Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la coopération artistique et culturelle entre la France et la Norvège, Paris le 18 septembre 2011.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition Edvard Munch à Paris le 18 septembre 2011

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Je voudrais tout d’abord saluer avec chaleur Sa Majesté la Reine Sonja de Norvège qui nous fait l’honneur de sa présence, et lui rappeler la profonde amitié qui lie nos deux pays, que les témoignages français de solidarité lors des tueries de juillet sont venus instantanément rappeler. Ces événements, qui ont frappé la Norvège et toute l’Europe, ont de ce fait manqué leur but - en nous rappelant au contraire la force des valeurs qui nous unissent, et notre profond attachement à des principes sur lesquels la Norvège est pour nous tous exemplaire : ses engagements pour la solidarité internationale et pour la diversité culturelle.
Les échanges culturels franco-norvégiens ont toujours été marqués par un dynamisme qui ne s’est jamais démenti. Cette année, ils atteignent cependant une densité particulière : en mars dernier, comme vous le savez, les littératures nordiques étaient à l’honneur du Salon du Livre de Paris, et la rencontre avec les écrivains norvégiens a constitué indéniablement l’un des moments très forts de ce Salon, qui n’a fait que renforcer une attraction déjà ancienne et toujours renouvelée des lecteurs français pour la littérature norvégienne.
Parmi les nombreux domaines de notre coopération culturelle, je voudrais saluer tout particulièrement l’initiative du Gouvernement norvégien de constituer un fonds de soutien aux cinématographies du Sud.
Ayant eu l’occasion de présider son équivalent français, le « fonds Sud », vous vous douterez que je suis très sensible à cette formidable initiative norvégienne.
Nous avons pour notre part l’intention d’élargir très prochainement le périmètre d’action de notre fonds français de soutien international à la création et aux coproductions cinématographiques
C’est bien l’un des domaines où nos échanges d’expertise ne pourra que s’avérer précieuse – à l’instar de la qualité de la collaboration entre le Festival norvégien des films du Sud et l’Institut Français d’Oslo qui porte, grâce à son grand dynamisme, une programmation culturelle franco-norvégienne de très grande qualité : je pense notamment à l’exposition sur Dubuffet et l’architecture au musée Henie-Onstad ; à l’ouverture le mois prochain de CODA, du festival de danse contemporaine, par le ballet Preljocaj ; ou encore à la belle exposition consacrée aux photographies d’Albert Kahn lors de son voyage en Norvège en 1910, au Musée des Arts et traditions populaire d’Oslo, depuis le mois de juin. Un début de Xxème siècle marqué par l’indépendance de la Norvège, auquel nous ramène également cette magnifique exposition consacrée à Edvard Munch que nous venons de visiter ensemble au Centre Pompidou, et qui représente à coup sûr un moment fort de la coopération culturelle franco-norvégienne.
Alain Seban a évoqué, à propos du lien entre Edvard Munch et Paris, l’idée d’un « rendez-vous manqué ». Il est vrai que l’oeuvre de Munch n’avait pas fait l’objet de grande rétrospective en France de son vivant, alors que cela avait déjà été le cas dans les autres grandes capitales artistiques de l’Europe. Ce retard a heureusement été comblé dès les années 1970, avec la rétrospective organisée par le Musée national d’art moderne qui se trouvait alors encore au Palais de Tokyo, pour une exposition qui tourna aussi à Londres et à Munich ; avec également l’exposition consacrée à Munch et ses liens avec la France au Musée d’Orsay en 1991.
Avec le projet très ambitieux conçu par Angela Lampe, conservatrice au Musée national d’art moderne, et par Clément Chéroux, conservateur au Cabinet de la photographie, et avec le soutien essentiel de l’Ambassade royale de Norvège, il sera donné au public français, puis en Allemagne à la Schirn Kunsthalle de Francfort et à la Tate Modern de Londres, de revisiter une oeuvre majeure de la peinture du XXème siècle sous un jour profondément nouveau.
Car si Munch est une étoile incontestée de l’art moderne, c’est le plus souvent autour de ses oeuvres de la fin du XIXème siècle qu’il est connu du public - ce mélange unique où l’on peut lire les influences du Jugendstil et des nabis, dans une expression esthétique qu’on a parfois trop lu à l’aune d’une critique psychologisante et, pour reprendre les termes très justes d’Angela Lampe, d’une sorte d’« exotisme septentrional ». Un peu comme si Edvard Munch ne pouvait faire sens que dans cette galaxie norvégienne où les textes d’Ibsen et la musique de Grieg entrent en résonance avec une fascination boréale pour les intériorités torturées et les errances hallucinées ; alors même que celui qui avait travaillé autrefois à une illustration des Fleurs du mal, en prise aux hallucinations était aussi un artiste en prise profonde avec l’Europe de son temps. Mais cette autre partie de son oeuvre, rares étaient ceux qui pouvaient en prendre la mesure sans visiter le magnifique Musée Munch à Oslo, qui abrite depuis 1963 les oeuvres que l’artiste à légué à sa mort à la Ville d’Oslo.
Et c’est précisément grâce au musée Munch d’Oslo, avec l’appui de toutes les autres institutions qui de part le monde ont bien voulu prêter leurs oeuvres pour cette exposition remarquable, de New York à Tokyo en passant par Göteborg, grâce aussi au musée national d’Oslo et au musée des beaux-arts de Bergen, que le Centre Pompidou peut aujourd’hui accueillir une exposition dont le parti pris thématique est de mettre en valeur l’oeuvre de l’artiste au XXème siècle, un artiste qui a su « enregistrer les ondes que la société émet », et se mettre à l’écoute des profondes transformations que le rapport à l’image, avec les techniques industrielles, était alors en train de vivre.
On y découvre notamment un Munch photographe. Comme Bonnard, Vuillard ou Mucha, Munch s’est passionné pour le développement de ce nouveau support de la création artistique, qui remettait profondément en question le rapport à l’image et à sa reproduction. En achetant son premier appareil Kodak à Berlin en 1902, en multipliant les autoportraits, Munch a expérimenté de près ces nouveaux terrains auxquels Walter Benjamin consacrera sa célèbre analyse sur L’oeuvre d’art à l’heure de la reproductibilité technique - des terrains où se croisent les genres et les supports, et sur lesquels Munch exercera une influence durable, de l’industrie de la carte postale à Andy Warhol. Munch, c’est aussi celui qui s’achète en 1927, en France, une Pathé-Baby, petite caméra amateur. Dans le monde du cinéma, on connaît là aussi l’impact de l’oeuvre de Munch sur l’iconologie du XXème siècle, notamment chez Alfred Hitchcock – je pense aux travaux de Dominique Païni et de Guy Cogeval sur Hithccock et l’art, et en particulier aux croquis préparatoires pour Les Oiseaux -, ou encore jusqu’à la saga de films d’horreur de Wes Craven, Scream. Au Centre Pompidou, on découvre aussi les créations de Munch, l’ami d’August Strindberg et de Max Reinhardt, dans le domaine du théâtre et de la mise en scène. Il aura lui aussi, avec le huis-clos de ses chambres vertes, participé à la redéfinition du rapport du spectateur.
Munch, c’est aussi le peintre des bagarres et des incendies ; des travailleurs rentrant chez eux après leur journée de labeur, dans des scènes saisissantes qui nous renvoient en miroir aux films des frères Lumière ; un peintre marqué par l’extraordinaire évolution du phénomène urbain. Son « oeil moderne » était tout autant tourné vers cette extériorité débordante que vers cette intériorité absolue que l’art norvégien aime tout autant explorer – je pense, à Oslo, à cet extraordinaire mausolée sans fenêtres, peint par Emanuel Vigeland d’une seule fresque, Vita, consacrée au cycle de la vie. Grâce à cette exposition qui est le fruit du remarquable dynamisme de la coopération culturelle franco-norvégienne, on saisit enfin comment Edvard Munch, le peintre de La Frise de la Vie, a su précisément la transposer dans ce grand extérieur, à la fois effrayant et fascinant, que fut notre XXème siècle commun.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 20 septembre 2011