Interview de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, à France 2 le 3 juin 2011, sur la place des femmes dans la vie politique et sociale, les violences, le racisme et les relations entre l'UMP et l'extrême-droite.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
ALEXANDRE KARA Bonjour Jeannette BOUGRAB.
 
JEANNETTE BOUGRAB Bonjour.
 
ALEXANDRE KARA Merci d’être avec nous ce matin. Alors on l’a vu depuis quelques semaines l’actualité est dominée par l’affaire DSK, l’affaire Georges TRON, maintenant il y a les accusations de Luc FERRY, ça veut dire quoi, il y a des lourds secrets dans le milieu politique français ?
 
JEANNETTE BOUGRAB La question de la situation des femmes en France n’est pas un secret, à chaque fois nous avons des tableaux statistiques qui montrent que 27 % des femmes, enfin les écarts de salaire entre les femmes et les hommes est de 27 %. On sait que 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, je vous fais grâce du temps partiel imposé. Que la pension moyenne d’une femme à la retraite est de 50 % de celle d’un homme, qu’une femme meurt tous les deux jours des coups portés par son conjoint et que chaque jour 200 femmes se font violer en France. Et je ne vous parle pas de la représentation politique et notamment de la sous représentation des femmes à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Donc ce n’est pas véritablement une nouveauté.
 
ALEXANDRE KARA Mais alors c’est quoi, il y a une hypocrisie aujourd'hui notamment dans le milieu politique, on ne disait rien et maintenant on va tout dire ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Je ne crois pas qu’on dira tout, ce n’est pas vrai, parce que regardez ce n’est pas parce qu’il y a eu deux scandales et je pense d’abord aux victimes, on les oublie toujours. C'est-à-dire que dans l’affaire DSK, on a mis quand même quelques temps à se dire qu’il y a peut-être une femme qui a été victime d’un viol et ça, c’est d’abord, on pense d’abord à la personne, à la personne médiatique et au traitement de la presse de cette personne médiatique. Et je ne crois pas que les choses vont si facilement changer, les femmes ont le droit de vote depuis 1944 et 45 et pourtant leur situation ne s’arrange pas nécessairement.
 
ALEXANDRE KARA Alors vous qui êtes une femme politique, comment on réussit dans ce monde d’hommes et pourquoi jusqu’à présent on avait l’impression qu’il y avait un silence, pourquoi on ne vous a pas plus entendu dénoncer ces phénomènes ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Il y a plusieurs choses, enfin moi j’ai été présidente de la HALDE, j’ai travaillé énormément sur les questions de femmes, enfin les questions d’égalité, on en parle, la seule chose, c’est que ça n’intéresse pas nécessairement les médias. C'est-à-dire que par exemple quand des études sortent ou quand les chiffres sur les violences faites aux personnes sortent, ça n’intéresse pas. C’est que là, ce qui a fait que c’est sur le devant de la scène, c’est que ça concernait un homme qui était potentiellement futur candidat à l’élection présidentielle.
 
ALEXANDRE KARA Ca veut dire quoi, vous pensez qu’on est au début d’un grand déballage ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Je ne le crois pas non. Je ne le crois pas. Enfin je ne suis pas… ce que j’aimerais plutôt ce n’est pas le déballage, c’est surtout qu’on mette en place des dispositifs et des mesures pour que des femmes puissent être protégées, voilà c’est plutôt ça qui m’intéresse, de savoir que telle ou telle chose va sortir sur le devant de la scène ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse c’est que des gens au quotidien, parce que quand vous êtes une femme qui travaillait dans une usine et qui revenait de son congé de maternité et que vous êtes placardisée, ou virée parce que vous avez eu un enfant, cette femme là ne va pas faire l’objet de la Une des médias, alors que c’est une victime.
 
ALEXANDRE KARA Sur un autre sujet, Jeannette BOUGRAB, Marine LE PEN a écrit à l’ensemble des députés pour demander la suppression de la double nationalité, un peu plus étonnant, au gouvernement, en tout cas à l’Elysée, Henri GUAINO a dit que c’était une vraie question. Vous pensez vous aussi que c’est une vraie question ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Non. Non, je pense que nous avons un certain nombre de conventions qui sont passées avec des Etats, parfois c’est possible d’être binational, d’autres fois non, je pense que ça appartient aux gens de choisir.
 
ALEXANDRE KARA Alors c’est quoi, c’est du populisme, c’est encore un argument électoral ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Enfin c’est l’extrême droite, donc le rejet de l’autre, de la différence, du métissage, voilà. Vous ne choisissez pas vos parents, vous pouvez être le fruit de mariage mixte et donc je trouve qu’à chaque fois de stigmatiser ainsi des personnes qui n’ont pas deux parents français, eh bien je trouve cela dommage.
 
ALEXANDRE KARA Vous dites c’est l’extrême droite, en même temps on a le sentiment qu’il y a de plus en plus une porosité justement entre l’extrême droite et la droite classique, au cours des derniers mois il y a eu ce débat sur l’identité nationale, sur l’Islam, sur l’immigration, ça fait beaucoup non, vous vous sentez à l’aise encore à l’UMP ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Je n’ai aucun problème à l’UMP, mais ce qui me surprend un peu c’est quand on parle de principe comme la laïcité, c’est devenu par exemple un des projets du Front National. Moi, je trouve ça étrange, moi je me suis battue pour le principe de laïcité notamment pour une crèche qui s’appelle Baby Loup qui fonctionne 24/24 heures, il y a quelques mois, on était bien seul avec Elisabeth BADINTER notamment et on se faisait attaquer et personne, je n’ai pas entendu le Front National défendre une crèche au nom du principe de laïcité. L’instrumentalisation fait d’un principe qui est constitutionnel, qui est fondateur de notre République par le Front National, on ne doit pas l’accepter.
 
ALEXANDRE KARA Il y a quelques temps vous étiez en meeting à Besançon et dans la salle l’une des personnes présentes, un militant UMP a dit, il y en a marre des bougnoules, vous n’avez pas l’impression quand même qu’il y a une banalisation du retour, d’une sorte de racisme ordinaire ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Sans doute, enfin oui, oui parce que je n’ai jamais entendu, en tout cas lors d’une réunion politique de tels propos, c’était des propos violents. Et c’est la raison pour laquelle on doit d’autant plus se battre contre cette banalisation, contre la montée de l’intolérance et c’est un devoir de chacun d’entre nous, voilà c’est un devoir collectif de participer à ce qu’appelait VOLTAIRE, la tolérance.
 
ALEXANDRE KARA J’aimerais revenir sur un sujet dramatique, c’est le suicide des enfants, il y a quelques jours un jeune garçon de CM2 a trouvé la mort en se pendant à Arles, est-ce qu’on sait si c’était un accident ou si c’était vraiment un suicide ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, je suis sans doute la personne peut-être, la moins bien placée pour en parler, parce que j’étais sur place au moment des événements, parce que quand je suis arrivée dans cette école à Arles Coren était encore là, que les enfants étaient dans la cour et pleuraient et Coren est depuis décédé. Nous travaillons au ministère de la Jeunesse, en tout cas on avait fait le choix il y a quelques mois de demander au neuropsychiatre Boris CYRULNIK de travailler sur le suicide des enfants. Je tiens juste à rappeler que la deuxième cause de mortalité des moins de 25 ans, c’est le suicide, et on a vu des derniers mois, ces dernières années, des faits d’actualité où des jeunes enfants de 9 ans, 11 ans, 12 ans, soit se défénestraient, soir se pendaient et on ne pouvait plus, en tout cas moi en tant que ministre de la Jeunesse, je ne pouvais pas fermer les yeux sur ce qui paraissait, ce qui est en fait un drame national. Voilà c’est un drame national. Quand vous avez des petits qui se jettent dans une rivière, quand vous avez une petite qui en a marre de vivre avec un diabète insulinodépendant et qui se jette par la fenêtre, eh bien il était… voilà nous avons confié en tout cas à Boris CYRULNIK ce rapport, je le vois tout à l’heure, où il va remettre un rapport d’étape et nous allons mettre en place une politique de prévention du suicide chez les enfants.
 
ALEXANDRE KARA Autre dossier qui vous concerne les apéros Facebook, il y a quelques jours il y avait encore 6 000 personnes à Nantes pour un de ces apéros Facebook, il y a eu 22 hospitalisations. Est-ce qu’il faut les interdire ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, on essaie en tout cas de manière générale sur les événements festifs, non pas de les interdire, mais de mettre en place un système de médiateur dans chaque département pour avoir une interface entre les services de l’Etat et notamment les préfectures et les organisateurs. L’année dernière à Nantes, un jeune garçon s’est donné la mort. Il y a eu 57 hospitalisations, cette année a été mis en place un dispositif qui fait que les choses se sont globalement bien passées. Vous ne pouvez pas en réalité tout interdire, parce que sinon vous aurez des événements qui vont être organisés dans la clandestinité et des drames se produiront. On a fait le choix de la pédagogie, d’expliquer, de mettre en place en tout cas des acteurs de prévention, c’est ce qui a été fait avec le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Jeunesse.
 
ALEXANDRE KARA Jeannette BOUGRAB, merci, bonne journée.
 
JEANNETTE BOUGRAB Merci beaucoup, à vous aussi.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 6 juin 2011