Entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec France 2 le 14 septembre 2011, sur la situation financière des banques françaises et la crise dans la Zone euro.

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Média : France 2

Texte intégral

Q - Bonjour à tous, bonjour William, bonjour Monsieur Leonetti.
R - Bonjour.
Q - Merci d’être avec nous ce matin. Alors, évidemment, l’actualité c’est encore les banques et notamment les banques françaises. Ce matin, une agence de notations, Moody’s, vient d’abaisser la note de la Société générale, probablement la banque va être encore chahutée sur les marchés, ce matin. Alors, qu’est-ce qu’on doit faire ? Est-ce qu’il ne faut pas une réaction très forte, aujourd’hui, de l’État français, pour aider les banques françaises ?
R - La réaction, elle a eu lieu le 21 juillet. Tous les dirigeants de la zone euro décident d’un plan, et aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est le mettre en œuvre et s’y tenir. Ce plan n’est pas négligeable, c’est la première étape d’un «fonds monétaire européen», doté de 440 milliards d’euros, donc il s’agit là d’une stabilité forte. C’est en même temps un calendrier : tous les États délibèrent et votent, en particulier la France qui a été la première à voter, et début octobre, tous les États auront voté. En même temps, c’est une méthode : on n’est pas seulement dans la solidarité, on est aussi dans la discipline. C’est la raison pour laquelle des experts surveillent la Grèce et l’accompagnent pour mettre en place les réformes.
Q - Oui, mais là vous parlez d’un plan qui a été adopté en juillet, depuis les banques sont chahutées tous les jours sur les marchés, les banques françaises notamment. Est-ce qu’il ne faut pas, désormais, des mesures d’urgence pour restaurer la confiance et empêcher cette spéculation ?
R - D’abord, les banques ne sont pas en danger. Il y a une institution en France qui a pour objet de surveiller les banques, elle s’appelle la Banque de France, et la dégradation de la note ne doit pas faire penser à l’ensemble des Français que les banques françaises sont en danger.
Elles ont suffisamment de réserves pour faire face éventuellement à la dette grecque. Donc, sur ce problème cela me semble disproportionné. On est dans une situation dans laquelle on a une fébrilité, à cause d’un système de spéculations. Le spéculateur veut aller très vite, parce qu’il veut gagner beaucoup d’argent, alors que le politique veut tracer une voie, et pour tracer cette voie il veut se mettre dans une situation de stabilité. Les temps ne sont pas les mêmes, mais vous verrez qu’en octobre les choses se calmeront.
Q - Mais, Monsieur Leonetti, par exemple Christine Lagarde n’est pas de votre avis, ancienne ministre de l’Economie en France, et désormais patronne du FMI. Elle dit dans le très sérieux Wall Street Journal : «Il faut recapitaliser les banques françaises, enfin, certaines banques, et certaines banques françaises, quitte à utiliser des fonds publics». Est-ce que cela n’est pas la solution aujourd’hui ?
R - Utilisons les mots qui sont justes. D’abord, Christine Lagarde a dit : «Il faut recapitaliser certaines banques». Quand vous regardez les banques européennes qui ont subi le stress-test, c’est-à-dire des situations extrêmes, il n’y a aucune banque française qui a eu une réponse négative, et en même temps, très peu de banques européennes.
Et lorsqu’on regarde sur quel argument la directrice générale du FMI a donné cette indication, on se rend compte qu’il y avait un certain nombre de données qui étaient erronées. Il faut faire attention à la rumeur qui ensuite se propage et qui finalement produit les faits, lesquels entretiennent la rumeur.
Q - Enfin là, on va un peu plus loin que la rumeur. Aujourd’hui, un certain nombre de journaux, beaucoup d’économistes envisagent désormais une faillite partielle de la Grèce. Est-ce que c’est un scénario, aujourd’hui, que vous jugez possible ?
R - Il n’y aura ni faillite de la Grèce, ni sortie de la Grèce de l’euro, pour une bonne et simple raison, c’est que pour les Grecs et pour le peuple grec, cela serait une dégradation forte de leur pouvoir d’achat, il y aurait une dégradation de la monnaie et ils perdraient 30 % de leur pouvoir d’achat. Mais ce n’est pas une bonne affaire, non plus, pour nous, et donc notre solidarité est aussi intéressée, parce que la zone euro se trouverait à ce moment-là dans un jeu de dominos, qui ferait que demain le spéculateur attaquerait l’Espagne, puis l’Italie et pourquoi pas le Portugal.
Q - Mais est-ce que vous ne jouez pas sur les mots ?
R - Pas du tout !
Q - Moi, je ne parle pas de faillite totale, je vous parle de défaut partiel, c’est-à-dire de faillite partielle, qui serait un rééchelonnement, une restructuration de la dette, et forcément il y aurait, à terme, des sommes importantes à payer pour les États européens.
R - Il y a un plan. Ce plan il faut s’y tenir et il faut le mettre en place. Maintenant, nous sommes dans des démocraties et les 17 pays démocratiques doivent délibérer, et ils ne délibèrent pas uniquement suite à une décision du chef de l’État.
Pendant cette période, effectivement, la situation est troublée. Cette période troublée doit amener, de notre part, une économie de mots, et une force de l’action. La force de l’action, c’est la mise en place d’un «fonds monétaire européen», et une aide à la Grèce qui associe deux choses : la solidarité et la discipline budgétaire. Cette discipline budgétaire, pour la première fois est mise en place un système avec des experts, qui vont en Grèce, s’y rendent plusieurs fois, contrôlent et épaulent la Grèce pour mettre en place son plan.
Q - Alors, vous venez de le préciser, effectivement, on a remarqué depuis quelques temps qu’il y a une économie de mots au niveau du gouvernement. N’avez-vous pas le sentiment aujourd’hui qu’il faut un discours fort, justement, pour calmer le jeu et pour dire stop au niveau des marchés ?
R - Je suis vraiment désolé de ne pas avoir donné l’impression d’avoir un discours fort et clair. Il n’y aura pas de faillite de la Grèce, il n’y aura pas de sortie de la Grèce de l’euro, parce que le plan qui a été décidé par les 17 chefs d’États, sous l’impulsion du président de la République française, va se mettre en place, et va mettre en action les mécanismes nécessaires afin de faire en sorte que l’on ait à la fois cette rigueur indispensable pour que ne se reproduise pas la situation de la Grèce, mais aussi la solidarité qui fait que l’on défend notre monnaie et donc notre économie.
Q - Mais, tout du moins, n’y a-t-il pas un problème entre la différence du temps politique et du temps économique ? Est-ce qu’aujourd’hui il ne faut pas aller plus vite, il ne faut pas accélérer les choses ?
R - Accélérer les choses, c’est peut-être aussi accroître la fébrilité, donc effectivement il y a une différence entre le temps politique, parce que le politique travaille pour les États et pour les peuples et puis il y a le spéculateur qui lui travaille pour gagner de l’argent virtuel, très rapidement.
Mais l’économie réelle na rien à voir avec la spéculation. Le politique travaille sur l’économie réelle. Il faut que la Grèce retrouve les éléments de croissance et d’emploi, et cela se fait sur un temps plus long que le simple fait d’essayer d’attaquer une banque ou d’attaquer un État.
Q - N’y a-t-il pas aussi un problème au niveau allemand ? N’avez-vous pas le sentiment aujourd’hui que l’Allemagne a un problème dans sa communication, parce que c’est vrai que l’on a le sentiment qu’un jour Angela Merkel fait un pas dans le sens de la Grèce et le lendemain elle recule et du coup cela déstabilise les marchés, cela inquiète, cela crée une tension ?
R - Le processus démocratique en Allemagne est différent de celui de la France. Le président de la République peut se reposer en France, sur une majorité forte.
Lorsqu’il prend une décision, bien que le Parlement conserve toute sa liberté de décision et de débat, il a la certitude que la décision va être prise rapidement. Cela n’est pas la même chose, en Allemagne, où des coalitions de différents partis se font et se défont de manière différente, parce qu’il y a une élection à la proportionnelle. Aussi, il s’agit plus, à mon avis, d’un problème de stabilité politique lié à une organisation démocratique particulière, que de la position d’Angela Merkel. Angela Merkel, vous l’avez entendue aujourd’hui, a dit qu’il n’y aurait pas de faillite de la Grèce et qu’on continuerait à aider la Grèce.
Q - Au-delà de cela, par exemple pour la France, n’y a-t-il pas aussi un problème d’échéance électorale ? On se rend compte que, notamment en Italie, les plans d’austérité sont beaucoup plus importants. Aujourd’hui, on n’a pas l’impression que la France a fait le chemin qu’il faudrait, n’est-on pas suspendu au temps des élections ?
R - Si la France bénéficie toujours d’un triple A de la part des agences de notation, dont on peut d’ailleurs toujours contester l’objectivité et la transparence, c’est bien parce qu’elle a pris les bonnes mesures.
Si vous regardez ce qui se passe au Portugal, il y a un consensus démocratique droite/gauche. Si vous regardez ce qui se passe en Espagne, on constate qu’il y a aussi un consensus démocratique droite/gauche, pour faire en sorte d’appliquer la règle d’or.
(…).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 septembre 2011