Texte intégral
Je voudrais tout dabord saluer avec chaleur Sa Majesté la Reine Sonja de Norvège qui nous fait lhonneur de sa présence, et lui rappeler la profonde amitié qui lie nos deux pays, que les témoignages français de solidarité lors des tueries de juillet sont venus instantanément rappeler. Ces événements, qui ont frappé la Norvège et toute lEurope, ont de ce fait manqué leur but - en nous rappelant au contraire la force des valeurs qui nous unissent, et notre profond attachement à des principes sur lesquels la Norvège est pour nous tous exemplaire : ses engagements pour la solidarité internationale et pour la diversité culturelle.
Les échanges culturels franco-norvégiens ont toujours été marqués par un dynamisme qui ne sest jamais démenti. Cette année, ils atteignent cependant une densité particulière : en mars dernier, comme vous le savez, les littératures nordiques étaient à lhonneur du Salon du Livre de Paris, et la rencontre avec les écrivains norvégiens a constitué indéniablement lun des moments très forts de ce Salon, qui na fait que renforcer une attraction déjà ancienne et toujours renouvelée des lecteurs français pour la littérature norvégienne.
Parmi les nombreux domaines de notre coopération culturelle, je voudrais saluer tout particulièrement linitiative du Gouvernement norvégien de constituer un fonds de soutien aux cinématographies du Sud.
Ayant eu loccasion de présider son équivalent français, le « fonds Sud », vous vous douterez que je suis très sensible à cette formidable initiative norvégienne.
Nous avons pour notre part lintention délargir très prochainement le périmètre daction de notre fonds français de soutien international à la création et aux coproductions cinématographiques
Cest bien lun des domaines où nos échanges dexpertise ne pourra que savérer précieuse à linstar de la qualité de la collaboration entre le Festival norvégien des films du Sud et lInstitut Français dOslo qui porte, grâce à son grand dynamisme, une programmation culturelle franco-norvégienne de très grande qualité : je pense notamment à lexposition sur Dubuffet et larchitecture au musée Henie-Onstad ; à louverture le mois prochain de CODA, du festival de danse contemporaine, par le ballet Preljocaj ; ou encore à la belle exposition consacrée aux photographies dAlbert Kahn lors de son voyage en Norvège en 1910, au Musée des Arts et traditions populaire dOslo, depuis le mois de juin. Un début de Xxème siècle marqué par lindépendance de la Norvège, auquel nous ramène également cette magnifique exposition consacrée à Edvard Munch que nous venons de visiter ensemble au Centre Pompidou, et qui représente à coup sûr un moment fort de la coopération culturelle franco-norvégienne.
Alain Seban a évoqué, à propos du lien entre Edvard Munch et Paris, lidée dun « rendez-vous manqué ». Il est vrai que loeuvre de Munch navait pas fait lobjet de grande rétrospective en France de son vivant, alors que cela avait déjà été le cas dans les autres grandes capitales artistiques de lEurope. Ce retard a heureusement été comblé dès les années 1970, avec la rétrospective organisée par le Musée national dart moderne qui se trouvait alors encore au Palais de Tokyo, pour une exposition qui tourna aussi à Londres et à Munich ; avec également lexposition consacrée à Munch et ses liens avec la France au Musée dOrsay en 1991.
Avec le projet très ambitieux conçu par Angela Lampe, conservatrice au Musée national dart moderne, et par Clément Chéroux, conservateur au Cabinet de la photographie, et avec le soutien essentiel de lAmbassade royale de Norvège, il sera donné au public français, puis en Allemagne à la Schirn Kunsthalle de Francfort et à la Tate Modern de Londres, de revisiter une oeuvre majeure de la peinture du XXème siècle sous un jour profondément nouveau.
Car si Munch est une étoile incontestée de lart moderne, cest le plus souvent autour de ses oeuvres de la fin du XIXème siècle quil est connu du public - ce mélange unique où lon peut lire les influences du Jugendstil et des nabis, dans une expression esthétique quon a parfois trop lu à laune dune critique psychologisante et, pour reprendre les termes très justes dAngela Lampe, dune sorte d« exotisme septentrional ». Un peu comme si Edvard Munch ne pouvait faire sens que dans cette galaxie norvégienne où les textes dIbsen et la musique de Grieg entrent en résonance avec une fascination boréale pour les intériorités torturées et les errances hallucinées ; alors même que celui qui avait travaillé autrefois à une illustration des Fleurs du mal, en prise aux hallucinations était aussi un artiste en prise profonde avec lEurope de son temps. Mais cette autre partie de son oeuvre, rares étaient ceux qui pouvaient en prendre la mesure sans visiter le magnifique Musée Munch à Oslo, qui abrite depuis 1963 les oeuvres que lartiste à légué à sa mort à la Ville dOslo.
Et cest précisément grâce au musée Munch dOslo, avec lappui de toutes les autres institutions qui de part le monde ont bien voulu prêter leurs oeuvres pour cette exposition remarquable, de New York à Tokyo en passant par Göteborg, grâce aussi au musée national dOslo et au musée des beaux-arts de Bergen, que le Centre Pompidou peut aujourdhui accueillir une exposition dont le parti pris thématique est de mettre en valeur loeuvre de lartiste au XXème siècle, un artiste qui a su « enregistrer les ondes que la société émet », et se mettre à lécoute des profondes transformations que le rapport à limage, avec les techniques industrielles, était alors en train de vivre.
On y découvre notamment un Munch photographe. Comme Bonnard, Vuillard ou Mucha, Munch sest passionné pour le développement de ce nouveau support de la création artistique, qui remettait profondément en question le rapport à limage et à sa reproduction. En achetant son premier appareil Kodak à Berlin en 1902, en multipliant les autoportraits, Munch a expérimenté de près ces nouveaux terrains auxquels Walter Benjamin consacrera sa célèbre analyse sur Loeuvre dart à lheure de la reproductibilité technique - des terrains où se croisent les genres et les supports, et sur lesquels Munch exercera une influence durable, de lindustrie de la carte postale à Andy Warhol. Munch, cest aussi celui qui sachète en 1927, en France, une Pathé-Baby, petite caméra amateur. Dans le monde du cinéma, on connaît là aussi limpact de loeuvre de Munch sur liconologie du XXème siècle, notamment chez Alfred Hitchcock je pense aux travaux de Dominique Païni et de Guy Cogeval sur Hithccock et lart, et en particulier aux croquis préparatoires pour Les Oiseaux -, ou encore jusquà la saga de films dhorreur de Wes Craven, Scream. Au Centre Pompidou, on découvre aussi les créations de Munch, lami dAugust Strindberg et de Max Reinhardt, dans le domaine du théâtre et de la mise en scène. Il aura lui aussi, avec le huis-clos de ses chambres vertes, participé à la redéfinition du rapport du spectateur.
Munch, cest aussi le peintre des bagarres et des incendies ; des travailleurs rentrant chez eux après leur journée de labeur, dans des scènes saisissantes qui nous renvoient en miroir aux films des frères Lumière ; un peintre marqué par lextraordinaire évolution du phénomène urbain. Son « oeil moderne » était tout autant tourné vers cette extériorité débordante que vers cette intériorité absolue que lart norvégien aime tout autant explorer je pense, à Oslo, à cet extraordinaire mausolée sans fenêtres, peint par Emanuel Vigeland dune seule fresque, Vita, consacrée au cycle de la vie. Grâce à cette exposition qui est le fruit du remarquable dynamisme de la coopération culturelle franco-norvégienne, on saisit enfin comment Edvard Munch, le peintre de La Frise de la Vie, a su précisément la transposer dans ce grand extérieur, à la fois effrayant et fascinant, que fut notre XXème siècle commun.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 20 septembre 2011