Entretien de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, dans "Libération" du 5 septembre 2011, sur l'intervention militaire en Libye.

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Texte intégral

Q - La France va-t-elle participer à une force de stabilisation ?
R - Non, pour la bonne raison que les nouvelles autorités ne souhaitent pas la présence de troupes étrangères sur le sol libyen, ni soutien ni formation. L’expérience irakienne montre que la meilleure solution consiste à laisser les gens concernés directement régler leurs problèmes.
Q - Mission accomplie pour l’armée française ?
R - Largement. Mais elle sera véritablement achevée lorsqu’il n’y aura plus de risque pour les populations civiles à la faveur de la reddition de Kadhafi. Les opérations s’arrêteront lorsque lui et ses partisans ne constitueront plus une menace.
Q - On a parlé d’enlisement au début de l’été. Avez-vous douté ?
R - Ce qui m’a frappé, c’est le dynamisme et la rapidité de l’offensive des insurgés du djebel Nefoussa en direction de Tripoli, qui contrastait avec une sorte de routine observée en juillet et début août. Parmi les insurgés, il y a très peu de militaires et de policiers, et leur montée en puissance progressive était normale. En cinq mois, ils ont réussi à faire le boulot.
Q - N’a-t-il pas fallu des livraisons d’armes aux rebelles par la France et une formation dispensée d’autres pays…
R - On a livré des armes d’autodéfense aux insurgés du djebel Nefoussa début juin, à un moment très critique : les villages, qui s’étaient libérés de l’emprise kadhafiste, faisaient face à une contre-offensive très musclée de Tripoli. Ils étaient livrés à eux-mêmes et nous faisions face, Français et Britanniques, à un problème de conscience. Il se trouve que nous étions équipés pour faire ces livraisons. Il n’y en a pas eu d’autres.
Q - Des «conseillers» français étaient-ils présents lors de l’assaut final ?
R - Non, ce fut une affaire purement libyenne. En revanche, la protection de notre représentant auprès du CNT et le souci d’information et de mesure des frappes aériennes nous ont amené à mettre en place les moyens très limités nécessaires.
Q - Les Sud-Africains, qui ont boudé la Conférence de Paris, accusent la coalition d’avoir outrepassé la résolution 1973.
R - Ce texte, rédigé dans des termes très réfléchis, visait à interdire un nouveau Srebrenica. Il a fait de nous un gardien actif de la sécurité des personnes. Il fallait le lire très attentivement et il a été respecté.
Q - Viser Kadhafi, était-ce dans le mandat ?
R - Kadhafi n’a jamais été visé en tant que tel. Mais la protection des populations impliquait de frapper toute la chaîne. Le centre de commandement ordonnant d’attaquer des civils devenait ipso facto une cible. À tout moment, Kadhafi aurait pu retirer ses forces dans les casernes et proclamer un cessez-le-feu. Il ne l’a jamais fait, créant un rapport de forces dont la seule issue ne pouvait être que son départ.
Q - Craignez-vous qu’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) sorte renforcé du chaos en Libye ?
R - Non. La France, en liaison avec ses proches partenaires, est en train d’identifier les mesures propres à éviter la dissémination d’armement. Nous allons aussi nous appuyer sur les pays de la région. Le Niger et la Mauritanie sont décidés à ne pas se laisser prendre en otages par les terroristes. Et le Mali évolue sur la même ligne.
Q - Qui va payer le surcoût de la guerre en Libye ?
R - Les opérations en Libye, non prévues au départ, seront financées en dépenses exceptionnelles et non pas par le ministère de la Défense. La dépense d’équipement militaire n’est pas une variable d’ajustement.
Q - Les leçons de ce conflit vont-elles influer sur la rédaction d’un nouveau Livre blanc prévue en 2012 ?
R - Il faut tirer des leçons en évitant de préparer l’avenir à la lumière de l’engagement le plus récent. Ce conflit a montré que l’arme aérienne était décisive, mais grâce à la détermination des combattants libyens au sol.
Q - Êtes-vous satisfait des relations avec l’Otan, qui assurait le commandement ?
R - Le système de commandement intégré de l’Otan fonctionne. Certes, la contribution de la France a été élevée : en moyenne 35 % des frappes. Dès lors, la question de la répartition du fardeau se pose. Nous avons le bon matériel et les bons pilotes. Mais rien n’interdit les autres d’en faire autant s’ils en ont la volonté. Cela implique qu’ils maintiennent leur niveau de dépense entre 1,8 % et 2 % du PIB.
Q - Et si nos partenaires ne font pas cet effort ?
R - Les Britanniques partagent notre vision tragique de l’histoire, qui exige que les nations s’engagent.
Q - Faut-il renforcer le leadership franco-britannique au sein de l’Otan ?
R - C’est ce qui va se passer en pratique. L’Europe s’est sentie en charge de l’affaire libyenne… tout en s’appuyant techniquement sur l’OTAN.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 septembre 2011