Texte intégral
J'aimerais vous rendre compte de l'échange qui s'est tenu devant l'Assemblée générale sur les priorités sociales de la Présidence française du G20. Il était très important pour moi de répondre à cette invitation et de pouvoir bien montrer qu'il y a une connexion totale entre les travaux du G20 sous la Présidence française et l'Organisation des Nations unies, point très important qui a été partagé par tous les intervenants. Avec mon intervention et celle du président de l'Assemblée générale nous avons eu près de deux heures de débat. Ce qui montre qu'il y a une vraie convergence.
A l'issue de cette crise sans précédent, si l'on parle de progrès économique, on devra parler aussi de progrès social totalement partagé. C'est un point important. C'est ce qui me fait dire aujourd'hui, au tout début du mois de juin, que je suis de plus en plus optimiste sur nos perspectives d'obtenir de réelles avancées sur la dimension sociale de la mondialisation.
J'ai rappelé les quatre priorités de la Présidence française : priorité sur l'emploi. L'enjeu n'est pas seulement de parler emploi mais c'est important, c'est de bien montrer qu'un retour de la croissance, une sortie de la crise c'est une exigence très forte par rapport à la création d'emplois qui est portée par nos concitoyens.
Ce que nous souhaitons, en répondant en cela aussi à une demande de nos partenaires sociaux, c'est pérenniser un groupe de travail sur l'emploi qui saura associer les partenaires sociaux mais qui nous permettra d'être beaucoup plus concrets en matière d'échange d'expérience autour de bonnes pratiques, de partage de priorités notamment sur l'emploi des jeunes : l'Allemagne a par exemple insisté sur le point de pouvoir échanger sur les questions de formation professionnelle. La feuille de route d'un tel groupe n'a pas à être définie aujourd'hui mais en revanche, sur le principe d'un tel groupe, j'ai pu noter que ce soit de la part du Mexique qui assurera la présidence après nous que d'un certain nombre de pays, l'idée qu'il y avait maintenant une convergence pour reconnaître l'utilité d'un tel groupe de travail pérenne.
Deuxième point, nous avons insisté sur l'idée du socle de protection sociale, l'idée que pousse Mme Bachelet. Nous attendons pendant l'été un certain nombre de ses travaux, un certain nombre de ses recommandations. Il ne s'agit pas d'imposer un modèle social unique mais bel et bien de montrer que sur ce sujet, le socle minimum de protection sociale, là aussi les idées progressent.
Le troisième point sur lequel j'ai voulu insister est celui de la promotion des droits sociaux. C'est notamment les conventions de l'OIT. C'est important de les signer, de les ratifier mais aussi de les appliquer. En attendant nous sommes totalement favorables à l'idée de nombre d'entrepreneurs qui nous disent qu'au-delà même de la démarche des États il est très important que les organisations d'employeurs au niveau international incitent leurs membres à pouvoir décider d'appliquer eux-mêmes sans tarder un certain nombre de ces recommandations.
D'autre part, il y a la cohérence d'action entre les organisations internationales, la cohérence entre les politiques de développement économique et les politiques sociales. Sur tous ces points, nous savons aujourd'hui que les organisations internationales travaillent davantage ensemble entre l'OMC et l'OIT, l'OIT que nous avons voulu associer à toutes les étapes de la Présidence française du G20. On voit bien que ce rapprochement, cette question même d'observateurs croisés qui a été posée le 23 mai à Paris par le directeur général M. Somavia sont autant d'idées qui font leur chemin. Et on voit que, sur les priorités sociales de la Présidence française du G20, on a aujourd'hui une réelle convergence. Vous pouvez interroger les personnes qui étaient présentes et les représentants des pays qui étaient présents. Je pense que c'était la tonalité générale. Il est vrai que l'on ne peut pas avoir traversé une telle crise aux conséquences économiques et sociales si importantes pour ne pas en tirer un certain nombre d'enseignements. Principal enseignement dont la France est porteuse : il doit y avoir une dimension sociale de la mondialisation qui doit être totalement prise en compte.
Q - Monsieur le Ministre, alors que les Objectifs du Millénaire pour le développement concernant la pauvreté n'ont pas été atteints, en quoi ce que vous prônez, c'est-à-dire les groupes de travail sur l'emploi, va différer ? Quelle est la différence ? Il y a tellement de choses à faire quant à l'emploi, ne serait-ce que dans notre pays, vis-à-vis des jeunes. Comment pouvez-vous créer quelque chose qui va être différent et qui va avoir plus de chances de réussir ?
R - Il me semble qu'il y a une prise de conscience bien plus importante aujourd'hui. Qu'il puisse y avoir une réunion des ministres du Travail et de l'Emploi dans le cadre d'un G20, c'était une idée qui voilà quelques mois, quelques années, semblait hors de portée.
On s'aperçoit aujourd'hui que le développement doit reposer à la fois sur le développement économique et le développement social, que l'un n'est pas l'ennemi de l'autre et même qu'ils se renforcent. C'est ce que j'ai voulu expliquer tout à l'heure en réponse à un des nombreux intervenants qui étaient justement sur cette thématique là.
Maintenant quel est l'enjeu pour moi ? Ce n'est pas que l'on ait quelques mots dans une déclaration finale, c'est que l'on s'engage sur un point important. Pour ne rien vous cacher, bien sûr qu'il y a des politiques nationales différentes, bien sûr qu'il y a une histoire différente, des politiques différentes. Certains États sont plus fédéraux que d'autres, l'approche sur l'emploi est donc différente. Mais quand même, j'ai constaté hier à Washington lors d'entretiens que j'ai pu avoir avec des responsables gouvernementaux, des responsables de « think tanks » que ce n'est pas le taux de chômage entre la France et les États-Unis qui crée une proximité mais plutôt la question de savoir si la croissance est «jobless» ou pas. Est-ce qu'elle crée davantage d'emplois ou pas ? Comment forme-t-on mieux pour aller occuper certains emplois ? Comment on va plus vite pour les rapprocher ? Il y a tellement aujourd'hui de proximité, de priorités que je pense que l'on va avancer beaucoup plus vite.
Et puis, d'autre part, il y a une autre exigence. Nos concitoyens ne nous pardonneraient pas après cette crise, quand on connait les raisons de cette crise, d'oublier la dimension sociale.
Enfin, renforcer le socle de protection sociale est aussi pour nombre de pays la possibilité de bien montrer que le message de la crise a été reçu. La différence avec les années 30, c'est qu'il y aujourd'hui davantage de filets de protection sociale, certains pays l'ont renforcée, comme la France pendant la crise, qui ont évité de sombrer dans le chaos. Et puis certains de nos concitoyens bénéficient d'un système de protection sociale et ne sont pas dans le dénuement ; on aura du mal à m'expliquer que c'est l'ennemi du développement économique.
Il y a donc une vraie prise de conscience et le fait est qu'à chaque fois c'est l'emploi qui est la première des priorités, surtout au lendemain d'une crise. Ajoutez-y le fait que nous ayons aussi voulu renforcer la place de l'OIT, d'associer l'OIT, d'insister sur la promotion des droits sociaux et que cela rencontre un écho très favorable, je pense qu'on est dans un contexte inédit.
J'entends bien tout ce que vous avez pu vivre dans le passé, ce que vous avez pu connaître, là on est dans quelque chose de très différent.
Q - Les recommandations que Mme Bachelet et M. Somara ont faites sont très réalistes et pratiques, mais comment sont-elles conciliables avec les mesures d'austérité qui sont imposées dans la plupart des pays d'Europe occidentale et qui conduisent à des émeutes en Espagne, en Italie, en France et en Angleterre ? Les systèmes de protection sociale sont mis à mal, leurs moyens divisés par deux. C'est la même chose aux États-Unis.
R - Je n'ai pas la même lecture que vous, notamment sur les questions d'émeutes dans un certain nombre de pays que vous avez évoqués. Je n'ai pas connaissance de tout cela très franchement. Par contre il y a des craintes. Est-ce que des mesures de redressement, des mesures liées à la résorption des déficits doivent oublier la protection sociale ou doivent diminuer la protection sociale ? C'est davantage cela votre question.
Q - Il semble que bon nombre de pays de l'OTAN procèdent à des coupes dans les budgets de protection sociale afin de maintenir leurs budgets militaires au niveau des normes imposées par l'OTAN.
R - Je ne pense pas que l'arbitrage soit à ce niveau là. Aujourd'hui, à l'ONU notamment avec l'UNICEF et le PNUD, des actions sociales sont reconnues comme priorité et des budgets sont débloqués. L'une des responsables du PNUD était à Paris le 23 mai dernier ; elle a insisté sur ce point. D'autres exemples : la Banque mondiale va bientôt adopter une stratégie sur la protection sociale et elle prend aujourd'hui davantage en compte cette dimension sociale sur ses actions de terrain. 12% de ses prêts sont consacrés à la protection sociale. Quatre fois plus qu'avant la crise. Ce qui montre bien que même si dans nombre de pays beaucoup d'attention est portée sur la dépense publique, c'est vrai, cela n'empêche pas des actions nouvelles. Le FMI a appuyé depuis la crise plusieurs programmes pour maintenir les dépenses sociales dans les pays tout en veillant bien à ce qu'elle prenne en compte la nécessaire viabilité des finances publiques et la question de l'équilibre. S'agissant de la Grèce, c'est aux différents gouvernements de voir ce qui est possible de faire.
Il ne s'agit pas aujourd'hui d'avoir un discours contradictoire. Nous savons bien que dans les pays qui n'ont pas de protection sociale, il faut permettre l'accès à la protection sociale. Dans les pays qui ont un système, le développer a du sens. Et dans les pays qui ont un système élevé et qui ont un enjeu d'équilibre budgétaire ou de résorption des déficits, il faut tenir compte des deux. En France, j'ai eu en charge un certain nombre de réformes. Lorsqu'on permet par exemple la mise en place de la réforme des retraites en France, c'est pour diminuer les déficits tout en préservant notre système de retraite. Les deux sont compatibles. Est-ce facile ? Peut-être pas. Est-ce possible ? Je pense que oui. Je pense que les deux ne sont pas contradictoires. Par ailleurs la coopération OMC / BIT va également dans cette direction.
Q - En ce qui concerne ces pays émergents, autres que ceux appartenant au G8 qui est maintenant le G20, comme la Turquie qui est vraisemblablement la 16ème économie du monde. Comment peuvent-ils être intégrés au processus ? Entretenez-vous un lien quelconque avec eux pour leur montrer comment faire en matière de développement et de protection sociale ?
R - Nous y travaillons depuis maintenant plusieurs mois avec tous les pays membres du G20 mais aussi en allant au-delà ; je pense notamment à l'Espagne qui est invitée permanente mais aussi à l'Ethiopie. Nous avons aussi les Émirats arabes unis et la Guinée équatoriale qui est en plus la présidente de l'Union africaine et nous avons Singapour. Pourquoi ce choix alors que le G8 est terminé et qu'il a été à mon avis une réussite ? C'est tout simplement parce qu'il y a un pan entier de l'économie de la population de la planète que nous ne pouvions pas tenir à l'écart.
Je pense que l'une des leçons de la crise est de dire qu'il y a des organisations internationales qui ont un rôle clé. Que le G8 a aussi un rôle clé mais qu'il fallait pouvoir aller au-delà. C'est en cela que le G20 permet de ne pas oublier un certain nombre de pays, je pense notamment à l'Amérique du Sud, au Brésil. Ce serait insensé de continuer à faire comme si à huit on pouvait tout voir et tout régler. Le G8 a sa place mais le G20 peut permettre de démultiplier l'action à une condition : que l'on ne doublonne pas avec lui les actions des autres organisations internationales.
Si je suis venu ce matin, c'est justement pour répondre à cette logique là et il a été très clairement évoqué ce matin que la coopération G20/ONU était indispensable. Je ne parle pas uniquement de l'ONU - le président de l'Assemblée générale m'a indiqué que j'avais beaucoup cité l'OIT. Je serai également à Genève le 14 juin en marge de la Conférence internationale de Genève pour une réunion informelle des ministres. Je m'inscris dans ce cadre. Si je le fais dans ce lieu, ce n'est pas le fait du hasard, on a besoin de bien prendre compte la réalité. C'est vrai qu'aujourd'hui le G20 correspond à 85 % du PIB, deux tiers de la population, cela nous donne une vraie légitimité mais on serait fous d'oublier l'ensemble des acteurs c'est-à-dire d'oublier l'ONU. C'est la raison pour laquelle je suis là.
Q - Deux questions, une à propos du 3G, vous avez mentionné Singapour et l'autre à propos du Fonds monétaire international.
Concernant le 3G, Singapour a dit aujourd'hui que la France devrait permettre une plus grande participation de pays n'appartenant pas au G20, particulièrement dans les groupes de travail.
De plus je voulais aussi vous interroger au sujet du Premier ministre sud-africain, qui a dit que le soutien précipité en faveur de la candidature de Christine Lagarde à la tête du Fonds monétaire international viole certains accords du G20 favorables à un processus de sélection plus ouvert. Est-ce votre compréhension de la position du G20 ? Et n'y a-t-il pas conflit d'intérêts à voir la France présider le G20 au même moment où il s'agit de choisir celui ou celle qui présidera le FMI ?
R - Sur le premier point, je vous l'ai dit, Singapour fait partie de ces pays qui, même s'ils ne sont pas dans le G20 à proprement parler, participent.
D'ailleurs, c'est l'ambassadeur de Singapour qui a posé la première question, que je retrouve ensuite pour déjeuner. Je ne suis pas dans la logique d'un club. Certainement pas. Cela serait une erreur. Singapour avec le 3G a pris la parole en premier. Il y a une contribution écrite qu'ils ont remise, vous en avez eu certainement connaissance. Je pense que concernant les questions posées par Singapour il y a des pistes intéressantes. Ils ont insisté beaucoup sur l'emploi, l'employabilité.
Sur ce sujet, j'ai fait le lien avec ce qui à mon avis est intéressant de poser, l'emploi des jeunes, mais pas seulement, la formation qui a été beaucoup évoquée notamment par la Zambie, la formation professionnelle - comment on permet aux demandeurs d'emploi une reconversion -, autant de sujets qui ont été évoqués par Singapour. La logique de la pérennisation d'un groupe de travail « emploi » permettrait aussi d'aller dans ce sens. Je vous le dit, nous ne sommes pas dans une logique de club fermé. C'est pour cela que Singapour est partie intégrante.
Sur le reste, je ne suis pas venu pour parler de la question du FMI. Ce que je note seulement c'est que la candidature de Christine Lagarde est soutenue très largement, au-delà de la France, au-delà même de l'Europe. Je pense que c'est à cela qu'il faut s'en tenir. Du fait que nous soyons engagés à la tête du G20, la Présidence française est une présidence qui se veut collective. Donc je ne vois pas au nom de quoi on pourrait nous dire qu'il y aurait une incompatibilité. Nous sommes bien à chaque fois dans une démarche collective. La nationalité de la présidence, la nationalité d'une candidature, je sais que certains la prennent en compte, mais nous sommes bien dans une logique collective à chaque fois. C'est très important. Quand on voit l'expérience de Christine Lagarde, quand on voit le soutien très large dont elle bénéficie, je pense que cela va au-delà même de la question de la nationalité de Christine Lagarde et même du soutien européen, vraiment au-delà.
Q - Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur le socle de protections sociales ?
R - J''attends déjà que Mme Bachelet nous en dise plus. J'ai un rendez-vous important en septembre. Il y a la réunion des chefs d'Etat ensuite avant la fin de l'année. J'ai besoin que Mme Bachelet nous en dise davantage. Est-ce qu'on est sur des principes généraux ? Et si les principes sont généraux, est-ce que cela rassure ou est-ce que cela inquiète ? Sur les droits sociaux fondamentaux, il y a la question du droit à l'éducation, du droit à la santé, de l'accès à la santé, aux établissements. Est-ce qu'on est bien d'accord aussi pour dire qu'avoir un revenu pour sa retraite ou lorsqu'on est handicapé et qu'on ne peut plus avoir accès à l'emploi, ça en fait partie ou pas ? Dans certains pays, on nous dit «les droits sociaux c'est bien, mais avoir accès à l'eau potable est-ce que ce n'est pas aussi un droit élémentaire ?».
Je fais le lien avec la réunion d'hier qui avait lieu sur le développement, le développement durable, le développement social, l'économie verte. Je crois à la croissance sociale mais je crois aussi à cette croissance verte. Donc, voilà un certain nombre de pistes qui aujourd'hui sont, je le sais, en travaux, dans les réflexions de Mme Bachelet. Je sais que ce n'est pas facile parce que certains se demandent : «Est-ce qu'on ne va pas nous imposer quelque chose ?».
J'ai en souvenir nombre de réunions à Paris où certains représentants se lèvent en disant «n'oubliez pas que c'est à chaque fois une compétence nationale». Je le sais. Mais le fait même qu'on en parle, le fait que même que dans cette enceinte tout à l'heure le sujet ait fait l'objet de très nombreuses reprises, notamment par le représentant du Népal qui ne parlait pas seulement en son nom, mais au nom des Pays les moins avancés - c'est l'appellation qu'ils veulent eux-mêmes se donner -, montre bien que là aussi ce n'est plus un sujet tabou, c'est un sujet sur lequel on avance.
Maintenant, je ne crois pas qu'il y ait un pays qui se dise aujourd'hui «je ne peux pas avancer, je ne dois pas avancer là-dessus». La seule question est qu'ils veulent le faire bien souvent à leur rythme, je l'entends bien. Mais je pense qu'il nous faut poser clairement ce dont nous parlons. Est-ce qu'on a besoin d'être précis dans le détail ? C'est à chaque Etat au nom de sa souveraineté de le faire. Mais sur un certain nombre de principes généraux, je pense que cela devrait nous permettre clairement d'avancer. Ou alors est-ce que ce sont des indicateurs ? C'est pour cela que j'attends vraiment.
J'ai rencontré Mme Bachelet à Paris. En France, je travaille beaucoup avec Martin Hirsch qui fait partie de son groupe de haut niveau pour nous faire des propositions. J'attends d'avoir un canevas plus précis pour pouvoir le faire partager justement au G20. C'est l'une des questions que j'inscrirai le 14 juin à la réunion informelle des ministres pour leur poser cette question. Est-ce qu'il faut de principes généraux ? Est-ce que ce sont des indicateurs ? Qu'est-ce qui nous permettrait d'avancer là-dessus ? En rappelant bien à chaque fois la notion de souveraineté. Cela permet, encore une fois, de donner des garanties d'équilibre et donc d'avancer.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 2011