Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à France Inter le 23 août 2011, sur la situation militaire en Libye.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

BRUNO DUVIC Gérard LONGUET, ministre de la Défense, est ce matin l’invité de France Inter. Bonjour monsieur.
 
GERARD LONGUET Bonjour.
 
BRUNO DUVIC Quelles sont les dernières informations dont vous disposez ce matin sur la situation à Tripoli ?
 
GERARD LONGUET En Libye, si vous me permettez, en Libye. C’est une situation qui n’est pas totalement aboutie, tant s’en faut. Les insurgés ont repris en totalité Brega, ce qui est une nouvelle extrêmement importante.
 
BRUNO DUVIC Terminal pétrolier.
 
GERARD LONGUET Terminal pétrolier, et ils progressent en direction de Ras Lanouf mais ils ne sont – ils sont à vingt kilomètres à l’ouest de Brega. Misrata et Zlitan sont toujours en zone de combats, les combats n’ont pas cessé. Les insurgés maintiennent leurs positions mais les forces de KADHAFI, en tous les cas celles qui s’opposent aux insurgés, continuent de se battre. Sur Tripoli-même, incontestablement il y a des combats très forts dans des parties sensibles notamment autour du port, mais le dispositif de Bab Al-Aziziya qui est le grand quadrilatère contrôlé par KADHAFI et son état-major avec un mur d’enceinte fortifié n’est pas attaqué à cet instant.
 
BRUNO DUVIC La chaîne Al Arabiya parle de bombardements de l’OTAN cette nuit.
 
GERARD LONGUET Alors il y a eu des bombardements de l’OTAN en effet. Ils n’ont pas, à cet instant, contrairement à ce que la France demande, permis d’ouvrir les brèches dans ce quadrilatère. Pourquoi ouvrir des brèches ? C’est une valeur symbolique, ce n’est pas du tout militaire : c’est pour montrer qu’il n’y a pas de sanctuaire. Nous voulons détruire l’idée d’un sanctuaire où les irréductibles pourraient indéfiniment se retrancher, car souvenons-nous que les insurgés ce sont des gens qui se battent pour leur liberté mais ils se battent avec leurs moyens qui sont extraordinairement faibles. Le succès étonnant dans cette affaire, c’est qu’ils soient là.
 
BRUNO DUVIC Pensez-vous que le colonel KADHAFI soit toujours dans cette caserne ? GERARD LONGUET C’est assez vraisemblable.
 
BRUNO DUVIC Rien d’autre ?
 
GERARD LONGUET Je n’en sais pas plus.
 
BRUNO DUVIC Pas d’autres hypothèses ce matin ?
 
GERARD LONGUET J’ajouterai juste – ce n’est pas un mensonge d’État : je n’en sais pas plus. Je vous rappelle que la France est à l’extérieur, elle est avec ses hélicoptères, avec ses avions, ses systèmes de surveillance ; elle n’est pas sur le terrain.
 
BRUNO DUVIC L’avancée tout au long du week-end a été extrêmement rapide. Hier, on parlait quasiment de chute effective de Tripoli. Diriez-vous ce matin que cette chute annoncée sera plus longue, plus difficile que prévue il y a encore quelques heures ?
 
GERARD LONGUET Je pense que la Libye est un très, très grand pays et très vaste et qu’il y a des comportements très différents d’une ville à l’autre. Je vois par exemple l’île de Sebha dans le sud où l’opposition s’était exprimée assez fortement et manifestement le pouvoir local a décidé que l’opposition n’avait pas le droit de s’exprimer. Donc nous sommes dans un système qui est encore confus, ce n’est pas une victoire aboutie à cet instant.
 
BRUNO DUVIC Et sur Tripoli précisément ?
 
GERARD LONGUET Et sur Tripoli en particulier. Les combats sont gagnés par l’opposition chaque fois qu’ils sont livrés mais tout le système Kadhafiste n’est pas contrôlé par l’opposition, tant s’en faut.
 
BRUNO DUVIC Le régime KADHAFI n’est pas tombé ?
 
GERARD LONGUET Le régime KADHAFI est isolé, encerclé, acculé ; il n’est pas tombé.
 
BRUNO DUVIC Est-ce que tout le monde d’ailleurs, médias comme représentants politiques, n’est pas allé un tout petit peu vite hier pour annoncer la chute du régime du colonel KADHAFI ?
 
GERARD LONGUET Moi je parle comme ministre de la Défense et j’essaye de faire remonter des informations de différentes sources. Les gens étaient impatients il y a quelques semaines, l’opinion était impatiente et considérait qu’on s’enlisait : on ne s’enlisait pas. Aujourd'hui, la dominante est plutôt enthousiaste. Je considère, je constate qu’il y a toujours des combats.
 
BRUNO DUVIC Comment avez-vous reçu l’une des informations de cette nuit : le fils du colonel KADHAFI, Seif al-ISLAM, dont l’arrestation avait été annoncée, est apparu libre cette nuit dans l’hôtel notamment où travaillent les journalistes. C’est le signe que le régime se battra jusqu’au bout et c’est le signe de la confusion peut-être aussi.
 
GERARD LONGUET Oui. On ne peut pas en vouloir au CNT qui est une institution nouvelle de ne pas tout gérer et la rumeur fait partie de la guerre aujourd'hui. L’information et la rumeur est colportée par des moyens technologiques extraordinairement puissants aujourd'hui – les SMS, Internet, la radio, le téléphone. Nous suivons avec nos moyens beaucoup de communications et il se dit à peu près n’importe quoi sur les communications locales.
 
BRUNO DUVIC Vous en avez dit un mot tout à l'heure à propos du périmètre de KADHAFI. Au stade où on en est, je parle de Tripoli, des combats au coeur d’une ville, que peut faire la coalition internationale pour appuyer les rebelles ?
 
GERARD LONGUET C’est une très bonne remarque. Nous sommes sur des combats qui sont très particuliers. Ce sont en fait des combats d’artillerie, c'est-à-dire de loin à loin, de lance-roquettes multiples, et ce sont des combats de snipers c'est-à-dire de tireurs d’élite.
 
BRUNO DUVIC Tireurs isolés.
 
GERARD LONGUET Tireurs isolés. Ce n’est pas Verdun. Je veux dire ce ne sont pas des tranchées avec des positions identifiées et des combattants qui se regardent les yeux dans les yeux et qui s’entretuent à la baïonnette. Ce n’est pas du tout ça. Ce sont des tirs d’artillerie et donc il peut y avoir des mouvements extrêmement rapides. C’était d’ailleurs déjà le cas en 1942 entre les Italiens et les Allemands d’un côté, les Alliés de l’autre. C’est des mouvements extrêmement rapides parce que tenir le terrain n’a pas beaucoup de sens et les mouvements sont sur des kilomètres – ou plus exactement tenir le terrain a du sens mais les mouvements peuvent être extrêmement rapides dans un sens comme dans l’autre.
 
BRUNO DUVIC Et donc, quel rôle pour l’OTAN dans cette configuration précise que vous venez de décrire ?
 
GERARD LONGUET Je pense profondément que l’OTAN doit faire une frappe symbolique pour montrer qu’il n’y a pas de quadrilatère irréductible, il n’y a pas de sanctuaire.
 
BRUNO DUVIC Quelle part la coalition internationale a-t-elle pris dans la préparation de cette avancée sur Tripoli ? On a souvent parlé de l’amateurisme des combattants rebelles. Là manifestement, il y a eu une préparation très minutieuse.
 
GERARD LONGUET Il y a eu une préparation très minutieuse. Moi je salue les combattants rebelles parce que ce sont des gens qui sont passés du statut d’avocat, profession libérale, cordonnier ou garagiste, au statut de combattant. C’est extraordinaire de mobilisation, de civisme et je dirais d’organisation. Ce que nous avons, nous comme responsables, et ce que nous avons à gérer comme responsabilités, c’est de protéger les populations civiles, c'est-à-dire de donner la certitude aux insurgés qu’ils ne risquaient pas de perdre les territoires qu’ils avaient gagnés, mais nous ne les avons pas accompagnés dans l’offensive. C’est leur offensive et c’est leur victoire.
 
BRUNO DUVIC Pas d’hommes au sol, pas même des instructeurs ?
 
GERARD LONGUET Pas d’hommes au sol, pas même des instructeurs français.
 
BRUNO DUVIC Diriez-vous que ces opérations en Libye sont l’exemple d’une intervention internationale parfaitement réussie ?
 
GERARD LONGUET Oui. Elle est réussie parce qu’il y a eu une prise de responsabilités de deux grands pays - la Grande Bretagne et la France, de David CAMERON et du président Nicolas SARKOZY - l’intervention internationale, rien n’a été fait sans le conseil de sécurité des Nations Unies ; c’est Alain JUPPÉ qui en portait la décision et sans l’intervention extrêmement rapide, permettez-moi de le dire, de l’armée française et de l’aviation, puisque quelques minutes après l’autorisation du 19 mars, nous étions en mesure de neutraliser les chars qui attaquaient Benghazi. Je dois dire d’ailleurs qu’il y a eu des aspects extrêmement divers pour moi, ministre de la Défense. La Marine, ce sont près d’une dizaine de bâtiments qui ont surveillé en permanence. Sait-on par exemple qu’il y a eu un combat naval et que la frégate Courbet a tiré à Misrata sur des engins kadhafistes qui voulaient miner le port ? Si le port de Misrata avait été miné, Misrata tombait forcément puisque Misrata n’était plus approvisionné. C’est donc une véritable avec avions, hélicoptères, navires.
 
BRUNO DUVIC Pour l’anecdote, mais ça n’est pas qu’anecdotique, quand vous entendez Martine AUBRY décerner des bons points à Nicolas SARKOZY dans cette histoire au 20 heures de TF1 hier soir, quelle réaction avez-vous ?
 
GERARD LONGUET Personnellement je m’en réjouis comme Français. Si les Français peuvent être rassemblés sur un point majeur qu’ils partagent, tant mieux.
 
BRUNO DUVIC Tous les journaux consacrent de longues pages à la Libye ce matin et aux années KADHAFI. Tous évoquent notamment la visite du colonel à l’Élysée au début du quinquennat, c’est un événement qui a marqué l’opinion. « Notre pays n’est pas un paillasson » avait déclaré à l’époque Rama YADE qui était secrétaire d’État aux droits de l’homme. Pensez-vous que cette intervention effacera le souvenir de cet épisode qui encore une fois a marqué l’opinion ?
 
GERARD LONGUET Je crois qu’il y a un mystère KADHAFI. KADHAFI est arrivé par la force, mais une forte en 69, il y a quarante-deux ans, en chassant le roi qui était d’ailleurs en vacances en Italie et en lui disant : « Mon vieux, ne rentre pas, la place est prise ». Ça n’avait pas été une révolution sanglante.
 
BRUNO DUVIC On est loin du début du quinquennat SARKOZY.
 
GERARD LONGUET Non, j’y reviens. C’est un personnage extraordinairement cyclique avec des tentations de toutes sortes pendant ses quarante-deux ans de pouvoir. Et je crois pour ma part, sincèrement, qu’il a voulu à un moment, avec le danger islamiste, se rapprocher de l’Europe et il a perdu totalement conscience, peut-être d’ailleurs sous la pression de certains de ses fils, au moment – au début des incidents, il aurait pu parler politique. Il est entré dans le délire verbal – le délire verbal, pardonnez-moi, et l’action militaire. Et à ce moment-là, il a complètement changé de nature et Nicolas SARKOZY a eu le courage de reconnaître que ce n’était pas l’homme qu’il avait reçu et par conséquent, il fallait en tirer les conséquences.
 
BRUNO DUVIC Ce que vous nous dites, c’est qu’en 2007 il a été reçu alors qu’on pensait, parmi les autorités françaises, de bonne foi que l’homme avait changé.
 
GERARD LONGUET Il avait lâché – il avait libéré les infirmières bulgares, il avait montré des gestes de bonne volonté ; son système ne lui a pas permis d’aller dans cette voie.
 
BRUNO DUVIC L’intervention internationale a commencé au mois de mars.
 
GERARD LONGUET Le 19 mars.
 
BRUNO DUVIC 19 mars. L’objectif initial était de protéger les civils, responsabilité de protéger. Est-ce que vous assumez le fait que cet objectif a glissé et que c’est devenu aussi la chute d’un régime, voire d’un homme, après tout d’ailleurs peut-être parce que les deux sont imbriqués ?
 
GERARD LONGUET Vous avez tout à fait raison. Pour protéger les civils, la meilleure façon, et nous l’avons dit dès le départ, c’est que les soldats rentrent dans leur caserne. Manifestement ils ne l’ont pas voulu, ils ne l’ont pas entendu ainsi et nous avons eu une conception dynamique de la protection des civils qui consistait chaque fois qu’un soldat sortait de sa caserne de lui suggérer de rentrer par des moyens appropriés.
 
BRUNO DUVIC Mais sans parler de mensonges, on est bien passé d’un objectif de protection des civils à un objectif qui mélangeait plus l’intervention militaire et politique.
 
GERARD LONGUET Non ! Non, non, non, non ! Attendez ! La protection des civils, quand vous avez devant vous des chars et des canons, ce n’est pas un cordon de gendarmes mobiles ou de Casques Bleus. C’est de frapper sur des chars et sur des canons qui sont, eux, susceptibles à tout moment de tuer des civils. Nous avons eu une protection dynamique et offensive des civils parce que nous pouvions le faire tactiquement. Les fronts étaient nettement séparés.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 29 août 2011