Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur les manifestations culturelles de rue, Châlon sur Saône le 23 juillet 2011.

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Circonstance : Festival Châlon dans la rue à Châlon sur Saône le 23 juillet 2011

Texte intégral


« La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société » disait Victor Hugo. C’est signifier combien le soutien apporté aux arts de la rue est une politique culturelle mais porte également en lui une vision de du monde où les mots corps social, tissu urbain, art public ont tout leur sens. Je tiens à vous remercier pour votre accueil et vous dire à quel point je suis heureux d’être présent parmi vous, pour fêter la 25ème édition de Chalon dans la rue, pour découvrir ce festival, constater son succès public, mais aussi la qualité et la diversité des propositions artistiques qu’il met en exergue, avec une présence internationale tout à fait remarquable.
Je voudrais féliciter Pedro Garcia, son directeur, qui depuis 2004 a accompli un travail considérable pour renforcer l’inscription du festival dans l’espace public, travailler avec les quartiers périphériques de Chalon et créer un lien fort entre le Centre national des arts de la rue (CNAR), l’Abattoir - que j’ai visité tout à l’heure en arrivant - et le festival.
A l’occasion de cette 25ème édition, permettez-moi de rendre hommage aux fondateurs du festival, à Pierre Layac et Jacques Quentin, ainsi qu’à Dominique Perben, qui en 1987 a permis la première édition de ce festival et l’a inscrit avec résolution dans la politique culturelle municipale. Je tiens à saluer l’actuel maire Christophe Sirugue d’avoir prolongé cette volonté politique, car l’histoire de Chalon démontre qu’une initiative artistique forte permet de dépasser les clivages partisans.
J’ai découvert l’extraordinaire vitalité et la capacité d’innovation des arts de la rue à l’occasion de mes déplacements, notamment l’an dernier au festival d’Aurillac, dont je salue le directeur, Jean-Marie Songy. J’ai pu constater que les arts de la rue attirent de plus en plus d’artistes qui n’en sont pas originaires : que ce soit des plasticiens, des cinéastes, des metteurs en scène de théâtre, des danseurs. Les arts de la rue sont davantage qu’une catégorie spécifique du spectacle vivant : ils sont une démarche artistique globale, un véritable creuset, porteur d’un dialogue et de rencontres entre les disciplines artistiques.
Les arts de la rue présentent également cette caractéristique très importante, qui est le contact direct avec les populations. Ils permettent, avec leur diversité de langage - du monde forain à la récupération industrielle, en passant par l’inversion burlesque - de dépasser l’obstacle de l’intimidation sociale qui existe souvent lorsqu’il s’agit de franchir la porte d’un théâtre ou d’un lieu de culture, quel qu’il soit. Ils constituent une discipline décisive au service de l’ambition qui est la mienne, comme elle a été celle de mes prédécesseurs : une politique de démocratisation et de partage du geste artistique avec les populations. L’espace public rassemble et permet de diffuser largement : parce que la rue appartient à tous, les arts de la rue agrègent et fédèrent de nouveaux publics. Dans l’espace public, en effet, nous sommes libérés de tous les codes sociaux qui peuvent s’attacher au rituel d’une représentation de théâtre, d’opéra ou de danse. Nous sommes d’une certaines manière plus libres, moins conditionnés pour la réception du spectacle qui nous est proposé : nous sommes ces « spectateurs-acteurs » immergés dans un quotidien réenchanté ou mis en question par un geste artistique.
C’est pour cet ensemble de raisons que les arts de la rue, plus encore que d’autres formes d’expression artistiques, ne peuvent être dissociés des enjeux urbains, architecturaux et des questions sociales qui intéressent un territoire, une ville, un quartier. Au-delà de leur dimension artistique intrinsèque, les arts de la rue doivent être pensés à partir d’un terreau social, afin de créer les conditions de leur plein épanouissement, de leur développement et afin d’en garantir la réception la plus aboutie par les populations. L’embellissement, le grandiose, le spectaculaire ne sont rien si l’on n’accompagne pas les publics dans une démarche de découverte et de sensibilisation : pas de diffusion sans temps long, pas de projet artistique véritable, sans un temps d’approche, d’installation, de présence, ce que certains désignent sous le joli mot d’infusion. C’est tout l’enjeu du développement actuel des projets culturels dits « de territoire », dont je souhaite qu’ils s’inscrivent dans un rapport renouvelé et renforcé avec les collectivités territoriales
Je souhaite vous dire quelques mots sur la politique que je mène en faveur des arts de la rue. Elle s’inscrit dans un projet plus vaste en faveur du spectacle vivant, sur lequel je me suis exprimé récemment à l’occasion du festival d’Avignon.
La politique du ministère de la culture et de la communication vis-à-vis des arts de la rue s’est consolidée au fil des années. Elle a émergé dans les années soixante-dix, et notamment grâce au travail précurseur de Jean Digne - dont je salue à nouveau la présence - à l’époque où il avait ouvert les rues d’Aix-en-Provence aux « saltimbanques » comme il avait alors désigné cette belle initiative. Ce choix a été décisif pour déclencher une véritable reconnaissance des arts de la rue par les pouvoirs publics.
Peu à peu le ministère de la culture et de la communication a porté un regard attentif sur cette expression artistique, qui a conquis un public de plus en plus nombreux, qui a fédéré de nouveaux publics. Il a accompagné les initiatives, qu’il s’agisse des festivals, du soutien aux compagnies, aux structures - les centres nationaux des arts de la rue (CNAR), qui ont vu le jour au cours des années 2000.
J’ai tenu moi-même à ce que les Centres nationaux des arts de la rue (CNAR) fassent l’objet d’un label accordé par mon ministère, comme je l’ai indiqué par la circulaire du 31 août 2010. Ce texte reconnait 9 centres nationaux des arts de la rue et en précise les missions. Il est essentiel afin de consolider la reconnaissance institutionnelle du secteur et son organisation dans l’avenir. J’ajoute que cette circulaire fixe un niveau plancher d’intervention du ministère à 150 000 € et un minimum de 25% d’intervention de l’Etat sur l’ensemble des financements.
Le financement du secteur est passé de 6,5 M€ au début des années 2000, à près de 10 M€ aujourd’hui. Je sais que ce n’est pas encore suffisant, notamment pour une pratique qui est la première en matière de spectacle vivant, puisque 34% des Français déclarent être aller au moins une fois dans l’année à un spectacle de rue. Je serai vigilant à ce que les résultats de l’étude que je viens de lancer sur de nouvelles ressources pour le spectacle vivant puissent bénéficier de manière significative à ce secteur. J’y reviendrai.
J’ai annoncé récemment lors du festival d’Avignon un plan d’action pour le spectacle vivant. Ce plan d’action concerne les arts de la rue, au même titre que les autres secteurs du spectacle vivant.
Je pense même que les arts de la rue seront particulièrement concernés par la mesure relative au fond de soutien à l’émergence et à l’innovation, doté de 1,5 millions d’euros sur la période 2011-13, du fait de votre ouverture au croisement disciplinaire et de votre capacité à inventer de nouvelles formes d’expression artistique. Cette mesure pourrait par exemple concerner des résidences artistiques dans l’espace public, sujet dont je sais qu’il vous préoccupe. Les projets de résidences artistiques dans l’espace public pourraient être éligibles à ce fonds.
Le plan d’action se concentre également sur un meilleur accompagnement au secteur indépendant, dans toute sa diversité et sa richesse. Il n’est pas besoin d’insister pour vous dire que vous serez bien évidemment concernés par la mesure relative aux compagnies indépendantes – nombreuses dans le domaine des arts de la rue - qui entend accompagner les démarches les plus innovantes et les nouveaux vocabulaires artistiques.
J’ai souhaité, vous l’avez compris, renforcer la reconnaissance institutionnelle des arts de la rue. Cela passe aussi par un accompagnement technique spécifique, l’approfondissement de l’expertise et de l’évaluation. Je souhaite que la Commission nationale de soutien à la création instituée auprès de la Direction générale de la création artistique soit maintenue, avec des objectifs précis, afin de permettre une meilleure articulation avec les dispositifs existants en DRAC.
J’ai souhaité que la dimension européenne et internationale soit très présente dans le plan d’action. Lorsqu’on examine la programmation de Chalon dans la rue, la présence des compagnies européennes est forte, les échanges artistiques internationaux nombreux. Nous devons encourager et soutenir cette ouverture, qui sert nos compagnies dans leur présence internationale : selon une enquête – certes partielle - de 2010 réalisée par Hors les murs, 53% des compagnies ont bénéficié d’une diffusion dans l’Union européenne, 14% à l’international. Nous devons poursuivre cette dynamique d’ouverture ; à l’échelle de l’Union européenne, cela appelle une politique volontariste favorisant la circulation des artistes et des projets.
Une des mesures du plan d’action vise à mettre en place des pôles européens. Je pense que les arts de la rue doivent bénéficier d’une telle mesure. Leur visibilité à l’échelle européenne et internationale est extrêmement forte. Je laisse le soin aux professionnels, en concertation avec mon administration, de définir les contours exacts de ce pôle, mais je pense que plusieurs structures existantes pourraient s’unir autour d’une vraie ambition européenne.
Les bureaux spécialisés à l’étranger constituent également une mesure du plan d’action. Ces bureaux, à l’instar des bureaux de Berlin et de Londres qui ont démontré leur efficacité, permettront de développer des réseaux de coproduction et de diffusion. Six nouveaux bureaux seront créés. Les arts de la rue ont toute leur place dans ce dispositif d’influence. Cela permettra de mieux valoriser l’excellence de la scène français, notamment dans le domaine des grands événements, des « grosses formes » qui se déroulent dans l’espace public. Une concertation sur ce sujet sera lancée avec les principales institutions, notamment l’Institut Français, Lieux Publics ou Hors-les-Murs.
Pour votre secteur d’activité, je souhaite que la mise en oeuvre du plan d’action se fasse en concertation avec les collectivités territoriales et avec les représentants de votre secteur. Je demanderai ainsi à la Direction Générale de la Création Artistique (DGCA) de définir les modalités permettant de mener à bien cette concertation.
J’ai annoncé que ce plan mobilisera 12 millions d’euros pour la période 2011-2013. J’ai obtenu les crédits nécessaires pour 2012, avec 3,5 millions d’euros de mesures nouvelles. J’ai également lancé une étude en mai dernier afin de trouver de nouvelles ressources pour le spectacle vivant : les conclusions me seront remises en octobre prochain. Mais je veux être clair : il n’y a là ni désengagement de l’Etat, ni nouveau paradigme en matière de soutien aux artistes et à la création. Les ressources nouvelles ont vocation à s’ajouter à celles déjà existantes, à renforcer ce plan d’action. Il s’agira de crédits extra-budgétaires, qui feront l’objet d’une taxe fiscale, dont je ne peux pas vous préciser la nature à ce jour puisqu’il s’agit précisément de l’objet de l’étude. L’objectif est clair : il s’agit d’identifier une base fiscale dynamique permettant d’assurer une ressource pérenne et croissante pour l’ensemble du spectacle vivant.
Je veillerai également à ce que les questions de formation et de transmission soient mieux prise en compte pour l’avenir des arts de la rue.
Je souhaite également approfondir la réflexion sur les conditions de développement de l’art dans l’espace public, qu’il s’agisse des arts plastiques ou du spectacle vivant. Alors que nous fêtons le 60e anniversaire du 1% culturel, créé le 18 mai 1951 à l’initiative du sculpteur René Iché, j’ai dit tout l’intérêt que présente l’art dans l’espace public Au-delà de la scène artistique, de la galerie ou du musée, les plus grands artistes doivent prendre part à la construction de l’espace de la cité, celui dans lequel le mot « public » ne renvoie pas seulement à un adjectif mais à un substantif : je veux parler des citoyens acteurs.
Cultiver l’extraordinaire, la surprise, l’émerveillement au coeur du quotidien, c’est sans doute là un chantier pour l’action publique en matière culturelle aujourd’hui, à l’heure où le public lui-même, confronté aux images souvent standardisées de la « société des écrans », demande à nouveau une relation charnelle aux oeuvres et aux artistes.
Je pense donc nécessaire de renforcer les dialogue entre les différents acteurs qui sont partie prenante de ces projets, que ce soit les collectivités territoriales, les ministères concernés - ministère de la Ville, ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’Equipement notamment -, les urbanistes, les architectes, et les artistes. Je ferai des propositions à mes collègues du gouvernement concernés par le sujet ainsi qu’aux acteurs, pour la création d’une instance permettant de valoriser la place de l’art dans l’espace public dans les politiques publiques. Je sais que c’est une demande que vous avez adressée à mon ministère : j’en suis d’accord sur le principe, mais il s’agit désormais d’en définir les modalités et le périmètre.
Je mesure, croyez-le bien, le travail qui reste à accomplir pour renforcer la place des arts de la rue au sein des institutions publiques, pour mieux inscrire la diffusion des spectacles dans l’ensemble des circuits du spectacle vivant, notamment à la faveur de projets culturels intégrés dans un territoire, pour accompagner les artistes de manière plus efficace du fait des enjeux urbains posés par certaines formes. A cet égard je tiens à saluer le travail de veille, de conseil et de prospective du pôle national Hors les murs : les réseaux professionnels sont décisifs. Vous savez pouvoir compter sur moi dans les mois qui viennent pour développer le soutien de mon ministère en faveur des arts de la rue. Comme le spécialiste de la Chine François Julien, fin connaisseur de la pensée chinoise, je suis persuadé de leur rôle dans le monde contemporain : « Dans la pensée chinoise – je cite François Julien - il convient de se laisser porter par le mouvement des choses, d’épouser les circonstances (…) S’inscrire dans la logique des choses et du monde, en se laissant porter par leur potentiel : l’effet est contenu dans les situations données ou inscrit dans les événements » (Traité de l’efficacité, 2002). Or l’artiste de rue, parce qu’il se coule dans les paysages, parce qu’il se confronte aux lieux du quotidien, est aussi à sa manière un accoucheur de vérité, un révélateur du monde à l’échelle d’une place, d’un quartier, d’une ville parfois, comme ici à Chalon.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 29 juillet 2011