Texte intégral
Le marchand de journaux est un acteur du lien social ; il anime un lieu de sociabilité et de rencontres irremplaçable. Un kiosque qui ouvre ou qui renaît, cest un nouvel espace et une chance pour lexercice de la démocratie. Vous laurez compris, la proposition de loi que nous examinons aujourdhui revêt à mes yeux une signification culturelle et politique non négligeable : à lère de «lentre-soi » souvent analysé par les travaux des sociologues, cest un signal fort en faveur de la culture de lécrit, de la proximité, qui doivent pouvoir garder toute leur place face à lavènement de ce que certains appellent une « société des écrans».
Vous examinez, Mesdames et Messieurs les Députés, une proposition de loi sur un sujet qui est au coeur des préoccupations des professionnels de la presse et des pouvoirs publics : l'amélioration du système de distribution de la presse écrite dans notre pays qui doit redonner la vitalité indispensable à un réseau de vente au service dune offre pluraliste et diversifiée.
Malgré le développement récent de nouveaux modes de diffusion de l'information sur des supports numériques, la presse n'a pas abandonné, loin de là, le support papier. Il demeure un support essentiel de diffusion des idées et des opinions auprès de chacun de nos concitoyens, notamment ceux qui n'ont pas accès à Internet, ou tout ceux qui restent très attachés au support physique. La matérialité du papier pose la question de la viabilité économique de sa distribution. Vous le savez, celle-ci est encore en grande difficulté malgré les efforts conjugués de lÉtat et de la profession.
Le recul des ventes de la presse réalisées par les diffuseurs de presse en 2010 est particulièrement préoccupant. Pour prendre un exemple, les ventes au numéro de la presse quotidienne ont reculé de plus de 8% en 2010, contre -5,3% en 2009. Cette forte baisse s'explique non seulement par la disparition de nombreux titres de presse, touchés de plein fouet par la crise - 37 titres ont disparu en 2010 - mais aussi par la diminution à la fois du nombre et de lactivité des points de vente de la presse au numéro, plus particulièrement les points de vente spécialisés.
Après sêtre redressé en 2009, le réseau des points de vente a enregistré un nouveau un solde négatif de 455 points de vente en 2010. Ce recul se conjugue malheureusement à une tendance à l'appauvrissement de l'offre, puisque les créations se sont surtout concentrées sur les points de vente complémentaires à offre réduite dont le volume daffaires représente en moyenne un dixième de celui dun vendeur spécialisé. Globalement, l'activité du réseau de la vente est en diminution de plus de 6% toutes messageries confondues, avec un décrochage de près de 8% pour les quotidiens et un fléchissement de -4,4% pour les magazines.
Le recul persistant des ventes ne fait ainsi que rajouter à des difficultés inhérentes au système français. Les origines de ces difficultés ont été examinées dans le détail à loccasion des Etats généraux de la presse écrite. Elles sont essentiellement liées à un déséquilibre dans la répartition de la valeur entre les différents niveaux de la chaine de distribution : messageries de presse, dépositaires régionaux, et diffuseurs.
Comme jai souvent eu loccasion de le rappeler à la profession, nous nous attachons à poursuivre une politique volontariste en faveur des diffuseurs de presse, dont le développement reste une des conditions prioritaires du redressement des ventes de la presse.
Je prendrai pour exemple le soutien exceptionnel de lÉtat aux diffuseurs spécialisés, que mes services s'apprêtent à reconduire. Ou encore le plan de développement des kiosques, commerce culturel de proximité par excellence, puissant outil en faveur du lien social, qui a conduit à la signature le 22 mars dernier d'une convention entre le ministère de la Culture et de la Communication, le Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP) et l'Association des Maires de France (AMF). Son objectif est de parvenir à la création en France de 300 nouveaux kiosques en trois ans, pour une progression d'environ 40%.
La revalorisation du métier de diffuseur reste lobjectif prioritaire du Gouvernement. Ce dernier est au coeur de la relation que les éditeurs de presse entretiennent avec leurs lecteurs. Son rôle dans ce lien si singulier, dans ce véritable pacte de lecture entre la presse et ses lecteurs, ne peut être envisagé indépendamment de la question de la distribution de la presse dans son ensemble.
Comme vous l'avez dit, Monsieur le rapporteur, la modernisation de la distribution de la presse vendue au numéro et son indispensable régulation sinscrivent dans le cadre du système coopératif instauré par la loi Bichet du 2 avril 1947. Ce fut l'un des grands chantiers des États généraux de la presse écrite, qui se sont tenus d'octobre 2008 à janvier 2009.
En clôturant les États généraux le 23 janvier 2009, le Président de la République s'est prononcé en faveur d'une réforme ambitieuse de l'instance de régulation. Cette dernière devait se traduire dans la révision de sa composition, de ses compétences et le renforcement de son indépendance. Il a alors demandé à M. Bruno Lasserre, Président de l'Autorité de la Concurrence, de lui remettre des propositions dans ce sens.
Dans son rapport, Bruno Lasserre recommandait la création d'une autorité administrative indépendante sous la forme d'un collège resserré de cinq membres, seul cadre adapté permettant selon lui dexercer à la fois une mission de régulation sectorielle efficace et une mission de règlement des différends non contestable.
Dans le schéma préconisé, les membres du collège n'avaient aucun lien avec les intérêts du secteur. Les professionnels ne devaient intervenir qu'au sein de commissions consultatives statutaires et de groupes de travail pour préparer les décisions de l'instance collégiale. Le choix d'une autorité administrative indépendante traduisait clairement un ancrage de la régulation dans la sphère publique, indépendante à la fois de lÉtat et des entreprises concernés par la régulation. Si ce choix représentait une réelle innovation pour le secteur de la distribution de la presse, il ne l'était pas au regard du mode de régulation adopté dans des secteurs aussi différents que l'audiovisuel à travers le CSA -, les télécommunications et les postes à travers lARCEP -, l'énergie à travers la CRE - ou les marchés financiers, à travers lAMF.
La profession dans son ensemble a cependant exprimé ses réticences à l'égard de ce mode de régulation. Elle lestimait susceptible de déstabiliser un secteur déjà fragilisé. Elle le considérait comme un frein dans la mise en oeuvre des réformes importantes engagées par la profession sous l'égide du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) à l'issue des États généraux de la presse écrite.
Selon la profession, la régulation du secteur par une seule autorité administrative indépendante dans laquelle le pouvoir de décision et lexpertise échapperaientt aux éditeurs ne constituerait pas la meilleure réponse face aux évolutions, quelle considère pourtant indispensables, du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau.
Sous l'égide du ministère de la Culture et de la Communication, la concertation s'est donc poursuivie entre les éditeurs et le Conseil supérieur des messageries de presse afin de définir une voie médiane, une position équilibrée, tenant compte à la fois des recommandations du Livre vert des États généraux de la presse écrite et des préconisations du rapport de M. Bruno Lasserre.
Cette voie médiane de régulation du secteur est plus sage et plus respectueuse des équilibres qui ont été à lorigine du développement de la presse ces cinquante dernières années, en contribuant à lirrigation des quotidiens et des magazines dinformation sur lensemble du territoire Cest cette voie que la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat sest proposée de suivre dans la proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse présentée par son Président, M. Jacques Legendre. C'est également cette solution dont vous allez débattre aujourd'hui.
Elle associe étroitement un collège professionnel - le Conseil supérieur des messageries de presse rénové - et une autorité administrative indépendante, en donnant une définition précise des missions et des compétences de chacun.
Elle entend répondre au souhait de la profession de conserver son indispensable expertise sur la régulation de la distribution de la presse. Elle entend aussi répondre à la nécessité d'un contrôle objectif des décisions de l'instance professionnelle et d'un arbitrage des différends par une autorité indépendante.
Le Sénat est ainsi parvenu à un texte équilibré, à l'issue d'une large concertation qui a permis à tous les acteurs du secteur de faire valoir leurs positions.
Je tiens à rendre hommage à la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de votre Assemblée qui a oeuvré pour que cette recherche d'équilibre puisse être approuvée également la l'Assemblée nationale, dans les termes votés par le Sénat. Cette proposition de vote conforme révèle le souci du Parlement de voir cette nouvelle organisation de la distribution de la presse entrer en application dès que possible, sans risquer d'être repoussée par le calendrier des différentes échéances politiques et électorales qui approchent.
Vous laurez compris, Mesdames et Messieurs les députés, japporte mon plein soutien à cette démarche en vue d'une meilleure régulation du système de distribution de la presse, et jy attache une importance toute particulière. À travers une régulation plus efficace de la vente au numéro, nous parviendrons à poser les bases dune adaptation de la chaîne de distribution aux nouveaux enjeux de léconomie numérique et de linformation en temps réel.
Le contexte de la distribution de la presse a évolué très sensiblement ces dernières semaines. Les perspectives actuellement débattues rendent d'autant plus indispensable la mise en place d'un cadre juridique rénové, solide, qui garantisse que ces évolutions soient conformes aux principes fondamentaux de la Loi Bichet auxquels nous sommes tous attachés. Rien en effet, dans cette proposition ne remet en cause les fondements de la loi, qui proclame que "La diffusion de la presse imprimée est libre" et qui confère aux éditeurs la maîtrise de la distribution de leurs journaux et publications dans le cadre de règles démocratiques, et impartiales et dune équité de traitement garante du pluralisme de linformation.
Le CSMP, lors de son assemblée générale du 18 mai 2011, a validé la proposition de sa commission des bonnes pratiques professionnelles visant à abandonner progressivement la rémunération ad valorem des dépositaires de presse en adoptant un barème en « unités doeuvres », notamment pour les missions logistique et de transport. Cette nouvelle règle de calcul de la rémunération des dépositaires, qui me paraît davantage conforme à la réalité du travail de ces professionnels, nécessite d'abroger les dispositions de l'article 11 de la loi du 27 janvier 1987, ce qui est prévu dans la proposition de loi. Le Parlement accompagne ainsi la réorganisation du secteur, qui a besoin de revaloriser les métiers à chaque maillon de la chaîne de distribution.
Par ailleurs, l'assemblée générale de Presstalis qui a eu lieu le 30 juin dernier a marqué un tournant décisif pour le premier distributeur de presse en France. L'opérateur historique Lagardère, qui détenait 49 % du capital, officialise son départ annoncé depuis la fin du mois de mai. Ce sont désormais les éditeurs de presse qui assurent la gouvernance de l'entreprise via leurs deux coopératives : celle des magazines (75 % du capital) et celle des quotidiens (25 %), proportionnellement au chiffre d'affaires apporté à la messagerie. Dans ce nouveau cadre, le CSMP devra jouer pleinement son rôle d'instance professionnelle de régulation.
Dans cette période de remise en cause des équilibres qui ont régi le secteur durant plusieurs décennies, lensemble des professionnels de la presse, des messageries jusquaux diffuseurs, en passant par les dépositaires, ont besoin dun outil de référence solide sur lequel sappuyer.
Mesdames et Messieurs les députés, dans le cadre de cette proposition de loi, cest un « juste milieu » que je vous invite à suivre et considérer. À mes yeux, ce nest ni un acte de faiblesse, ni une preuve dindécision vis-à-vis dun secteur qui doit mobiliser toute notre attention. Cest au contraire la recherche dune décision déquilibre et de clairvoyance. Elle conforte les conditions dun traitement équitable des publications, préserve le principe de péréquation des coûts en renforçant les conditions de mise en oeuvre de principes qui garantissent une égalité de traitement dans le respect du pluralisme de la presse et au bénéfice de ses lecteurs. Cest une décision qui ménage donc les grands héritages démocratiques issus de la Libération ; une décision qui garantit aussi le développement économique et les voies de lavenir pour la distribution de la presse, medium essentiel, sil en est, pour le débat et la démocratie dans notre pays.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 7 juillet 2011