Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, à RMC le 12 avril 2001 sur les suppressions d'emplois chez Danone et Marks et Spencer.

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Texte intégral

A. Laguiller (LO)
RMC - 7h50
Le 12 avril 2001
P. Lapousterle Jusqu'à présent les responsables politiques vous trouvaient sympathique, parce qu'ils ne voyaient pas en vous un concurrent. Mais les choses changent, puisque scrutin après scrutin, on s'aperçoit que l'extrême gauche devient une force politique reconnue qui rivalise avec l'influence et l'importance du Parti communiste français. A quoi attribuez-vous cette percée de l'extrême gauche, assez spectaculaire ces deux ou trois dernières années ?
- "Depuis quelques années, les travailleurs ont compris que dans cette société, il n'y en a effectivement que pour les actionnaires, que pour les profits et que l'on peut, du jour au lendemain, chez Danone, chez Marks Spencer, chez Michelin auparavant, chez Alstom, chez Unilever, jeter à la rue comme des mal-propres des travailleurs qui ont fait la fortune des actionnaires pendant des années. Face à cela, il faut absolument prendre des mesures contraignantes pour interdire ces suppressions d'emplois et ces licenciements."
Comment interdire les suppressions d'emplois ?
- "Faire une loi qui interdise les suppressions dans toutes ces grandes entreprises qui font des profits, même si on nous dit que celle-là, en ce moment, provisoirement, a des difficultés. Globalement, toutes les grandes entreprises se portent bien, se rachètent les unes les autres tellement elles ont de liquidité à dépenser. Par contre, les travailleurs qui ont beau avoir donné pour beaucoup dix ans, vingt ou trente ans de leur vie pour une entreprise, sont jetés du jour au lendemain comme des mouchoirs."
Vous voudriez que toutes les entreprises qui font des bénéfices aient l'interdiction légale de licencier ? C'est pratiquement impossible en fait !
- "Oui, tout à fait, et si elles ne le font pas, que l'Etat menace de réquisitionner les biens, de réquisitionner les capitaux, de réquisitionner ces entreprises s'il le faut ! C'est la seule menace qui peut les obliger, en réalité, à ne pas faire de suppressions d'emplois et des licenciements."
Mais la France appartient à l'Europe et les règlements européens interdisent ce que vous proposez. Vous êtes mieux placée que quiconque pour le savoir puisque vous êtes députée européenne.
- "C'est une question de rapports de force, que ce soit au niveau d'un pays ou au niveau de l'ensemble de l'Europe. Aujourd'hui, la question qui se pose est effectivement de créer un rapport de force qui permette aux travailleurs de peser suffisamment pour obliger les gouvernements de France ou d'Europe à arrêter de traiter les ouvriers et les employés comme des esclaves."
Le mot "esclaves" ne convient peut-être pas vraiment...
- "Comment ?! C'est être à la disposition du patron, avec des horaires déments dans certaines entreprises, comme chez Danone, où ils travaillent en cinq équipes ..."
Mais ce n'est pas la traite des salariés !
- .".. avec des conditions de travail très dures, une aggravation des conditions de travail aujourd'hui dans ce pays, une augmentation des accidents du travail ! C'est cela aujourd'hui, l'exploitation ! Quand on est capable d'exploiter des gens pendant des années et de les jeter du jour au lendemain, on en fait des esclaves. Heureusement, les esclaves, comme Spartacus, se révoltent."
Justement, dans deux heures, les salariés de Danone et de Marks Spencer vont défiler dans Paris. Allez-vous aller avec eux ?
- "Oui, bien sûr, je me prépare à y aller après vous avoir quitté. C'est important d'aller soutenir à la fois les travailleurs de Danone et ceux de Marks Spencer. Sans doute d'ailleurs y aura-t-il des délégations d'autres entreprises qui sont aujourd'hui menacées de suppressions d'emplois, comme Alstom et Aventis. La classe ouvrière doit aujourd'hui montrer sa force, que ce soit par les grèves, que ce soit comme à Calais ou à Ris-Orangis en boycottant les produits Danone comme les travailleurs l'ont demandé."
Quand vos entendez le Parti socialiste et les syndicats - c'est-à-dire les forces organisées de la gauche - dire que comme l'interdiction de licenciements que vous proposez n'est pas vraiment possible, il y ait une augmentation du coût lorsque les entreprises bénéficiaires licencient, ou alors le reclassement absolument obligatoire de tous ceux qui perdraient leur emploi. Est-ce que cela vous paraît être une réponse adaptée ?
- "D'abord, cela ne va rien changer pour le salarié qui sait qu'à 45 ou 50 ans, on ne va pas le reprendre ailleurs. C'est cela l'angoisse de bon nombre de travailleurs. Cela ne va rien changer non plus de faire payer plus les entreprises, parce que le Gouvernement s'arrangera de toute façon pour leur redonner d'une autre façon, ne serait-ce qu'en diminuant par exemple l'impôt sur les bénéfices des grandes sociétés, un impôt qui n'a fait que baisser. On le baissera un peu plus, pour compenser le fait qu'on demandera un peu plus d'argent. Mais pour les plans de suppressions d'emplois et de licenciements, cela ne changera rien. Le reclassement existe !"
Mais quand les licenciements coûtent plus chers, c'est toujours plus difficile à mettre en place.
- "Ces grandes entreprises - c'est justement là le problème - ont des milliards à dépenser. Elles préféreront sans doute payer, en se récupérant par des exonérations d'impôts, par des exonérations de cotisations sociales, sur ce que l'Etat les obligera à payer s'il fait cela. Examinez les reclassements qui existent dans toutes ces grandes entreprises qui ont déjà supprimé des emplois... Je peux vous en parler au Crédit Lyonnais : combien de gens sont partis soit disant volontairement, y compris avec une prime de départ, et sont obligés aujourd'hui de se grouper en association parce qu'ils ont tout perdu, qu'ils n'ont plus rien, qu'ils sont RMIstes ? C'est cela aussi la réalité des plans de reclassement et des plans sociaux pour de nombreux travailleurs des grandes entreprises."
Le Gouvernement se réunit tout à l'heure. Le Premier ministre a annoncé des "ajustements", pour reprendre son terme, dans le domaine social, notamment un coup de pouce au Smic.
- "C'est bien plus qu'un coup de pouce au Smic et aux minima sociaux qu'il faut aujourd'hui ! Il faut une vraie revalorisation des salaires, des retraites, des minima sociaux..."
Il n'y a plus d'argent !
- "Mais si, il y a de l'argent ! Que l'on ponctionne plus ceux qui en ont, qu'on arrête de baisser la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, qu'on arrête de baisser les impôts sur les profits des entreprises ! De l'argent pour que les travailleurs puissent vivre dignement, il y en a dans ce pays comme il y en a au niveau de l'Europe !"
L. Jospin traverse une période un peu difficile en ce moment. Mme Voynet lui a conseillé hier de prendre des vacances. Vous pensez que c'est une proposition sympathique ?
- "Franchement, que M. Jospin soit fatigué ou énervé, je n'en sais rien ! Je le juge sur sa politique et je vois qu'il mène une politique anti-ouvrière, qui n'est pas favorable aux intérêts des travailleurs. Si c'était le cas, il interdirait immédiatement tous ces licenciements qui sont en cours en ce moment."
J. Chirac n'a pas déféré à la convocation du juge jeudi dernier et V. Giscard d'Estaing lui a indiqué qu'il aurait dû y aller. Quel est votre sentiment sur ce point ?
- "Il y a des crocs-en-jambe entre d'anciens amis ou adversaires - je ne sais pas comment il faut dire. Au-delà de cela, il n'y a pour moi rien de choquant à ce que le juge Halphen ait convoqué J. Chirac comme témoin."
Il aurait donc dû y aller ?
- "Oui, bien sûr, comme tout un chacun, comme tout citoyen."
L'extrême gauche devient une vraie force politique, on dit que vous négociez en ce moment avec A. Krivine. Est-il imaginable que vous alliez ensemble aux législatives pour créer un front uni ? Cet objectif vous intéresse-t-il ?
- "Ce qui m'intéresse, c'est de défendre une politique. C'est là-dessus que l'on se mettra d'accord ou pas, je n'en sais rien. Pour le moment, nous n'avons rien décidé. Avec la LCR, on s'est présenté bien souvent séparément et en 1995, lorsque j'étais candidate, la Ligue communiste révolutionnaire n'a pas choisi entre D. Voynet, R. Hue et A. Laguiller ! Tout cela est donc en discussion, en gestation..."
Chaque péché mérite miséricorde !
- "Non, ce n'est pas cela ! Mais pour le moment, on n'a rien décidé. J'ai de toute façon annoncé depuis longtemps ma candidature aux élections présidentielles."
Comme il y a 27 ans...
- "Eh oui ! Le plus beau compliment que l'on me fait dans les meetings et que j'aurai peut-être encore aujourd'hui à la manifestation, c'est de me dire "bravo, continuez, vous au moins, vous êtes tenace et vos idées, vous y croyez.""
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 13 avril 2001)