Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, à RFI le 19 juillet 2011, sur la situation politique en Afrique.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Henri de Raincourt, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Dans de nombreux pays africains, les gens protestent contre les présidents qui veulent s’accrocher au pouvoir trop longtemps. Après le Printemps arabe, peut-il y avoir un Printemps africain ?
R - Le Printemps africain en tant que tel est commencé dans différents domaines depuis déjà un certain temps, que ce soit sur le plan économique avec des croissances importantes dans un certain nombre de pays. J’étais, par exemple, au Ghana avec le Premier ministre ce week-end et au cours de l’année 2011, la croissance au Ghana, excusez du peu, tournera autour de 14 %. Deuxièmement, le printemps est aussi démocratique, je rappelle que, en Guinée Conakry, au Niger ou en Côte d’Ivoire, c’est la démocratie qui l’a emporté.
Q - Il y a trois semaines à l’Assemblée nationale, le ministre français Alain Juppé a fait un parallèle entre la Libye et le Sénégal. «Il faut éviter que les mêmes causes produisent les mêmes effets» a-t-il dit. Que pensez-vous de la décision d’Abdoulaye Wade de se représenter l’an prochain à 86 ans après douze ans de pouvoir ?
R - C’est à chaque pays de se déterminer, c’est à chaque pays de déterminer les modalités d’organisation des élections et de voter pour qui bon lui semble. Ce que le ministre d’Etat a simplement voulu faire remarquer - cela concerne tout le monde et pas seulement l’Afrique, c’est que l’évolution politique de la planète, la mondialisation, l’accélération du temps politique et du temps économique montrent qu’aujourd’hui on ne pourra plus comme on le faisait autrefois - même dans des conditions parfaitement démocratiques et légitimes - rester aussi longtemps au pouvoir qu’il y a encore quelques années. La planète tourne à vive allure et les dirigeants devront s’accoutumer au fait que l’on ne fera pas une carrière entière à la tête d’une mairie, d’un département, d’une région, d’un Etat.
Q - L’avocat français, Robert Bourgi affirme que le soir des émeutes du 27 juin à Dakar, Karim Wade l’a appelé pour faire intervenir l’armée française. Confirmez-vous ?
R - Je n’en ai été nullement informé et, de toute façon, si tel est le cas, je crois que Karim Wade s’est trompé d’époque parce que la France n’est pas là pour assurer le service d’ordre dans aucun pays d’Afrique, quel qu’il soit. Cela aussi, c’est une vision, si tant est que ce qui est dit soit avéré, qui est aujourd’hui totalement dépassée.
Q - Autre pays à problème, le Burkina Faso ; beaucoup prêtent au président Compaoré l’intention de réviser l’article 37 de la Constitution afin de pouvoir se représenter en 2015. Qu’en pensez-vous ?
R - Je confirme qu’effectivement cette question a fait l’objet d’un certain nombre de déclarations, il y a déjà plusieurs mois, au Burkina Faso. J’observe qu’en ce moment c’est un sujet qui ne semble plus, dans les déclarations publiques, être véritablement d’actualité. Il y a un certain nombre d’événements qui sont passés par là. Je crois que la réforme de la Constitution est peut-être moins un sujet d’actualité qu’il y a quelques mois, en tout cas tel que je peux l’observer dans les médias.
Q - Il y a deux semaines vous étiez au Cameroun. Après 29 ans de pouvoir, le président sortant va s’y représenter pour un nouveau mandat de sept ans. 29 + 7 = 36, est-ce que 36 ans ce n’est pas un bail un peu long ?
R - C’est au président Paul Biya de répondre à la question, ce n’est pas à moi. La France n’a pas de candidat, pas plus dans ce pays que dans d’autres.
Q - Depuis quelques jours le ton monte au Cameroun sur les équilibres à l’intérieur de la Commission électorale (ELECAM). L’opposition menace d’empêcher par tous les moyens la tenue de la présidentielles d’octobre prochain si la composition de l’ELECAM n’est pas revue, n’êtes-vous pas préoccupé ?
R - Je crois qu’il faut un jour comprendre qu’en Afrique, comme ailleurs, l’environnement politique qui précède les élections a totalement changé et qu’il y a suffisamment de pays dans lesquels des mouvements de population se sont développés depuis le début de l’année 2011 pour comprendre, encore une fois, que l’environnement a changé. Tout s’est modifié et aujourd’hui l’opinion publique est très informée, en temps réel. Elle ne veut à aucun prix se laisser voler son désir de participer à la vie démocratique. Je crois qu’il faut bien saisir cette évolution des mentalités et des populations. La démocratie est en route, rien ne saurait aujourd’hui l’arrêter, ne serait-ce que par la révolution numérique qui a fait prendre conscience à tous les peuples de leur force irrésistible, même si, encore ici ou là, actuellement il y a de tragiques exceptions.
Q - Au Congo-Kinshasa, le pouvoir a fait supprimer le second tour de la présidentielle de novembre prochain, est-ce que ce n’est pas un exemple de ce bricolage électoral qu’a dénoncé Alain Juppé devant la Chambre il y a trois semaines ?
R - Je ne sais pas si c’est un exemple de bricolage électoral ; en tout cas, effectivement, nous avons pris acte de ce changement dans l’organisation des élections dans ce pays. Si on nous avait demandé conseil, je ne suis pas certain que ce serait celui-ci que nous aurions délivré.
Q - Et l’opposition congolaise dénonce un enrôlement très partisan des électeurs avant la présidentielle, partagez-vous son inquiétude ?
R - Encore une fois, je me permets de dire à tous les responsables, au président de ce pays comme à tous les autres, qu’aujourd’hui la situation est différente et que la population n’accepte plus que, par un certain nombre de mesures plus ou moins efficaces, plus ou moins recommandables, eh bien en quelque sorte on modifie le résultat des élections. C’est quelque chose qui n’est plus de mise aujourd’hui et je crois que la raison et la prudence militent pour que l’on adapte de nouveaux comportements à cette évolution.
Q - Monsieur le Ministre, merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2011