Entretien de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, dans "Le Journal du Dimanche" du 31 juillet 2011, sur l'intervention militaire en Libye.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Pourquoi la France a-t-elle décidé d’envoyer des Rafale sur la base de l’Otan en Sicile ?
R - Nous avons deux priorités en tête : organiser la continuité des opérations aériennes; économiser les moyens engagés. Comme la France dispose du Charles-de-Gaulle et de la base de Solenzara, en Corse, nous n’avons pas eu à recourir aux bases de l’Otan, comme celle de Sigonella, en Sicile. Or nous continuons à adapter de façon permanente notre dispositif, permettant à la fois de durer et de tenir compte des contraintes de maintien en conditions opérationnelles de nos équipements, qui pourraient nous amener à rapatrier le Charles-de-Gaulle après dix-huit mois de mer. Et Sigonella est située à 500 km de Tripoli, contre 1.000 pour la Corse.
Q - Ce redéploiement est-il le signe que la France s’installe dans la guerre ?
R - Je ne suis pas ministre des Affaires étrangères, je ne gère pas la solution politique du conflit libyen. Ce que je sais en revanche, en tant que ministre de la Défense, c’est qu’à aucun moment, la contrainte militaire ne doit empêcher nos diplomates et nos politiques de rechercher une solution politique. Si Kadhafi a le moindre sentiment que le temps joue pour lui, il usera de cette carte à fond. La durée nous appartient, nous ne devons pas être prisonniers du calendrier ni des contraintes techniques. Nous affichons notre capacité à durer. Nous nous inscrivons dans la durée et par ce biais, nous facilitons une solution négociée. Nous disons à Kadhafi que nous ne relâcherons pas notre pression et à ses opposants que nous ne les abandonnerons pas.
Q - Combien de temps ce conflit peut-il encore durer ?
R - Encore une fois, nous agissons avec détermination afin d’accélérer la sortie de crise. Nous engageons des dépenses conséquentes mais à la hauteur de l’enjeu. Nous devons assumer nos responsabilités. Certes, l’intervention a un coût mais il nous en coûterait bien davantage de ne pas aller jusqu’au bout. Chaque jour, nos aviateurs démontrent l’autorité politique de la France.
Q - Mais la guerre coûte chaque jour 1,2 million d’euros à la France…
R - Nos moyens militaires n’ont pas vocation à animer des parades. Cette intervention a un coût, que nous assumons. Le compteur des opérations extérieures de la France n’est pas en train d’exploser. En Côte d’Ivoire, nous sommes déjà passés de 1.300 hommes à moins de 700 et bientôt, nous n’en aurons plus que 300. Le président de la République a aussi décidé de diminuer d’un quart notre présence en Afghanistan durant l’année 2012.
Q - Quelle est la situation sur le terrain ?
R - Nous assistons à un inexorable délitement du système Kadhafi. Les choses prennent du temps mais on ne peut pas en vouloir aux rebelles. Il y a quelques semaines encore, ces hommes exerçaient la profession d’avocat, de mécanicien ou médecin. Ils ne peuvent pas avoir acquis en si peu de temps l’efficacité de soldats professionnels comme le sont les troupes de Kadhafi. Mais ils sont courageux, mieux organisés, toujours protégés par la coalition. Une guerre n’est jamais une situation confortable, mais l’impatience n’est jamais bonne conseillère.
Q - Que faudrait-il pour que Kadhafi tombe? L’engagement de la France est-il appelé à être renforcé ?
R - Il n’existe pas d’avenir pour la Libye avec Kadhafi. Cette évidence devrait être mieux méditée par ceux qui le soutiennent encore. Il faut que les choses bougent davantage à Tripoli. Pour dire les choses clairement, il faut que la population se soulève. Le mois qui vient sera de toute façon intense. Il n’y aura pas, je le crois, de pause due à la période du ramadan. L’engagement militaire français est conséquent et je voudrais à ce sujet souligner le travail remarquable effectué par nos pilotes d’hélicoptère, qui permettent de trier le bon grain de l’ivraie et de frapper ensuite à bon escient. Sur un millier de sorties, la coalition ne s’est rendue responsable que de deux frappes évidemment regrettables, qui ont touché des civils, et que je déplore. Deux sur mille.
Q - Mais la France va-t-elle continuer de mener cette guerre presque seule au côté des Britanniques ?
R - La France et la Grande-Bretagne ne sont pas seules. Mais il est vrai que la France souhaite que ses partenaires de l’Union européenne, je pense à l’Espagne, à l’Allemagne, à la Pologne, aux nations du nord de l’Europe, l’accompagnent davantage. Plus nous serons nombreux à démontrer que rien n’est possible avec Kadhafi, plus nous parviendrons à son isolement total, plus vite cette guerre prendra fin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 2011