accorde donc une attention particulière aux événements des pays de la rive Sud de la Méditerranée. Je pense que la Pologne, comme les autres pays d’Europe centrale, peut être une source d’inspiration pour nos voisins méridionaux qui, à leur tour, s’engagent dans la voie de la démocratie. Comme l’a récemment déclaré le Ministre polonais des Affaires étrangères, M. Sikorski : « Les pays arabes peuvent s’inspirer de nos succès et s’informer de nos erreurs ». Nous attendons beaucoup du rôle très positif que peut jouer la Pologne en ce sens.
Source http://www.ambafrance-pl.org, le 21 juin 2011