Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à RMC le 21 juillet 2011, notamment sur le plan d’adaptation au changement climatique, la sécurité nucléaire, le photovoltaïque et le droit de grève des personnels navigants de compagnies aériennes.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Je reçois Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, ministre de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. Bonjour.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Bonjour.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Ça fait des milliards de raisons de vous inviter aujourd’hui, évidemment la première c’est, vous nous dites qu’il fait chaud, très chaud, qu’il va faire chaud, très chaud. Alors, on ne s’en aperçoit pas beaucoup encore aujourd’hui parce qu’on a plutôt un début d’été un peu pourri on va dire, simplement vous préparez, vous, l’avenir. Vous préparez les 20 ou 30 prochaines années, et j’ai trouvé ce matin dans LE PARISIEN, j’imagine que cette carte est aussi sur votre bureau, cette carte effrayante, effrayante, de la France de demain, celle où le niveau des eaux va augmenter en Languedoc-Roussillon et où des dizaines de milliers de bâtiments vont être engloutis. Celle où dans le Sud-est la canicule, on passera de 20 jours de canicule à 100 jours de canicule par an. Celle où Paris pourrait être aussi envahi par des chenilles urticantes en 2025 et où les forêts vont arriver jusqu’à Fontainebleau ou la Sologne. Qu’est-ce qu’on peut faire contre tout ça ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Dit comme ça, ça ressemble un peu à un film d’horreur…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN C’est la carte !
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais c’est vrai que le changement climatique est en marche. On se bat contre, au niveau international, au niveau européen, au niveau national, la France est aux avant-postes de ce combat, dépense 7 milliards d’euros dans la lutte contre le changement climatique rien qu’au niveau national, mais enfin notre responsabilité c’est aussi de préparer ce qui est déjà en cours.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Donc on ne peut pas lutter, il faut juste s’adapter ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il faut lutter. Il faut lutter, mais, il y a une inertie dans ces phénomènes. Même si on lutte autant qu’on le souhaite au niveau international, même si on réussit à limiter, par exemple, à 2 degrés, comme c’est l’objectif de la communauté internationale, l’élévation de température, par exemple, on aura quand même une élévation du niveau de la mer. Il y a une inertie dans ces phénomènes, qui font que certains sont en route, on ne sait pas encore exactement leur ampleur, ça dépendra de l’énergie que la communauté internationale met dans la lutte, mais certains sont de toute façon en route. Donc on doit s’y préparer, c’est notre responsabilité, et ça concerne tous les secteurs, tous les Français, toutes les régions, alors dans des proportions différentes. Donc j’ai présenté hier le Plan national d’adaptation au changement climatique, c’est des choses simples, autour d’une idée, simple elle aussi, quand on commence par de l’action précoce, ça coûtera moins cher…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN On va être très concret. NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Soyons très concrets.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Comment on lutte contre les incendies de feux de forêts ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET La manière de lutter contre les incendies de feux de forêts c’est d’abord de changer les essences, les essences forestières. Avec les modifications climatiques on a certaines essences qui ne vont plus être adaptées…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Le hêtre par exemple.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, les arbres vont se dessécher trop vite, et derrière ça pose des problèmes de risques d’incendies de forêts. Donc modifier les essences, aider les forestiers, les accompagner là-dedans, et puis prévenir les feux de forêts dans des nouvelles régions, qui historiquement ne sont pas concernées, et qui pourraient le devenir. Je vous donne un autre exemple, la consommation d’eau.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Justement, parce que vous dites, on va aider les communes à rénover leur réseau d’eau potable. Parce que finalement, la consommation d’eau ce n’est pas seulement les consommateurs, c’est les réseaux d’eau municipaux par exemple, où souvent on parle de 25 à 30% de fuites d’eau, de pertes d’eau. J’ai été un peu surpris quand même par votre plan, parce que vous parlez de 230 mesures, et vous allez dépenser que quelques centaines de millions d’euros. Ce n’est pas comme ça que vous allez refaire les réseaux d’eau quand même ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non, en fait ça correspond à des milliards de dépenses, mais ce qui est directement lié au plan au sens d’une initiation de mesures, et puis il y a tout l’argent… je m’explique.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Expliquez-vous, vous êtes là pour ça.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Dans le plan on prévoit de modifier les normes sur les routes, et éventuellement sur les voies ferrées. Pourquoi ? Parce que quand il fait plus chaud, vous avez des problèmes de liquéfaction du bitume, de dilation des joints sur les rails…
 
HRISTOPHE JAKUBYSZYN On l’a vu en 2003, les réseaux de la SNCF, par exemple, les voies s’étaient déformées.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Exactement. Donc dans le plan, ce qu’on compte, c’est l’étude qui va permettre de changer les normes et de les adapter, pas les milliards d’investissement qui vont être faits pour la modification des routes ou les nouvelles voies de chemin de fer. Donc si vous regardez ce qui est strictement affecté au plan, vous dites ce n’est pas beaucoup, mais en fait tous les investissements qui sont engagés par le plan sont considérables. Je vous donne un autre exemple. Avec l’élévation du niveau de la mer, on va être obligé de modifier les règles d’urbanisme sur la côte. Pour ne pas voir se multiplier les événements comme la tempête Xynthia, on va être obligé, probablement, de rendre inconstructible, modifier les niveaux des sols, sur un certain nombre de terrains. Ça, ça va avoir des coûts, des coûts considérables, mais ce n’est pas pris en compte dans le plan si vous voulez, c’est des coûts qui en fait sont cachés en quelque sorte.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Autre sujet lié quand même au climat et à la raréfaction des matières premières énergétique, le photovoltaïque. C’est une promesse que j’ai faites, notamment aux auditeurs de RMC lundi, on a beaucoup de chefs d’entreprises, des PME, qui depuis des mois nous appellent, qui sont au bord de l’asphyxie, de la disparition, de la mort financière. On parle de 12 000 emplois supprimés dans le secteur, dans la filière du photovoltaïque en France, au moment où l’Allemagne investit 20 fois plus que nous dans le solaire. Vous voulez tuer la filière solaire ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Justement non, c’est tout le contraire. Mais là-dessus, je vais m’expliquer très clairement. On avait un dispositif starter, de lancement du photovoltaïque en France.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN On rachetait – j’explique juste aux téléspectateurs et aux auditeurs…
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On rachetait le kilowattheure produit. Assez cher.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN On rachetait assez cher, pour permettre aux entreprises de se développer. C’est des petites entreprises, des petites centrales en fait, solaires, qui avec des grands panneaux, vendent leur électricité à EDF.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ça a très bien marché pour ce qui est de créer de la puissance. En 2007 on avait 50 mégawats. L’année dernière, 2010, on construit 700 mégawats, entendez bien les chiffres, rien qu’en une année. Et là, depuis le début de l’année…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Et puis coup de folie en décembre, vous annoncez le moratoire.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Attendez ; et là, depuis le début de l’année…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous débranchez les entreprises.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Laissez-moi parler ; depuis le début de l’année, c'est-à-dire depuis le moratoire, on a construit quand même 600 mégawats de plus, donc ce n’est pas vrai qu’il y a un coup d’arrêt, si vous voulez, total. Mais pourquoi on a modifié le système…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Surtout pourquoi vous avez coupé le fil en fait.
 
ATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Parce que depuis 2,5 ans, en fait, il était modifié tous les 6 mois, sans visibilité pour personne, et il était modifié tous les 6 mois parce que le prix des panneaux baissait, baissait, baissait, sur le marché international, et le système n’était pas prévu pour être adapté automatiquement.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous voulez dire que ça coûtait trop cher à l’Etat, notamment au budget ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ça coûtait de plus en plus cher. Et moi, ma responsabilité, c’est de faire en sorte que cet argent, qui est dépensé dans le cadre du Grenelle de l’environnement, en l’occurrence il est dépensé sur la facture d’électricité de chaque français…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Parce qu’il y a une taxe qui s’ajoute sur notre facture.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il revient aussi à l’économie française et à la création d’une filière industrielle. On réussissait à atteindre nos objectifs en matière de puissance, mais ni nos objectifs environnementaux, ni nos objectifs industriels - parce qu’en fait on ne fabriquait pas en France, ou très peu - environnementaux, parce qu’on n’avait rien prévu pour le recyclage, on n’avait rien provisionné pour le démantèlement des centrales… donc, on a modifié le système, et maintenant il est plus sévère, c’est vrai, mais il est stable. On sait exactement quelles sont les règles du jeu. Les règles du jeu c’est, pour moins de 100 kilowatts-crêtes, c'est-à-dire pour les petites installations de moins de 1000 mètres carré, il y a un tarif de rachat. Ce tarif de rachat est auto-ajustable, on a la formule à l’avance, en fonction des volumes. Donc, vous particulier, vous pouvez installer quelque chose, ce sera racheté.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Sur votre toit, et vous savez à combien vous revendrez à EDF.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Et ce n’est pas contingenté par volume. Vous installez, vous avez droit au tarif de rachat. Entre 100 et 200 kilowatts-crêtes, donc c’est des petites centrales, vous avez des appels d’offres simplifiés, sur la base du prix, et au-dessus de 250 kilowatts-crêtes vous avez des appels d’offres beaucoup plus sophistiqués, qui font droit par exemple à des enjeux industriels, à l’innovation. Et on essaye, à travers ces appels d’offres, de lancer des filières industrielles de haute valeur ajoutée en France, pour ne pas avoir que des emplois d’installations, ou de bureaux d’études, mais aussi des emplois…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Oui, mais c’est aussi les PME qui créent beaucoup d’emplois.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Bien sûr.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous êtes soupçonnée par les PME – par exemple j’étais avec un entrepreneur, Franck LEBORGNE, qui fait la grève de la faim depuis 10 jours – vous êtes soupçonnée en fait de privilégier les grosses entreprises, notamment celles qui peuvent investir beaucoup d’argent dans ces centrales photovoltaïques, au détriment des plus petites. Vous êtes soupçonnée de favoriser, par exemple, EDF ou VEOLIA.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Le système précédent était extraordinairement favorable aux grosses entreprises. Regardez les mouvements capitalistiques qu’il y a eu entre EDF ENERGIES RENOUVELABLES et EDF, on le voit, ça se voit. Au contraire, dans les nouveaux dispositifs, par exemple dans le nouvel appel d’offre, il y a une tranche qui est carrément réservée aux petits projets. Ce n’était pas le cas avant.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Donc vous dites à ce chef d’entreprise qui fait la grève de la faim dans le Morbihan, que vous lui promettez qu’il peut arrêter, qu’il va pouvoir revendre son électricité à EDF ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je dis plusieurs choses aux chefs d’entreprises.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous le connaissez, j’imagine, ce monsieur.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je connais l’histoire. Je ne méconnais pas le problème auquel ils sont confrontés, mais je leur demande de considérer ce qui se passe depuis 3 ans. Depuis 3 ans on change tous les 6 mois, là on ne change plus, le dispositif il est plus dur, mais il est connu, et l’objectif c’est de créer de l’emploi industriel en France, j’insiste. Après, dans l’emploi, qu’est-ce qu’il y a ? Aujourd’hui en France vous avez 8000 emplois industriels et 16 000 emplois dans l’installation et dans les bureaux d’études.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN On en a perdu plus de 10 000 en 1 an !
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il y a 8000 emplois industriels, il va y en avoir plus par définition, puisque l’objectif c’est de créer de la filière industrielle en France. Sur l’installation, l’installation c’est des emplois qui étaient calés pour un rythme de 700 mégawats par an, cette année on va mettre plus de 1000 mégawats par an. L’essentiel des emplois d’installations sont préservés.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN On fait quand même 20 fois moins que l’Allemagne apparemment.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui. L’Allemagne, vous savez, ça coûte 35 euros par mégawatheure sur la facture d’électricité, nous on est à 7,5 euros. On essaye aussi de maîtriser les coûts pour les consommateurs. Parce que c’est sur la facture des consommateurs. On essaye de faire en sorte que ce qu’il y a sur la facture des consommateurs revienne dans l’économie française et pas seulement parte dans des panneaux, par exemple chinois.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Alors, ce qu’il y a sur la facture aussi, des consommateurs que nous sommes, qui payons notre facture EDF, c’est le coût de l’EPR, le réacteur nucléaire de nouvelle génération. On parle de millions, l’EPR, on va passer de 3 à 6 milliards d’euros, c’est l’annonce qui a été faite hier par le fabricant. Qu’est-ce qui se passe sur l’EPR ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce n’est pas qu’on va passer d’un coût, c’est qu’en fait on est passé, ça a dérapé.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN C’est plus qu’un dérapage, 3 milliards.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce n’est pas nouveau. Ce que l’exploitant a annoncé hier c’est qu’en fait la mise en service se ferait seulement en 2016. Oui, c’est un réacteur, nouvelle génération, donc c’est un des premiers modèles de cette gamme-là, et les coûts ont dérapé, beaucoup pour des raisons de génie civil. Je crois que…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN C’est une erreur cette génération là ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ecoutez, dans un contexte post-Fukushima, on ne peut pas considérer qu’un réacteur qui présente une telle amélioration, en termes de normes de sécurité, est une erreur. Je ne crois pas. On ne peut pas d’un côté s’inquiéter de ce qui se passe dans une situation de crise nucléaire – par exemple, quand le coeur fond, le corium fond, où va-t-il ? Risque-t-il de traverser le radier, le plancher en béton qu’il y a, et en même temps vouloir reculer sur un réacteur, nouvelle génération qui, lui, par exemple, prévoit un récupérateur de corium.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous parlez de Fessenheim là, la centrale nucléaire dont on envisage de prolonger la vie.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Par exemple, beaucoup des reproches qui sont faits à une centrale…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Qu’est-ce que vous en pensez ? Il faut prolonger la vie de ces centrales ou pas ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Beaucoup des reproches qui sont faits à une centrale comme Fessenheim, sont des reproches qu’en fait on ne peut pas faire à un réacteur comme l’EPR, c’est un modèle qui du point de vue de la sûreté est fortement amélioré. Donc il faut savoir aussi ce qu’on veut. Du côté de Fessenheim, moi je me suis beaucoup mobilisée, et le président de la République et le Premier ministre m’ont donné raison, pour qu’aucune décision ne soit prise avant l’audit que nous avons commandé à la suite de Fukushima. C’est une logique. Moi je crois que c’est logique. Il y avait une revue décennale de sûreté de la centrale qui était lancée, le rapport devait être rendu début juillet, il a été rendu début juillet, mais je crois que ça n’aurait été raisonnable de prendre une décision définitive sur la seule base de ce rapport qui avait été lancé avant l’accident de Fukushima, alors même que nous avons lancé un audit pour tirer les enseignements de Fukushima. Cet audit verra son résultat…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Est-ce que l’audit, le crash-test comme on dit, prend en compte tous les événements ? On sait très bien que Fessenheim est sur une zone sismique, il y a des zones en France qui ne sont pas sismiques, on l’a vu il y a 15 jours en Méditerranée, on a eu un tremblement de terre de 5,3, alors que c’est une région qui n’est pas sismique. Est-ce qu’on prévoit vraiment tous les risques ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais le problème qui est soulevé par l’Autorité de sûreté nucléaire concernant Fessenheim, ce n’est pas tellement le tremblement de terre. Dans l’audit on prend en compte tous les risques naturels et surtout toutes leurs conséquences. C'est-à-dire que, le séisme, l’inondation, et surtout ce qu’il y a eu de particulier à Fukushima, puisque c’est un audit pour tirer les enseignements de Fukushima, la « per-simultanée » de sources froides, l’eau, pour le refroidissement, et d’électricité.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN On le voit bien avec votre plan climat, que c’est un risque majeur ça !
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Bien sûr. C’est ça qui est particulier à l’accident de Fukushima. Mais ce qui est soulevé par les experts sur la centrale de Fessenheim, ce n’est pas tellement le risque de séismes qui est maîtrisable, c’est le problème de… deux problèmes ; d’une part l’épaisseur du radier, le plancher de la centrale. Donc, ce qui se passe en fait, si l’accident, en dépit de toutes les précautions, a vraiment lieu, et d’autre part c’est de créer une source alternative au grand canal d’Alsace dans lequel la centrale aujourd’hui puise son eau, en cas de problème d’approvisionnement sur le grand canal d’Alsace. C’est ça les deux recommandations principales que font les experts en vue d’une éventuelle prolongation de la centrale de Fessenheim.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous serez vigilante, vous ne laisserez pas seulement le ministre de l'Industrie, Eric BESSON, prendre la décision ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais moi je suis totalement vigilante sur la question de la sûreté nucléaire, et je ne la laisse interférer avec aucune considération économique. C'est-à-dire que la sûreté nucléaire est quelque chose qui ne se négocie, ce n’est pas un deal en fonction de ce que ça coûte ou de ce que ça ne coûte pas, il faut le maximum de sûreté, c’est la condition, je crois, d’acceptabilité du nucléaire.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Dans un instant on va parler du droit de grève dans les transports publics aériens, chez AIRFRANCE, on va parler aussi du logement, et aussi des sans abri, puisqu’on a vu la démission fracassante de Xavier EMMANUELLI hier. Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET dans un instant.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, ce n’est pas pour rien que vous êtes numéro 4 du gouvernement ; vous faites un petit peu tout. On l’a vu : on a parlé d’écologie et de développement durable mais vous faites aussi les transports et le logement. Avant de parler de tout ça, peut-être que vous allez être victime – je ne vous le souhaite pas – d’une nouvelle affaire ORANGE-FRANCE TÉLÉCOM. Vous, vous rappelez, on a beaucoup parlé de cette entreprise puisque le nombre de suicides avait atteint des niveaux alarmants. Eh bien cette fois-ci, c’est à l’Office Nationale des Forêts, quatre suicides depuis le 20 juin, encore hier, encore un cette semaine. Vingt-quatre suicides depuis 2005, on est en rythme deux fois plus élevé qu’à FRANCE TÉLÉCOM. J’imagine que vous êtes au courant de la situation. J’ai eu des agents de l’ONF aujourd'hui qui nous expliquaient qu’en fait les réductions de postes se multipliaient. Encore hier, le conseil d’administration de l’ONF a annoncé sept cents nouvelles suppressions de postes d’ici 2016. La RGPP frappe trop le développement durable, votre ministère ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET L’Office Nationale des Forêts a été réorganisée de manières successives et reconfigurée autour de nouvelles missions. Et là justement, dans la nouvelle convention avec l’État qui a été passée hier au conseil d’administration, on donne de la lisibilité sur cinq ans. C'est-à-dire que les agents vont enfin pouvoir avoir une vision de ce que c’est que leur organisation.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Enfin, on leur dit quand même qu’ils sont 9 500 aujourd'hui et ils ne seront plus que 8 800 demain quand même.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, il y a une réorganisation mais sur cinq ans, ils ont des moyens qui sont pérennisés, ce qui n’est pas évident – par exemple, bon, vous ne le savez pas forcément mais les cours du bois en ce moment, ce n’est pas terrible. Or, les cours du bois c’est une partie des revenus de l’ONF donc pour les agents, bien qu’ils soient dans un cadre de service public, c’est assez angoissant d’avoir une partie de leurs revenus qui est soumise aux cours, donc on donne de la visibilité. Mais surtout sur la question des suicides, le problème de fond c’est que parmi les vingt-quatre agents dont vous parliez, il y en a dix-huit qui sont ce qu’on appelle des agents patrimoniaux, donc ce sont les agents qui sont au plus proche du terrain, qui sont dans la forêt…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN J’avais un agent ce matin qui gérait à deux 1 600 hectares de forêt.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui. C’est des conditions qui sont particulières, qui sont des conditions d’une forme de solitude. On a beaucoup amélioré depuis quelques années le suivi social auprès de ces personnes. Dans la nouvelle convention que je citais, il y a en fait un doublement des personnels de suivis sociaux auprès de ces personnes ; il y a un audit externe sur les raisons des suicides - parce que, vous savez, c’est toujours compliqué de prendre en compte ces choses-là de l’intérieur. Donc oui, ça fait l’objet de ma plus grande attention avec Bruno LE MAIRE – c’est un organisme qui est sous double tutelle – on regarde les choses de très près. On sait bien que la question du suicide, c’est une question humaine compliquée. Je n’ai pas de solution idéale là, tout de suite.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous êtes aussi ministre des Transports. Grand chassé-croisé des estivants à la fin du mois et grève des personnels navigants et commerciaux d’AIR FRANCE, des hôtesses et des stewards puis des pilotes aussi quelques jours plus tard. C’est acceptable ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET D’abord, j’espère que la grève sera évitée. Il y a un préavis, ça concerne les relations entre une entreprise privée et ses personnels mais évidemment, le gouvernement suit ça de très près et j’espère que la grève sera évitée. Je regrette que les syndicats aient choisi de poser un préavis sur ces moments de très grands départs.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Lionnel LUCA, vous le connaissez, député UMP des Alpes Maritimes, propose qu’on interdise la grève au moment des vacances scolaires. Vous êtes d’accord ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi je suis favorable à tous les dispositifs de service minimum tels qu’on les a mis en place dans les transports en commun terrestre et tels qu’ils existent dans le transport aérien pour les contrôleurs.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous allez le faire pour les personnels navigants ? pour les pilotes ? pour les hôtesses et stewards ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais là ce que propose Lionnel LUCA est d’une autre nature. Ça n’est pas un dispositif de service minimum, c’est une interdiction de grève certains jours. Alors je sais qu’on n’aime pas entendre ça, parce qu’on se dit que c’est l’argument qui empêche le débat mais enfin ce n’est probablement pas du tout constitutionnel et j’aimerais qu’on trouve des solutions plus… plus… plus concertées. Je pense – je voudrais qu’on réussisse à éviter ces grèves de la fin du mois de juillet, on est très mobilisés pour ça. Je trouve qu’on doit pouvoir trouver d’autres solutions.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Par exemple sur le modèle de ce qui a été fait pour la SNCF ? Vous allez mettre ça en place peut-être à la rentrée, à l’automne, c'est-à-dire le service minimum aussi pour les pilotes et les hôtesses et stewards ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce n’est pas des choses qui sont comparables. Le service minimum, il existe dans l’aérien pour les contrôleurs aériens.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Pourquoi il n’existerait pas pour les pilotes et les hôtesses ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Les contrôleurs aériens, ce sont des agents de l’État. On parle – quand on parle de transports terrestres, en fait on parle de trajets domicile-travail et c’est au nom du trajet domicile-travail et de ce service public-là qu’on met en place le – comment dire ? – le service minimum. Le service minimum n’est pas un concept non plus extensible et généralisable à tout.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Donc vous dites quand même non à Lionnel LUCA ce matin ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Sur la formulation de ce qu’il propose, moi je ne le sens pas, pas comme ça.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous allez proposer quelque chose quand même ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On est en train de regarder.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Vous êtes aussi ministre du Logement, autre casquette. Xavier EMMANUELLI a démissionné avec fracas du Samu social qu’il avait crée en disant que l’État ne remplissait plus son rôle. Là encore problème d’argent ? Vous n’avez plus d’argent ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET D’abord je regrette beaucoup la démission de Xavier EMMANUELLI qui est quelqu'un pour lequel j’ai énormément de respect. C’est toute l’histoire du Samu social qui s’est construite en fait autour de lui.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN C’est un échec pour vous, alors.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il y a une divergence d’appréciation sur un plan qu’on a lancé avec Benoist APPARU qui s’appelle « Logement d’abord ». Notre idée, c’est de dire que la chambre d’hôtel en urgence, la place d’hébergement ça n’est pas une fin en soi ; la fin en soi, c’est le logement et organisons plutôt des situations de logement SAS. Donc on remplace progressivement 4 500 chambres d’hôtel – vous savez, ces hôtels où on loge les familles en urgence et qui parfois deviennent, alors que ça devrait être du temporaire, des situations pérennes – remplaçons 4 500 chambres d’hôtel par 4 500 logements qui ressemblent plus à du logement, tout simplement.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Et il n’est pas d’accord avec ça, Xavier EMMANUELLI ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET J’insiste : c’est une chambre d’hôtel pour un logement. Il n’y a pas moins de places, il y a des places différentes, voilà. C’est un concept un peu différent.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Oui, mais il est quand même sur le terrain, Xavier EMMANUELLI. C’est un praticien.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Attendez. C’est quelque chose qui a été…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Il dit que son budget, 92% du budget c’est l’État : il dit que vous l’avez supprimé.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non, le budget – le nombre de places par exemple en hébergement d’urgence a très fortement augmenté. De mémoire, c’est + 27% depuis quelques années et plus… On est passé à 115 000 places en tout en France, 43 000 places en Ile-de-France mais on a une divergence, si vous voulez, de point de vue, de concept, sur ce que c’est que l’hébergement d’urgence. C’est vrai qu’il faut des places d’urgence et d’urgence pure. Il y a des personnes qui ne peuvent pas aller tout de suite dans un logement. Il y a des personnes qui sont tellement dé-sociabilisées qu’un logement pour elles, ça ne correspond à rien tout de suite. Mais il y a aussi des personnes comme des familles qui, dans des chambres d’hôtel, ne trouvent pas vraiment leur place et les moyens de rebondir.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Mais vous ne répondez pas à Xavier EMMANUELLI.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Si !
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Il vous dit : « Je n’ai plus de budget, je n’ai plus d’argent pour accueillir ».
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais parce que quand vous transférez 4 500 places depuis l’hébergement d’urgence en hôtel vers des logements, vous les – ce n’est pas la même association qui les fait, tout simplement. Donc en effet, ça apparaît comme une modification budgétaire en moins pour certains et en plus pour d’autres. Mais en termes de nombre de places…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Donc pour lui, on est bien d’accord, c’était en moins pour lui.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais en termes de nombre de places, c’est le même nombre de places. Je veux dire, il faut que ce soit très clair : on peut avoir une divergence sur la méthode…
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Il a raison quand même de dire que vous estimez qu’il n’est plus utile.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il peut ne pas adhérer – je crois qu’il n’adhère pas au programme « Logement d’abord » mais le nombre de places, lui, n’est pas modifié. Il faut que les Français le sachent.
 
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN Merci beaucoup Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET d’avoir été avec nous ce matin.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Merci.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 11 août 2011