Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la mission et la contribution du réseau culturel et de coopération au rayonnement extérieur de la France, Paris le 19 juillet 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journées du réseau des conseillers de coopération français à Paris le 19 juillet 2011

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis d'être parmi vous ce soir pour conclure votre traditionnelle rencontre, qui se tient cette année au cœur d'une actualité internationale extrêmement dense. «Printemps arabes», crise financière européenne, rénovation progressive de la gouvernance mondiale, notamment dans le cadre du G8 et du G20… : dans cette période de bouleversements profonds, mais aussi de grandes espérances, notre pays a plus que jamais une voix à faire entendre, une vision à promouvoir, des objectifs ambitieux à atteindre.
Ces objectifs, vous les connaissez. Ils ont été fixés par le président de la République et s'articulent autour de quatre priorités : développer les solidarités autour de la Méditerranée, renforcer l'intégration européenne, resserrer nos partenariats stratégiques avec les nouvelles puissances émergentes tout en poursuivant notre combat pour le multilatéralisme, et anticiper l'essor du continent africain.
Pour relever ces défis, vous avez tout votre rôle à jouer.
La mission du réseau culturel et de coopération, ce n'est pas seulement de promouvoir la culture, la science et l'expertise de notre pays. La contribution que vous apportez à ce titre au rayonnement de la création et des idées françaises est certes essentielle, mais elle est loin d'épuiser la réalité de vos fonctions.
Je voudrais insister sur ce point essentiel : votre action s'inscrit à part entière dans la politique étrangère de la France, au service des grands objectifs de notre diplomatie et de la défense des valeurs auxquelles le nom de France est attaché, au premier rang desquelles la démocratie et les droits de l'Homme. Chacun d'entre vous doit donc être parfaitement au fait des grands choix de notre pays dans ce domaine.
Votre rôle, c'est aussi de comprendre et d'anticiper les évolutions politiques et sociales qui se dessinent dans vos pays de résidence. Nous en avons pris conscience avec les «printemps arabes», qui nous ont surpris et dont nous n'avons saisi immédiatement ni la portée des mutations, ni la force des aspirations : dans un monde qui se transforme de plus en plus vite, avec des sociétés civiles travaillées par des forces de changement complexes, nous devons être plus attentifs et plus en initiative que jamais.
En tant que conseillers culturels, conseillers scientifiques, directeurs d'instituts régionaux et agents des opérateurs, vous êtes parmi les mieux placés pour cela. Vous devez être en permanence à l'écoute des sociétés civiles. Cela suppose d'avoir un réseau vivant de contacts, au-delà de vos partenaires traditionnels, et d'élargir le spectre de vos interlocuteurs aux jeunes, aux nouveaux leaders d'opinion, aux nouvelles figures de la scène culturelle et intellectuelle.
Prendre part à la politique étrangère de la France, c'est enfin nous aider à améliorer sans cesse nos relations bilatérales avec chacun de vos pays pour y développer notre influence. Pour remplir cette mission, vous disposez de toute une gamme de leviers.
Le premier d'entre eux, c'est l'enseignement français. Avec 470 établissements, qui accueillent près de 300.000 élèves étrangers et français dans plus de 130 pays, notre pays possède aujourd'hui le premier réseau scolaire étranger, un réseau reconnu pour la qualité de ses enseignants et de ses méthodes pédagogiques, et dont l'attractivité ne se dément pas. J'en veux pour preuve les plus de 15.000 élèves supplémentaires inscrits au cours des trois dernières années, ce n'est pas sans poser ici ou là quelques problèmes de capacités, nous essayons d'y faire face.
Cette présence scolaire et éducative historique constitue un atout majeur. Pour la renforcer, nous avons élaboré un plan de développement, qui conforte les missions et les moyens du réseau actuel en les maintenant au niveau de 2010 dans le budget triennal 2011-2013 - j'ai dit en arrivant dans cette maison que je n'avais pas de baguette magique budgétaire, j'en apporte la démonstration puisque je me réjouis du maintien de nos moyens, c'est déjà un premier acquis. Nous avons également créé un nouvel instrument, le label «FrancEducation », qui permettra de reconnaître l'excellence d'établissements qui assurent un enseignement renforcé de la langue française et souhaitent se donner une dimension internationale adossée à notre modèle éducatif.
Ces efforts sont essentiels. Ils contribuent également à la promotion de la langue française et de la francophonie. Et vous savez combien c'est un enjeu qui me tient à cœur, et je constate que le demande de langue française est plus vivante que jamais malgré le pessimisme des sceptiques.
Votre deuxième levier, c'est la formation et la recherche, où vous avez un rôle majeur à jouer pour renforcer la compétitivité de notre pays et accroître son rayonnement intellectuel et économique.
C'est vrai en matière de coopération universitaire. À l'heure où un véritable marché international de la connaissance, de plus en plus concurrentiel, se met en place, nous devons conforter l'attractivité de nos universités, de nos écoles et de nos laboratoires de recherche, pour lesquels l'accueil d'étudiants étrangers constitue toujours un atout majeur. Vous savez que dans ce domaine de l'enseignement supérieur nous avons fait au cours des dernières années des efforts considérables pour rénover les structures, introduire l'idée d'autonomie, dégager des crédits importants, tout récemment encore, à Bordeaux pour prendre un exemple au hasard, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche rendait public nos trois universités d'excellence parmi lesquelles Strasbourg, «Paris Sciences et Lettres», excusez du peu - l'École normale supérieure, le Collège de France, Paris-Dauphine, et donc Bordeaux.
En nouant des partenariats dans ce domaine, ce sont des pages d'avenir que vous écrivez avec vos pays de résidence. C'est dans cet esprit que nous avons « sanctuarisé » les crédits dédiés à la mobilité des étudiants et jeunes chercheurs étrangers.
C'est vrai aussi en matière scientifique. Qu'il s'agisse de développer les échanges avec les pays et les scientifiques les plus innovants, de mettre la coopération scientifique au service des processus d'intégration régionale, comme l'espace européen de la recherche ou la construction d'un espace euro-méditerranéen de la science dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, d'appuyer la participation de la recherche française aux débats internationaux sur les grands enjeux globaux ou de soutenir la recherche pour le développement, votre action est indispensable.
Troisième levier : l'aide au développement. Fidèle à ses valeurs de responsabilité, de solidarité et d'humanisme, la France, qui était en 2010 le troisième donateur mondial du G8, consacre 10 milliards d'euros à l'aide publique au développement, soit 0,5 % du revenu national brut, un niveau jamais atteint depuis 15 ans. Le budget de l'aide publique au développement est l'un des rares budgets préservés dans le cadre du triennum budgétaire en cours, et Henri de Raincourt n'y est pas pour rien compte tenu de l'enthousiasme qu'il met à assumer sa mission.
À travers les diverses actions que vous mettez en œuvre sur le terrain, grâce au dynamisme et à la force de conviction d'Henri de Raincourt, vous faites de cet engagement une réalité. Je pense par exemple à notre contribution au dispositif multilatéral d'aide au développement en matière de climat. Notre pays a été l'un des États à l'origine de la création du Fonds pour l'environnement mondial (FEM), dont il est aujourd'hui le cinquième contributeur. Sur la période 2007-2010, il a ainsi versé 38,5 millions d'euros par an Fonds pour l'environnement mondial, le FEM, dont un tiers environ concerne la lutte contre le changement climatique.
Quatrième champ d'action : la santé. Premier contributeur d'UNITAID, deuxième contributeur au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la France est un acteur majeur de la santé publique mondiale.
Cet engagement, ce ne sont pas seulement des chiffres. Ce sont aussi des réalisations concrètes, à l'image de la création au Kenya d'un centre spécialisé dans les affections cardiaques et cancéreuses, dans le cadre de l'extension de l'hôpital universitaire Aga Khan de Nairobi, qui devrait être inauguré dans quelques jours et qui a vocation à devenir la structure hospitalière la plus complète en Afrique de l'Est.
Enfin, cinquième levier : les échanges culturels, la promotion de l'écrit et des médias, qui vous permettent de vous adresser à l'imaginaire collectif, de toucher au cœur les sociétés civiles, notamment grâce à l'Audiovisuel extérieur de la France et la chaine TV5 Monde, qui sont des vecteurs majeurs de diffusion du français et des messages de la France, et dont on ne peut pas apprécier l'utilité par le simple biais budgétaire ou comptable comme on s'apprête parfois à le faire.
Et c'est bien de la politique internationale que vous faites, lorsqu'au Japon où, à la suite des drames du 11 mars, nous avons décidé de conforter le programme de résidences d'artistes de Kyoto, vous offrez à une artiste d'origine japonaise installée en France l'opportunité de séjourner à la Villa Kujoyama pour effectuer sa recherche sur le théâtre Nô. C'est encore de la politique internationale que vous faites, lorsqu'en créant une librairie française sur la Cinquième Avenue, vous renforcez l'influence culturelle de la France à New York.
Ces leviers sont autant d'atouts entre vos mains pour remplir votre mission. N'en négligez aucun. Veillez à en explorer toutes les dimensions, en vous appuyant sur les compétences, les aspirations et les talents de vos collaborateurs, pour construire avec le pays dans lequel vous êtes affecté une relation ambitieuse, dynamique et fructueuse.
Cette relation, vous devez également l'inscrire dans une dimension multilatérale et dans une logique de partenariats. Je pense notamment à l'Union européenne, qui constitue un cadre privilégié de votre action. Travailler avec nos partenaires européens, c'est le plus souvent gagner en visibilité. C'est aussi parfois gagner en envergure, car cela peut vous permettre d'accéder à d'importants financements. J'en veux pour preuve le succès des projets européens auxquels vous êtes de plus en plus nombreux à participer, comme INTRADANCE, qui a vu le jour en Russie avec le soutien à hauteur de 1 million d'euros de la Commission européenne et grâce au travail commun du Centre culturel français de Moscou, du Goethe-Institut, de l'Institut italien de la Culture et du British council.
Pour vous aider dans votre mission, vous disposez de trois nouveaux opérateurs, qui sont désormais pleinement opérationnels et qui s'ajoutent aux agences chargées de mettre en œuvre nos politiques, telles que l'Agence française de Développement ou l'Agence pour l'Enseignement français à l'étranger.
Le premier, c'est l'Institut français, dont la création s'inscrit dans le cadre de la réforme du Département. Il s'agit d'un outil au service des grands objectifs de notre politique étrangère : renforcer l'influence de la France dans le monde, accompagner le développement culturel des pays envers lesquels nous avons un devoir de solidarité, encourager le dialogue et la diversité culturelle.
L'Institut a vocation à apporter au réseau culturel français une véritable valeur ajoutée, notamment en mettant à sa disposition des instruments mutualisés permettant des économies d'échelle. C'est l'objectif de la plate-forme numérique Culturethèque développée à Londres, qui donne accès à des contenus littéraires, musicaux ou encore audiovisuels, qui sera bientôt proposée aux postes.
Comme le prévoit la loi, l'Institut français a commencé à travailler à titre expérimental sur le rattachement du réseau culturel extérieur de la France : treize postes ont été choisis pour lancer les études juridiques, comptables et administratives nécessaires. Ils seront formellement rattachés à l'Institut français au 1er janvier 2012.
À cet égard, vous le savez, l'histoire n'est pas encore écrite. Un choix structurant sera fait en 2013 au terme d'une évaluation soignée. Cela signifie que le processus doit rester réversible et qu'il ne faut en aucun cas préjuger de son issue. Ce qui veut dire aussi qu'il ne faut pas l'aborder avec trop de méfiance ou d'inquiétude. Je vous demande de vous y engager pleinement et avec détermination. Pour vous aider à surmonter les obstacles que vous rencontrerez, vous pourrez compter sur le soutien des services et de l'Institut français, ainsi que sur l'enthousiasme de Xavier Darcos qui s'est lancé dans cette aventure avec beaucoup de cœur.
Deuxième opérateur : France Expertise Internationale.
En transformant le groupement d'intérêt public «France Coopération Internationale» en établissement public à caractère industriel et commercial «France Expertise Internationale», la loi sur l'action extérieure de l'Etat a réaffirmé la légitimité et le rôle de premier plan que doit avoir l'agence polyvalente d'expertise du Quai d'Orsay. En permettant la projection dans le monde de l'expertise française en matière de conduite de projets, il offre à la France un nouvel outil de sa diplomatie d'influence.
Cet outil, c'est vous qui le faites vivre, vous qui, à travers le réseau diplomatique, savez mieux que personne identifier les besoins des Etats et valoriser nos actions. Je pense par exemple aux projets que nous soutenons grâce aux 5 % du Fonds mondial, que France Expertise Internationale est chargée de répartir.
Troisième opérateur : Campus France. Vous le savez, la création de cet opérateur répond à un besoin de lisibilité et de simplification. Elle constitue un vrai progrès pour la promotion de notre coopération universitaire. Mais le Département ne pouvait se lancer dans cette aventure sans en vérifier la viabilité économique. C'est chose faite aujourd'hui et le temps est venu de procéder à la création effective de l'établissement public à caractère industriel et commercial «Campus France», qui aura lieu d'ici janvier 2012.
Au-delà de ces trois grands opérateurs, permettez-moi de vous dire un mot des plus de 400 Alliances françaises conventionnées, qui aux côtés de nos 150 instituts, dotent le réseau culturel français d'un maillage territorial exceptionnel et d'une offre inégalée. J'ai pu encore m'en rendre compte il y a quelques jours à Addis-Abeba où j'ai été reçu au cœur de notre Alliance française C'est grâce à cette articulation unique entre un volet public et un volet associatif, unis au service d'un objectif commun, que la France dispose d'un outil d'influence exceptionnel, aussi bien au sein de la société civile qu'auprès de nos partenaires étatiques et privés.
Ces Alliances françaises, je voudrais leur rendre un hommage particulier : dans de nombreux pays, et souvent parmi les plus importants, elles sont aux avant-postes de notre action culturelle et linguistique. Elles mettent en œuvre les grandes manifestations - saisons ou grands festivals - organisées à l'étranger. Il vous appartient de continuer à travailler toujours plus étroitement avec elles sur le terrain, comme vous le faites déjà au quotidien dans chacun de vos postes.
Avant de conclure, permettez-moi de revenir un instant sur la réforme profonde que connaît aujourd'hui votre réseau.
Cette réforme n'est ni une construction technocratique, ni un instrument de maîtrise de la contrainte budgétaire. Elle était nécessaire car dans sa configuration actuelle, notre réseau n'est pas assez lisible, ni pour nos partenaires étrangers, ni pour le Parlement, ni pour Bercy. Or un réseau qui n'est pas lisible est un réseau fragile.
Cette réforme repose sur trois principes simples, que nous déclinons partout, de la fusion des services de coopération et d'action culturelle et des établissements culturels dotés de l'autonomie financière à l'expérimentation du rattachement du réseau culturel à l'Institut français :
- principe de visibilité, avec une marque commune pour l'ensemble du réseau public ;
- principe de cohérence, avec un dispositif placé dans chaque pays sous l'autorité de l'ambassadeur ;
- principe de souplesse de gestion, grâce à l'autonomie financière.
Cette réforme, c'est désormais à vous qu'il appartient de la mettre en œuvre. Je sais qu'elle suscite des inquiétudes. Je sais qu'elle bouscule vos habitudes et celles de vos équipes. Je sais qu'elle vous conduit à faire des choix difficiles : supprimer des emplois parfois, réduire des dépenses perçues comme essentielles.
Mais pour peu qu'ils soient bien menés, ces efforts ne vous empêchent pas de faire encore beaucoup pour l'influence de la France. Je le constate chaque jour en lisant les comptes-rendus de vos actions. Nous sommes dans une période de contrainte budgétaire, personne n'y échappera, vous voyez bien la gravité de la crise budgétaire et financière qui sévit en Europe, tout relâchement budgétaire nous précipiterait dans la crise et peut-être dans l'implosion de ce que nous avons mis 50 ans à construire, je veux parler de l'Union européenne. Il faut avoir en tête cette réalité avant de ce lamenter sur le fait que les crédits n'augmentent pas ou diminuent ici ou là. C'est toute la noblesse que nous avons à conduire que de retenir ce départ.
Mesdames, Messieurs,
Cette volonté de faire toujours mieux, c'est un engagement inlassable au service de notre pays, je tiens à vous en remercier.
Ils seront vos meilleurs atouts pour mener à bien la réforme de vos structures et pour vous aider à construire dès aujourd'hui notre réseau culturel de demain : un réseau ouvert et dynamique, innovant et généreux, à l'image de la politique étrangère de la France. Vous pouvez comptez sur notre soutien à nous quatre, celui de David Douillet, celui d'Henri de Raincourt, celui de Jean Leonetti et le mien. Merci beaucoup de votre attention.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2011