Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les enjeux et les défis pour la diplomatie française d'un monde en changement, Paris le 2 septembre 2011.

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Circonstance : Réunion de la XIXè conférence des ambassadeurs les 1er et 2 septembre 2011 à Paris : discours de clôture d'Alain Juppé le 2

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les Directeurs,
Il y a six mois, lors de ma prise de fonctions au Quai d'Orsay, j'ai souhaité, sous l'autorité du président de la République, dynamiser l'action diplomatique française, afin de permettre à la France de jouer tout son rôle face aux bouleversements en cours dans le monde. Ne pas subir les évolutions du monde mais en être un acteur, le président de la République vous a à nouveau incités à le faire avant-hier, tout en suivant le juste chemin : telle est la ligne que nous nous sommes fixée, avec quatre grandes priorités :
- accompagner les «printemps arabes» et favoriser l'enracinement de la liberté et de la démocratie autour de la Méditerranée ;
- construire une gouvernance internationale plus juste et plus efficace ;
- renforcer l'intégration et la gouvernance européenne ;
- encourager les progrès de la démocratie et l'essor économique sur le continent africain.
Dans la période de changement exceptionnel que nous traversons, une feuille de route aussi ambitieuse nécessitait la mobilisation de tous les talents du Quai d'Orsay. Je m'y suis employé en vous fixant clairement le cap et en vous donnant sans hésitation ma confiance.
Aujourd'hui, notre effort collectif porte ses fruits. La France est de nouveau aux avant-postes de l'action de la communauté internationale. Depuis six mois, dans tous les domaines, elle fait entendre son message d'humanité, de responsabilité, de démocratie et de paix. Depuis six mois, sa cohérence, son courage et sa capacité d'entraînement sont partout salués. Et vous êtes les artisans de ce succès.
La France est acteur du changement quand elle accompagne le magnifique élan vers la liberté né au sud de la Méditerranée. Ce qui se passe dans le monde arabe engage en effet directement l'avenir de notre pays et de l'Europe.
Soyons francs : trop longtemps, nos relations avec certains pays ont été fondées sur la prééminence du principe de stabilité. En soi, cette stabilité peut être une vertu. Mais cette stabilité là n'était qu'apparence. Nous avons compris que la stabilité véritable ne pouvait faire abstraction des aspirations des peuples. Nous en avons tiré les leçons pour notre diplomatie. Il nous faut en particulier nouer des relations avec les nouveaux acteurs de la société civile, notamment les jeunes, les nouveaux entrepreneurs, les nouveaux média et les figures montantes de la scène culturelle.
Aujourd'hui, notre pays joue un rôle d'avant-garde pour soutenir les transitions en cours, sans imposer de formules toutes faites. Je pense notamment à l'Égypte et à la Tunisie, engagées avec courage et responsabilité sur le chemin de la démocratie. Je l'ai dit aux jeunes de la place Tahrir en mars dernier : nous vous écoutons, nous sommes à vos côtés.
Il y a malheureusement des pays où l'aspiration à la liberté se heurte à la violence de régimes qui ont choisi la répression et la fuite en avant.
Je pense bien sûr à la Libye. C'est grâce aux efforts de la France que le vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité a été obtenu et que Benghazi a été sauvée du massacre. Nos équipes, à Paris et dans les postes diplomatiques à Benghazi, à New York et à Bruxelles, au Caire et dans le Golfe, ont été en première ligne pour constituer une coalition internationale en appui de la poignée d'hommes courageux du Conseil national de transition. Jour après jour, groupe de contact après groupe de contact, nous avons pu ouvrir pour le peuple libyen la perspective d'un avenir démocratique. Oui, c'est l'honneur de la France que d'avoir été la première à reconnaître le Conseil national de transition et d'avoir empêché tout retour en arrière vers la tyrannie. Oui, c'est une fierté pour nous tous de voir flotter notre drapeau aux côtés de l'emblème national, à Benghazi et depuis lundi à Tripoli, grâce à la détermination de la petite équipe diplomatique qui s'y est réinstallée et dont je salue le courage et l'efficacité.
En Syrie, j'ai été le premier à dire que Bachar el-Assad avait perdu toute légitimité parce qu'il refusait la voie du dialogue et des réformes. Sans relâche, la France dénonce les massacres, refuse la loi du silence, ne pratique pas la politique de deux poids deux mesures. Nous ne pouvons pas accepter un régime qui arrête et torture, y compris les enfants. C'est, parmi d'autres, grâce à nos efforts que la communauté internationale est de plus en plus nombreuse à condamner cette situation. Le Conseil de sécurité a fini par la condamner, le Conseil des droits de l'Homme l'a condamnée. Notre objectif c'est d'obtenir au Conseil de sécurité une résolution explicite condamnant l'usage de la violence contre la population et organisant un régime de sanctions. C'est un combat difficile mais nous ne baissons pas les bras.
La France est aussi acteur du changement quand elle se mobilise pour permettre à l'Europe d'écrire son avenir.
C'est dans ce but que le président de la République, avec la chancelière Merkel, s'est fortement engagé pour rénover à la fois la gouvernance et les politiques européennes.
Nous avons obtenu de l'Union européenne et de la zone euro qu'elles se dotent des outils de pilotage nécessaires pour surmonter la crise économique et financière.
Nous avons obtenu le renforcement de la gouvernance de l'espace Schengen, pour relever le défi migratoire sans pour autant remettre en cause le principe de libre circulation des personnes qui est un des fondements de notre Union européenne.
La France est également acteur du changement lorsqu'elle travaille à la construction d'une gouvernance mondiale efficace et juste.
Ne nous considérons pas comme un continent en déclin parce que nous ne sommes plus le centre du monde. Dans le monde de demain, l'Europe, j'en suis convaincu, a un rôle majeur à jouer, comme pôle de stabilité, de prospérité, de valeurs et de démocratie. Rien ne se fera sans l'Europe.
Trop de Français craignent encore la mondialisation, au point de prêter parfois l'oreille à ceux qui leur font miroiter l'absurde fantasme d'une illusoire dé-mondialisation. Ne nous trompons pas de combat. Le bon combat, ce n'est pas de nier la mondialisation. C'est d'en tirer avantage.
Il est vrai que trop souvent, nous la subissons. Nous nous résignons à perdre nos parts de marché face à des concurrents qui ne respectent pas toujours les mêmes règles du jeu que nous. Pour maintenir notre niveau de vie sans consentir les efforts d'adaptation nécessaires, nous avons trop souvent cédé à la facilité. Le monde dit développé, des États-Unis au Japon en passant par l'Europe, a cédé à la tentation du surendettement. Nous sommes aujourd'hui au pied du mur.
Nous avons l'ardente obligation de réduire nos déficits, sans pour autant enclencher une spirale de récession, exercice ô combien difficile. Ce qui nous impose de reprendre l'offensive, de reconquérir notre compétitivité, de militer aussi pour le respect des mêmes règles du jeu. Le protectionnisme est un leurre. Mais l'équité et la réciprocité sont des exigences de bon sens. Il nous faut par ailleurs continuer à investir dans la recherche et l'innovation, pour produire autrement, c'est-à-dire en économisant des ressources rares, et prendre toute notre part dans la satisfaction des besoins croissants d'une humanité bientôt riche de 9 à 10 milliards d'individus. Loin du découragement des apôtres du déclinisme, c'est l'ambition du Premier ministre, François Fillon, et de l'ensemble du gouvernement. Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, dans votre mission, le soutien de nos intérêts économiques est plus que jamais une priorité.
La France est encore acteur du changement quand elle s'engage sans relâche aux côtés du continent africain. Je fais partie de ceux qui croient en l'avenir de l'Afrique, aux liens d'amitié entre la France et l'ensemble des pays africains, à la nécessité de rester présent et actif en Afrique.
Les défis sont connus :
Défi alimentaire. La tragédie qui se déroule dans la Corne de l'Afrique nous rappelle l'urgente nécessité de mobiliser la communauté internationale pour assurer la sécurité alimentaire de tout le continent. C'est l'un des axes forts que la France a choisi pour notre présidence du G20.
Défi de la démocratie, avec les nombreuses élections qui doivent se tenir en Afrique dans les prochains mois. La transition démocratique ivoirienne, à laquelle nous avons si fortement contribué, est en réalité un symbole pour tout le continent.
Défi économique. Avec une jeunesse dynamique et un taux de croissance supérieur à 5 % depuis dix ans, le continent dispose de vraies potentialités. Mais il reste beaucoup à faire. Henri de Raincourt, dont je salue l'engagement inlassable, est pleinement mobilisé pour poursuivre notre action en faveur du développement.
Défi diplomatique, pour permettre à l'Afrique de mieux faire entendre collectivement sa voix dans les enceintes internationales. C'est dans cet esprit que la France souhaite un rôle renforcé de l'Union africaine et une plus grande intégration régionale en Afrique.
Nous sommes aux côtés de ce continent pour offrir à sa jeunesse un avenir porteur d'espoir.
Si la voix de la France est plus écoutée que jamais, c'est parce que nous avons su mettre à profit des atouts qui sont les nôtres.
Le premier d'entre eux, c'est la conviction d'avoir une responsabilité à assumer et un message à porter dans le monde : un message de démocratie, de respect des droits de l'Homme et de solidarité. Cette conviction est au cœur de notre identité. Les Français y sont attachés et en sont fiers. C'est elle qui nous a guidés dans notre combat pour obtenir, avec le vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, l'application du principe de responsabilité de protéger les peuples. Avec les décisions de la Ligue arabe, cette résolution sur la Libye marque une avancée majeure dans la reconnaissance par la communauté internationale de ce concept d'origine française.
Notre deuxième atout, c'est notre diplomatie, avec sa capacité à évaluer, imaginer et agir.
Une diplomatie active nécessite des moyens. Je l'ai réaffirmé dès ma prise de fonctions, en mars dernier. Pour autant, je n'ai pas promis de miracle. Le ministère des Affaires étrangères et européennes ne saurait se soustraire à l'effort de redressement des finances publiques. La crise actuelle doit être mise à profit pour remettre en cause les dépenses les moins utiles et accroître l'efficacité de notre action.
Les importantes réorganisations internes et les nouveaux programmes d'équipement, conduits dans le prolongement du Livre blanc, dont j'avais présenté les conclusions devant vous il y a trois ans, vont produire leur plein effet. Ils permettront d'absorber une partie de notre charge de travail, grâce à des outils modernes et performants. Je pense évidemment au Centre de crise, à la direction générale de la Mondialisation ou à la direction de la Prospective. Je pense aussi aux projets qui seront bientôt mis en œuvre dans le domaine du numérique et du traitement de l'information.
J'ai par ailleurs demandé et obtenu que les marges budgétaires issues de la diminution de certaines de nos contributions obligatoires nous soient intégralement restituées, avec une liberté d'emploi pour stabiliser certaines lignes budgétaires, et pour réinvestir dans certains domaines. Ce sera notamment le cas pour certaines actions prioritaires, comme les bourses d'étudiants et de chercheurs, les dépenses de fonctionnement de nos postes, et pour nos contributions volontaires.
En ce qui concerne nos effectifs qui, je le sais, ont été toisés depuis quinze ans, j'ai demandé au Premier ministre que les suppressions d'emplois programmées en 2011, 2012 et 2013 tiennent compte des efforts consentis par avance au cours des années passées. J'ai obtenu que, durant cette période, le rythme annuel des suppressions d'emplois soit deux fois moins important qu'au cours des cinq dernières années. Ce coup de frein positif soulagera l'administration centrale et nos postes, dont je n'ignore pas la tension sur les effectifs.
D'autres mesures viendront renforcer la cohésion et l'efficacité des équipes du Quai d'Orsay. La réforme des indemnités de résidence à l'étranger permettra au dispositif de rémunération des agents de l'État à l'étranger de gagner en équité et en transparence. Une prime de performance sera instaurée pour les chefs de poste, qui prendra en compte vos qualités managériales. La revalorisation des agents de recrutement local se poursuivra.
Enfin, je compte sur votre engagement pour mener à bien la réforme de notre réseau culturel, qui est souvent un motif d'inquiétude. La promotion de notre culture et de notre langue dans le monde demeure pour moi une priorité essentielle. Nous devrons l'assurer avec des moyens resserrés, mais modernisés. Vous y avez déjà largement contribué, en effectuant des efforts importants de rationalisation et de réduction des effectifs. Grâce à cette réforme, vous allez disposer de trois nouveaux opérateurs : France Expertise Internationale, Campus France et l'Institut Français, qui est désormais pleinement opérationnel, sous l'autorité de Xavier Darcos.
Notre influence passe aussi par notre présence audiovisuelle dans le monde, qui doit être élargie et consolidée pour promouvoir notre langue, nos idées et notre vision du monde. L'audiovisuel extérieur est une priorité stratégique pour notre pays et pour notre ministère, tant le poids de ce média est aujourd'hui déterminant.
Notre troisième atout, ce sont les femmes et les hommes de ce ministère qui, sous votre direction, contribuent aux missions qui sont les nôtres : la capacité à déchiffrer et anticiper les grandes évolutions ; la vocation de la France à proposer des idées nouvelles et à être le moteur de l'action internationale ; la promotion de nos valeurs et de nos intérêts ; la protection de nos ressortissants partout dans le monde.
J'ai été frappé, lors de la première table ronde, de la réaction de certains participants extérieurs, très impliqués dans la vie internationale, mais qui me faisaient part de leur admiration pour le gisement des savoirs et des analyses, et on l'a vu lors de la dernière table ronde à laquelle j'ai assisté sur la situation au Proche-Orient et tout autour de la Méditerranée.
Je mesure l'engagement et le professionnalisme dont vous faites preuve pour remplir ces missions. L'actualité internationale de l'année écoulée et les différentes crises qui se sont succédé ont montré votre sens de l'État et votre réactivité. Je tiens à rendre un hommage particulier aux agents du Centre de crise comme aux agents de nos postes qui, en Libye, en Égypte, en Côte d'Ivoire, au Japon après la catastrophe du tsunami et de Fukushima, ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Le défi de la croissance doit vous encourager à continuer à porter auprès de vos interlocuteurs le message d'une France modernisée, innovante et attractive, à soutenir sans relâche nos exportations en nous aidant à mieux connaître les attentes de nos clients et l'offre de nos concurrents, et à aider nos petites et moyennes entreprises à conquérir des marchés à l'international. Le Premier ministre vous l'a dit hier matin : c'est une mission essentielle, que le gouvernement vous demande de remplir avec la plus grande détermination.
Vous le voyez, beaucoup reste à faire. Nous devons être toujours plus attentifs, toujours plus en initiative, toujours plus en anticipation.
Dans les mois qui viennent, nous devrons relever trois grands défis.
Premier défi : accompagner la formidable mutation en cours du monde arabe.
Nous devons aider la Tunisie, l'Égypte, mais aussi le Maroc et la Jordanie, à réussir les transitions engagées. Rien ne serait pire que la désillusion de ces peuples, en particulier de la jeunesse.
En Libye, nous entrons dans une nouvelle phase, celle de la construction d'un pays démocratique. La France prendra toute notre part à cet effort. Nous avons dans ce pays un vrai capital d'amitié, en raison de notre engagement aux côtés du peuple libyen depuis les premiers jours de la Révolution. Ce n'est pas un hasard si la Conférence internationale de soutien à la Libye nouvelle vient de se tenir à Paris. Tout au long de l'après-midi d'hier, il y a eu plusieurs entretiens bilatéraux entre le président de la république et les principaux acteurs de la crise libyenne. Puis la réunion plénière où siégeaient les représentants d'une soixantaine d'États. J'ai été impressionné par ce moment considéré comme important. Je me reporte quelques mois en arrière, en mars 2011, où nous lancions cette opération risquée, avec une France qui prenait ses responsabilités. En six mois, nous sommes en train de tourner la page de l'intervention libyenne pour rentrer dans une nouvelle phase. C'est la reconnaissance de l'engagement de la France.
En Syrie, nous ne relâcherons pas nos efforts pour obtenir la fin de la répression et l'ouverture d'un dialogue démocratique. Nous développerons nos contacts avec l'opposition. Le peuple syrien mérite aussi la liberté et la démocratie.
Pour le plus long terme, nous devons continuer à mobiliser la communauté internationale aux côtés des pays du sud de la Méditerranée, car une grande partie de notre avenir se joue là, pour encourager leur développement dans un esprit de partenariat.
C'est l'objectif du Partenariat de Deauville, lancé à l'initiative du président de la République lors du dernier Sommet du G8. Politique et économique, ce partenariat a vocation à apporter une aide massive, à hauteur de 40 milliards de dollars, aux pays de la région qui s'engagent sur la voie des réformes. J'ai demandé à ceux d'entre vous qui sont particulièrement engagés dans la préparation de ce partenariat d'être vigilants. À Marseille dans quelques jours, puis à New York au courant du mois de septembre, cet engagement de 40 milliards se concrétisera par des conventions aussi concrètes que possibles. Nous savons bien que nombre d'États ont repéré les grandes faiblesses des relations internationales : ce décalage entre les annonces et la réalité. Ne perdons pas de temps si nous voulons que ces convictions politiques réussissent.
Ce doit être aussi l'objectif de la nouvelle politique européenne de voisinage et de la relance de l'Union pour la Méditerranée, voulue par le président de la République, et qui prend tout son sens aujourd'hui. Je suis allé à Barcelone il y a quelques semaines assister à l'installation du nouveau secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée, M. Youssef Amrani, qui a une feuille de route précise. Là aussi, nous avons besoin, nos pères, nos fils, méditerranéens de ma jeunesse, d'un plan solaire, de beaucoup d'autres actions, notamment la protection civile, que vous pourrez donner à ce partenariat, de part et d'autre de notre mer commune, toute sa signification.
C'est enfin la raison pour laquelle la France a fait de l'accueil des étudiants et des chercheurs de ces pays une priorité.
Enfin, aucune vraie sécurité n'est possible sans une paix juste au Proche-Orient. Ma conviction est que les «printemps arabes» constituent une opportunité historique de trouver un règlement au conflit israélo-arabe. Le statu quo n'est ni acceptable, ni tenable, sauf à conduire à une explosion de violence. Nous avons proposé des initiatives en juin et juillet derniers. Je me suis rendu dans ces régions, je n'ai pas été loin de provoquer une percée et nous continuons dans la perspective de l'Assemblée générale des Nations unies à la fin du mois de septembre.
Nous avons proposé de relancer des négociations de paix fondées sur des paramètres équilibrés. Cette initiative française reste sur la table, à la veille d'une Assemblée générale des Nations unies durant laquelle les États membres devront se prononcer sur l'État de Palestine. La France souhaite que cette échéance soit l'occasion de ré-ouvrir le chemin de la négociation plutôt que de risquer une confrontation diplomatique stérile et dangereuse. Le président de la République l'a dit : l'Europe doit s'exprimer d'une seule voix, l'Europe doit prendre ses responsabilités.
Je ne saurais terminer sans évoquer le Liban, qui a toujours subi les turbulences du Moyen-Orient, mais qui a aussi toujours été un laboratoire de la démocratie. Il doit aujourd'hui pouvoir bénéficier pleinement du vent de liberté qui souffle sur la région, dans le respect de sa souveraineté et de son intégrité, et devenir ainsi plus que jamais le symbole du vivre ensemble.
Deuxième défi : bâtir un monde plus structuré et mieux régulé.
Nous devons d'abord contribuer à la rénovation de la gouvernance internationale. Aujourd'hui, aucune nation ne peut espérer relever seule les défis auxquels nous sommes tous confrontés. Et je pense en premier lieu à la crise économique et financière.
La France, qui est le premier pays à occuper la double Présidence du G8 et du G20, s'est fortement engagée pour faire progresser la gouvernance mondiale. Le G8, je l'ai dit, a su répondre au «printemps arabe». Le G20 doit à la fois trouver des réponses collectives face à la crise économique et financière qui se poursuit et construire un monde mieux régulé. C'est notre intention pour le Sommet de Cannes.
Nous ne devons pas oublier les objectifs du développement durable et de la lutte contre le changement climatique, enjeux majeurs pour l'avenir de notre planète. La France continuera d'être aux avant-postes de ce combat, à Durban, lors de la prochaine Conférence sur le climat, ou bien encore en soutenant le projet d'une Organisation mondiale de l'environnement lors de la conférence Rio + 20. Ce serait une grave erreur de considérer que la crise financière a fait passer au second plan ces exigences de développement durable qui sont permanentes.
Nous devons également progresser sur le gouvernement de l'Europe. Le débat sur l'Europe s'est longtemps cristallisé sur l'alternative entre «approfondissement» et «élargissement». Aujourd'hui, les crises auxquelles l'Europe élargie est confrontée posent la question du projet politique européen.
Certains jouent avec l'idée d'un «monde sans Europe». Je fais au contraire partie de ceux qui pensent que l'histoire de l'Europe est ponctuée de crises à chaque fois surmontées, que face à la crise, nous devons aller plus loin dans l'intégration européenne. Je n'hésite pas à parler de fédéralisme pour la zone euro, avec une véritable intégration des politiques budgétaires et fiscales. C'est le sens des propositions faites par le président de la République et la chancelière allemande : un vrai gouvernement économique pour la zone euro ; une coordination et une surveillance accrues des politiques économiques européennes, avec en particulier une règle d'or d'équilibre des finances publiques inscrite dans les Constitutions. L'Allemagne et la France sont décidées à montrer la voie en harmonisant leur fiscalité sur les sociétés. Ce sera une avancée considérable dans un domaine qui jusqu'ici, au nom de la souveraineté nationale, était considéré comme tabou, et où nous avons essayé de travailler ensemble.
Je fais aussi partie de ceux qui croient à la force du moteur franco-allemand en Europe. Nous avons parfois des désaccords, mais notre capacité d'impulsion commune reste décisive, la crise l'a montré. Je l'ai réaffirmé avec force devant vos collègues allemands à Berlin lundi, lors de la première intervention d'un ministre français des Affaires étrangères à la Conférence des ambassadeurs allemands.
Outre cette solidarité interne, nous avons besoin d'une vraie politique étrangère européenne commune.
Si l'Union veut peser plus encore sur les équilibres du monde, elle doit être capable d'une action politique à la hauteur des financements qu'elle accorde. Elle doit désormais utiliser les outils créés par le Traité de Lisbonne. La Haute représentante et le Service européen d'action extérieure sont en place. En complémentarité, et non en concurrence, avec notre propre action, ils doivent permettre d'avancer dans plusieurs directions :
Parler d'une seule voix sur les enjeux politiques essentiels pour l'Union européenne ; Ce n'est pas évident, nous le voyons à propos du Proche-Orient, mais nous ne désespérons pas.
Faire prévaloir les intérêts de l'Union européenne et imposer enfin un principe de réciprocité dans les relations commerciales avec ses grands partenaires stratégiques ; ce concept, qui sentait le souffre il y a encore quelques mois, est aujourd'hui totalement validé par nos partenaires.
Mieux utiliser encore l'efficace outil des sanctions de l'Union européenne, qui a joué un rôle décisif dans la chute de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire, qui permet de sanctionner le régime syrien quand le Conseil de sécurité n'y parvient pas, qui constitue un outil de pression majeur face au programme nucléaire iranien et qui a contribué à l'asphyxie financière du régime de Kadhafi.
Faire franchir une nouvelle étape, et c'est un souci constant, à la politique de sécurité et de défense commune : d'abord parce qu'il n'y a pas de politique étrangère crédible sans capacité d'action militaire, notamment pour la planification et le commandement des opérations ; ensuite, parce que la contrainte budgétaire qui pèse lourdement sur les armées nationales rend absolument indispensable une mutualisation des capacités et une politique commune pour nos industries de défense. C'est le sens des propositions que nous faisons à nos partenaires dans le cadre de l'initiative de Weimar. Et cet après-midi à Sopot nous allons concrétiser en signant une lettre Weimar+2 (France, Allemagne, Pologne + Espagne et Italie) pour demander à la Haute représentante de poursuivre ses efforts afin de faire avancer la Politique de sécurité et de défense commune. L'ambitieux traité de défense franco-britannique s'inscrit pour nous dans une perspective européenne.
La France veut que le Service européen d'action extérieure fonctionne, et fonctionne bien. C'est pour cela qu'elle a proposé des candidatures françaises de qualité pour le Service européen d'action extérieure. Je salue notamment les récentes nominations de nos diplomates comme chefs de délégation de l'Union européenne en Turquie, au Kazakhstan, en République démocratique du Congo, au Burkina Faso et à Taïwan. Je vous encourage, ainsi que vos collaborateurs, à vous y porter candidats, à Bruxelles ou en délégation de l'Union européenne.
Avec Jean Leonetti, que je remercie de son précieux concours, j'entends bien faire progresser tous ces chantiers européens au cours des prochains mois, et démontrer à tous les «euro-pessimistes» que l'Histoire leur donnera tort.
Troisième défi : rester vigilants pour notre sécurité dans les zones à risques.
En Afghanistan, l'effort n'est pas terminé. Mais nous n'agissons pas en vain. Je veux ici saluer le travail accompli par nos soldats et nos coopérants en Surobi et Kapisa depuis trois ans.
Depuis une décennie, ce pays s'est transformé. Le terrorisme international et les Taliban ne sont plus en mesure d'en prendre le contrôle et la disparition de Ben Laden a porté un coup très dur à Al Qaïda. Les forces de sécurité afghanes montent chaque jour en puissance. M. Rasmussen me disait qu'avant le surge, ces forces comptaient 200 000 hommes et à la fin de cette année elles seront 350 000. Ce qui montre que le passage de témoin à l'armée afghane a été bien préparé. Les conditions se mettent progressivement en place pour un processus de réconciliation avec les insurgés qui acceptent de renoncer à la violence. Nous avons de notre côté une stratégie de transfert des responsabilités aux autorités afghanes, avec un calendrier qui nous permet de programmer le retrait d'un quart de notre contingent dans les mois qui viennent et de transformer la nature de notre engagement aux cotés du gouvernement afghan.
Il n'est en effet pas question d'abandonner l'Afghanistan. Nous comptons au contraire lui proposer un traité bilatéral très complet de partenariat d'ici la fin de l'année. Ce traité a été préparé en liaison avec notre ambassade à Kaboul. Nous comptons aussi proposer l'ouverture d'un dialogue politique régional autour de l'Afghanistan, pour essayer de créer dans cette région une confiance mutuelle, inexistante aujourd'hui.
L'Iran continue plus que jamais de retenir toute notre attention. Le régime de Téhéran doit garantir le respect des droits du peuple iranien, qui aspire lui-aussi à la liberté et à la démocratie. Il doit faire toute la lumière sur son programme nucléaire, et se conformer aux demandes répétées de la communauté internationale. Ce programme, dont la perspective militaire est évidente, fait peser une menace inacceptable sur le régime de non-prolifération, sur la stabilité régionale et sur notre propre sécurité. Vous savez combien la France est, sur ce sujet, parfaitement engagée.
Nous serons également très attentifs au risque terroriste au Sahel. Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) déstabilise les États sahéliens et menace directement la sécurité de la France et de l'Europe. Une plus grande coopération régionale, le renforcement des capacités de sécurité des pays menacés ainsi que lutte contre la pauvreté constituent les clefs du la lutte contre ce fléau.
La sécurité de nos ressortissants constitue en effet une priorité - à cet égard, j'ai une pensée pour nos 9 otages et pour leurs familles ; vous le savez, nous travaillons sans relâche pour obtenir leur libération.
Les communautés françaises à l'étranger sont toujours plus nombreuses et toujours plus dynamiques. Elles constituent une partie très active de notre communauté nationale. David Douillet leur consacre désormais toute son énergie, et je veux le remercier de son engagement.
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Cette XIXe Conférence des ambassadeurs se tient à Paris au même moment que la conférence au Sommet sur la Libye nouvelle. J'y vois le symbole d'une diplomatie française remobilisée, qui a su revenir au premier plan pour répondre à l'orientation fixée par le président de la République : la liberté et la créativité, plutôt que l'immobilisme et le repli sur soi.
Nous vivons une époque où l'environnement international pèse d'un poids croissant sur le débat national, sur nos décisions politiques et sur l'évolution même de nos sociétés. Nos concitoyens en ont de plus en plus conscience. Plus que jamais nous devons leur démontrer que notre diplomatie est capable d'anticiper et de déchiffrer les évolutions du monde ; qu'elle est capable de faire des propositions et de peser dans le débat d'idées ; qu'elle est un moteur de l'action internationale ; qu'elle est capable enfin de soutenir nos communautés françaises à l'étranger, dynamiques et en plein développement.
Je vous disais hier que le métier que vous faites prend une dimension de plus en plus excitante. J'espère qu'il vous donne du bonheur - professionnel - et sachez que le mien est grand de travailler avec vous au service de ce qui nous rassemble, c'est-à-dire tout simplement le rayonnement et l'honneur de la France.

Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 septembre 2011