Texte intégral
« La rue est le cordon ombilical qui relie lindividu à la société » disait Victor Hugo. Cest signifier combien le soutien apporté aux arts de la rue est une politique culturelle mais porte également en lui une vision de du monde où les mots corps social, tissu urbain, art public ont tout leur sens. Je tiens à vous remercier pour votre accueil et vous dire à quel point je suis heureux dêtre présent parmi vous, pour fêter la 25ème édition de Chalon dans la rue, pour découvrir ce festival, constater son succès public, mais aussi la qualité et la diversité des propositions artistiques quil met en exergue, avec une présence internationale tout à fait remarquable.
Je voudrais féliciter Pedro Garcia, son directeur, qui depuis 2004 a accompli un travail considérable pour renforcer linscription du festival dans lespace public, travailler avec les quartiers périphériques de Chalon et créer un lien fort entre le Centre national des arts de la rue (CNAR), lAbattoir - que jai visité tout à lheure en arrivant - et le festival.
A loccasion de cette 25ème édition, permettez-moi de rendre hommage aux fondateurs du festival, à Pierre Layac et Jacques Quentin, ainsi quà Dominique Perben, qui en 1987 a permis la première édition de ce festival et la inscrit avec résolution dans la politique culturelle municipale. Je tiens à saluer lactuel maire Christophe Sirugue davoir prolongé cette volonté politique, car lhistoire de Chalon démontre quune initiative artistique forte permet de dépasser les clivages partisans.
Jai découvert lextraordinaire vitalité et la capacité dinnovation des arts de la rue à loccasion de mes déplacements, notamment lan dernier au festival dAurillac, dont je salue le directeur, Jean-Marie Songy. Jai pu constater que les arts de la rue attirent de plus en plus dartistes qui nen sont pas originaires : que ce soit des plasticiens, des cinéastes, des metteurs en scène de théâtre, des danseurs. Les arts de la rue sont davantage quune catégorie spécifique du spectacle vivant : ils sont une démarche artistique globale, un véritable creuset, porteur dun dialogue et de rencontres entre les disciplines artistiques.
Les arts de la rue présentent également cette caractéristique très importante, qui est le contact direct avec les populations. Ils permettent, avec leur diversité de langage - du monde forain à la récupération industrielle, en passant par linversion burlesque - de dépasser lobstacle de lintimidation sociale qui existe souvent lorsquil sagit de franchir la porte dun théâtre ou dun lieu de culture, quel quil soit. Ils constituent une discipline décisive au service de lambition qui est la mienne, comme elle a été celle de mes prédécesseurs : une politique de démocratisation et de partage du geste artistique avec les populations. Lespace public rassemble et permet de diffuser largement : parce que la rue appartient à tous, les arts de la rue agrègent et fédèrent de nouveaux publics. Dans lespace public, en effet, nous sommes libérés de tous les codes sociaux qui peuvent sattacher au rituel dune représentation de théâtre, dopéra ou de danse. Nous sommes dune certaines manière plus libres, moins conditionnés pour la réception du spectacle qui nous est proposé : nous sommes ces « spectateurs-acteurs » immergés dans un quotidien réenchanté ou mis en question par un geste artistique.
Cest pour cet ensemble de raisons que les arts de la rue, plus encore que dautres formes dexpression artistiques, ne peuvent être dissociés des enjeux urbains, architecturaux et des questions sociales qui intéressent un territoire, une ville, un quartier. Au-delà de leur dimension artistique intrinsèque, les arts de la rue doivent être pensés à partir dun terreau social, afin de créer les conditions de leur plein épanouissement, de leur développement et afin den garantir la réception la plus aboutie par les populations. Lembellissement, le grandiose, le spectaculaire ne sont rien si lon naccompagne pas les publics dans une démarche de découverte et de sensibilisation : pas de diffusion sans temps long, pas de projet artistique véritable, sans un temps dapproche, dinstallation, de présence, ce que certains désignent sous le joli mot dinfusion. Cest tout lenjeu du développement actuel des projets culturels dits « de territoire », dont je souhaite quils sinscrivent dans un rapport renouvelé et renforcé avec les collectivités territoriales
Je souhaite vous dire quelques mots sur la politique que je mène en faveur des arts de la rue. Elle sinscrit dans un projet plus vaste en faveur du spectacle vivant, sur lequel je me suis exprimé récemment à loccasion du festival dAvignon.
La politique du ministère de la culture et de la communication vis-à-vis des arts de la rue sest consolidée au fil des années. Elle a émergé dans les années soixante-dix, et notamment grâce au travail précurseur de Jean Digne - dont je salue à nouveau la présence - à lépoque où il avait ouvert les rues dAix-en-Provence aux « saltimbanques » comme il avait alors désigné cette belle initiative. Ce choix a été décisif pour déclencher une véritable reconnaissance des arts de la rue par les pouvoirs publics.
Peu à peu le ministère de la culture et de la communication a porté un regard attentif sur cette expression artistique, qui a conquis un public de plus en plus nombreux, qui a fédéré de nouveaux publics. Il a accompagné les initiatives, quil sagisse des festivals, du soutien aux compagnies, aux structures - les centres nationaux des arts de la rue (CNAR), qui ont vu le jour au cours des années 2000.
Jai tenu moi-même à ce que les Centres nationaux des arts de la rue (CNAR) fassent lobjet dun label accordé par mon ministère, comme je lai indiqué par la circulaire du 31 août 2010. Ce texte reconnait 9 centres nationaux des arts de la rue et en précise les missions. Il est essentiel afin de consolider la reconnaissance institutionnelle du secteur et son organisation dans lavenir. Jajoute que cette circulaire fixe un niveau plancher dintervention du ministère à 150 000 et un minimum de 25% dintervention de lEtat sur lensemble des financements.
Le financement du secteur est passé de 6,5 M au début des années 2000, à près de 10 M aujourdhui. Je sais que ce nest pas encore suffisant, notamment pour une pratique qui est la première en matière de spectacle vivant, puisque 34% des Français déclarent être aller au moins une fois dans lannée à un spectacle de rue. Je serai vigilant à ce que les résultats de létude que je viens de lancer sur de nouvelles ressources pour le spectacle vivant puissent bénéficier de manière significative à ce secteur. Jy reviendrai.
Jai annoncé récemment lors du festival dAvignon un plan daction pour le spectacle vivant. Ce plan daction concerne les arts de la rue, au même titre que les autres secteurs du spectacle vivant.
Je pense même que les arts de la rue seront particulièrement concernés par la mesure relative au fond de soutien à lémergence et à linnovation, doté de 1,5 millions deuros sur la période 2011-13, du fait de votre ouverture au croisement disciplinaire et de votre capacité à inventer de nouvelles formes dexpression artistique. Cette mesure pourrait par exemple concerner des résidences artistiques dans lespace public, sujet dont je sais quil vous préoccupe. Les projets de résidences artistiques dans lespace public pourraient être éligibles à ce fonds.
Le plan daction se concentre également sur un meilleur accompagnement au secteur indépendant, dans toute sa diversité et sa richesse. Il nest pas besoin dinsister pour vous dire que vous serez bien évidemment concernés par la mesure relative aux compagnies indépendantes nombreuses dans le domaine des arts de la rue - qui entend accompagner les démarches les plus innovantes et les nouveaux vocabulaires artistiques.
Jai souhaité, vous lavez compris, renforcer la reconnaissance institutionnelle des arts de la rue. Cela passe aussi par un accompagnement technique spécifique, lapprofondissement de lexpertise et de lévaluation. Je souhaite que la Commission nationale de soutien à la création instituée auprès de la Direction générale de la création artistique soit maintenue, avec des objectifs précis, afin de permettre une meilleure articulation avec les dispositifs existants en DRAC.
Jai souhaité que la dimension européenne et internationale soit très présente dans le plan daction. Lorsquon examine la programmation de Chalon dans la rue, la présence des compagnies européennes est forte, les échanges artistiques internationaux nombreux. Nous devons encourager et soutenir cette ouverture, qui sert nos compagnies dans leur présence internationale : selon une enquête certes partielle - de 2010 réalisée par Hors les murs, 53% des compagnies ont bénéficié dune diffusion dans lUnion européenne, 14% à linternational. Nous devons poursuivre cette dynamique douverture ; à léchelle de lUnion européenne, cela appelle une politique volontariste favorisant la circulation des artistes et des projets.
Une des mesures du plan daction vise à mettre en place des pôles européens. Je pense que les arts de la rue doivent bénéficier dune telle mesure. Leur visibilité à léchelle européenne et internationale est extrêmement forte. Je laisse le soin aux professionnels, en concertation avec mon administration, de définir les contours exacts de ce pôle, mais je pense que plusieurs structures existantes pourraient sunir autour dune vraie ambition européenne.
Les bureaux spécialisés à létranger constituent également une mesure du plan daction. Ces bureaux, à linstar des bureaux de Berlin et de Londres qui ont démontré leur efficacité, permettront de développer des réseaux de coproduction et de diffusion. Six nouveaux bureaux seront créés. Les arts de la rue ont toute leur place dans ce dispositif dinfluence. Cela permettra de mieux valoriser lexcellence de la scène français, notamment dans le domaine des grands événements, des « grosses formes » qui se déroulent dans lespace public. Une concertation sur ce sujet sera lancée avec les principales institutions, notamment lInstitut Français, Lieux Publics ou Hors-les-Murs.
Pour votre secteur dactivité, je souhaite que la mise en oeuvre du plan daction se fasse en concertation avec les collectivités territoriales et avec les représentants de votre secteur. Je demanderai ainsi à la Direction Générale de la Création Artistique (DGCA) de définir les modalités permettant de mener à bien cette concertation.
Jai annoncé que ce plan mobilisera 12 millions deuros pour la période 2011-2013. Jai obtenu les crédits nécessaires pour 2012, avec 3,5 millions deuros de mesures nouvelles. Jai également lancé une étude en mai dernier afin de trouver de nouvelles ressources pour le spectacle vivant : les conclusions me seront remises en octobre prochain. Mais je veux être clair : il ny a là ni désengagement de lEtat, ni nouveau paradigme en matière de soutien aux artistes et à la création. Les ressources nouvelles ont vocation à sajouter à celles déjà existantes, à renforcer ce plan daction. Il sagira de crédits extra-budgétaires, qui feront lobjet dune taxe fiscale, dont je ne peux pas vous préciser la nature à ce jour puisquil sagit précisément de lobjet de létude. Lobjectif est clair : il sagit didentifier une base fiscale dynamique permettant dassurer une ressource pérenne et croissante pour lensemble du spectacle vivant.
Je veillerai également à ce que les questions de formation et de transmission soient mieux prise en compte pour lavenir des arts de la rue.
Je souhaite également approfondir la réflexion sur les conditions de développement de lart dans lespace public, quil sagisse des arts plastiques ou du spectacle vivant. Alors que nous fêtons le 60e anniversaire du 1% culturel, créé le 18 mai 1951 à linitiative du sculpteur René Iché, jai dit tout lintérêt que présente lart dans lespace public Au-delà de la scène artistique, de la galerie ou du musée, les plus grands artistes doivent prendre part à la construction de lespace de la cité, celui dans lequel le mot « public » ne renvoie pas seulement à un adjectif mais à un substantif : je veux parler des citoyens acteurs.
Cultiver lextraordinaire, la surprise, lémerveillement au coeur du quotidien, cest sans doute là un chantier pour laction publique en matière culturelle aujourdhui, à lheure où le public lui-même, confronté aux images souvent standardisées de la « société des écrans », demande à nouveau une relation charnelle aux oeuvres et aux artistes.
Je pense donc nécessaire de renforcer les dialogue entre les différents acteurs qui sont partie prenante de ces projets, que ce soit les collectivités territoriales, les ministères concernés - ministère de la Ville, ministère de lEcologie, du développement durable et de lEquipement notamment -, les urbanistes, les architectes, et les artistes. Je ferai des propositions à mes collègues du gouvernement concernés par le sujet ainsi quaux acteurs, pour la création dune instance permettant de valoriser la place de lart dans lespace public dans les politiques publiques. Je sais que cest une demande que vous avez adressée à mon ministère : jen suis daccord sur le principe, mais il sagit désormais den définir les modalités et le périmètre.
Je mesure, croyez-le bien, le travail qui reste à accomplir pour renforcer la place des arts de la rue au sein des institutions publiques, pour mieux inscrire la diffusion des spectacles dans lensemble des circuits du spectacle vivant, notamment à la faveur de projets culturels intégrés dans un territoire, pour accompagner les artistes de manière plus efficace du fait des enjeux urbains posés par certaines formes. A cet égard je tiens à saluer le travail de veille, de conseil et de prospective du pôle national Hors les murs : les réseaux professionnels sont décisifs. Vous savez pouvoir compter sur moi dans les mois qui viennent pour développer le soutien de mon ministère en faveur des arts de la rue. Comme le spécialiste de la Chine François Julien, fin connaisseur de la pensée chinoise, je suis persuadé de leur rôle dans le monde contemporain : « Dans la pensée chinoise je cite François Julien - il convient de se laisser porter par le mouvement des choses, dépouser les circonstances ( ) Sinscrire dans la logique des choses et du monde, en se laissant porter par leur potentiel : leffet est contenu dans les situations données ou inscrit dans les événements » (Traité de lefficacité, 2002). Or lartiste de rue, parce quil se coule dans les paysages, parce quil se confronte aux lieux du quotidien, est aussi à sa manière un accoucheur de vérité, un révélateur du monde à léchelle dune place, dun quartier, dune ville parfois, comme ici à Chalon.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 29 juillet 2011