Texte intégral
Le musée franco-américain de Blérancourt est un lieu symbolique fort pour les français et pour les américains; la qualité des personnalités présentes aujourd'hui en témoigne. Depuis plus de quatre-vingt-dix ans, Blérancourt incarne une amitié franco-américaine dont j'ai pu constater de nouveau la profondeur lors de l'hommage rendu il y a quelques jours à Notre-Dame de Paris aux victimes du 11 septembre.
Ce musée est né d'une rencontre entre un bâtiment exceptionnel du XVIIème siècle démantelé en grande partie pendant la Révolution française, un village, un territoire picard marqué par une guerre tragique qui entraîna des millions de morts, et une femme, une Américaine, Anne Morgan, qui créa une organisation humanitaire dont elle installa le quartier général sur le site du château de Blérancourt en 1917.
Anne Morgan n'est autre que la fille de John Pierpont Morgan, l'une des plus grandes fortunes américaines de son temps, grand collectionneur d'art, dont on peut admirer à New York une partie des collections au MET à la bibliothèque qui porte son nom. Impliquée dans la cause des femmes américaines, soucieuse de leurs droits sociaux, Anne Morgan décide en pleine guerre, en juillet 1917, de s'installer à quelques kilomètres du front, pour porter secours et soulager les populations civiles picardes. S'ancrer dans un territoire, soulager la détresse d'une population civile victime de la guerre totale, concevoir des actions de longue haleine qui permettent de reconstruire en profondeur un pays: cette femme d'avant-garde et son organisation porteront ainsi secours et assistance à plus de 130 villages picards entre 1917 et 1924. À 62 ans, en 1939, Anne reviendra en France pour créer une nouvelle organisation humanitaire au service des réfugiés des régions frontalières.
Aujourd'hui, pendant les Journées Européennes du Patrimoine, c'est donc à cette femme extraordinaire que nous rendons hommage - dans ces lieux qui résonnent encore du ballet des ambulances de la Grande Guerre, dans ce château où elle aura vécu, avec l'inauguration de ces deux pavillons qu'elle avait elle-même restaurés en 1924, dont l'un, celui où elle a séjourné, porte son nom.
S'il est encore trop tôt aujourd'hui pour inaugurer également le Musée franco-américain rénové, c'est parce que des travaux d'archéologie préventive ont mis à jour, comme vous le savez, des vestiges remarquables sur le site même des travaux d'extension lancés grâce au soutien exemplaire des Amis américains de Blérancourt. En 2007, lors du démarrage du chantier, au moment où étaient creusées les fondations, les premiers indices de ces vestiges ont été repérés. Après quatre campagnes de sondages préalables, nous avons donc engagé une fouille qui s'est déroulée sur trois ans. Une longue interruption, donc, mais qui a permis de faire un travail archéologique de très grande valeur.
Les équipes de l'Institut national de recherches archéologiques préventives, en s'attelant à cette tâche, ont largement fait progresser nos connaissances sur le site. Nous savons maintenant que le château du XVIIème siècle n'a pas été bâti ex nihilo, mais sur une butte naturelle qui était occupée dès le XIIIème siècle. Si les traces de cette occupation médiévale sont modestes, le travail de relevé et de documentation est remarquable. À l'avant, un pont de quatre arches a été découvert: la qualité de cette construction nous a amené à demander à l'architecte du projet, Yves Lion, et à l'architecte en chef des monuments historiques Etienne Poncelet, de l'intégrer dans le projet du nouveau musée qui doit être inauguré en 2014. Pendant les fouilles archéologiques, le Service des Musées de France a mené à bien une partie du projet de rénovation, en l'occurrence celui des deux pavillons que nous inaugurons aujourd'hui.
Cette rénovation a bénéficié d'une contribution décisive et très généreuse des Amis français de Blérancourt. Je souhaiterais, cher Catherine Chatin, vous remercier tout particulièrement, ainsi qu'Olivier Gillet et tous les membres de l'association que vous présidez. Je sais que votre expérience à Villeneuve-d'Ascq, que vous connaissez bien pour avoir conseillé Jean Masurel, vous aura inspiré pour lancer une campagne de sensibilisation des entreprises qui soutiennent le musée de Blérancourt. Trois banques ont répondu à votre appel: la J.P. Morgan Chase, et deux établissements français qui ont une forte implantation locale, le Crédit Agricole du Nord-Est et la caisse d'Epargne de Picardie. Grâce à votre action, à votre générosité et à celle de vos membres, les deux pavillons vont à nouveau être ouverts au public.
Le Pavillon d'Anne Morgan, restauré à l'identique, a été équipé pour faire revivre les grands moments de Blérancourt. Le second pavillon, celui de la bibliothèque franco-américaine, répond pleinement aux exigences de recherche et d'enrichissement de la connaissance qui font partie des missions des musées. Cette bibliothèque, qui comprend plus de six mille livres, des archives et une importante documentation, est une ressource importante pour l'avenir du musée; une bibliothèque thématique de recherche que les équipes du musée ont à cœur d'ouvrir très largement aux lecteurs qui en font la demande.
Le pilotage de l'opération a été mené par le pôle muséographie du Service des Musées de France, et la maîtrise d'œuvre a été confiée à l'architecte du Patrimoine, Françoise Ruel. C'est Anne Dopffer, conservateur en charge du musée, assistée de ses collaborateurs, qui a assuré avec passion le suivi des travaux, avec l'appui précieux des équipes du palais de Compiègne.
C'est donc la conclusion de la première phase d'un grand chantier de rénovation que nous célébrons aujourd'hui. Les collections uniques du Musée franco-américain seront présentées à l'avenir d'une façon plus exhaustive, grâce à une muséologie très contemporaine, dans un nouvel espace qui viendra pallier le manque de place antérieur. Nous savons ce que ces indispensables travaux d'agrandissement doivent à l'impulsion des American Friends of Blérancourt, dont je salue la présidente, Madame Eugénie Angles. C'est l'architecte Yves Lion, qui avait si brillamment réussi le projet de réhabilitation avec Pierre Rosenberg en 1989, qui a accepté de reprendre ce chantier, pour y créer un nouveau bâtiment contemporain.
Je tiens à saluer également le soutien que la Région Picardie et le Département de l'Aisne ont bien voulu apporter à ce musée, notamment pour l'informatisation de ses collections ou des projets d'exposition. Ce partenariat porte la marque de la coopération étroite entre l'Etat et les collectivités locales, qui est dans toute la France la garantie d'un maillage territorial et culturel fort.
Blérancourt modeste par la taille, grand par les ambitions, offre un projet exemplaire pour les musées français. C'est pourquoi j'ai souhaité renforcer encore le soutien de mon ministère, en intégrant le musée de Blérancourt au plan Musées, dont les 70 millions d'euros sont destinés au soutien des musées en région. Toutes les conditions sont donc réunies pour que la deuxième phase de ce très beau projet redémarre; nous pouvons d'ores et déjà prendre date pour 2014, quand la rénovation du Musée franco-américain, agrandi et modernisé, plus adapté aux attentes du public, sera enfin achevée.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 19 septembre 2011