Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le site internet algérien "El-Djazaïr.com" le 7 février 2011, sur le maintien du régime spécial de visas accordés aux Algériens, la coopération bilatérale entre la France et l'Algérie, le Sahara occidental et l'Union pour la Méditerranée.

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Média : Presse étrangère

Texte intégral

Q - Vous êtes connue, en Algérie, où vous vous êtes rendue à trois reprises, en visite officielle, comme un «poids lourd» de la scène politique française et l’une des personnalités qui connaissent le mieux le dossier des relations algéro-françaises. Or la dimension humaine est considérée, par le gouvernement algérien, comme une donnée essentielle dans les relations entre les deux pays, pour des raisons liées, notamment, à l’Histoire. Vous avez déclaré, à ce sujet, en octobre dernier, à Alger, où vous aviez été reçue par le président de la République et par le chef du gouvernement «nous souhaitons que l’Algérie continue de bénéficier d’un régime spécial, plus favorable», et que «la France est prête à des avancées». Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par régime spécial et quelles pourraient être ces avancées ?
R - L’Algérie est liée à la France par un accord de 1968 en matière migratoire. Cet accord prévoit des règles d’établissement plus favorables pour les Algériens que pour les autres nationalités. Nous sommes favorables au maintien de ce régime spécial, eu égard à la dimension exceptionnelle de notre relation et à sa dimension humaine. Il se trouve que le droit commun a tellement progressé que, sur certains points, et c’est paradoxal, le droit applicable aux Algériens est devenu en réalité moins favorable que la règle générale. Cela concerne notamment les entrepreneurs, les cadres d’entreprise et les étudiants. Il est donc logique et conforme à notre ambition bilatérale d’amender les accords de 1968 pour que l’Algérie continue à bénéficier d’un régime plus favorable. C’est l’objet de la discussion d’un nouvel avenant, qui serait le quatrième.
Q - Le nombre d’Algériens - résidants ou binationaux d’origine algérienne - est estimé à 4 millions ou 4 millions et demi, selon les sources, ce qui donne à la question de la circulation des personnes, et donc à celle des visas, entre les deux pays une importance cruciale. Contrairement à certains propos, comme ceux de l’ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui affirmait, en substance, dans une déclaration à un organe de presse algérien, que «la délivrance des visas aux Algériens est un sujet important, et elle doit être facilitée, dans le cadre de la réciprocité» ou celle du consul général à Alger, qui estime, selon un autre quotidien algérien, que sur «100 demandes, 72 sont satisfaites», la réalité est tout autre. Quel regard portez-vous sur cette question très sensible ?
R - Je ne crois pas que la réalité soit autre que celle des chiffres. Il y a en moyenne 72 visas octroyés pour 100 demandes de visas déposées. Nous avons fait des efforts considérables pour améliorer l’accueil des demandeurs de visas, ce qui me semble parfaitement naturel. Les consulats prennent en compte la spécificité de la population algérienne résidant en France, des binationaux et des Français d’origine algérienne qui désirent maintenir un lien fort avec leur pays d’origine.
Q - Les récentes déclarations, du ministre français de l’Intérieur, Brice Hortefeux, annonçant la convocation, en février 2011, des consuls de France pour leur demander plus de vigilance dans la délivrance des visas de court séjour qui ne doivent pas être, selon lui, «des passeports pour la clandestinité», ont été mal perçues à Alger. Pouvez-vous nous en dire plus sur les intentions du gouvernement français à ce sujet ?
R - Le processus de délivrance de visas doit être accompli avec célérité et attention. C’est une préoccupation pour l’ensemble de nos pays. La réunion organisée par le ministre de l’Intérieur a une portée générale et ne concerne pas seulement l’Algérie. Soyons réalistes, la fraude existe, et elle pénalise au premier chef les demandeurs de bonne foi. Dans tous les pays, il faut combattre ce genre de phénomène. L’Algérie, qui est aussi un pays d’immigration, le sait bien.
Q - Dans le cadre de sa politique dite d’«immigration choisie et non subie», le gouvernement français a renégocié - et conclu - des accords avec certains pays maghrébins et africains. Les négociations algéro-françaises relatives à un éventuel quatrième avenant à l’accord du 27 décembre 1968 sur la «la circulation, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens et de leurs familles» sont au point mort. Pourriez-vous nous situer, du point de vue français, les points d’achoppement ?
R - Les discussions progressent. Nous attendons la mise en place de mécanismes de lutte contre l’immigration illégale. Nous souhaitons aussi, au bénéfice des Français souhaitant aller en Algérie, des mesures comparables à celles que nous octroyons aux Algériens désirant s’installer en France. Il y a un certain nombre de détails à régler encore, mais je ne parlerais pas à ce stade de véritables points d’achoppement. Nous sommes encore en phase de travail technique.
Q - La visite en Algérie de Jean-Pierre Raffarin, sénateur UMP et ancien Premier ministre français, fin novembre dernier, après celle de M. Idrac, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, a conduit certains analystes algériens à conclure que la partie française chercherait, dans ses relations avec l’Algérie, à dissocier la dimension humaine des questions d’ordre économique. On observe, par ailleurs, que ces relations sont souvent liées à des considérations d’ordre électoral et de politique intérieure. Qu’en est-il exactement ?
R - La visite de Jean-Pierre Raffarin s’inscrit dans le cadre d’une mission décidée en commun par les autorités françaises et algériennes, et en liaison avec la personne désignée par le gouvernement algérien à cet effet, M. Benmeradi. Son objectif est de renforcer systématiquement les investissements et partenariats français en Algérie et algériens en France. Le gouvernement algérien souhaite bénéficier, dans les conditions qu’il arrête souverainement, de l’apport de savoir-faire et de capitaux étrangers. Nous sommes prêts à participer à cet effort. Des entreprises françaises sont prêtes à se mobiliser. Vous le savez, les entreprises françaises sont les premiers investisseurs étrangers hors domaine hydrocarbure : 430 entreprises, 80% de leurs bénéfices sont réinvestis sur place. Une entreprise française qui fabrique des pneus est le deuxième exportateur d’Algérie après la Sonatrach. Nous sommes prêts à lancer de nouveaux projets. Ils pourraient consolider ici de nouvelles filières économiques, avec un tissu de PME et d’activité. Dans notre esprit, cela ne peut être qu’un partenariat gagnant-gagnant. Les investissements français ont pour objet de contribuer à la stratégie de développement de l’Algérie.
Q - Il est communément admis que, bien que ne faisant pas officiellement partie de l’Organisation internationale de la francophonie, l’Algérie est de fait, pour des raisons historiques, le deuxième pays francophone après la France, puisque le français y est enseigné à tous les niveaux, qu’il est compris, parlé et écrit par l’immense majorité de la population. Cependant, les relations culturelles entre les deux pays sont modestes, et il est exigé des étudiants algériens devant poursuivre des études supérieures en France un certificat de connaissance de la langue française délivré par le Centre culturel français. Quel regard portez-vous sur la coopération culturelle algéro-française et quelles seraient les possibilités de la développer et de la renforcer ?
R - Nous attachons une très grande importance à notre relation avec l’Algérie. La preuve en est que l’enveloppe de coopération consacrée à l’Algérie par le ministère des Affaires étrangères représente entre 10 et 12 millions d’euros par an, c’est l’une des premières au monde. L’enveloppe la plus importante est consacrée à la coopération universitaire, avec près de 400 conventions de partenariat actives entre universités françaises et algériennes. Les assises franco-algériennes de l’enseignement supérieur et de la recherche se sont tenues en octobre dernier. Leur succès doit nous inciter à développer de nouveaux modes de partenariat dans ce domaine d’avenir. Ainsi, aujourd’hui, les Algériens publient 18 000 articles de recherche, un tiers est le produit d’une coopération franco-algérienne. Notre effort porte également sur la promotion du français dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, sur la coopération administrative et sur la coopération culturelle. Cinq centres culturels français fonctionnent en Algérie. Un nouveau doit ouvrir à Tizi Ouzou. Ils construisent au quotidien des partenariats avec d’importantes institutions algériennes. Notre coopération fonctionne globalement bien, et je souhaite la développer encore.
Q - Les services algériens et français collaborent étroitement dans la lutte antiterroriste. Cependant, l’Algérie n’a pas participé, le 13 octobre 2010, à Bamako, à une réunion du groupe d’action antiterroriste du G8, élargi aux pays de la région, estimant qu’il appartient aux Etats du Sahel directement concernés de régler le problème posé par AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique). Quel regard portez-vous sur cette question, surtout depuis l’enlèvement de ressortissant français, à Arlit, au Niger, en septembre dernier ?
R - Avant Bamako, il y avait eu la Conférence d’Alger, organisée par l’Algérie et rassemblant les pays de la région. Nous avions salué cette initiative et les conclusions adoptées. Je crois comprendre que la décision algérienne de ne pas participer à la Conférence de Bamako avait une autre origine que la question de la primauté, reconnue par tous les participants des pays de la région pour régler définitivement les problèmes posés par la présence d’AQMI dans cette zone. Le rôle de l’Algérie et des pays de la région est incontournable, mais comme la Conférence d’Alger l’avait conclu, il existe aussi un rôle pour la communauté internationale. La France, comme l’Union européenne, est prête à y prendre sa part.
Q - Selon les observateurs, la position du gouvernement français, sur la question du Sahara occidental n’est pas de nature à faciliter la solution de ce problème. On sait que le référendum sur l’autodétermination du peuple sahraoui, décidé par l’ONU, devait intervenir en janvier 1992. Depuis, l’un des deux protagonistes est dans la logique du fait accompli et ni les représentants spéciaux successifs du secrétaire général de l’ONU ni les divers contacts bipartites n’ont eu de résultats, le Maroc poursuivant, semble-t-il, la confirmation de son plan d’annexion de 1975, par un plan d’autonomie que les Sahraouis rejettent. Les manifestations sécessionnistes se succèdent depuis des années à El-Ayoun et à Smara, la dernière en date étant intervenue en novembre dernier et a donné lieu à une violente répression. Quelle est votre vision sur la manière de parvenir enfin à une solution de ce problème, qui empoisonne, notamment, le fonctionnement effectif de l’Union pour le Maghreb arabe (UMA), qui serait un partenaire de poids pour la France, notamment dans le cadre de l’«Union pour la Méditerranée» (UpM) ?
R - Comme vous, je crois que la concrétisation de tout le potentiel de l’Union pour le Maghreb arabe serait extrêmement bénéfique aux pays de la région et à la France. Mon pays ne peut que se réjouir de leur prospérité et de leur développement. Ce conflit n’a effectivement que trop duré. L’important aujourd’hui est de progresser vers une voie réaliste de résolution, acceptée par les parties. C’est la mission importante confiée aux Nations unies. Christopher Ross, l’envoyé spécial du secrétaire des Nations unies, s’y attelle avec courage et détermination, et nous le soutenons. Le processus de contacts informels qu’il a lancé se poursuit.
Q - L’«Union de la Méditerranée», annoncée par M. Sarkozy dans son discours de février 2007 à Toulon, devenue, après son élection à la présidence de la France, l’«Union pour la Méditerranée», lancée à Paris le 13 juillet 2008, peine à trouver ses marques, et serait «à l’agonie», à la suite du report du sommet qui devait se tenir à Barcelone, le 21 novembre dernier. Pourriez-vous nous éclairer sur les raisons de ce report ?
R - Ce n’est pas un secret. L’espoir était que la négociation du processus de paix ait repris. Ceci aurait offert un environnement favorable au développement de l’Union pour la Méditerranée. A la place, nous avons connu un nouveau coup de frein, une nouvelle déception. Pour autant, je ne renonce pas à l’Union pour la Méditerranée. Dans un monde où coexistent des masses démographiques, économiques et politiques considérables, de l’ordre du milliard d’habitants, l’Europe ne saurait se replier sur elle-même. Les pays sud méditerranéens ne peuvent peser suffisamment à eux seuls. Elle doit d’abord nouer un véritable partenariat avec ses voisins méditerranéens. C’est pour cela que le président Nicolas Sarkozy a lancé l’UPM. Le processus antérieur, dit «Processus de Barcelone», ne fonctionnait plus vraiment. Nous avons tenté de le relancer autour de projets de coopération concrets et ambitieux et d’une véritable cogestion d’un processus auparavant géré seulement par le Nord. Comme toute ambition, elle nécessite du temps pour être réalisée, mais il n’est pas question de renoncer.
Q - Selon ses détracteurs, l’idée même d’Union pour la Méditerranée n’était pas viable, en raison de l’existence, notamment de trois conflits majeurs dans la région : le Sahara occidental, la situation dans les Balkans et la question palestinienne, qui est actuellement dans l’impasse totale, en raison de la poursuite de la colonisation des territoires occupés en violation des résolutions pertinentes de l’ONU et de la réprobation de la communauté internationale. Là aussi, l’un des protagonistes est, depuis 1948, dans la logique du fait accompli, et les négociations ne sont conçues, depuis 1992, à Oslo, que comme un interminable feuilleton destiné à asseoir définitivement, par la force, le fait accompli. Que pourraient entreprendre la France et l’Union européenne pour contribuer à une solution équitable, par la mise en place d’un Etat palestinien que certains pays, notamment latino-américains, reconnaissent officiellement comme un «Etat libre et indépendant à l’intérieur des frontières de 1967» ?
R - Il y a toujours une bonne raison de ne pas avancer, mais je ne crois pas que nous devons subordonner le développement des relations entre le nord et le sud de la Méditerranée à l’attente de la fin de la résolution de ces conflits. Ce serait contraire à l’intérêt de nos peuples. Il faut beaucoup de détermination, autant pour aller de l’avant dans le développement de la relation euro-méditerranéenne que pour faire progresser coûte que coûte le processus de paix. Comme vous le savez, sur ce sujet, la France ne ménage pas ses efforts. Elle a soutenu la médiation américaine et il est bon que le président Obama ait marqué un tel réengagement de son pays sur ce conflit. Nous pensons nécessaire de mieux encadrer les négociations par une plus forte implication, aux côtés des Etats-Unis, de l’Union européenne et du Quartet. Le soutien au plan Fayyad de renforcement des capacités étatiques palestiniennes est un autre volet important qu’il faut soutenir.
Q - Revenons, si vous le voulez-bien, au couple Algérie-France. Depuis longtemps, ses relations ont avancé au rythme de «un pas en avant, deux pas en arrière», en dépit des liens découlant d’une longue histoire commune, liens qui devraient être le ciment d’une coopération à «nulle autre pareille» dans tous les domaines, selon votre expression. Il se produit toujours, mal à propos, un incident qui provoque des crispations, et les responsables algériens ne comprennent pas toujours les motivations de politique intérieure qui sont à l’origine de certaines déclarations intempestives, ni les justifications liées au «pacte européen sur l’immigration et l’asile» dont la France a été la cheville ouvrière lors de sa Présidence de l’Union européenne au second semestre 2008. Quelle est votre vision de l’avenir des relations entre les deux pays ?
R - Nos relations ont une densité à nulle autre pareille. J’y suis personnellement très attachée. Nous avons parlé des questions de circulation des personnes, que nous souhaitons améliorer. Nous avons parlé de la question des investissements en Algérie et de la participation de la France au développement économique de l’Algérie. Nous avons parlé de la lutte contre le terrorisme, autre axe de proximité remarquable dans notre relation. Le dialogue sur les grands sujets de politique étrangère doit aussi être très fructueux entre nos deux pays. Les positions ont des points de convergence forts, par exemple sur le volontarisme qui doit nous guider dans la résolution des grands équilibres mondiaux. J’ai un très haut niveau d’ambition pour la coopération entre la France et l’Algérie et notre relation humaine est un facteur essentiel de notre réussite commune.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2011