Déclaration de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, sur les financements innovants du développement notamment la taxe sur les transactions financières, à Madrid le 15 septembre 2011.

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Circonstance : Déplacement en Espagne à l’occasion de la 10e session plénière du groupe pilote pour les financements innovants pour le développement, le 15 septembre 2011

Texte intégral

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C’est un honneur pour moi d’ouvrir cette conférence aux côtés de Mme Rodriguez. L’Espagne compte parmi les plus fervents défenseurs des financements innovants pour le développement en Europe. Elle joue depuis des années un rôle moteur dans la mobilisation de ces nouvelles ressources que je veux saluer.
Plus que jamais, nous devons continuer ensemble à nous mobiliser. Permettez-moi, au nom de la France qui assure le secrétariat permanent du Groupe, de remercier chaleureusement la présidence espagnole de nous accueillir aujourd’hui à Madrid pour cet événement du Groupe pilote.
C’est à n’en pas douter un rendez vous majeur, à quelques jours de l’Assemblée générale des Nations unies et à quelques semaines du sommet du G20. C’est un rendez-vous majeur car le travail pionnier que mène le Groupe pilote depuis de nombreuses années porte ses fruits, à l’échelle mondiale.
Nous devons aujourd’hui redoubler d’effort pour transformer les mots - ce fameux «changement d’échelle des financements innovants» - en réalité. Nous n’avons jamais été aussi prêts du but. Nous sommes à la veille d’un rendez-vous historique que nous ne pouvons pas manquer.
Les financements innovants sont, plus que jamais, incontournables.
Nous savons tous ici que les besoins liés au financement de la solidarité internationale et des biens publics mondiaux ne cessent de croître. Nous savons que l’aide publique au développement, même avec un volume record de 129 milliards de dollars en 2010, ne pourra suffire. Et ce, d’autant moins que la crise financière actuelle contraint fortement, et pour plusieurs années, les ressources budgétaires des pays les plus avancés. Nous savons que nous ne ferons pas face aux nouveaux besoins du XXIème siècle avec les outils et des ressources du XXème siècle.
Si nous voulons être crédibles, à la hauteur des engagements pris à New York et à Copenhague, nous devons mobiliser de nouvelles sources de financement, stables et prévisibles, complémentaires de l’APD et provenant des secteurs ayant le plus bénéficié de la mondialisation.
Ensemble, nous militons de longue date en faveur des financements innovants et pouvons nous féliciter d’avoir déjà inventé, depuis 2006, plus de 5 milliards de dollars au service du développement. Aujourd’hui, nous pouvons faire plus, nous devons faire plus. Les résultats obtenus montrent que cette volonté n’a rien d’utopique. 23 pays ont déjà mis en place des financements innovants, dont 12 pays du G20.
Ce qui compte aujourd’hui, c’est de trouver des solutions, c’est que chaque pays s’engage en faveur d’au moins un des mécanismes disponibles, à l’intérieur d’un «menu d’options» et qu’un groupe pionnier adopte la Taxe sur les transactions financières.
La France souhaite que sa Présidence du G20 soit l’occasion de progresser. Le rapport demandé à Bill Gates sur le financement du développement et les financements innovants en particulier sera présenté au Sommet de Cannes.
Alors que se réunira la semaine prochaine à Washington la première réunion du G20 sur le développement, nous pouvons nous réjouir que le plaidoyer ait beaucoup progressé au cours des derniers mois en faveur des financements innovants et de la taxe sur les transactions financières en particulier.
Je crois qu’il faut reconnaitre ici l’empreinte décisive de notre action collective. Grâce à l’audace et à la détermination de nos leaders, je pense bien entendu ici à M. Zapatero, à la chancelière Merkel et au président Sarkozy, mais aussi au Brésil, à la Norvège, au Mali, et à la société civile, qu’il s’agisse d’économistes de renom ou d’organisations non gouvernementales, les lignes ont bougé.
15 pays pionniers ont déjà signé la Déclaration en faveur d’une telle taxe. La commission européenne travaille activement à une proposition, sur la base notamment des propositions de la France et de l’Allemagne.
Le président français s’est entretenu vendredi avec le Commissaire européen chargé de la fiscalité, M. Semata pour évoquer les contours d’une telle taxe. Une proposition européenne devrait être faite dès octobre. Les discussions au sein de la zone euro seront donc stratégiques dans les prochains mois.
Il est plus que jamais capital que nous continuions à faire entendre notre voix.
Plusieurs types d’arguments ont été avancés pour refuser le principe d’une taxe sur les transactions financières :
Le premier est que ce ne serait pas techniquement faisable. Permettez-moi à ce sujet de rappeler un chiffre : plus de 40 pays, disposent déjà d’une taxe, sous une forme ou sous une autre, sur les transactions financières. Et les nombreux rapports d’expertise existants montrent à quel point la centralisation et l’automatisation des transactions ont changé la donne sur la question de la faisabilité technique.
Les détracteurs prétendent aussi que ce type de taxe ne peut être mis en place qu’au niveau mondial. Nous sommes tous conscients que l’idéal serait une taxe universelle. Mais soyons pragmatiques, réalistes. Nous ne pouvons utiliser cet argument comme un prétexte pour ne pas agir. Un groupe de pays pionniers doit aller de l’avant, en veillant, avec un taux très bas mais reposant sur une assiette large, à éviter les risques de contournement et d’évasion. La taxe sur les transactions financières est faisable et neutre, ce n’est pas une punition.
À l’inverse, d’autres arguments, en faveur de cette taxe, sont irréfutables et désormais largement partagés.
Nous sommes convaincus qu’il s’agit de l’instrument le plus efficace en termes de volume et d’impacts. Nous pouvons par exemple, avec une micro-contribution de seulement 5 centimes pour chaque transaction de change de 1 000 dollars, lever plus de 30 milliards par an pour financer des politiques publiques, dont la solidarité internationale.
Derrière les chiffres, n’oublions pas que ce sont des vies qui sont en jeu. 30 milliards c’est par exemple le prix à payer pendant deux ans pour que tous les enfants d’Afrique aillent à l’école primaire ....
Nous sommes convaincus aussi que la taxe sur les transactions financières est une solution économiquement rationnelle car nous irons au devant d’immenses difficultés si nous ne prenons pas dès aujourd’hui les décisions qui s’imposent.
Elle est enfin légitime, juste sur le plan «éthique» et moral. Le secteur de la finance est étroitement lié sur le plan international à l’économie mondialisée, avec des flux multipliés par 7 depuis le début de la décennie. Et pourtant, certains segments sont peu ou pas taxés du tout. Comme l’a dit le président Sarkozy, «personne ne trouve à redire quand on achète un bien immobilier à ce qu’il soit taxé au moment de la transaction. Personne ne trouve à redire lorsqu’on achète un bien meuble, un bien de consommation qu’il soit taxé au moment de la transaction. Comment se fait-il que la seule transaction qui ne soit jamais taxée, soit la transaction financière ?». Comment en effet faire accepter à l’opinion publique que les secteurs qui ont le plus bénéficié de la mondialisation ne contribuent pas à l’ «effort de guerre» pour la rendre plus équilibrée, plus solidaire ?
Mesdames et Messieurs,
Le Groupe pilote rassemble, au-delà des frontières traditionnelles, tous les partenaires «pionniers», tous ceux qui sont prêts à innover au service du développement : des États bien entendu, issus de tous les continents, mais aussi des organisations internationales, des organisations non gouvernementales ou des fondations philanthropiques.
Chaque représentant ici poursuit le plaidoyer dans son administration, son institution de rattachement, son pays et contribue chaque jour à faire vivre le débat sur les financements innovants en proposant des pistes d’action.
C’est grâce à ce travail sans relâche que nous avons pesé dans les débats internationaux et fait bouger les lignes.
Tous ensemble, nous devons continuer à nous mobiliser pour «arracher» un accord sur la TTF, et faire la preuve «en marchant», autour d’un groupe de pionniers. Les pays qui n’en feront pas partie auront à rendre compte de ce choix auprès de leurs opinions publiques. C’est la priorité. Tenir ce langage commun est essentiel pour que notre travail de conviction soit efficace. Nous en sortirons tous gagnants.
Gageons que ces efforts, parfois contre vents et marées, seront prochainement récompensés et que le Groupe pilote, sous la haute autorité de l’Espagne, confirmera son rôle d’éclaireur d’ici quelques semaines, au service du développement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 septembre 2011