Entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "TF1" le 22 août 2011, sur l'évolution des combats sur le terrain en Libye, notamment à Tripoli, le coût de l'engagement militaire de la France dans ce pays et la perspective d'une intervention en Syrie.

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Texte intégral

Q - Quelles sont vos dernières informations concernant l'avancée des rebelles ? On ne peut pas encore dire qu'ils contrôlent totalement Tripoli ?
R - Non, pas entièrement, il y a encore des poches de résistance. On vient de le voir, la quasi-totalité de la ville est sous le contrôle des troupes du Conseil national de transition, comme la quasi-totalité du pays, mais ce n'est pas fini. Il faut donc que nous restions vigilants.
Pour nous, c'est un moment d'une extrême importance. Je vous rappelle que la France a été en première ligne depuis le départ. Tout d'abord sur le plan diplomatique, il a fallu emporter la décision du Conseil de sécurité des Nations unies pour éviter un bain de sang à Benghazi. Ensuite sur le plan militaire, nous avons fourni, avec nos amis britanniques, 80 % de l'effort de l'OTAN. Je voudrais d'ailleurs saluer la compétence et le professionnalisme de nos militaires. Nous avons pris des risques calculés et c'était une cause juste. Tout comme en Côte d'Ivoire, c'était tout simplement la cause de la libération d'un peuple et de l'aspiration à la démocratie.
Q - Savez-vous où se trouve le colonel Kadhafi ? Doit-il être capturé vivant ou mort ?
R - C'est aux combattants sur le terrain de mener leurs combats. Nous ne souhaitons pas que Kadhafi soit éliminé physiquement. Nous n'avons pas plus d'informations que vous, mais les choses vont se dénouer très rapidement. Même si la victoire n'est pas complète, le régime est évidemment maintenant fini et c'est la raison pour laquelle la France, qui tient à rester à l'initiative, se projette déjà dans l'avenir. Il va falloir maintenant reconstruire la Libye, et bâtir une Libye démocratique. C'est un pays riche qui a un potentiel important. Il va falloir l'accompagner, d'où l'initiative prise par le président de la République aujourd'hui d'appeler à la création d'un Groupe des amis de la Libye. Une conférence pourrait se tenir à Paris, par exemple la semaine prochaine. J'en ai parlé cet après-midi avec tous nos partenaires : Américains, Britanniques, Allemands, Italiens et autres. Cette proposition a reçu un très bon accueil et la conférence pourrait être co-présidée par le président Sarkozy et le Premier ministre Cameron.
Q - Les forces françaises ont-elles participé militairement à cette bataille de Tripoli ?
R - Non, bien entendu. Nous ne sommes pas au sol, c'est clair, nous l'avons dit dès le départ. Nous avons respecté les règles qui étaient fixées par la résolution du Conseil de sécurité : nous sommes intervenus avec nos avions et nos hélicoptères. Evidemment, l'opération de l'OTAN a joué un rôle déterminant. Rien n'aurait été possible si nous n'avions pas apporté notre soutien aérien.
Q - Combien a coûté notre engagement militaire ?
R - Il appartient au ministre de la Défense de le chiffrer…
Q - On parle d'1,2 million d'euros par jour…
R - On a parlé d'une centaine de millions d'euros. Nous avons les moyens d'assumer nos responsabilités. Nous avons une politique étrangère ambitieuse. Nous avons une capacité de défense. Lorsque nos valeurs, nos grands principes sont en jeu, il faut naturellement les utiliser et je pense que c'est quelque chose qui va avoir des conséquences considérables, notamment sur la Syrie. On voit bien qu'un régime dictatorial ne peut plus se maintenir au pouvoir contre vents et marées et contre l'aspiration de son peuple ; c'est vrai en Afrique, c'est vrai dans le monde arabe. Je crois que du point de vue de l'équilibre du monde, c'est d'une certaine manière, une très bonne nouvelle.
Q - C'est-à-dire que la France envisage d'intervenir militairement en Syrie où Bachar El-Assad a provoqué la mort de tant de civils ?
R - Non, évidemment, parce que les situations sont différentes, mais nous allons accentuer notre pression. Nous avons été les premiers à dire que la situation en Syrie était inacceptable et que Bachar El-Assad ne pourrait pas se maintenir au pouvoir. Maintenant, vous voyez que les États-Unis et l'ensemble de la communauté internationale disent la même chose. Je l'ai dit il y a deux mois ; on avait dit que j'allais un peu vite en besogne. Je pense que Bachar El-Assad, aussi, ne pourra pas se maintenir au pouvoir parce que nous sommes dans un monde nouveau. Aujourd'hui, on ne peut pas aller à l'encontre de l'aspiration des peuples. C'est en tout cas quelque chose qui inspire la diplomatie française telle que le président de la République la conduit et telle que j'essaie de la mettre en œuvre.
Q - Vous avez souligné l'engagement personnel du président de la République dans ce conflit. Etes-vous en train d'organiser une visite éclair de M. Sarkozy dans les tous prochains jours à Benghazi ; c'était une promesse qu'il avait faite.
R - Je ne sais pas s'il s'agira d'une visite «éclair» mais elle aura lieu, à Benghazi et en Libye de façon générale puisque nous sommes très attachés à l'intégrité territoriale de la Libye ; il y a Benghazi et il y a aussi Tripoli.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 août 2011