Extraits d'un entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec France Info le 19 août 2011, sur la situation politique en Syrie et en Libye et sur la crise de la dette en Europe.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Vous êtes en duplex de Quimper dans les locaux de nos confrères de France Bleu. Il y a pas mal de sujets à aborder avec vous. On va commencer par la Syrie. Pour la première fois depuis le début de la répression, il y a 5 mois, l’Union européenne et les États-Unis réclament ouvertement la démission de Bachar el-Assad, pourquoi avoir attendu cinq mois, pourquoi maintenant ?
R - Je crois que la France a toujours été à la pointe des pressions exercées sur la Syrie et sur ses dirigeants qui exercent une répression d’une violence incroyable sur leur population. Malheureusement on s’est souvent heurté à des réticences de la part de certains pays membres de l’ONU. Aujourd’hui on voit qu’un certain nombre d’états viennent prêter main forte à l’action de la France et à l’Europe pour faire pression sur les dirigeants syriens.
Q - Comment la communauté internationale peut-elle pousser Bachar el-Assad à la démission ? Quels sont les moyens de pression ?
R - Je crois qu’il y a plusieurs moyens de pression, ils ont déjà été mis en oeuvre par la France et par l’Union Européenne. Il y a le gel des avoirs et il y a l’isolement financier et diplomatique dans lequel le régime syrien se retrouve aujourd’hui plongé grâce aux sanctions et aux condamnations dont il a fait l’objet récemment. Je pense qu’il faut bien se rendre compte que les dirigeants syriens ne sont plus en capacité de renouer un dialogue constructif avec la population et qu’ils ne sont pas capables non plus de faire une transition démocratique. Donc il faut tirer logiquement les conclusions de cette situation, il faut effectivement que ces dirigeants s’effacent.
Q - En cinq mois la répression a fait près de 2.000 morts, l’ONU parle même de crimes contre l’humanité, face à cela est-ce que l’Europe doit en rester à des sanctions financières ou diplomatiques ?
R - Je constate avec surprise que lorsque la France intervient en Libye sous mandat international, on lui reproche de l’avoir fait et lorsqu’elle n’intervient pas en Syrie dans un contexte extrêmement différent et sans mandat international, on le lui reproche aussi. Je pense que la France a fait son devoir dans le cadre des révolutions arabes. Elle appuie l’évolution démocratique des peuples et elle fait en sorte d’accentuer la pression sur l’ensemble des dirigeants qui n’acceptent pas cette transition démocratique.
Q - Alors puisque vous parlez de la Libye justement, il y aurait des négociations secrètes entre représentants de Kadhafi et représentants des rebelles, mais c’est quand même très confus, beaucoup d’informations contradictoires ; côté français l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin a déclaré avoir participé à ces discussions, est-ce que vous étiez au courant et est-ce que c’est la France qui l’a envoyé ?
R - Je ne peux pas commenter les propositions ou les interventions de M. de Villepin qui n’est pas aux affaires. Aujourd’hui il y a une position de la France qui est claire, c’est qu’elle appuie effectivement le CNT, qu’elle appuie la révolte démocratique qui se déroule en Libye et qu’elle le fait dans le cadre d’un mandat international et donc dans le cadre du droit.
Q - Est-ce que c’est bien normal que la diplomatie française soit récupérée, c’est peut-être un peu fort, mais en tout cas que beaucoup de personnes mettent leur grain de sel, comme Bernard Henri Levy ou Dominique de Villepin dans ce genre de dossiers très sensibles ?
R - Je crois que ces dossiers sont très sensibles, mais que le président de la République, Nicolas Sarkozy a montré comment la France pouvait changer de politique, en terre africaine et sur les Printemps arabe.
Il a montré comment nous étions aux côtés des peuples pour faire en sorte que la transition démocratique ait une chance en Afrique du Nord et dans l’ensemble du monde arabe. Il faut qu’elle puisse s’effectuer de manière sereine et apaisée. Concernant les peuples qui ont subis des répressions violentes comme c’est le cas en Syrie, la pression internationale menée au départ par la France continuera à s’exercer et je ne doute pas qu’elle aboutisse un jour à une démocratisation de ces pays.
Q - Autre dossier que vous gérez en ce moment, Jean Leonetti, c’est la crise de la dette en Europe, un nouveau vent de panique a soufflé sur les places financières, 5 % de baisse en moyenne hier soir dans les principales bourses européennes, baisse aussi aux États-Unis, ce matin sur les places asiatiques, visiblement les propositions de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel n’ont pas suffi à calmer les marchés ?
R - Les marchés sont fébriles, non pas parce qu’ils n’ont pas été rassurés par le sommet franco-allemand, ils sont fébriles parce qu’ils constatent que la croissance est en panne et en particulier du côté des États-Unis.
Q - Chez nous aussi : 0 % de croissance en France au deuxième trimestre.
R - La croissance des États-Unis entraîne la croissance mondiale, donc s’il y a une panne en Europe mais une forte progression aux États-Unis, la confiance peut être plus importante. En tout cas le président de la République avec la chancelière allemande ont mis en place ce qu’on attendait depuis longtemps, à savoir les bases solides d’un gouvernement économique européen.
On ne peut pas avoir une monnaie unique sans un pilotage économique unifié. Dans ce contexte je trouve qu’un pas historique a été franchi sur le plan européen. C’est un élément qui va peser dans les jours et dans les semaines qui viennent, et vous savez l’Europe évolue toujours, elle évolue toujours par crise, elle franchit toujours une étape au cours d’une crise.
Et là je crois que l’initiative française va être couronnée de succès parce que sur les points précis qu’elle a évoqués : l’harmonisation fiscale, la «Règle d’or» dans les 17 pays de la zone euro, le rapprochement franco-allemand accru, en particulier sur les taxations des sociétés, ce sont des éléments qui même s’ils n’apparaissent pas à première vue comme un élément très positif sur les marchés, leur permet quand même de regarder l’Europe et l’euro avec beaucoup plus de considération. L’euro tient aussi bien et mieux que le dollar.
Q - Jean Leonetti, il y a aussi cette proposition qui a été faite de taxer les transactions financières, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont donné l’idée, le principe, mais qu’elles sont les propositions concrètes de la France pour mettre en place cet acte ? Cela concernera quel type de transactions ? Quel sera le champ d’application géographique et quel taux ?
R - Le taux prévu est extrêmement faible, on parle de 0,001, 0,005, donc à ceux qui disent que la compétitivité des places boursières européennes, sera en grande difficulté, c’est une contre-vérité.
Ensuite bien sûr il faut le faire de façon à ce que ce soit uniquement les transactions financières et non pas les finances en général qui soient taxées. Et puis le dernier point, c’est que bien sûr on nous dit toujours les États-Unis ne sont pas d’accord et l’Angleterre n’est pas d’accord, mais à un moment donné il faut savoir avancer quelquefois en petit groupe avec des états pilotes qui mettront en place cette taxe. Je suis bien persuadé que la volonté commune d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy va permettre que cette proposition aboutisse. On en parle depuis longtemps et on voit bien qu’aujourd’hui elle est indispensable. Eh bien elle va être mise en place, je crois qu’elle est bien comprise par la population et en même temps l’Europe en a besoin.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2011