Interview de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "Le Figaro" le 9 septembre 2011, sur le rôle des G7 et G20 dans la régulation économique internationale, sur la position des pays européens sur l'aide à la Grèce.

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Texte intégral

Q - Que faut-il en attendre du G7 ?
R - Nous avons une préoccupation centrale qui est la croissance. Nous aurons une discussion de fond sur le ralentissement observé cet été dans le monde, et le débat sera d’autant plus libre qu’il n’y aura pas de communiqué final. S’agissant de la direction à prendre entre relance et consolidation budgétaire, certains sont partisans d’une action uniforme. Pour ma part, j’ai tendance à rechercher ce qui est le plus adapté à la situation de chacun. Nous ferons également un point d’étape sur les progrès à réaliser en matière de régulation financière, sur, entre autre, le renforcement des fonds propres des banques prévus par Bale 3 et le traitement du risque systémique, la rémunération des opérateurs de marché, le trading à haute fréquence ou la régulation de la finance parallèle. Par ailleurs, je réunirai demain les représentants du Partenariat de Deauville pour faire le point du plan d’action décidé à Deauville en mai dernier par les chefs d’État ou de gouvernement concernant l’aide à apporter à la Tunisie, à l’Égypte, au Maroc et à la Jordanie.
Q - Quelle est l’appréciation du G7 sur la crise économique ?
R - Nous avons un diagnostic partagé sur la situation économique. Le premier constat d’évidence est que les dettes souveraines pèsent considérablement sur les choix économiques de chaque pays, ce qui interpelle les investisseurs et nourrit les rumeurs les plus folles. La dégradation de la dette américaine par une agence de notation a amplifié le phénomène. Au passage, il n’est pas anodin que dans les attendus, cette agence ait invoqué un fait politique -les difficultés du Congrès à se mettre d’accord - pour dégrader leur note.
Q - Comment ramener la confiance ?
R - On constate parfois une certaine lassitude des observateurs vis-à-vis des réunions du G7 ou du G20. On ne saurait pourtant minimiser les progrès considérables obtenus dans la concertation internationale dans ces instances. Comment pourrait on s’en passer sans retomber dans les égoïsmes nationaux et le protectionnisme, avec pour résultat encore moins de croissance et moins d’emplois, et une plus grande instabilité financière ? Avec du recul, l’ampleur des décisions prises par ces instances est considérable.
Q - Faut-il prolonger l’interdiction des ventes à découvert ?
R - J’ai salué cette mesure qui a été particulièrement utile pour contrer les mouvements spéculatifs, souvent assortis de fausses rumeurs qui portent atteinte au bon fonctionnement des marchés. Nous travaillons avec le commissaire européen Michel Barnier à une régulation très ambitieuse des ventes à découvert et des CDS souverains (contrats d’assurance sur les dettes des États). J’ai bon espoir qu’elle soit définitivement adoptée avant la fin de l’année.
Q - Les Anglo-Saxons critiquent la capitalisation des banques européennes. Que répondez-vous ?
R - Les prétendues discordes américano-européennes sont infondées, en tout cas au niveau des gouvernements. Une porte-parole du Trésor américain a d’ailleurs rappelé mercredi toute sa confiance vis-à-vis des stress tests des banques européennes. Le débat lancé sur la base d’un pré-rapport du FMI qui a fuité avant même d’être définitif n’a, quant à lui, aucune pertinence. D’autres institutions comme la BCE ont un tout autre regard quant à la solidité des banques européennes. Par ailleurs, nous devons lutter fermement contre le sentiment et la doctrine qui consisteraient à considérer les dettes souveraines comme des actifs toxiques dont les établissements bancaires devraient à toute force se débarrasser ! Le niveau des CDS sur certains actifs européens, par exemple, révèlent des aberrations économiques profondes. Enfin, on ne peut que déplorer les rumeurs de marché qui visent des établissements particuliers, voire des États. Cela n’a pas de sens alors que le G20 a pris des mesures sans précédent pour augmenter le capital des banques, avec les nouveaux ratios de Bâle III que l’Europe s’apprête à transposer dans son ordre juridique.
Q - La Grèce peut-elle rembourser ses dettes ?
R - La Grèce sait ce qu’elle doit faire. La Troïka a adressé un message légitime au gouvernement grec pour qu’il mette en œuvre des mesures précises qu’il sait engager à prendre. Si la Grèce veut bénéficier de la solidarité européenne, elle doit avoir conscience que cette aide est conditionnée à l’application stricte du programme qui a été défini.
Q - Le FMI pourrait-il ne pas participer financièrement au second plan d’aide à la Grèce ?
R - L’Union européenne est dans une logique de partenariat avec le FMI. Chacun sait ce qu’il a à faire, et les premiers concernés sont les Grecs eux-mêmes. Le FMI est dans la Troïka. Bien évidement, la participation du Fonds constitue une condition essentielle pour les Européens.
Q - La France est le seul pays à avoir adopté l’accord du 21 juillet. N’êtes vous pas agacés du peu d’entrain de nos partenaires ?
R - Cet accord est la meilleure réponse que l’Europe pouvait apporter pour sauver la Grèce et éviter la contagion, notamment en donnant an fonds européen de stabilité financière (FESF) tous les attributs d’un fonds monétaire européen. Je me félicite que notre pays, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ait été aux avant-postes pour le faire adopter et respecter ainsi la parole donnée. La France et l’Allemagne ont une lourde responsabilité et seront au rendez-vous de leurs responsabilités. La décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe est d’ailleurs une très bonne nouvelle, car elle ouvre la voie à une ratification par le Bundestag. Cet accord, et tout cet accord, doit désormais être ratifié par l’ensemble des autres pays membres : il s’agit d’un élément décisif du rétablissement de la confiance des marchés financiers dans la zone euro. J’invite tous les États qui doivent encore le faire voter à accélérer leur calendrier.
Q - Que pensez-vous de la Finlande, qui négocie des garanties en échange de sa participation ?
R - Je comprends que certains pays veuillent obtenir des aménagements techniques afin de satisfaire leur parlement. Le respect de la démocratie est fondamental. Mais ce processus ne doit pas transformer l’accord du 21 juillet en une somme d’addition de demandes de collatéral de la part de tel ou tel État. Il ne peut pas y avoir de discussions derrière le rideau une fois que celui-ci est tombé, car cela entraînerait la défiance des marchés. Une solidarité à deux vitesses est absolument inconcevable !
Q - La Banque de France annonce une activité quasiment atone au troisième trimestre, êtes-vous à l’aise avec votre prévision de croissance pour 2011 (à 1,75%) ?
R - Oui, même si nous sommes évidemment très dépendants de la conjoncture mondiale. Je pense surtout qu’il ne faut pas se laisser engluer dans le scepticisme qui nourrit la défiance. Nous sommes lucides sur la situation, le gouvernement met tout en œuvre pour protéger une croissance convalescente.
Q - Entre austérité, fin des mesures de relance, arrivée de la présidentielle qui gèle les initiatives, le gouvernement est bloqué pour prendre des mesures stimulant l’économie. Comment peut-on rebondir ?
R - Tout simplement parce que la stratégie de ce gouvernement repose sur deux piliers : des économies qui remettent les finances publiques sur la bonne trajectoire, et une stratégie de croissance. Sur quoi repose-t-elle ? D’abord l’État providence qui active la solidarité avec les plus démunis ; ensuite un pouvoir d’achat préservé qui soutient la consommation ; et enfin des investissements dans l’avenir et l’innovation qui créeront la croissance de demain. Nous sommes sur un chemin de crête, il faut mesurer chaque pas l’un après l’autre.
(…)
Q - Dans le contexte dégradé de nos finances publiques, l’idée des privatisations revient en force. Vous êtes contre. Pourquoi ?
R - Des cessions d’actifs détenus par l’État ne sont pas à l’agenda gouvernemental. Pour réduire les déficits, nous faisons des réformes de structures, pas des opérations financières ponctuelles. Je ne suis pas là pour brader les bijoux de famille.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 septembre 2011