Texte intégral
Q - Le ministre des Affaires étrangères est donc notre invité. Bonjour Alain Juppé.
R - Bonjour.
Q - Nicolas Sarkozy est arrivé en Afghanistan, ce matin. Il vient d'annoncer le retrait d'un millier de soldats français avant fin 2012. Le calendrier a changé. C'était initialement entre fin 2011, début 2012. Pourquoi ce changement ?
R - Si le calendrier initial était fin 2011-2012, il n'y a pas de changement.
Q - Si, puisque c'est fin 2012.
R - Ce n'est pas ce qu'a dit le président de la République.
Nous sommes en cohérence avec nos alliés puisque les Américains ont annoncé tout récemment qu'ils retiraient 33.000 hommes d'Afghanistan, c'est-à-dire à peu près le quart du dispositif qui est sur place, et donc, en accord avec eux et en cohérence avec d'autres, nous avons engagé ce processus. Nous l'avions annoncé déjà en décembre dernier à Lisbonne lorsque nous avions expliqué que nous allions transférer la responsabilité de la sécurité dans les provinces au fur et à mesure des progrès que nous réalisons sur le sol aux troupes afghanes.
Et c'est ce que nous nous proposons de faire. Nous sommes dans une région qui s'appelle la Surobi. Nous y avons environ un millier d'hommes. Nous pensons que cette région est maintenant sûre et que le moment est venu de passer le flambeau aux troupes afghanes que nous avons d'ailleurs nous-mêmes formées, voilà.
Ensuite, nous allons continuer dans l'autre région où nous sommes, la Kapisa, d'ici fin 2012.
Donc, vous voyez que nous sommes cohérents avec ce que nous avions annoncé. Et l'objectif que l'ensemble de la coalition s'était fixé c'était fin 2014 afin de terminer ce processus de transition pour passer à une autre étape qui sera celle d'un partenariat de long terme avec l'Afghanistan.
Q - Comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Les soldats sur place disent qu'il y a une radicalisation de l'insurrection.
R - Je n'ai pas ces informations. Je pense que nous avons marqué des points, en particulier là où nous sommes, comme je vous l'ai dit, et qu'aujourd'hui les conditions sont réunies pour que nous passions le relais.
D'ailleurs, nous allons en discuter, et le président de la République va le faire, vous l'avez dit vous-même, avec les autorités afghanes, le président Karzaï, et également avec le commandant de la coalition qui est sur place, le général Petraeus.
Q - L'ambassade de France à Damas a été attaquée pour la deuxième fois en deux jours par des partisans du président syrien. Peut-on laisser faire de tels agissements sans réagir très, très fermement ?
R - Nous avons réagi. Nous avons convoqué l'ambassadrice de Syrie en France pour lui rappeler que tout gouvernement a le devoir d'assurer la sécurité des représentations diplomatiques sur son territoire.
Q - Et les attaques ont repris le lendemain.
R - Bien sûr, mais nous avons à nouveau réagi. Nous sommes en train, aux Nations unies, de regarder si le Conseil de sécurité peut s'emparer de ce sujet. Et nous appelons à nouveau les autorités syriennes à faire leur devoir.
Q - C'est-à-dire «faire leur devoir» ? Protéger
R - Nous protéger, bien sûr. Tout gouvernement, je le répète, doit assurer la sécurité des ambassades et des représentations diplomatiques, et nous appelons instamment les autorités syriennes à le faire.
Q - Vous allez demander des compensations pour les dégâts ?
R - Ecoutez, on verra ça. Pour l'instant, ce qu'il faut c'est notre sécurité, et permettre à notre représentation diplomatique de faire son travail.
Q - Les massacres sont quotidiens en Syrie. Pourquoi n'intervient-on pas militairement ?
R - Vous connaissez la réponse, c'est parce que pour intervenir militairement, et d'abord je pense que la situation en Syrie n'est pas comparable à celle de la Libye, mais en tout cas pour intervenir il faut un mandat international. Or, aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies pour que le Conseil de sécurité des Nations unies tout simplement se prononce sur le cas syrien. Nous travaillons à New York pour y arriver.
Nous essayons de convaincre les Russes en particulier qu'il n'est pas acceptable que le Conseil de sécurité laisse se produire ce qui se produit en Syrie sans réagir.
Q - Mais si la Chine et la Russie sont d'accord, vous enfin, la France voudrait intervenir militairement ?
R - Mais naturellement pas ! Nous avons toujours dit le contraire. Il n'en a jamais été question. Et le projet de déclaration qui est en cours d'examen en ce moment à New York appelle la Syrie à cesser la répression sur ces populations et à engager un programme de réforme. Nous n'avons pas vocation à débarquer partout.
Q - Alors, justement, la France est engagée depuis bientôt quatre mois dans une opération aérienne en Libye. Le Parlement va se prononcer aujourd'hui sur une éventuelle prolongation, mais ce devrait être oui. «Il faut savoir finir une guerre», disait justement tout à l'heure Nicolas Sarkozy, en Afghanistan. Ce n'est pas valable pour la Libye ?
R - La petite différence c'est qu'en Afghanistan on y est depuis dix ans, et en Libye depuis quatre mois, comme vous l'avez dit.
Q - Donc, ça peut durer dix ans, c'est ça que vous dites ?
R - Écoutez, n'interprétez pas mes propos de façon aussi rapide. Je faisais simplement la différence entre les deux. Et les choses évoluent en Libye, contrairement à ce que l'on entend dire ici ou là. Elles évoluent d'abord sur le terrain ; Benghazi a été protégée ; Misrata a été libérée ; les forces du Conseil national de transition progressent, elles sont maintenant assez proches de Tripoli. Donc, les choses évoluent favorablement.
Deuxièmement, les choses évoluent politiquement. Le Conseil national de transition lorsque nous l'avons reconnu n'était pas considéré comme un interlocuteur valable par beaucoup de pays.
Aujourd'hui, tout le monde discute avec ce conseil de transition qui apparaît comme un interlocuteur incontournable : les Russes, les Américains, les Européens, les Arabes et les Africains. Et puis, enfin, et c'est le plus important, je l'ai constaté lors de ma tournée africaine il y a trois jours, il y a aujourd'hui un consensus sur la sortie de crise, et la sortie de crise elle passe par le départ de Kadhafi du pouvoir. Ce n'était absolument pas acquis il y a deux mois ou trois mois. Aujourd'hui, le Premier ministre éthiopien que j'ai vu il y a deux jours, le président mauritanien, et tous les deux animent ce qu'on appelle le panel de l'Union africaine sur la Libye, sont exactement sur cette ligne-là. Donc, nous allons en parler à Istanbul vendredi prochain, lors de la réunion du groupe de contacts, et j'espère qu'on va avancer vers cette sortie. Je l'ai déjà dit, la question n'est plus de savoir si Kadhafi doit partir, mais quand et comment.
Q - Et pas d'arrêt des frappes de cette opération militaire tant que le colonel Kadhafi est toujours au pouvoir.
R - Tant que les conditions d'un cessez le feu véritable ne sont pas réunies. Un véritable cessez le feu, ça veut dire le retrait des troupes dans les casernes et le contrôle des Nations unies ainsi qu'une déclaration, sous une forme indéterminée, de Kadhafi annonçant qu'il se retire du pouvoir politique et militaire en Libye. Les conditions sont maintenant très clairement définies. Et je le répète, nous travaillons vraiment d'arrache-pied pour pousser cette sortie de crise.
Q - Mais dans un pays comme la Libye, avec des tribus, des clans, dans chaque région, il peut vraiment y avoir une réconciliation nationale ?
R - Nous en sommes persuadés, et nous allons y travailler. D'ailleurs, dans le plan qui est le nôtre, le dialogue national doit être un dialogue ouvert. Il y aura le Conseil national de transition, c'est eux qui se battent sur le terrain, mais aussi, vous avez raison de le signaler, les chefs de tribus parce que les tribus ont un rôle important dans la société libyenne ; et puis également tous ceux qui à Tripoli sont prêts à abandonner Kadhafi parce qu'ils voient bien qu'il a perdu sa légitimité. Et donc, il faut que ce dialogue national soit aussi large que possible, aussi ouvert que possible et c'est aux Libyens bien entendu, eux-mêmes, qu'il appartiendra ensuite de construire la Libye de demain.
Q - Alain Juppé, l'un des fils du colonel Kadhafi affirme que la France négocie directement avec le régime libyen. C'est vrai ça ?
R - Tout le monde a des contacts avec tout le monde. Le régime libyen envoie des messagers partout, en Turquie, à New York, à Paris. Il y a effectivement des contacts. Ce n'est pas au jour d'aujourd'hui une véritable négociation. Nous recevons les émissaires qui nous disent, voilà, «Kadhafi est prêt à partir, discutons-en».
( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2011
R - Bonjour.
Q - Nicolas Sarkozy est arrivé en Afghanistan, ce matin. Il vient d'annoncer le retrait d'un millier de soldats français avant fin 2012. Le calendrier a changé. C'était initialement entre fin 2011, début 2012. Pourquoi ce changement ?
R - Si le calendrier initial était fin 2011-2012, il n'y a pas de changement.
Q - Si, puisque c'est fin 2012.
R - Ce n'est pas ce qu'a dit le président de la République.
Nous sommes en cohérence avec nos alliés puisque les Américains ont annoncé tout récemment qu'ils retiraient 33.000 hommes d'Afghanistan, c'est-à-dire à peu près le quart du dispositif qui est sur place, et donc, en accord avec eux et en cohérence avec d'autres, nous avons engagé ce processus. Nous l'avions annoncé déjà en décembre dernier à Lisbonne lorsque nous avions expliqué que nous allions transférer la responsabilité de la sécurité dans les provinces au fur et à mesure des progrès que nous réalisons sur le sol aux troupes afghanes.
Et c'est ce que nous nous proposons de faire. Nous sommes dans une région qui s'appelle la Surobi. Nous y avons environ un millier d'hommes. Nous pensons que cette région est maintenant sûre et que le moment est venu de passer le flambeau aux troupes afghanes que nous avons d'ailleurs nous-mêmes formées, voilà.
Ensuite, nous allons continuer dans l'autre région où nous sommes, la Kapisa, d'ici fin 2012.
Donc, vous voyez que nous sommes cohérents avec ce que nous avions annoncé. Et l'objectif que l'ensemble de la coalition s'était fixé c'était fin 2014 afin de terminer ce processus de transition pour passer à une autre étape qui sera celle d'un partenariat de long terme avec l'Afghanistan.
Q - Comment cela se passe-t-il sur le terrain ? Les soldats sur place disent qu'il y a une radicalisation de l'insurrection.
R - Je n'ai pas ces informations. Je pense que nous avons marqué des points, en particulier là où nous sommes, comme je vous l'ai dit, et qu'aujourd'hui les conditions sont réunies pour que nous passions le relais.
D'ailleurs, nous allons en discuter, et le président de la République va le faire, vous l'avez dit vous-même, avec les autorités afghanes, le président Karzaï, et également avec le commandant de la coalition qui est sur place, le général Petraeus.
Q - L'ambassade de France à Damas a été attaquée pour la deuxième fois en deux jours par des partisans du président syrien. Peut-on laisser faire de tels agissements sans réagir très, très fermement ?
R - Nous avons réagi. Nous avons convoqué l'ambassadrice de Syrie en France pour lui rappeler que tout gouvernement a le devoir d'assurer la sécurité des représentations diplomatiques sur son territoire.
Q - Et les attaques ont repris le lendemain.
R - Bien sûr, mais nous avons à nouveau réagi. Nous sommes en train, aux Nations unies, de regarder si le Conseil de sécurité peut s'emparer de ce sujet. Et nous appelons à nouveau les autorités syriennes à faire leur devoir.
Q - C'est-à-dire «faire leur devoir» ? Protéger
R - Nous protéger, bien sûr. Tout gouvernement, je le répète, doit assurer la sécurité des ambassades et des représentations diplomatiques, et nous appelons instamment les autorités syriennes à le faire.
Q - Vous allez demander des compensations pour les dégâts ?
R - Ecoutez, on verra ça. Pour l'instant, ce qu'il faut c'est notre sécurité, et permettre à notre représentation diplomatique de faire son travail.
Q - Les massacres sont quotidiens en Syrie. Pourquoi n'intervient-on pas militairement ?
R - Vous connaissez la réponse, c'est parce que pour intervenir militairement, et d'abord je pense que la situation en Syrie n'est pas comparable à celle de la Libye, mais en tout cas pour intervenir il faut un mandat international. Or, aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies pour que le Conseil de sécurité des Nations unies tout simplement se prononce sur le cas syrien. Nous travaillons à New York pour y arriver.
Nous essayons de convaincre les Russes en particulier qu'il n'est pas acceptable que le Conseil de sécurité laisse se produire ce qui se produit en Syrie sans réagir.
Q - Mais si la Chine et la Russie sont d'accord, vous enfin, la France voudrait intervenir militairement ?
R - Mais naturellement pas ! Nous avons toujours dit le contraire. Il n'en a jamais été question. Et le projet de déclaration qui est en cours d'examen en ce moment à New York appelle la Syrie à cesser la répression sur ces populations et à engager un programme de réforme. Nous n'avons pas vocation à débarquer partout.
Q - Alors, justement, la France est engagée depuis bientôt quatre mois dans une opération aérienne en Libye. Le Parlement va se prononcer aujourd'hui sur une éventuelle prolongation, mais ce devrait être oui. «Il faut savoir finir une guerre», disait justement tout à l'heure Nicolas Sarkozy, en Afghanistan. Ce n'est pas valable pour la Libye ?
R - La petite différence c'est qu'en Afghanistan on y est depuis dix ans, et en Libye depuis quatre mois, comme vous l'avez dit.
Q - Donc, ça peut durer dix ans, c'est ça que vous dites ?
R - Écoutez, n'interprétez pas mes propos de façon aussi rapide. Je faisais simplement la différence entre les deux. Et les choses évoluent en Libye, contrairement à ce que l'on entend dire ici ou là. Elles évoluent d'abord sur le terrain ; Benghazi a été protégée ; Misrata a été libérée ; les forces du Conseil national de transition progressent, elles sont maintenant assez proches de Tripoli. Donc, les choses évoluent favorablement.
Deuxièmement, les choses évoluent politiquement. Le Conseil national de transition lorsque nous l'avons reconnu n'était pas considéré comme un interlocuteur valable par beaucoup de pays.
Aujourd'hui, tout le monde discute avec ce conseil de transition qui apparaît comme un interlocuteur incontournable : les Russes, les Américains, les Européens, les Arabes et les Africains. Et puis, enfin, et c'est le plus important, je l'ai constaté lors de ma tournée africaine il y a trois jours, il y a aujourd'hui un consensus sur la sortie de crise, et la sortie de crise elle passe par le départ de Kadhafi du pouvoir. Ce n'était absolument pas acquis il y a deux mois ou trois mois. Aujourd'hui, le Premier ministre éthiopien que j'ai vu il y a deux jours, le président mauritanien, et tous les deux animent ce qu'on appelle le panel de l'Union africaine sur la Libye, sont exactement sur cette ligne-là. Donc, nous allons en parler à Istanbul vendredi prochain, lors de la réunion du groupe de contacts, et j'espère qu'on va avancer vers cette sortie. Je l'ai déjà dit, la question n'est plus de savoir si Kadhafi doit partir, mais quand et comment.
Q - Et pas d'arrêt des frappes de cette opération militaire tant que le colonel Kadhafi est toujours au pouvoir.
R - Tant que les conditions d'un cessez le feu véritable ne sont pas réunies. Un véritable cessez le feu, ça veut dire le retrait des troupes dans les casernes et le contrôle des Nations unies ainsi qu'une déclaration, sous une forme indéterminée, de Kadhafi annonçant qu'il se retire du pouvoir politique et militaire en Libye. Les conditions sont maintenant très clairement définies. Et je le répète, nous travaillons vraiment d'arrache-pied pour pousser cette sortie de crise.
Q - Mais dans un pays comme la Libye, avec des tribus, des clans, dans chaque région, il peut vraiment y avoir une réconciliation nationale ?
R - Nous en sommes persuadés, et nous allons y travailler. D'ailleurs, dans le plan qui est le nôtre, le dialogue national doit être un dialogue ouvert. Il y aura le Conseil national de transition, c'est eux qui se battent sur le terrain, mais aussi, vous avez raison de le signaler, les chefs de tribus parce que les tribus ont un rôle important dans la société libyenne ; et puis également tous ceux qui à Tripoli sont prêts à abandonner Kadhafi parce qu'ils voient bien qu'il a perdu sa légitimité. Et donc, il faut que ce dialogue national soit aussi large que possible, aussi ouvert que possible et c'est aux Libyens bien entendu, eux-mêmes, qu'il appartiendra ensuite de construire la Libye de demain.
Q - Alain Juppé, l'un des fils du colonel Kadhafi affirme que la France négocie directement avec le régime libyen. C'est vrai ça ?
R - Tout le monde a des contacts avec tout le monde. Le régime libyen envoie des messagers partout, en Turquie, à New York, à Paris. Il y a effectivement des contacts. Ce n'est pas au jour d'aujourd'hui une véritable négociation. Nous recevons les émissaires qui nous disent, voilà, «Kadhafi est prêt à partir, discutons-en».
( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2011