Conférence de presse de M. François Fillon, Premier ministre, sur les relations diplomatiques et économiques entre la France et l'Indonésie, la coopération universitaire et l'aménagement du temps de travail en France, à Jakarta le 1er juillet 2011.

Prononcé le 1er juillet 2011

Intervenant(s) : 

Circonstance : Visite du Premier ministre en Asie du Sud-Est : questions - réponses à l'université d'Indonésie, à Jarkarta le 1er juillet 2011

Texte intégral

Q- Bonjour Monsieur le Premier ministre. Je suis étudiante en 8e semestre au département de français de l’université d’Universitas Indonesia. Je voudrais vous poser une question : malgré la distance, l’Indonésie est un des pays qui a l’honneur de votre visite et quelle est donc l’importance de l’Indonésie pour la France ? Merci.
Je crois que le président Yudhoyono a coutume de dire qu’il souhaite que l’Indonésie, je le cite, ait zéro ennemi et un millier d’amis !
Et bien, la France souhaite aujourd’hui être l’un des tout premiers amis de l’Indonésie, c’est tout le sens de la visite que j’ai décidée d’effectuer aujourd’hui à Jakarta et c’est surtout tout le sens du partenariat stratégique que nous allons signer cet après-midi.
J’ai eu l’occasion de le dire dans mon propos.
L’Indonésie est devenue un acteur majeur en Asie, un acteur majeur sur la scène internationale et c’est vrai que dans les relations entre les États, en particulier avec les vieilles démocraties européennes, nous avons des habitudes et lorsque surgissent de nouveaux acteurs, lorsque surgissent de nouvelles puissances économiques, lorsque surgissent de nouvelles puissances politiques, il faut parfois un petit temps d’adaptation à notre logiciel diplomatique et économique pour s’adapter à cette nouvelle réalité.
C’est ce que je suis venu faire aujourd’hui : remettre à jour le logiciel diplomatique et économique français, faire une sorte de "reset" sur notre ordinateur pour qu’il prenne en compte la réalité de l’arrivée sur la scène internationale du quatrième pays au monde par sa population, un pays dont la croissance économique est en train de bouleverser tous les pronostics et enfin, un pays qui a démontré par les réformes qu’il a engagées et en particulier par le choix qu’il a fait de la démocratie qu’il va compter parmi les toutes premières puissances du monde au XXIe siècle.
L’Indonésie est devenue un acteur majeur en Asie et donc nous, nous avons décidé de placer l’Indonésie sur le même pied de relation que des pays comme la Chine, comme l’Inde ou comme le Japon.
L’Indonésie est un pays dont nous apprécions particulièrement les prises de position sur la scène internationale qu’il s’agisse de faciliter le règlement pacifique des différends, qu’il s’agisse de son engagement très courageux sur le changement climatique ou encore qu’il s’agisse de la création du forum régional de Bali pour la démocratie.
Nous allons donc renforcer nos échanges dans tous les secteurs et de façon systématique, d’abord en matière culturelle et en matière d’échanges dans le domaine de l’éducation. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à venir m’exprimer ici devant des étudiants et des enseignants indonésiens. Nous voulons qu’il y ait plus d’échanges entre les universités françaises et les universités indonésiennes.
Ca sera d’ailleurs beaucoup plus facile vu que nous avons dans notre pays profondément réformé notre système universitaire en donnant aux universités françaises une autonomie complète qui va leur permettre de nouer tous les partenariats qu’elles souhaiteront nouer.
Nous voulons accroître la coopération en matière culturelle, c’est la raison de la présence ici de Frédéric Mitterrand qui est le ministre de la Culture de mon gouvernement.
Il y a beaucoup de domaines où les échanges culturels entre la France et l’Indonésie peuvent être accrus.
Nous avons exploré tout à l’heure un domaine très important qui est celui du cinéma et de la création audiovisuelle. La France a un grand savoir-faire dans ce domaine, des artistes de renom, des écoles puissantes.
L’Indonésie a une passion pour le cinéma et a une industrie cinématographique qui est en pleine croissance. C’est vraiment un secteur où nous pouvons créer ensemble des synergies.
Et puis, enfin, j’ai amené avec moi aujourd’hui plus de 25 grandes entreprises françaises que nous voulons voir se développer en Indonésie, dans le cadre de partenariats permettant de transférer des technologies, permettant de partager des marchés en Asie du Sud-Est.
Je pense à plusieurs secteurs qui sont des secteurs d’excellence pour notre pays, qui sont des secteurs pour lesquels l’Indonésie a beaucoup de besoins : l’énergie sous toutes ses formes ; les infrastructures ; le transport ; la question de la distribution de l’eau et du traitement de l’eau où les entreprises françaises sont au premier rang mondial.
Nous avons déjà d’ailleurs une centaine d’entreprises françaises qui sont implantées en Indonésie et ce que nous voulons, c’est augmenter ces partenariats industriels et technologiques et enfin, nous voulons que la France soit un acteur privilégié du dialogue qui est en train de s’instaurer entre l’Indonésie et l’Union européenne et nous voudrions surtout que l’Union européenne et l’ASEAN puissent jeter un pont qui permettrait un dialogue politique et un dialogue économique accru entre les deux puissances qui par bien des aspects partagent beaucoup de valeurs et beaucoup d’objectifs communs.
Je sais que l’Europe n’est pas toujours facile à comprendre vue de loin.
En réalité, l’Europe, c’est aussi compliqué que l’ASEAN. Cela consiste à faire vivre ensemble des peuples qui ont des traditions différentes, qui ont des histoires différentes et s’agissant de l’Europe, des peuples qui ont été des ennemis farouches pendant des siècles et des siècles et qui ont choisi au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale de se rassembler pour faire la paix.
Mais aujourd’hui, l’Europe, c’est beaucoup plus qu’une alliance entre des pays qui ont décidé de faire la paix. L’Europe aujourd’hui, c’est une grande puissance économique mondiale, c’est même la première puissance économique mondiale si l’on ajoute l’ensemble des produits intérieurs bruts des différents pays qui composent l’Europe et c’est l’apprentissage quotidien du dialogue et du compromis à 27.
27 pays européens qui doivent se mettre d’accord sur tout, c’est très difficile, c’est très compliqué, mais en même temps, ça progresse et on s’aperçoit que face aux crises que nous venons de connaître, l’Europe a toujours réussi à surmonter les difficultés.
Je veux rappeler que c’est l’Europe qui a stoppé la crise systémique financière qui avait démarré avec la faillite de la banque Lehman Brothers.
Les Etats-Unis avaient cru que l’on pouvait laisser une banque faire faillite et que ça n’aurait pas de conséquence. En réalité, cette faute d’appréciation du gouvernement américain a conduit à une crise économique et mondiale dont les conséquences ont été désastreuses. Mais cette crise, nous en avons limité les effets en stoppant la contagion au système bancaire.
Le jour où les dirigeants européens à l’Élysée, à Paris, ont affirmé d’une seule voix "il n’y aura pas de faillite de banques en Europe parce que les États vont garantir les fonds des établissements bancaires", à ce moment là, on a stoppé la crise systémique qui était en train de se développer.
Et puis, ensuite, quand le Portugal a été en difficulté du fait de son endettement, l’Europe a soutenu le Portugal.
Et puis quand l’Irlande a été en difficulté du fait des erreurs qui avaient été commises par ces banques, l’Europe a apporté une solution à la question de la crise financière en Irlande.
Et maintenant, l’Europe soutient la Grèce malgré toutes les difficultés parce que la Grèce appartient à l’Union européenne, parce que la Grèce appartient à la zone euro et donc les pays européens seront solidaires de la Grèce pour éviter qu’elle ne connaisse à son tour le drame d’une faillite financière. Voilà tout ça pour vous dire que l’Europe, on peut la regarder comme un ensemble très compliqué à faire fonctionner et c’est la réalité, mais on peut aussi la regarder comme une véritable réussite à la fois en termes de paix et en termes de réussite économique.
Q- Bonjour monsieur le Premier ministre. Je suis la Présidente de l’association des professeurs de français d’Indonésie, à Jakarta. Et je suis aussi enseignante de l’Universitas Jakarta. Jusqu’à présent la coopération dans le domaine de l’éducation, est en priorité plutôt scientifique. Or la France est connue comme un pays riche, en culture et en littérature. Nous aimerions savoir quand le gouvernement français donnera le privilège à la discipline des langues, de la littérature et de la civilisation française en Indonésie. Merci monsieur.
D’abord j’ai envie de vous répondre que c’est à vous de choisir les secteurs de coopération que vous voulez privilégier avec les universités françaises.
C’est vrai que la France est un pays doté d’une culture extrêmement riche, en même temps un pays d’innovation scientifique et technologique.
Je ne néglige pas le fait qu’ici en Indonésie les sciences humaines et sociales représentent près d’un tiers des étudiants indonésiens qui sont venus en France en 2010.
Pour les étudiants de Universitas Indonesia par exemple, on me dit qu’il est possible de bénéficier des accords universitaires qui ont été établis en économie avec les universités françaises de Rennes 1. Il y a d’ailleurs je crois un double diplôme en finances publiques qui a été mis en œuvre depuis 2009, avec l’institut de l’administration des entreprises de Grenoble, avec un master de 18 mois, moitié en langue anglaise, moitié en langue française.
Il existe d’autres accords universitaires qui permettent d’étudier en littérature avec l’université de La Rochelle, en sciences politiques avec Sciences Pô Paris, ou encore dans le domaine du tourisme et de la gestion du patrimoine culturelle avec l’université Paris I, et avec l’université d’Angers.
Enfin la France dispose, ici même en Indonésie, d’un réseau culturel de quatre centres, Jakarta, Bandung, Yogyarkarta et Surabaya, et de deux alliances françaises à Kalimantan et à Bali qui répondent à une demande de plus de dix mille inscriptions d’étudiants par an.
Nous allons d’ailleurs fédérer tous ces établissements dans un établissement unique qui s’appellera l’Institut français d’Indonésie.
Mais vraiment les universités françaises sont totalement ouvertes aux demandes de coopération et d’accord qui émaneraient des universités indonésiennes.
Et comme je vous l’ai indiqué il y a un instant, désormais, les universités françaises sont totalement libres de passer les partenariats qu’elles souhaitent avec les universités du monde entier.
C’est une grande réforme que nos avons porté avec le Président de la République, et avec le gouvernement que j’ai l’honneur de conduire. Et c’est une réforme qui est en soi une réponse à votre question puisque désormais c’est votre liberté, c’est votre initiative, de passer les accords que vous voulez avec les universités françaises que vous choisissez.
Q- Bonjour monsieur le Premier ministre. Je suis étudiant, et je vais continuer mes études en France grâce à une bourse du ministère de l’Education nationale de la République indonésienne. J’ai une question à vous poser sur la loi des 35 heures dont vous êtes l’un des acteurs principal, si je ne me trompe pas. J’aimerais savoir la situation actuelle du monde du travail en France concernant l’application de la loi des 35 heures. Merci.
D’abord, je voudrais rectifier tout de suite votre information. Je ne suis pas le créateur de la loi sur les 35 heures. Je fais même partie de ceux qui depuis quelques années essayent d’en limiter les effets, et les dégâts.
Il y a quelques années, en France, une idée assez générale courait, pour faire face au chômage, qui est assez important dans les économies européennes, et en particulier dans l’économie française : il fallait partager le travail.
Au fond, beaucoup d’économistes, beaucoup d’hommes politiques raisonnaient comme si la capacité de production de notre pays était figée une fois pour toute, et pour permettre à tout le monde de trouver un travail, dans un cadre qui était figé, il fallait diviser le travail, diviser les horaires de travail, partager le travail.
Et cette idée a eu deux applications.
La première a été la réduction à 35 heures du temps de travail hebdomadaire à partir des années 2000, et l’autre conséquence, qui est plus ancienne, consistait à mettre en retraite de plus en plus tôt des travailleurs lorsqu’il y avait une difficulté sociale dans une entreprise.
Au fond, quand une entreprise était en difficulté, un des moyens de réduire ses dépenses, de réduire ses effectifs, consistait à faire partir à la retraite des hommes et des femmes qui avaient 50, 51, 52, 53, 55 ans.
Cela a été une grave erreur.
Cela a été une grave erreur pour l’économie française, parce que ça a contribué à affaiblir la compétitivité de l’économie française par rapport aux autres économies européennes. Et deuxièmement cela a consisté à priver l’économie française de personnes qualifiées, notamment les salariés de plus de 50 ans, qui connaissaient des métiers, qui avaient un savoir-faire, qui avaient une expérience, et qui se sont retrouvés en retraite, privant leurs entreprises et privant notre économie de cette expérience.
Nous avons décidé de rompre radicalement avec cette stratégie depuis plusieurs années.
Nous l’avons fait d’abord en permettant aux salariés qui veulent faire plus de 35 heures, c’est-à-dire qui font des heures supplémentaires, de ne pas payer d’impôts et de charges, sur ces heures supplémentaires. Nous avons défiscalisé les heures supplémentaires pour inciter les entreprises et inciter les salariés à faire plus d’heures supplémentaires. Ca a été un vrai succès, puisqu’il y a aujourd’hui un volume d’heures supplémentaires très important dans notre pays.
Et puis deuxièmement, nous avons mis en place une plus grande liberté de négociation dans les entreprises, sur le temps de travail.
Désormais les salariés, les organisations syndicales et les patrons dans les entreprises peuvent débattre librement et conclure des accords pour fixer le niveau du temps de travail.
Le résultat de tout cela, c’est qu’aujourd’hui le temps de travail réel en France, le temps de travail effectif est autour de 39 heures.
Il n’est donc pas de 35 heures comme la loi l’a prévue à l’origine.
On va continuer à assouplir ces dispositifs avec un objectif qui est de donner la plus grande liberté possible aux salariés et aux entrepreneurs pour adapter le temps de travail à l’activité économique et aux besoins de chacun.
Et avec un deuxième objectif qui est de nous rapprocher toujours de notre voisin allemand. Les Allemands dont l’économie était moins compétitive que l’économie française il y a une quinzaine d’années, sont passés devant nous notamment parce que nous nous avons suivi cette voie erronée des 35 heures alors que eux-mêmes, pendant cette même période faisaient des efforts pour contenir l’augmentation des salaires, pour augmenter un petit peu le temps de travail, pour améliorer leur compétitivité.
Aujourd’hui il y a un impératif pour tous les pays européens, et en particulier pour la France : cet impératif, c’est dans la zone euro, puisque nous avons la même monnaie, d’avoir les mêmes règles en matière de durée de travail, en matière d’âge de retraite, et progressivement en matière de fiscalité.
Et c’est tout l’effort que nous devrons faire pendant les prochaines années.
C’est d’ailleurs dans cet esprit que le président de la République française se bat avec beaucoup d’énergie pour que l’on mette en place un gouvernement économique de la zone euro. Et le gouvernement économique de la zone euro, il aura notamment pour objectif de pousser à une harmonisation des conditions de travail, des conditions sociales, des conditions fiscales à l’intérieur de cette zone euro.
Donc voyez, les 35 heures, c’était une mauvaise idée. Ce n’est plus une réalité aujourd’hui dans l’économie française. Ca ne veut pas dire naturellement qu’on ne doive pas chercher à limiter le temps de travail. Les progrès de l’humanité ont été vers une limitation du temps de travail, mais simplement il faut que cette limitation du temps de travail elle soit compatible avec la compétition économique et en particulier avec la compétition économique en Europe.
Source http://www.gouvernement.fr, le 4 juillet 2011