Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à Europe 1 le 8 janvier 2001, sur le refus de la CFDT de l'exonération de la CSG sur les bas salaires, l'augmentation du SMIC, la manifestation pour les retraites et le projet de loi de modernisation sociale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Vous serez dans deux heures aux voeux du Président de la République. J'ai envie de vous demander comment profiter de cette courte saison des voeux, des promesses et des bijou. 3 % de croissance au moins prévue dans l'année, plus 3 grandes élections en quinze mois. Est-ce que c'est bon pour le social ?
- "En règle générale, on sait bien - l'expérience le prouve - que les périodes électorales s'accompagnent d'un petit ralentissement de l'activité de la puissance publique. Au demeurant, je crois que rien n'empêche et rien n'impose que les questions, qui sont des questions aujourd'hui très importantes - je pense à l'enjeu que constitue le plein-emploi, je pense à l'enjeu que constitue l'avenir de retraites et bien d'autres questions - nécessitent que les actions, les décisions qui doivent être prises le soit."
C'est casse-gueule pour celui qui gouverne ?
- "Pourquoi est-ce que ce serait casse-gueule, comme vous dites ? En tout cas, je n'ai pas d'exemples historiques qui montrent qu'un Gouvernement qui aurait pris des responsabilités, que l'ensemble des citoyens et des salariés attendent, aurait eu des retombées négatives."
C'est justement peut-être pour cela qu'il n'y a pas d'exemples dans l'histoire ! C'est une forme de prudence et on pense que les vraies réformes sociales ne sont pas possibles dans des périodes électorales déterminantes ?
- "Si elles ne sont pas possibles avant, si elles ne sont pas toujours possibles pendant, on va finir par ne plus agir du tout. Je crois qu'il faut se garder de ce comportement qui n'est pas bon pour les problèmes que nous avons à résoudre."
Donc, le Président de la République a demandé pour 2001 - il va peut-être le répéter tout à l'heure - une "année utile." Le Premier ministre, lui, promet que le Gouvernement travaillera sans immobilisme. Devant ce mélange d'injonctions et de promesses armées, qui croyez-vous ? Que demandez-vous ?
- "Nous allons rester un peu en dehors de ce jeu qui consiste à se renvoyer la balle ou à jouer au ping-pong entre le Président et le Premier ministre. Nous avons tout simplement un certain nombre de chantiers sur lesquels nous attendons que les questions qui se posent trouvent leurs réponses. Voilà ce que nous demandons au Gouvernement."
Mais vous dites qu'il ne faut pas laisser traîner les choses. Il faut agir, il faut décider, il ne faut pas attendre. Il y a des grands secteurs pour lesquels on peut attendre ou on y va ?
- "Il faut agir, il faut décider mais agir et décider ne relève pas toujours d'une expérience ou d'une action à hauts risques."
Cette semaine - on va prendre des exemples - peut-être demain, le Premier ministre va inventer la solution qui rétablit ou créé la ristourne de la CSG sur les bas salaires annulée récemment - à la mi-décembre - par le Conseil constitutionnel. Est-ce que vous demandez au Premier ministre de choisir soit Guigou - c'est-à-dire une hausse du Smic avec un certain nombre de mesures qui accompagnent - soit Fabius et la CSG remboursée plus tard, ou de les combiner Fabius plus Guigou ?
- "Avant de revenir à la solution, il faut peut-être se demander qu'elle est la question et le problème qu'on veut résoudre. Or, il me semble que le Gouvernement a voulu poursuivre plusieurs lièvres à la fois en utilisant l'exonération de la CSG jusqu'à 1,4 fois le Smic, pour répondre à quoi ? Il avait à la fois envie de baisser les prélèvements obligatoires, il avait à la fois envie de renforcer le pouvoir d'achat des bas salaires en utilisant la CSG pendant qu'il baissait les impôts de ceux qui payaient des impôts. Et il voulait aussi - et ça c'est une vraie question et il me semble que c'est la vraie question - faciliter le retour à l'emploi pour ceux qui sont dans la solidarité nationale, qui touchent des minima sociaux et pour qui le retour à l'emploi n'est pas toujours un avantage fantastique sur le plan matériel."
Alors aujourd'hui ?
- "Il faut, me semble-t-il, aller vers une solution qui soit la plus simple possible et qui corresponde seulement à un objectif."
Lequel ?
- "Nous avons été très déçus de ce qui avait été fait sur la CSG. Nous tenons à la Contribution Sociale Généralisée qui, si elle est un impôt, n'est pas un impôt comme les autres. Il est universel et est affecté au financement de l'assurance-maladie en priorité. C'est lisible, c'est citoyen. Il faut - par pitié ! - que cela reste dans notre paysage fiscal et social français en terme de financement."
Concrètement ?
- "Ne touchons pas à la CSG, ne la bricolons pas. Par contre, le Gouvernement peut tout à fait concevoir que dans le cadre d'une redistribution fiscale qui est complètement de la responsabilité des pouvoirs publics, il vienne, pour un certain nombre de ménages qui ont en-dessous d'un certain niveau de revenu, apporter un remboursement de cotisations que les salariés ont fait. Nous sommes plutôt favorables à cette mesure parce que c'est une mesure qui est lisible, forte du point de vue des salariés qui s'apercevront de quoi il s'agit. Elle produit le même effet en terme d'évolution du pouvoir d'achat. Peut-être ne viendra-t-elle pas si vite que ce qui était prévu mais de toute façon, c'est râpé. Le Conseil constitutionnel a annulé ; il faut maintenant reprendre une autre solution. Prenons le temps de construire une solution qui soit bien assise."
C'est une bonne mesure sociale, comme vous dites, d'attendre, mais est-ce que les salariés vont attendre ? Et politiquement, avec les municipales, est-ce que c'est bien ?
- "Mais pourquoi voulez-vous que les salariés ne comprennent pas, si on leur explique bien, le problème devant lequel est le Gouvernement, la décision qui pourrait être la sienne de prendre le temps de construire quelque chose de sérieux où les salariés ne seront pas floués puisque ce qu'ils n'auront peut-être pas tous les mois, pendant quelques mois, ils le recevront en une seule fois ? Ils s'en apercevront."
A gauche, il y a d'autres objectifs et d'autres visions. Par exemple, M. Hue demande une augmentation du Smic de 3,2 % dès le 1er février ; M. Emmanuelli, aujourd'hui dans Les Echos dit 2,5 le plus vite possible. Donc, cette solution, même si elle a des partisans dans la gauche plurielle, ne vous convainc pas dans l'intérêt des salariés ?
- "L'augmentation du Smic a un effet immédiat pour ceux qui en bénéficient mais en même temps, elle s'accompagne d'une réduction de la cotisation retraite pour baisser le coût qui serait imposé aux entreprises en augmentant le Smic. Et on voit bien qu'à nouveau, on construit quelque chose qui devient illisible. Les cotisations retraite sont faites pour financer les retraites. Laissons-leur cet objectif-là et ne construisons pas des financements croisés, où on ne sait plus qui finance quoi des salariés ou de l'Etat."
Je peux vous demander si vous êtes informée, si quelqu'un vous téléphone, si quelqu'un vous voit ou si vous voyez quelqu'un là-dessus ?
- "A ce jour, je ne suis pas dans les confidences et je ne suis pas informée de la décision que le Gouvernement s'apprête à prendre. Peut-être d'ailleurs n'est-il pas encore complètement décidé sur sa décision."
Vous avez donné votre accord pour la manifestation intersyndiacle prévue le 25 janvier pour les retraites complémentaires. Cela s'adresse au Gouvernement ou au Medef, pour qu'ils reprennent la négociation sur la retraite à 60 ans ?
- "Cela s'adresse à la partie patronale pour réouvrir les négociations et trouver une solution à une négociation qui est aujourd'hui bloquée. Bloquée ne veut pas dire à mes yeux qu'elle est dans l'impasse. Il faut en tout cas rapidement trouver un accord pour une question à court terme : assurer à tous les salariés du privé qui vont partir en retraite qu'ils ne vont pas subir des abattements - moins 22 %, ce n'est pas imaginable ; s'il n'y a pas d'accords c'est le risque que nous courons. Il faut donc rapidement trouver un accord."
S'il n'y a pas d'accord d'ici à mars, à ce moment-là le Gouvernement - d'ailleurs E. Guigou le disait hier sur France 3 - pourrait intervenir ou aurait à intervenir ?
- "Oui, mais ce serait quand même un échec. Je souhaite aujourd'hui, et c'est le sens de la journée du 25 janvier, que l'on se mobilise dans les entreprises avec les salariés du privé pour obtenir la réouverture de négociations et des réponses aux questions qui se posent aujourd'hui."
La retraite à 60 ans, c'est un acquis. Pour la CFDT, est-ce que c'est un dogme, un tabou inattaquable ?
- "La retraite à 60 ans est vraie pour tous ceux qui auront cotisé 40 ans à 60 ans. Tous ceux qui n'ont pas encore cotisé 40 ans à 60 ans savent bien qu'aujourd'hui ils ne peuvent pas prendre leur retraite à taux plein à 60 ans. Il faut travailler plus loin. Nous demandons - c'est dans le cadre d'une réforme globale qui concerne le régime général comme le régime complémentaire - que dès que les 40 ans sont cotisés, les salariés puissent avoir accès à la retraite à taux plein."
Même s'il n'ont pas 60 ans ?
- "Même s'ils n'ont pas 60 ans."
La CFDT dit que cela touche à peu près 300 000 salariés ?
- "Ce n'est donc pas une bagatelle."
Vous avez une deuxième revendication - je ne sais pas si elle tient toujours - : aujourd'hui, comme à l'époque des corporations et des métiers, il y a 116 caisses de retraites. Vous demandez que les 116 soient peu à peu réduites à une vingtaine. Ce serait une révolution ou c'est un rêve ou une utopie ?
- "Non. C'est une réforme à laquelle on travaille justement dans cette négociation avec les parties patronales et les syndicats, pour simplement simplifier la vie du salarié. Cela s'explique par le fait que des caisses ont été construites progressivement. La retraite complémentaire n'est pas venue d'un coup. Donc, maintenant il faut simplifier, progressivement d'ailleurs. Je pense que c'est une voie possible que l'on peut déjà acter. On peut faire des pas dans la négociation, qui je l'espère va s'ouvrir."
Avant 2002 ?
- "Oui, bien sûr."
Les députés vont plancher sur la modernisation sociale : pas de plan social, pas de licenciement à la E. Michelin il y a quelques mois sur les 35 heures, sans contrôle. Qu'est-ce que c'est que la modernisation sociale pour la CFDT ?
- "Pour prendre cet exemple Michelin, nous avons devancé cet amendement puisque dans cette entreprise, où le moins qu'on puisse dire c'est que la relation n'y était pas très développée et très performante, il semblerait qu'une nouvelle période s'ouvre : on négocie. Déjà un comité de groupe européen a été créé. La négociation sur la réduction de la durée du travail s'est ouverte et elle est sur le point de se conclure avec, sans doute, un référendum d'entreprise. C'est difficile, ça grince, c'est normal. J'ai bon espoir qu'on aboutisse et qu'on change enfin les relations sociales dans cette entreprise."
E. Guigou, c'est un style un tempérament. M. Aubry c'est un style, un caractère ou un tempérament. Vous les avez pratiquées et vous les pratiquez toutes les deux : qu'est-ce qui fait la différence entre elles ?
- "Peut-être le changement de contexte, le changement d'époque. Pour l'heure, E. Guigou s'attache à beaucoup écouter, à beaucoup consulter . C'est donc la phase où tout va bien. On verra lorsque le moment des décisions viendront."
Vous ne vous engagez pas beaucoup...
- "Non, parce que je n'ai pas l'habitude de m'engager sans avoir véritablement pris la mesure des réalités de personnes."
M. Aubry et vous, vous vous tutoyez. Avec E. Guigou...
"Avec E. Guigou aussi. Je les connais depuis longtemps. Ce n'est pas parce qu'on se tutoie qu'on s'entend à tous les coups."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 janvier 2001)