Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France-inter le 19 juin 2001, sur le financement des 35 heures, la refondation sociale et les licenciements.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - Les 35 heures et leur financement vont-elles disloquer le partenariat social ? Le Medef menace à nouveau de quitter les instances de gestion de la Sécurité sociale au moment où le Premier ministre, qui reçoit les dirigeants patronaux et syndicaux, veut ouvrir le débat sur la démocratie sociale. G. Courchelle pendant le journal de 8 heures disait que vous aviez déjà rencontré le Premier ministre hier et que vous lui aviez demandé de faire un effort pour éviter le clash.
- "Oui bien sûr. Le Premier ministre m'est apparu conscient de la situation. Je n'ai pas le sentiment qu'il soit très demandeur d'une crise à la Sécurité sociale ; qu'il soit très demandeur de l'étatisation de notre système de protection sociale. Car il faut bien voir que s'il n'y a plus le paritarisme dans les caisses, c'est-à-dire la présence des syndicats et la présence du patronat, c'est un autre système qu'il faut construire. Et l'Etat est en première ligne. Cela fait tellement longtemps maintenant que l'on sait que ce système qui a fait ses preuves est aussi, en quelque sorte, à bout de souffle : il faut le relooker, le rénover ; c'est le moment de clarifier ses missions, les responsabilités des uns et des autres. Bref, le moment est venu, qu'au-delà de toutes tensions, de toutes polémiques, en voyant l'intérêt général plutôt que les intérêts particuliers des uns et des autres, qu'on pense à la Sécurité sociale et à la maintenir."
Mais à vos yeux où se trouve actuellement la marge de manoeuvre de L. Jospin s'agissant par exemple du financement des 35 heures ? Peut-il éviter, comme dit M. Blondel, "de taper dans la caisse de la Sécu "?
- "En tout cas, il est souhaitable qu'il y ait une clarification des financements. Lorsque nous payons, vous et moi, nos cotisations, nous les payons avec l'objectif de financer notre protection sociale. Donc que le Gouvernement se permette de détourner une partie de cet argent à d'autres fins, c'est quand même un peu paradoxal. Il n'est pas très normal que les recettes de la Sécurité sociale servent aussi au budget de l'Etat. Mais qu'au-delà de cette question du financement des 35 heures, qui a été la goutte d'eau qui a fait déborder un vase qui était déjà très plein..."
Et qui a menacé plusieurs fois de déborder sur la même question d'ailleurs...
- "Cette question montre tout simplement, encore plus fortement qu'avant, qu'il est grand temps d'ouvrir le chantier, qu'il est grand temps de se préoccuper de l'avenir de la protection sociale. L'Etat y a intérêt lui aussi, cela relève de sa responsabilité. L'Etat a déjà beaucoup de travail s'il parvient à définir les politiques de santé, des politiques de prévention et si, face à ces politiques, il parvient à dégager des moyens pour les mettre en oeuvre. Mais est-ce qu'on peut imaginer que l'Etat soit à la fois celui qui définisse ces politiques, celui qui les met en oeuvre et encore celui qui les contrôle ? Non ! On sait bien que dans des démocraties modernes ce n'est plus ce type de fonctionnement qui est le plus performant. Il faut que l'Etat se recentre sur ses missions et qu'il laisse à des gestionnaires - mais à des gestionnaires qui auront la pleine connaissance de leurs compétences et de leur pouvoir de responsabilité - le soin de les mettre en oeuvre. C'est une délégation de responsabilité. Je crois que cela fait progresser aussi la démocratie. Il faut la démocratie politique et il faut aussi la démocratie sociale."
Mais le Premier ministre vous entend-il quand vous tenez ce discours ? La refondation sociale vient de passer un mauvais cap. Entre la question des licenciements économiques, un compromis entre le PC et le PS qui n'a satisfait personne et en tout cas pas beaucoup modifié la réalité de la situation sociale, est-ce qu'il est conscient et est-ce qu'il entend tout ça et est-ce qu'il est prêt à changer quelque chose ?
- "Oui, il m'est apparu hier que le Premier ministre était très conscient - il l'a dit d'ailleurs - qu'un déficit de dialogue et de concertation entre le Gouvernement et les partenaires sociaux était ce qui caractérisait ces quatre dernières années. Et que finalement, tout s'était passé au Parlement entre partis politiques. Les partis politiques ont bien évidemment un rôle à jouer, le Parlement a son rôle à jouer mais de là à mettre complètement hors jeu les syndicats, les entreprises sur des questions qui les concernent quand même au plus haut point, effectivement, il y a là un pas que le Gouvernement ferait bien de ne pas continuer à franchir."
Vous pensez que cet après-midi que L. Jospin serait prêt à dire - avec des formes plus politiques que celles que je vais emprunter maintenant - à M. Seillière : "Allez on fait trois pas en arrière et vous restez." ?
- "Je ne crois pas qu'il faille parler de trois pas en arrière, parce que personne n'a envie de se présenter comme étant celui qui recule. Il faut que, de la manière dont le Premier ministre présentera les choses, tout le monde fasse trois pas en avant, L'Etat, le patronat et les syndicats. Je crois alors que l'intérêt général de la Sécurité sociale sera gagnant."
Vous avez beaucoup discuté avec eux, la refondation sociale s'est beaucoup faite dans des discussions entre la CFDT et le Medef. La détermination d'un E.-A. Seillière est réelle ou il y a une forme de gesticulation ? Ils sont vraiment prêts à partir ?
- "Je ne suis pas, à ce jour, en capacité de parler au nom du Medef et ce n'est pas mon rôle. En tout cas, il me semble que le moment du renouvellement - vous savez que les caisses de Sécurité sociale vont devoir renouveler leurs administrateurs fin juillet et que cela se passera officiellement début octobre - est, à l'évidence, une occasion pour chacun de se dire : "Voyons, dans quelques conditions j'y vais." Ce n'est pas illégitime. Nous aussi nous sommes demandeurs même si nous ne posons pas la question de savoir si l'on n'y sera ou pas car nous y serons. Il est légitime qu'à ce moment-là nous ayons envie de voir l'horizon s'éclairer, de voir se préciser les évolutions que la puissance publique à l'intention de conduire, de voir se préciser les règles du jeu. Ou qu'au moins un certain nombre d'engagements soient pris en ce sens. Je crois qu'il faut que tout simplement les uns et les autres, après des années de crispation, de polémiques, de bras de fer qui ont, de mon point de vue, assez duré, chacun s'attache à regarder devant, à élever le débat, à penser - je le redis - à l'intérêt général plutôt qu'à ses intérêts particuliers."
On prête au Medef l'intention de proposer une charte en huit points dont l'un de ces points poserait le principe que le Gouvernement ne peut pas s'opposer à une décision prise à la majorité qualifiée par le conseil d'administration de la Cnam. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- "Tout dépend la nature des décisions. S'il s'agit de décisions qui relèvent pleinement de la compétence de la Cnam, on peut alors penser que si la Cnam doit prendre une décision sur un champ qui relève de sa responsabilité qu'il est légitime que sa position s'applique. Mais s'il s'agit d'un avis que le conseil d'administration donne, par exemple, sur une décision et une orientation que propose le Gouvernement et que cela relève de la responsabilité du Gouvernement, c'est un avis. A ce moment-là, le Gouvernement peut en tenir compte ou pas. Là encore, il ne faut pas raisonner toujours en termes de noir ou blanc. Ce ne sont pas les pleins pouvoirs à l'un et rien à l'autre et réciproquement. Il faut préciser les contours des responsabilités des uns et des autres et s'y tenir dans les pratiques au quotidien."
S'agissant du Gouvernement et de son positionnement sur certaines questions sociales très importantes - et je pense à nouveau à la question des licenciements - : cela vous inquiète de voir des lignes assez divergentes entre ce que dit par exemple L. Fabius et la position du Premier ministre ?
- "On ne va pas faire des réponses politiciennes en la matière. Sur ce qui s'est passé au niveau des licenciements, c'est que toutes les énergies à l'Assemblée nationale et de ce Gouvernement se sont focalisées autour d'un compromis et de la recherche d'un compromis qui était un compromis politique. Il s'agissait d'éviter une crise au Parlement. Ce que je comprends de la part d'un gouvernement. La question est : est-ce que ce compromis politique va véritablement dans le sens de l'intérêt des salariés qui sont confrontés aux licenciements ? Nous, nous craignons que certaines mesures qui ont été prises aient des effets pervers sur le comportement des entreprises. A propos du médiateur, lorsque le patron dit : "Je vais restructurer et je vais licencier", qu'allons nous dire, nous qui sommes en face ? Nous allons dire : "Ecoutez, ne comptez pas sur nous pour vous donner la bénédiction sur cette décision-là." Ce n'est pas possible, nous sommes dans des registres différents. Quels sont les points de vue qu'un médiateur peut rapprocher en la matière ? Aucun. C'est presque un non-sens d'imaginer un médiateur sur des questions où on ne va quand même pas demander aux syndicats de venir bénir des plans de restructuration et de licenciements. Par contre, que la loi fixe des obligations claires, donne des moyens d'intervention et d'expression forts aux organisations syndicales pour défendre les salariés face aux conséquences des décisions qui sont prises - et que l'on se sera attaché à limiter au maximum - la réponse est "oui." Assurer la responsabilité sociale des entreprises, assurer le reclassement de tous les salariés susceptibles d'être licenciés. Nous, nous disons : "zéro chômeurs", même s'il y a des réductions d'effectifs dans les entreprises qui ont les moyens d'assumer le reclassement de tous leurs salariés."
(source http://www.cfdt.fr, le 14 janvier 2003)