Texte intégral
Q - Vous êtes connue, en Algérie, où vous vous êtes rendue à trois reprises, en visite officielle, comme un «poids lourd» de la scène politique française et lune des personnalités qui connaissent le mieux le dossier des relations algéro-françaises. Or la dimension humaine est considérée, par le gouvernement algérien, comme une donnée essentielle dans les relations entre les deux pays, pour des raisons liées, notamment, à lHistoire. Vous avez déclaré, à ce sujet, en octobre dernier, à Alger, où vous aviez été reçue par le président de la République et par le chef du gouvernement «nous souhaitons que lAlgérie continue de bénéficier dun régime spécial, plus favorable», et que «la France est prête à des avancées». Pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par régime spécial et quelles pourraient être ces avancées ?
R - LAlgérie est liée à la France par un accord de 1968 en matière migratoire. Cet accord prévoit des règles détablissement plus favorables pour les Algériens que pour les autres nationalités. Nous sommes favorables au maintien de ce régime spécial, eu égard à la dimension exceptionnelle de notre relation et à sa dimension humaine. Il se trouve que le droit commun a tellement progressé que, sur certains points, et cest paradoxal, le droit applicable aux Algériens est devenu en réalité moins favorable que la règle générale. Cela concerne notamment les entrepreneurs, les cadres dentreprise et les étudiants. Il est donc logique et conforme à notre ambition bilatérale damender les accords de 1968 pour que lAlgérie continue à bénéficier dun régime plus favorable. Cest lobjet de la discussion dun nouvel avenant, qui serait le quatrième.
Q - Le nombre dAlgériens - résidants ou binationaux dorigine algérienne - est estimé à 4 millions ou 4 millions et demi, selon les sources, ce qui donne à la question de la circulation des personnes, et donc à celle des visas, entre les deux pays une importance cruciale. Contrairement à certains propos, comme ceux de lambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui affirmait, en substance, dans une déclaration à un organe de presse algérien, que «la délivrance des visas aux Algériens est un sujet important, et elle doit être facilitée, dans le cadre de la réciprocité» ou celle du consul général à Alger, qui estime, selon un autre quotidien algérien, que sur «100 demandes, 72 sont satisfaites», la réalité est tout autre. Quel regard portez-vous sur cette question très sensible ?
R - Je ne crois pas que la réalité soit autre que celle des chiffres. Il y a en moyenne 72 visas octroyés pour 100 demandes de visas déposées. Nous avons fait des efforts considérables pour améliorer laccueil des demandeurs de visas, ce qui me semble parfaitement naturel. Les consulats prennent en compte la spécificité de la population algérienne résidant en France, des binationaux et des Français dorigine algérienne qui désirent maintenir un lien fort avec leur pays dorigine.
Q - Les récentes déclarations, du ministre français de lIntérieur, Brice Hortefeux, annonçant la convocation, en février 2011, des consuls de France pour leur demander plus de vigilance dans la délivrance des visas de court séjour qui ne doivent pas être, selon lui, «des passeports pour la clandestinité», ont été mal perçues à Alger. Pouvez-vous nous en dire plus sur les intentions du gouvernement français à ce sujet ?
R - Le processus de délivrance de visas doit être accompli avec célérité et attention. Cest une préoccupation pour lensemble de nos pays. La réunion organisée par le ministre de lIntérieur a une portée générale et ne concerne pas seulement lAlgérie. Soyons réalistes, la fraude existe, et elle pénalise au premier chef les demandeurs de bonne foi. Dans tous les pays, il faut combattre ce genre de phénomène. LAlgérie, qui est aussi un pays dimmigration, le sait bien.
Q - Dans le cadre de sa politique dite d«immigration choisie et non subie», le gouvernement français a renégocié - et conclu - des accords avec certains pays maghrébins et africains. Les négociations algéro-françaises relatives à un éventuel quatrième avenant à laccord du 27 décembre 1968 sur la «la circulation, lemploi et le séjour des ressortissants algériens et de leurs familles» sont au point mort. Pourriez-vous nous situer, du point de vue français, les points dachoppement ?
R - Les discussions progressent. Nous attendons la mise en place de mécanismes de lutte contre limmigration illégale. Nous souhaitons aussi, au bénéfice des Français souhaitant aller en Algérie, des mesures comparables à celles que nous octroyons aux Algériens désirant sinstaller en France. Il y a un certain nombre de détails à régler encore, mais je ne parlerais pas à ce stade de véritables points dachoppement. Nous sommes encore en phase de travail technique.
Q - La visite en Algérie de Jean-Pierre Raffarin, sénateur UMP et ancien Premier ministre français, fin novembre dernier, après celle de M. Idrac, secrétaire dEtat au Commerce extérieur, a conduit certains analystes algériens à conclure que la partie française chercherait, dans ses relations avec lAlgérie, à dissocier la dimension humaine des questions dordre économique. On observe, par ailleurs, que ces relations sont souvent liées à des considérations dordre électoral et de politique intérieure. Quen est-il exactement ?
R - La visite de Jean-Pierre Raffarin sinscrit dans le cadre dune mission décidée en commun par les autorités françaises et algériennes, et en liaison avec la personne désignée par le gouvernement algérien à cet effet, M. Benmeradi. Son objectif est de renforcer systématiquement les investissements et partenariats français en Algérie et algériens en France. Le gouvernement algérien souhaite bénéficier, dans les conditions quil arrête souverainement, de lapport de savoir-faire et de capitaux étrangers. Nous sommes prêts à participer à cet effort. Des entreprises françaises sont prêtes à se mobiliser. Vous le savez, les entreprises françaises sont les premiers investisseurs étrangers hors domaine hydrocarbure : 430 entreprises, 80% de leurs bénéfices sont réinvestis sur place. Une entreprise française qui fabrique des pneus est le deuxième exportateur dAlgérie après la Sonatrach. Nous sommes prêts à lancer de nouveaux projets. Ils pourraient consolider ici de nouvelles filières économiques, avec un tissu de PME et dactivité. Dans notre esprit, cela ne peut être quun partenariat gagnant-gagnant. Les investissements français ont pour objet de contribuer à la stratégie de développement de lAlgérie.
Q - Il est communément admis que, bien que ne faisant pas officiellement partie de lOrganisation internationale de la francophonie, lAlgérie est de fait, pour des raisons historiques, le deuxième pays francophone après la France, puisque le français y est enseigné à tous les niveaux, quil est compris, parlé et écrit par limmense majorité de la population. Cependant, les relations culturelles entre les deux pays sont modestes, et il est exigé des étudiants algériens devant poursuivre des études supérieures en France un certificat de connaissance de la langue française délivré par le Centre culturel français. Quel regard portez-vous sur la coopération culturelle algéro-française et quelles seraient les possibilités de la développer et de la renforcer ?
R - Nous attachons une très grande importance à notre relation avec lAlgérie. La preuve en est que lenveloppe de coopération consacrée à lAlgérie par le ministère des Affaires étrangères représente entre 10 et 12 millions deuros par an, cest lune des premières au monde. Lenveloppe la plus importante est consacrée à la coopération universitaire, avec près de 400 conventions de partenariat actives entre universités françaises et algériennes. Les assises franco-algériennes de lenseignement supérieur et de la recherche se sont tenues en octobre dernier. Leur succès doit nous inciter à développer de nouveaux modes de partenariat dans ce domaine davenir. Ainsi, aujourdhui, les Algériens publient 18 000 articles de recherche, un tiers est le produit dune coopération franco-algérienne. Notre effort porte également sur la promotion du français dans lenseignement primaire, secondaire et supérieur, sur la coopération administrative et sur la coopération culturelle. Cinq centres culturels français fonctionnent en Algérie. Un nouveau doit ouvrir à Tizi Ouzou. Ils construisent au quotidien des partenariats avec dimportantes institutions algériennes. Notre coopération fonctionne globalement bien, et je souhaite la développer encore.
Q - Les services algériens et français collaborent étroitement dans la lutte antiterroriste. Cependant, lAlgérie na pas participé, le 13 octobre 2010, à Bamako, à une réunion du groupe daction antiterroriste du G8, élargi aux pays de la région, estimant quil appartient aux Etats du Sahel directement concernés de régler le problème posé par AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique). Quel regard portez-vous sur cette question, surtout depuis lenlèvement de ressortissant français, à Arlit, au Niger, en septembre dernier ?
R - Avant Bamako, il y avait eu la Conférence dAlger, organisée par lAlgérie et rassemblant les pays de la région. Nous avions salué cette initiative et les conclusions adoptées. Je crois comprendre que la décision algérienne de ne pas participer à la Conférence de Bamako avait une autre origine que la question de la primauté, reconnue par tous les participants des pays de la région pour régler définitivement les problèmes posés par la présence dAQMI dans cette zone. Le rôle de lAlgérie et des pays de la région est incontournable, mais comme la Conférence dAlger lavait conclu, il existe aussi un rôle pour la communauté internationale. La France, comme lUnion européenne, est prête à y prendre sa part.
Q - Selon les observateurs, la position du gouvernement français, sur la question du Sahara occidental nest pas de nature à faciliter la solution de ce problème. On sait que le référendum sur lautodétermination du peuple sahraoui, décidé par lONU, devait intervenir en janvier 1992. Depuis, lun des deux protagonistes est dans la logique du fait accompli et ni les représentants spéciaux successifs du secrétaire général de lONU ni les divers contacts bipartites nont eu de résultats, le Maroc poursuivant, semble-t-il, la confirmation de son plan dannexion de 1975, par un plan dautonomie que les Sahraouis rejettent. Les manifestations sécessionnistes se succèdent depuis des années à El-Ayoun et à Smara, la dernière en date étant intervenue en novembre dernier et a donné lieu à une violente répression. Quelle est votre vision sur la manière de parvenir enfin à une solution de ce problème, qui empoisonne, notamment, le fonctionnement effectif de lUnion pour le Maghreb arabe (UMA), qui serait un partenaire de poids pour la France, notamment dans le cadre de l«Union pour la Méditerranée» (UpM) ?
R - Comme vous, je crois que la concrétisation de tout le potentiel de lUnion pour le Maghreb arabe serait extrêmement bénéfique aux pays de la région et à la France. Mon pays ne peut que se réjouir de leur prospérité et de leur développement. Ce conflit na effectivement que trop duré. Limportant aujourdhui est de progresser vers une voie réaliste de résolution, acceptée par les parties. Cest la mission importante confiée aux Nations unies. Christopher Ross, lenvoyé spécial du secrétaire des Nations unies, sy attelle avec courage et détermination, et nous le soutenons. Le processus de contacts informels quil a lancé se poursuit.
Q - L«Union de la Méditerranée», annoncée par M. Sarkozy dans son discours de février 2007 à Toulon, devenue, après son élection à la présidence de la France, l«Union pour la Méditerranée», lancée à Paris le 13 juillet 2008, peine à trouver ses marques, et serait «à lagonie», à la suite du report du sommet qui devait se tenir à Barcelone, le 21 novembre dernier. Pourriez-vous nous éclairer sur les raisons de ce report ?
R - Ce nest pas un secret. Lespoir était que la négociation du processus de paix ait repris. Ceci aurait offert un environnement favorable au développement de lUnion pour la Méditerranée. A la place, nous avons connu un nouveau coup de frein, une nouvelle déception. Pour autant, je ne renonce pas à lUnion pour la Méditerranée. Dans un monde où coexistent des masses démographiques, économiques et politiques considérables, de lordre du milliard dhabitants, lEurope ne saurait se replier sur elle-même. Les pays sud méditerranéens ne peuvent peser suffisamment à eux seuls. Elle doit dabord nouer un véritable partenariat avec ses voisins méditerranéens. Cest pour cela que le président Nicolas Sarkozy a lancé lUPM. Le processus antérieur, dit «Processus de Barcelone», ne fonctionnait plus vraiment. Nous avons tenté de le relancer autour de projets de coopération concrets et ambitieux et dune véritable cogestion dun processus auparavant géré seulement par le Nord. Comme toute ambition, elle nécessite du temps pour être réalisée, mais il nest pas question de renoncer.
Q - Selon ses détracteurs, lidée même dUnion pour la Méditerranée nétait pas viable, en raison de lexistence, notamment de trois conflits majeurs dans la région : le Sahara occidental, la situation dans les Balkans et la question palestinienne, qui est actuellement dans limpasse totale, en raison de la poursuite de la colonisation des territoires occupés en violation des résolutions pertinentes de lONU et de la réprobation de la communauté internationale. Là aussi, lun des protagonistes est, depuis 1948, dans la logique du fait accompli, et les négociations ne sont conçues, depuis 1992, à Oslo, que comme un interminable feuilleton destiné à asseoir définitivement, par la force, le fait accompli. Que pourraient entreprendre la France et lUnion européenne pour contribuer à une solution équitable, par la mise en place dun Etat palestinien que certains pays, notamment latino-américains, reconnaissent officiellement comme un «Etat libre et indépendant à lintérieur des frontières de 1967» ?
R - Il y a toujours une bonne raison de ne pas avancer, mais je ne crois pas que nous devons subordonner le développement des relations entre le nord et le sud de la Méditerranée à lattente de la fin de la résolution de ces conflits. Ce serait contraire à lintérêt de nos peuples. Il faut beaucoup de détermination, autant pour aller de lavant dans le développement de la relation euro-méditerranéenne que pour faire progresser coûte que coûte le processus de paix. Comme vous le savez, sur ce sujet, la France ne ménage pas ses efforts. Elle a soutenu la médiation américaine et il est bon que le président Obama ait marqué un tel réengagement de son pays sur ce conflit. Nous pensons nécessaire de mieux encadrer les négociations par une plus forte implication, aux côtés des Etats-Unis, de lUnion européenne et du Quartet. Le soutien au plan Fayyad de renforcement des capacités étatiques palestiniennes est un autre volet important quil faut soutenir.
Q - Revenons, si vous le voulez-bien, au couple Algérie-France. Depuis longtemps, ses relations ont avancé au rythme de «un pas en avant, deux pas en arrière», en dépit des liens découlant dune longue histoire commune, liens qui devraient être le ciment dune coopération à «nulle autre pareille» dans tous les domaines, selon votre expression. Il se produit toujours, mal à propos, un incident qui provoque des crispations, et les responsables algériens ne comprennent pas toujours les motivations de politique intérieure qui sont à lorigine de certaines déclarations intempestives, ni les justifications liées au «pacte européen sur limmigration et lasile» dont la France a été la cheville ouvrière lors de sa Présidence de lUnion européenne au second semestre 2008. Quelle est votre vision de lavenir des relations entre les deux pays ?
R - Nos relations ont une densité à nulle autre pareille. Jy suis personnellement très attachée. Nous avons parlé des questions de circulation des personnes, que nous souhaitons améliorer. Nous avons parlé de la question des investissements en Algérie et de la participation de la France au développement économique de lAlgérie. Nous avons parlé de la lutte contre le terrorisme, autre axe de proximité remarquable dans notre relation. Le dialogue sur les grands sujets de politique étrangère doit aussi être très fructueux entre nos deux pays. Les positions ont des points de convergence forts, par exemple sur le volontarisme qui doit nous guider dans la résolution des grands équilibres mondiaux. Jai un très haut niveau dambition pour la coopération entre la France et lAlgérie et notre relation humaine est un facteur essentiel de notre réussite commune.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2011
R - LAlgérie est liée à la France par un accord de 1968 en matière migratoire. Cet accord prévoit des règles détablissement plus favorables pour les Algériens que pour les autres nationalités. Nous sommes favorables au maintien de ce régime spécial, eu égard à la dimension exceptionnelle de notre relation et à sa dimension humaine. Il se trouve que le droit commun a tellement progressé que, sur certains points, et cest paradoxal, le droit applicable aux Algériens est devenu en réalité moins favorable que la règle générale. Cela concerne notamment les entrepreneurs, les cadres dentreprise et les étudiants. Il est donc logique et conforme à notre ambition bilatérale damender les accords de 1968 pour que lAlgérie continue à bénéficier dun régime plus favorable. Cest lobjet de la discussion dun nouvel avenant, qui serait le quatrième.
Q - Le nombre dAlgériens - résidants ou binationaux dorigine algérienne - est estimé à 4 millions ou 4 millions et demi, selon les sources, ce qui donne à la question de la circulation des personnes, et donc à celle des visas, entre les deux pays une importance cruciale. Contrairement à certains propos, comme ceux de lambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, qui affirmait, en substance, dans une déclaration à un organe de presse algérien, que «la délivrance des visas aux Algériens est un sujet important, et elle doit être facilitée, dans le cadre de la réciprocité» ou celle du consul général à Alger, qui estime, selon un autre quotidien algérien, que sur «100 demandes, 72 sont satisfaites», la réalité est tout autre. Quel regard portez-vous sur cette question très sensible ?
R - Je ne crois pas que la réalité soit autre que celle des chiffres. Il y a en moyenne 72 visas octroyés pour 100 demandes de visas déposées. Nous avons fait des efforts considérables pour améliorer laccueil des demandeurs de visas, ce qui me semble parfaitement naturel. Les consulats prennent en compte la spécificité de la population algérienne résidant en France, des binationaux et des Français dorigine algérienne qui désirent maintenir un lien fort avec leur pays dorigine.
Q - Les récentes déclarations, du ministre français de lIntérieur, Brice Hortefeux, annonçant la convocation, en février 2011, des consuls de France pour leur demander plus de vigilance dans la délivrance des visas de court séjour qui ne doivent pas être, selon lui, «des passeports pour la clandestinité», ont été mal perçues à Alger. Pouvez-vous nous en dire plus sur les intentions du gouvernement français à ce sujet ?
R - Le processus de délivrance de visas doit être accompli avec célérité et attention. Cest une préoccupation pour lensemble de nos pays. La réunion organisée par le ministre de lIntérieur a une portée générale et ne concerne pas seulement lAlgérie. Soyons réalistes, la fraude existe, et elle pénalise au premier chef les demandeurs de bonne foi. Dans tous les pays, il faut combattre ce genre de phénomène. LAlgérie, qui est aussi un pays dimmigration, le sait bien.
Q - Dans le cadre de sa politique dite d«immigration choisie et non subie», le gouvernement français a renégocié - et conclu - des accords avec certains pays maghrébins et africains. Les négociations algéro-françaises relatives à un éventuel quatrième avenant à laccord du 27 décembre 1968 sur la «la circulation, lemploi et le séjour des ressortissants algériens et de leurs familles» sont au point mort. Pourriez-vous nous situer, du point de vue français, les points dachoppement ?
R - Les discussions progressent. Nous attendons la mise en place de mécanismes de lutte contre limmigration illégale. Nous souhaitons aussi, au bénéfice des Français souhaitant aller en Algérie, des mesures comparables à celles que nous octroyons aux Algériens désirant sinstaller en France. Il y a un certain nombre de détails à régler encore, mais je ne parlerais pas à ce stade de véritables points dachoppement. Nous sommes encore en phase de travail technique.
Q - La visite en Algérie de Jean-Pierre Raffarin, sénateur UMP et ancien Premier ministre français, fin novembre dernier, après celle de M. Idrac, secrétaire dEtat au Commerce extérieur, a conduit certains analystes algériens à conclure que la partie française chercherait, dans ses relations avec lAlgérie, à dissocier la dimension humaine des questions dordre économique. On observe, par ailleurs, que ces relations sont souvent liées à des considérations dordre électoral et de politique intérieure. Quen est-il exactement ?
R - La visite de Jean-Pierre Raffarin sinscrit dans le cadre dune mission décidée en commun par les autorités françaises et algériennes, et en liaison avec la personne désignée par le gouvernement algérien à cet effet, M. Benmeradi. Son objectif est de renforcer systématiquement les investissements et partenariats français en Algérie et algériens en France. Le gouvernement algérien souhaite bénéficier, dans les conditions quil arrête souverainement, de lapport de savoir-faire et de capitaux étrangers. Nous sommes prêts à participer à cet effort. Des entreprises françaises sont prêtes à se mobiliser. Vous le savez, les entreprises françaises sont les premiers investisseurs étrangers hors domaine hydrocarbure : 430 entreprises, 80% de leurs bénéfices sont réinvestis sur place. Une entreprise française qui fabrique des pneus est le deuxième exportateur dAlgérie après la Sonatrach. Nous sommes prêts à lancer de nouveaux projets. Ils pourraient consolider ici de nouvelles filières économiques, avec un tissu de PME et dactivité. Dans notre esprit, cela ne peut être quun partenariat gagnant-gagnant. Les investissements français ont pour objet de contribuer à la stratégie de développement de lAlgérie.
Q - Il est communément admis que, bien que ne faisant pas officiellement partie de lOrganisation internationale de la francophonie, lAlgérie est de fait, pour des raisons historiques, le deuxième pays francophone après la France, puisque le français y est enseigné à tous les niveaux, quil est compris, parlé et écrit par limmense majorité de la population. Cependant, les relations culturelles entre les deux pays sont modestes, et il est exigé des étudiants algériens devant poursuivre des études supérieures en France un certificat de connaissance de la langue française délivré par le Centre culturel français. Quel regard portez-vous sur la coopération culturelle algéro-française et quelles seraient les possibilités de la développer et de la renforcer ?
R - Nous attachons une très grande importance à notre relation avec lAlgérie. La preuve en est que lenveloppe de coopération consacrée à lAlgérie par le ministère des Affaires étrangères représente entre 10 et 12 millions deuros par an, cest lune des premières au monde. Lenveloppe la plus importante est consacrée à la coopération universitaire, avec près de 400 conventions de partenariat actives entre universités françaises et algériennes. Les assises franco-algériennes de lenseignement supérieur et de la recherche se sont tenues en octobre dernier. Leur succès doit nous inciter à développer de nouveaux modes de partenariat dans ce domaine davenir. Ainsi, aujourdhui, les Algériens publient 18 000 articles de recherche, un tiers est le produit dune coopération franco-algérienne. Notre effort porte également sur la promotion du français dans lenseignement primaire, secondaire et supérieur, sur la coopération administrative et sur la coopération culturelle. Cinq centres culturels français fonctionnent en Algérie. Un nouveau doit ouvrir à Tizi Ouzou. Ils construisent au quotidien des partenariats avec dimportantes institutions algériennes. Notre coopération fonctionne globalement bien, et je souhaite la développer encore.
Q - Les services algériens et français collaborent étroitement dans la lutte antiterroriste. Cependant, lAlgérie na pas participé, le 13 octobre 2010, à Bamako, à une réunion du groupe daction antiterroriste du G8, élargi aux pays de la région, estimant quil appartient aux Etats du Sahel directement concernés de régler le problème posé par AQMI (Al Qaïda au Maghreb Islamique). Quel regard portez-vous sur cette question, surtout depuis lenlèvement de ressortissant français, à Arlit, au Niger, en septembre dernier ?
R - Avant Bamako, il y avait eu la Conférence dAlger, organisée par lAlgérie et rassemblant les pays de la région. Nous avions salué cette initiative et les conclusions adoptées. Je crois comprendre que la décision algérienne de ne pas participer à la Conférence de Bamako avait une autre origine que la question de la primauté, reconnue par tous les participants des pays de la région pour régler définitivement les problèmes posés par la présence dAQMI dans cette zone. Le rôle de lAlgérie et des pays de la région est incontournable, mais comme la Conférence dAlger lavait conclu, il existe aussi un rôle pour la communauté internationale. La France, comme lUnion européenne, est prête à y prendre sa part.
Q - Selon les observateurs, la position du gouvernement français, sur la question du Sahara occidental nest pas de nature à faciliter la solution de ce problème. On sait que le référendum sur lautodétermination du peuple sahraoui, décidé par lONU, devait intervenir en janvier 1992. Depuis, lun des deux protagonistes est dans la logique du fait accompli et ni les représentants spéciaux successifs du secrétaire général de lONU ni les divers contacts bipartites nont eu de résultats, le Maroc poursuivant, semble-t-il, la confirmation de son plan dannexion de 1975, par un plan dautonomie que les Sahraouis rejettent. Les manifestations sécessionnistes se succèdent depuis des années à El-Ayoun et à Smara, la dernière en date étant intervenue en novembre dernier et a donné lieu à une violente répression. Quelle est votre vision sur la manière de parvenir enfin à une solution de ce problème, qui empoisonne, notamment, le fonctionnement effectif de lUnion pour le Maghreb arabe (UMA), qui serait un partenaire de poids pour la France, notamment dans le cadre de l«Union pour la Méditerranée» (UpM) ?
R - Comme vous, je crois que la concrétisation de tout le potentiel de lUnion pour le Maghreb arabe serait extrêmement bénéfique aux pays de la région et à la France. Mon pays ne peut que se réjouir de leur prospérité et de leur développement. Ce conflit na effectivement que trop duré. Limportant aujourdhui est de progresser vers une voie réaliste de résolution, acceptée par les parties. Cest la mission importante confiée aux Nations unies. Christopher Ross, lenvoyé spécial du secrétaire des Nations unies, sy attelle avec courage et détermination, et nous le soutenons. Le processus de contacts informels quil a lancé se poursuit.
Q - L«Union de la Méditerranée», annoncée par M. Sarkozy dans son discours de février 2007 à Toulon, devenue, après son élection à la présidence de la France, l«Union pour la Méditerranée», lancée à Paris le 13 juillet 2008, peine à trouver ses marques, et serait «à lagonie», à la suite du report du sommet qui devait se tenir à Barcelone, le 21 novembre dernier. Pourriez-vous nous éclairer sur les raisons de ce report ?
R - Ce nest pas un secret. Lespoir était que la négociation du processus de paix ait repris. Ceci aurait offert un environnement favorable au développement de lUnion pour la Méditerranée. A la place, nous avons connu un nouveau coup de frein, une nouvelle déception. Pour autant, je ne renonce pas à lUnion pour la Méditerranée. Dans un monde où coexistent des masses démographiques, économiques et politiques considérables, de lordre du milliard dhabitants, lEurope ne saurait se replier sur elle-même. Les pays sud méditerranéens ne peuvent peser suffisamment à eux seuls. Elle doit dabord nouer un véritable partenariat avec ses voisins méditerranéens. Cest pour cela que le président Nicolas Sarkozy a lancé lUPM. Le processus antérieur, dit «Processus de Barcelone», ne fonctionnait plus vraiment. Nous avons tenté de le relancer autour de projets de coopération concrets et ambitieux et dune véritable cogestion dun processus auparavant géré seulement par le Nord. Comme toute ambition, elle nécessite du temps pour être réalisée, mais il nest pas question de renoncer.
Q - Selon ses détracteurs, lidée même dUnion pour la Méditerranée nétait pas viable, en raison de lexistence, notamment de trois conflits majeurs dans la région : le Sahara occidental, la situation dans les Balkans et la question palestinienne, qui est actuellement dans limpasse totale, en raison de la poursuite de la colonisation des territoires occupés en violation des résolutions pertinentes de lONU et de la réprobation de la communauté internationale. Là aussi, lun des protagonistes est, depuis 1948, dans la logique du fait accompli, et les négociations ne sont conçues, depuis 1992, à Oslo, que comme un interminable feuilleton destiné à asseoir définitivement, par la force, le fait accompli. Que pourraient entreprendre la France et lUnion européenne pour contribuer à une solution équitable, par la mise en place dun Etat palestinien que certains pays, notamment latino-américains, reconnaissent officiellement comme un «Etat libre et indépendant à lintérieur des frontières de 1967» ?
R - Il y a toujours une bonne raison de ne pas avancer, mais je ne crois pas que nous devons subordonner le développement des relations entre le nord et le sud de la Méditerranée à lattente de la fin de la résolution de ces conflits. Ce serait contraire à lintérêt de nos peuples. Il faut beaucoup de détermination, autant pour aller de lavant dans le développement de la relation euro-méditerranéenne que pour faire progresser coûte que coûte le processus de paix. Comme vous le savez, sur ce sujet, la France ne ménage pas ses efforts. Elle a soutenu la médiation américaine et il est bon que le président Obama ait marqué un tel réengagement de son pays sur ce conflit. Nous pensons nécessaire de mieux encadrer les négociations par une plus forte implication, aux côtés des Etats-Unis, de lUnion européenne et du Quartet. Le soutien au plan Fayyad de renforcement des capacités étatiques palestiniennes est un autre volet important quil faut soutenir.
Q - Revenons, si vous le voulez-bien, au couple Algérie-France. Depuis longtemps, ses relations ont avancé au rythme de «un pas en avant, deux pas en arrière», en dépit des liens découlant dune longue histoire commune, liens qui devraient être le ciment dune coopération à «nulle autre pareille» dans tous les domaines, selon votre expression. Il se produit toujours, mal à propos, un incident qui provoque des crispations, et les responsables algériens ne comprennent pas toujours les motivations de politique intérieure qui sont à lorigine de certaines déclarations intempestives, ni les justifications liées au «pacte européen sur limmigration et lasile» dont la France a été la cheville ouvrière lors de sa Présidence de lUnion européenne au second semestre 2008. Quelle est votre vision de lavenir des relations entre les deux pays ?
R - Nos relations ont une densité à nulle autre pareille. Jy suis personnellement très attachée. Nous avons parlé des questions de circulation des personnes, que nous souhaitons améliorer. Nous avons parlé de la question des investissements en Algérie et de la participation de la France au développement économique de lAlgérie. Nous avons parlé de la lutte contre le terrorisme, autre axe de proximité remarquable dans notre relation. Le dialogue sur les grands sujets de politique étrangère doit aussi être très fructueux entre nos deux pays. Les positions ont des points de convergence forts, par exemple sur le volontarisme qui doit nous guider dans la résolution des grands équilibres mondiaux. Jai un très haut niveau dambition pour la coopération entre la France et lAlgérie et notre relation humaine est un facteur essentiel de notre réussite commune.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2011