Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les sujets d'actualité internationale, notamment la relance du processus de paix israélo-palestinien, la Libye, la répression en Syrie et l'Afghanistan, Paris le 6 juin 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage d'Alain Juppé aux Etats-Unis les 6 et 7 juin 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais faire rapidement le point sur plusieurs questions que j'ai eu l'occasion d'évoquer hier et aujourd'hui et tout d'abord sur l'initiative que nous avons prise pour tenter de relancer le processus de paix entre Israël et l'Autorité palestinienne.
Pourquoi avons-nous relancé l'initiative ? Parce que nous considérons que le statu quo au Proche Orient n'est pas tenable. Et je dois dire que ce constat fait l'objet d'un assez large consensus parmi tous les partenaires que nous avons consultés. Et c'est, je le souligne au passage, ce que le président Obama lui même a dit dès le 19 mai. Nous avons donc proposé une plateforme de négociation pour permettre aux deux parties prenantes de s'asseoir à nouveau autour de la table de dialogue. Au terme de mon déplacement au Proche-Orient, des contacts que j'ai eus ici, aux États-Unis, et aux Nations unies, je retire le sentiment que nos propositions ont fait bouger les lignes.
Le président de l'Autorité palestinienne a répondu favorablement à la proposition que nous avons faite. Le gouvernement israélien continue d'étudier ces propositions. Je cite son représentant permanent ici aux Nations unies : «Nous examinons ces propositions attentivement. Nous aussi nous voulons reprendre les négociations, nous voulons une indication de la direction qu'elles prennent». Le gouvernement israélien doit nous faire connaître sa réponse dans les prochains jours.
Hier, ma collègue Hillary Clinton a exprimé son intérêt pour la proposition française. Elle a soulevé un certain nombre de réserves, mais elle s'est dite prête à continuer à travailler avec nous. L'Envoyé spécial du Quartet, M. Tony Blair, vient d'apporter son soutien à l'initiative française. Enfin, le Secrétaire général des Nations unies, avec lequel je viens de m'entretenir, s'est dit préoccupé par l'absence de progrès et a jugé que notre initiative allait dans le bon sens.
Nous allons continuer à travailler avec tous les partenaires que je viens de citer, les Palestiniens, les Israéliens, les Américains, les Nations unies, les membres du Quartet pour voir si cette initiative peut aboutir à une reprise des négociations d'ici l'été. C'est difficile. Le fait que depuis plusieurs décennies la solution n'ait pas été trouvée montre qu'il nous faut beaucoup de ténacité pour faire avancer les choses. Mais nous avons cette ténacité et nous allons continuer à aller de l'avant.
Un mot sur la Libye.
Nous allons continuer à mettre en œuvre la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Dans le cadre de cette résolution, nous accentuons la pression militaire que nous exerçons sur le régime de Kadhafi. Vous en avez vu les résultats au cours des derniers jours. Mais en même temps nous progressons dans la recherche d'une solution politique. Nous faisons confiance à l'Envoyé spécial du Secrétaire général, M. Al-Khatib, dans ses efforts de médiation. Le Groupe de contact va se réunir à Abu Dhabi jeudi prochain, 9 juin.
Nous nous fixons deux objectifs pour cette réunion. D'abord, faire fonctionner le mécanisme de soutien financier au Conseil national de transition ; nous aurons des propositions concrètes à faire. Deuxièmement, bien rappeler les conditions du règlement politique que nous recherchons. Je voudrais les rappeler brièvement. Tout d'abord un cessez-le-feu authentique, c'est-à-dire le retour des troupes de Kadhafi dans leurs casernes et le contrôle des Nations unies sur l'effectivité du cessez-le-feu. Deuxièmement, un engagement officiel de Kadhafi de quitter toutes ses responsabilités politiques et militaires en Libye. Troisièmement, l'organisation d'une convention nationale, sous l'autorité du Conseil national de transition, élargie à tous ceux qui voudront bien rejoindre ce processus et notamment à tous ceux qui à Tripoli ont compris que Kadhafi n'avait plus d'avenir.
Enfin, un dernier mot sur la Syrie. La répression ne cesse de s'aggraver et les massacres d'augmenter. Pour nous il est inconcevable que les Nations unies restent silencieuses sur une telle situation. Nous travaillons donc avec nos amis britanniques et quelques autres à réunir une aussi large majorité que possible au Conseil de sécurité. Je pense qu'il faudra alors aller au vote de façon que chacun puisse prendre ses responsabilités.
Merci. Je suis prêt à répondre à quelques unes de vos questions.
Q - Au sujet de votre proposition relative au conflit israélo-palestinien, pourriez-vous être plus précis sur la réponse que vous avez reçue de l'Autorité palestinienne? De qui avez-vous obtenu une réponse et dans quelle mesure celle-ci est-elle positive? Les Palestiniens disent-ils «Oui, nous viendrons, nous allons participer aux discussions et nous engager dans des négociations directes avec les Israéliens»?
R - Oui. Le président Mahmoud Abbas a été très clair à ce sujet. Nous avons proposé un document de travail avec un ensemble de critères pour relancer les négociations. Les autorités palestiniennes ont donné leur accord de principe et exprimé leur intérêt pour y participer.
Q - Monsieur le Ministre, à quelle échéance voyez-vous la résolution sur la Syrie ?
R - Je ne peux pas vous fixer de date. Nous y travaillons. Aujourd'hui, je crois pouvoir dire qu'une majorité de membres du Conseil sont prêts à voter cette résolution. Nous cherchons à améliorer cette majorité. Vous voyez que la situation se détériore sur le terrain, jour après jour, donc le plus tôt sera le mieux.
Q - Allez-vous y pousser dès que possible, cette semaine peut-être? Si vous dites que vous avez d'ores et déjà 11 voix, pourquoi entendons-nous les Brésiliens dire qu'ils veulent un consensus? Les pays africains sont réticents. Mais vous assurez avoir déjà onze voix. Pourquoi ne la mettez-vous pas au vote, à moins que vous attendiez que la situation se détériore encore sur le terrain pour convaincre les autres ?
R - J'ai déjà répondu à cette question. Je vous ai dit que nous sommes à la recherche du consensus le plus large possible au Conseil de sécurité. Je pense qu'il s'agit d'une question de jours, peut-être même d'heures.
Q - La Russie a fait part assez clairement de son intention de poser un veto. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller dans la conciliation ? Que pouvez-vous faire pour convaincre les Russes au moins de ne pas déposer un veto ?
R - Je crois qu'aujourd'hui le projet de résolution est assez clair. Nous ne voyons pas la possibilité de le modifier fondamentalement. À chacun ensuite, je l'ai dit, de prendre ses responsabilités. Le régime syrien est en train de réprimer sauvagement les mouvements populaires, il reviendra à la Communauté internationale de juger la position de chacun.
Q - Le projet de résolution est en préparation et les termes sont très clairs : «nous demandons à chacun d'assumer ses responsabilités». Au sujet de la Libye je souhaiterais demander «que faites-vous des critiques» ? L'Union africaine semble avoir une position légèrement différente de celle que vous avez fixée et elle est censée venir le 15 Juin.
Pensez-vous que cela devrait revêtir la forme d'une réunion publique ? Comment pensez-vous expliquer ou régler ce problème ? Et je voudrais aussi vous interroger sur la Côte d'Ivoire, puisque la Force Licorne a la mission de protéger les civils, même maintenant. Il a été rapporté que des forces de Ouattara seraient engagées dans des opérations de représailles, est-ce que la Force Licorne est encore dans les rues pour défendre la population, ou est-elle en train de regagner ses casernes ?
R - Ne mélangez pas tout s'il vous plaît. En Libye, nous estimons agir dans le cadre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Nous visons des objectifs militaires et nous mettons tout en œuvre pour éviter les victimes civiles.
Concernant la Côte d'Ivoire, tout le monde reconnaît que notre intervention a été couronnée de succès. Nous encourageons maintenant le processus de réconciliation nationale engagé par le président Ouattara. Il a dit qu'il n'y aura pas d'impunité pour quelque massacre que ce soit ou pour quelque exaction que ce soit, quel que soit le camp qui en est à l'origine.
Q - Vous disiez hier que la France était prête à soumettre la résolution à un vote et à prendre le risque d'un veto russe, est-ce aussi la position de vos partenaires, en particulier des États-Unis, car ici à l'ONU, nous avons cru comprendre que les États-Unis sont très réticents à prendre le risque d'un veto ?
R - Ce n'est pas seulement la position de la France, c'est aussi la position du Royaume-Uni ainsi que celle de tous les pays qui soutiennent cette résolution, et il me semble bien qu'hier, Hillary Clinton a dit qu'elle partage la même position, mais c'est à elle de définir et d'exprimer la position américaine, bien sûr.
Q - Une question concernant le Comité 1267, on rapporte que celui-ci qui établit la liste des terroristes taliban et d'Al-Qaïda va être réduit de moitié et que le gouvernement afghan fait pression pour qu'un grand nombre de noms de talibans en soient retirés. Pouvez-vous me préciser la position de la France à ce sujet, et indiquer ce qu'il y a derrière les négociations en cours sur ce point, auxquelles la France participe d'ailleurs ?
R - Je pense qu'en Afghanistan il sera nécessaire de soutenir le processus de réconciliation entre les parties et d'avoir des discussions avec les Taliban, à condition que les Taliban se conforment à certaines conditions essentielles : renonciation à la violence bien sûr et adhésion à la Constitution afghane. Si ces conditions sont remplies, je pense qu'il sera nécessaire d'engager des discussions avec eux et nous sommes prêts à participer avec nos amis américains à un tel processus.
Q - Concernant les travaux sur la Déclaration de la lutte contre la pandémie du Sida, la France a donné hier son accord pour le traitement de 8 millions de personnes supplémentaires mais s'est opposée à un engagement ferme en termes financiers. Est-ce que la France fait marche arrière par rapport à ses objectifs de 2015 ?
R - Je ne suis pas au courant de ce point précis. J'ai rappelé les chiffres tout à l'heure, je crois que la France est le deuxième contributeur mondial en terme d'aide à la lutte contre le Sida, à la fois à l'ONUSIDA, à l'UNITAID, et au Fonds mondial, donc je crois que là-dessus nous sommes tout à fait exemplaires. Je n'ai pas observé que nous nous désengagions, au contraire.
Q - Concernant la proposition israélo-palestinienne, vous avez dit que Hillary Clinton avait émis quelques réserves, pourriez-vous préciser quelles sont les préoccupations américaines ? Et sans avoir examiné la proposition française dans le détail, est-ce que la France est d'avis que les négociations doivent commencer sur la base des frontières d'avant la guerre de 1967 ou y a-t-il d'autres conditions pour engager des négociations directes ?
R - Je vous renvoie à la déclaration faite par Hillary Clinton sur cette question, je pense qu'elle est la personne la plus indiquée pour commenter la position américaine. Nos amis américains sont, dans une certaine mesure, réticents à l'idée d'organiser une grande conférence internationale, si cette conférence n'est pas précédée d'un accord préalable entre les parties ; c'est exactement ce que nous avons proposé.
Nous pensons qu'il est nécessaire d'obtenir un accord de principe tant des Palestiniens que des Israéliens sur les bases de discussion que nous proposons. Nous travaillons donc toujours sur celles-ci et je pense qu'il y aura des développements favorables au cours des prochaines semaines. Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 2011