Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, à l'instar de tous les orateurs, je commencerai par rendre hommage à nos soldats sur le terrain, qui accomplissent leur mission avec un courage et une efficacité qui forcent l'admiration. Permettez-moi aussi de rendre témoignage à nos diplomates, que l'on cite peu souvent, M. Bajolet en Afghanistan ou Antoine Sivan à Benghazi, et qui travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, avec beaucoup de ténacité et de compétence.
Je répondrai brièvement aux observations qui ont été faites, M. le Premier ministre ayant répondu par anticipation à bien des questions. Je délivrerai simplement un message, un seul : non seulement il n'y a pas enlisement en Libye, mais il y a progrès.
Nous avons beaucoup progressé par rapport à la situation d'il y a quatre mois : d'abord sur le plan militaire - il appartiendra à Gérard Longuet de développer ce point -, mais aussi sur les plans politique et diplomatique. Je relèverai deux avancées parmi les plus significatives.
Il n'y avait pas, il y a quatre mois, de consensus pour reconnaître le Conseil national de transition comme l'interlocuteur prioritaire des forces populaires qui se révoltaient contre la dictature de Kadhafi. Aujourd'hui, ce consensus est réalisé et la crédibilité du conseil national de transition s'est beaucoup affirmée : une trentaine de pays l'ont reconnu - de nombreux pays européens, les États-Unis, la Russie, la Chine, la Turquie.
Aussi y a-t-il quelque paradoxe, Monsieur Cazeneuve, à nous reprocher d'avoir manqué de réactivité face au printemps arabe. Qui a vu venir le coup ?
Ne reprenons pas une discussion que nous avons eue il y a quelques mois. Mais comment pouvez-vous, dans le même temps, nous reprocher d'être allés trop vite pour reconnaître le Conseil national de transition ? Il est vrai que nous avons été les premiers et que nous avons entraîné les autres car, peu à peu, s'est affirmée l'idée qu'il s'agissait bien des interlocuteurs incontournables.
Depuis, nous les avons aidés à s'organiser, aussi bien sur le plan civil que sur le plan militaire, à améliorer leur représentativité, car ils ne sont pas seulement implantés à Benghazi, mais également dans l'Ouest, comme l'a souligné Axel Poniatowski.
Il nous reste un effort important à fournir à leur égard pour accroître leur crédibilité : il convient de mieux assurer le financement de leurs opérations civiles et militaires. M. Jacob m'a interrogé à ce sujet. Lors de la réunion du Groupe de contact à Rome, nous avons décidé de mettre au point un mécanisme de financement du Conseil national de transition. Sa mise en uvre se révèle d'une particulière difficulté et très longue pour la bonne raison qu'il s'agit de dégeler de l'argent libyen et que de nombreux obstacles juridiques restent à surmonter. J'espère pouvoir confirmer à Istanbul, vendredi prochain, que les premières sommes dégelées par la France pourront être mises à la disposition du Conseil national de transition. Nous avons fait ce qu'il convenait pour réunir les conditions juridiques d'une telle opération.
Second progrès significatif réalisé en quatre mois : un consensus a pu être réalisé sur la sortie politique de la crise et en particulier sur le départ de Kadhafi. On remarquera que ce départ ne figurait pas dans les résolutions du Conseil de sécurité.
Personne n'empêche les différents acteurs de la scène internationale de considérer que, par son comportement, Kadhafi s'est discrédité pour continuer de diriger la Libye.
Grâce au travail du Groupe de contact, constitué à l'initiative de la France et qui s'est réuni à plusieurs reprises, un consensus s'est dégagé : Kadhafi doit partir. Le G8 partage cette volonté - G8 composé, je vous le rappelle, non seulement d'Européens mais aussi des Américains et des Russes. J'ai pu vérifier au cours de mon voyage à Moscou il y a quelques jours, lors de mes entretiens avec Sergueï Lavrov, que la Russie partage totalement cet objectif. C'est également la position du Conseil européen, de la Turquie, de la Ligue arabe et enfin, petit à petit, de l'Union africaine, divisée au début avant que les choses n'évoluent dans la bonne direction comme on a pu le constater à Malabo. J'ai pu le vérifier hier et avant-hier en rencontrant le Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, qui joue un rôle très important dans le panel de l'Union africaine pour la Libye et qui m'a tenu un discours des plus explicites : Kadhafi doit partir. C'est également ce que m'a déclaré avant-hier à Nouakchott le président mauritanien Aziz, qui fait lui aussi partie du panel de l'Union africaine.
Nous sommes aujourd'hui en meilleure position pour faire émerger un consensus politique sur la solution diplomatique à apporter à la crise. Sans faire preuve d'un optimisme excessif, je crois pouvoir affirmer que les paramètres de cette solution sont aujourd'hui agréés par presque tout le monde, encore faut-il les faire accepter, bien sûr, par les protagonistes eux-mêmes.
Le premier de ces paramètres - qui ne prête plus à discussion - est la mise à l'écart de Kadhafi.
Ensuite, il faut aboutir à un cessez-le-feu qui ne se réduise pas au simple gel des positions sur le terrain, car le risque serait alors grand d'une partition de fait de la Libye, mais qui soit authentique, avec le retour des éléments militaires dans leurs casernes et sous le contrôle des Nations unies ou de l'Union africaine.
Le troisième paramètre est la constitution d'un gouvernement de transition qui associe les différentes parties prenantes en Libye.
Il reviendra à ce gouvernement - quatrième paramètre - d'organiser un dialogue national inclusif - pour reprendre le vocabulaire diplomatique à la mode -, associant, sous les auspices du Conseil national de transition, les autorités traditionnelles du pays - selon les interlocuteurs, on accorde une plus ou moins grande importance aux chefs de tribu qu'il faudra de toute façon impliquer dans le processus - et surtout, tous ceux qui, à Tripoli, ont bien compris qu'il n'y avait pas d'avenir pour la Libye avec Kadhafi et qu'il fallait faire défection ou se rallier au processus de dialogue national.
Sur la base de ce dialogue national, sera mise en uvre la feuille de route - dernier paramètre - définie à la fois par le Conseil national de transition et par le Groupe de contact, prévoyant l'élaboration d'une constitution, l'organisation d'élections, bref, la construction d'une Libye démocratique.
La question n'est par conséquent pas, aujourd'hui, de savoir si Kadhafi doit partir, mais quand et comment. C'est le pas qui nous reste à accomplir. Doit-il partir de Libye, doit-il y rester ? Il revient aux protagonistes d'en discuter. J'espère que vendredi, à Istanbul, nous pourrons à nouveau affirmer la cohésion du groupe de contact sur cette feuille de route et provoquer la rencontre des parties qui amorcera le processus politique qui constitue bien notre objectif. J'y insiste : des progrès importants ont été réalisés au cours des dernières semaines dans cette direction.
J'ajouterai que l'aide humanitaire est également l'une de nos préoccupations essentielles : l'Union européenne intervient massivement par le biais du programme ECHO - 70 millions d'euros ont déjà été débloqués à ce titre - ; la France, quant à elle, fournit une aide bilatérale importante, notamment en matière médicale. L'aide aux réfugiés a été très significative quand ils ont afflué massivement en Tunisie.
L'Union européenne s'est déclarée prête à soutenir militairement l'aide humanitaire dans le cadre de l'opération EUFOR. Il se trouve que les Nations unies, qui ont la responsabilité de déclencher ce soutien militaire à l'aide l'humanitaire, n'ont pas, jusqu'à présent, éprouvé le besoin de le demander, ce qui démontre que l'aide est bien acheminée.
Nous préparons intensément le jour d'après.
Nous sommes déjà en train de programmer les conditions pour que, après le départ de Kadhafi, le pays progresse dans la construction d'une démocratie authentique. On voit bien que, dans les régions déjà contrôlées par le Conseil national de transition, ne règne pas l'anarchie que certains prédisaient pour la Libye de demain, loin de là.
Aux Nations unies, nous préparons, précisément, l'intervention d'une force de stabilisation internationale. Quant à la France, comme d'autres pays européens, elle a envoyé plusieurs missions sur place à Benghazi pour aider le Conseil national de transition à s'organiser.
En évoquant la feuille de route dont je viens d'énumérer les conditions censées conduire à la solution diplomatique, il me semble avoir répondu à la principale question de M. Folliot sur le fait de savoir quelles seraient les propositions de la France à Istanbul.
J'ai également répondu, je crois, à la question de Christian Jacob sur le dégel des fonds libyens (
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J'ai écouté M. Cazeneuve avec une grande attention et le remercie de la condamnation qu'il a exprimée au nom de son groupe, sur les événements qui se déroulent en ce moment en Syrie et sur les violences dont l'ambassade de France est l'objet. Nous avons, nous aussi, condamné fermement ces violences et appelé le gouvernement syrien à assumer ses responsabilités, c'est-à-dire à protéger notre représentation diplomatique. Nous travaillons par ailleurs au sein du Conseil de sécurité pour obtenir une condamnation sur ce point de la part de la communauté internationale. J'espère que nous ne nous heurterons pas aux mêmes menaces de veto que celles qui paralysent aujourd'hui l'adoption d'une résolution sur le fond et sur la condamnation du comportement du régime.
Vous évoquez beaucoup le souvenir de 2007, mais qui n'a pas, au long de sa vie politique et au nom de la realpolitik, fréquenté des personnages plus ou moins fréquentables ? Vous en savez quelque chose, vraisemblablement.
Je n'ai pas tout à fait suivi le raisonnement de M. Cazeneuve lorsqu'il a regretté que la France ait attendu la décision américaine pour amorcer le retrait de ses forces d'Afghanistan. Nous n'avons pas attendu la décision américaine, monsieur le député.
Nous avons attendu d'avoir suffisamment progressé dans notre travail de sécurisation de la Surobi pour pouvoir, comme nous l'avions annoncé, notamment à la réunion de Lisbonne à la fin de l'année 2010, amorcer le processus de transition et passer le flambeau aux troupes afghanes comme le prévoyait le calendrier que le président de la République a eu l'occasion de préciser aujourd'hui même à Kaboul.
Je suis moi aussi très désireux que le Parlement français joue un rôle accru en matière de politique étrangère, mais ne me dites pas, monsieur le député, que vous n'avez pas été informé ! Combien de fois me suis-je exprimé devant la Commission des Affaires étrangères ?
J'ai tâché de répondre à toutes les questions qui m'étaient posées, pensant que la Commission des Affaires étrangères était le lieu où l'on pouvait le mieux informer le Parlement de la mise en uvre de notre diplomatie.
J'ai répondu par ailleurs, comme Gérard Longuet, à un très grand nombre de questions d'actualité.
Vous vous demandiez, Monsieur le Député, si nous avions atteint nos objectifs. Vous avez répété que la France, selon vous, avait eu un peu de «retard à l'allumage» au début des manifestations du printemps arabe. Je ne pense pas que la jeunesse de Benghazi s'y trompe - jeunesse que j'espère avoir bientôt l'occasion de rencontrer sur le terrain. Elle ne considère pas que la France a eu du «retard à l'allumage». C'est au contraire notre pays qui a pris l'initiative - conviction que je crois largement partagée par tous ceux qui aspirent à la démocratie en Libye.
Vous nous avez annoncé que les socialistes apporteraient leur soutien à l'action du gouvernement - je m'en réjouis et vous en remercie - tout en exprimant un certain nombre de réserves. Nous pourrions à cet égard reprendre le débat sur le retour de la France au sein des structures intégrées de l'OTAN. Je ne pense pas que nous aurions pu mener cette opération en restant hors du commandement intégré de l'OTAN.
J'ai même la conviction inverse. Cela ne signifie pas que nous n'ayons aucun progrès à réaliser dans la construction d'une politique de sécurité et de défense commune en Europe. Il est vrai que, dans ce domaine, de nombreuses réticences subsistent, sans oublier la lenteur - vous connaissez le processus que nous avons engagé avec nos amis allemands et nos amis polonais : au cours du prochain Conseil des Affaires étrangères, lundi prochain à Bruxelles, Mme Ashton devrait nous apporter quelques éléments de réponse sur la relance de cette politique.
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J'ai toujours dit que j'étais favorable au retour de la France au sein des structures intégrées de l'OTAN, retour que j'avais même amorcé en 1995.
M. Candelier ne m'en voudra pas si je ne reprends pas chacun des points qu'il a développés, car son intervention m'est apparue comme un magnifique exercice de langue de bois. En somme, il s'agit de protéger les populations civiles de Libye sans rien faire pour les protéger, n'étaient certaines exhortations sur la paix et la concorde internationale.
Je pense que, si nous avions convoqué M. Kadhafi à la veille de son offensive sur Benghazi pour lui demander de négocier sur la paix et la concorde universelle, malheureusement, le sang aurait beaucoup coulé.
Fondant son action sur une appréciation juste de la situation, la France a tout lieu d'être fière de l'initiative qu'elle a prise en Libye.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2011