Entretien de MM. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, et Gérard Araud, Représentant permanent de la France auprès des Nations unies, avec la presse française le 19 septembre 2011 à New York, sur les dossiers prioritaires examinés à la session de l'ONU, notamment le Proche-Orient, les "printemps arabes", ainsi que la lutte internationale contre le terrorisme.

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Circonstance : 66è session de l'Assemblée générale des Nations unies du 19 au 23 septembre 2011 : participation d'Alain Juppé à la "semaine ministérielle" d'ouverture de la session

Texte intégral

Nous avons eu une conférence ce matin au Council of Foreign Relations. La semaine va être très chargée, comme vous le savez. Il sera beaucoup question du Proche-Orient et du processus de paix. Dans quelques instants, je dois rencontrer le Secrétaire général de la Ligue arabe ; cet après-midi, je rencontrerai le président Abbas ; et ce soir, lors du dîner de l’International Peace Institute, nous discuterons également de ce sujet avec mes homologues arabes et européens. Demain, Mme Ashton réunira des ministres des Affaires étrangères et, bien évidemment, le président de la République parlera de cette question lors de son discours à l’Assemblée générale mercredi matin.
Comme la situation évolue d’heure en heure, je ne m’attarderai pas longtemps sur ce sujet. Je dirais simplement que la France n’a pas changé de ligne. Depuis plusieurs mois, nous ne cessons de dire que le seul moyen d’éviter une confrontation inutile et même dangereuse pour tout le monde est de reprendre les discussions entre Israéliens et Palestiniens pour aboutir à un accord politique.
Nous avons fait des efforts importants au mois de juin dernier, pour proposer les paramètres d’une telle reprise des négociations. Nous n’avons pas été loin d’aboutir mais le Quartet n’a pas pu se mettre d’accord. Reste-t-il encore une possibilité d’accord au sein du Quartet pour une proposition équilibrée, acceptable à la fois par les Palestiniens et les Israéliens ? Nous allons le voir dans les jours qui viennent.
On parlera beaucoup cette semaine des Printemps arabes et, tout d’abord, de la Libye. Le Sommet de demain confirmera l’entrée dans une nouvelle phase qui a été ouverte lors du Sommet de Paris avec un rôle accru des Nations unies. Ce sommet comportera plusieurs enjeux : d’abord le remplacement du Groupe de contact par un Groupe d’amis de la Libye - dont la composition devrait être décidée par le Secrétaire général ; ensuite, l’expression par le Conseil National de Transition de ses besoins en matière de reconstruction ; enfin, la réaffirmation du soutien de la communauté internationale à la Libye nouvelle.
Je vous rappelle que le Conseil de sécurité a voté la résolution 2009 qui décide, en plein accord avec le CNT, de l’envoi d’une mission politique de soutien de l’ONU ainsi que de l’allègement des mesures de gel des avoirs et de l’embargo sur les armes.
Je me réjouis enfin que l’Assemblée générale ait décidé que les représentants de la nouvelle Libye siègeront à l’Assemblée générale lors de cette session. Demain, mardi, symboliquement, la Libye nouvelle sera donc pleinement intégrée aux Nations unies.
Nous parlerons aussi des printemps arabes lors de la réunion du G8 sous présidence française consacrée au Partenariat de Deauville. L’objectif est clair : tout faire pour que les transitions en cours réussissent. Les chefs d’Etats et de gouvernements ont donné mandat aux ministres des Affaires étrangères avec le soutien des ministres des Finances pour mettre en place ce partenariat. Les représentants des pays en transition - la Tunisie et l’Egypte, auxquels se sont joints la Jordanie, le Maroc et la Libye - seront présents demain après-midi. Les pays de la région qui vont soutenir ce partenariat - l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, la Turquie, le Koweït et le Qatar - seront également représentés. Ce sera le lancement opérationnel de ce partenariat dans le cadre des plans d’action qui ont été proposés par les différents pays. Des contributions ont déjà été annoncées pour un montant qui avoisine les 80 milliards de dollars lorsque l’on comptabilise les aides bilatérales et les interventions des organisations internationales, comme la BIRD, le FMI ou d’autres. La France pour sa part s’est engagée à hauteur de 2,7 milliards de dollars sur les deux années qui viennent, 2011-2013. Mme Hilary Clinton et M. Ban Ki-moon participeront à cette réunion pour témoigner de leur engagement.
En quittant le pourtour de la Méditerranées, nous évoquerons également la situation en Afghanistan. Deux réunions internationales importantes vont se tenir dans les prochains mois : l’une à Istanbul, le 2 novembre, et l’autre à Bonn, le 5 décembre. Pour les préparer, une table ronde est co-organisée par M. Guido Westerwelle, Mme Hilary Clinton et le ministre afghan des Affaires étrangères, M. Zalman Rassoul. Naturellement, j’y participerai.
Nous évoquerons aussi pendant cette semaine les questions de sûreté nucléaire. Le président de la République interviendra lors de l’ouverture de la réunion sur la sûreté et la sécurité nucléaires organisée par le Secrétaire général jeudi matin. Ma collègue, Mme Nathalie Kosciuszko-Morizet, interviendra lors d’une des tables rondes qui suivront.
Au-delà de ces priorités que je viens d’évoquer, je voudrais évoquer trois thèmes importants pour nous :
La préparation de RIO+20 au mois de juin de l’année prochaine. Là aussi, Mme Nathalie Kosciuszko-Morizet présidera un déjeuner de travail avec plusieurs ministres de l’Environnement ; Brésil, Kenya, Indonésie, PNUE.
La lutte contre le terrorisme sera à l’ordre du jour, dix ans après les attentats du 11 septembre. Je me rendrai au symposium sur le contre-terrorisme organisé par le Secrétaire général en fin de matinée.
Enfin, la Francophonie ne sera pas oubliée : la présidente suisse, Mme Calmy-Rey, qui assure jusqu’en 2012 la présidence de l’Organisation internationale de la Francophonie, tiendra une réunion des ministres francophones demain matin. Cette réunion sera consacrée au soutien aux transitions démocratiques majeures dans l’espace francophone : la Tunisie, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo et l’Egypte.
Je tiendrai le traditionnel cocktail francophone, moment de convivialité et d’échanges, jeudi soir.
Q - Si la demande palestinienne arrive au Conseil de sécurité, comment votera la France ?
R - Nous verrons d’abord si elle y arrive. Il sera temps de répondre à cette question à ce moment-là. Le président de la République s’exprimera sur ce sujet le moment venu. La France prendra ses responsabilités. Notre objectif, d’ici là, c’est d’abord de bien comprendre la stratégie de l’Autorité palestinienne. Je demanderai cet après-midi à M. Mahmoud Abbas ce qu’attendent les Palestiniens de la saisine du Conseil de sécurité dont on sait bien qu’elle a peu de chances d’aboutir, puisqu’il faudrait d’abord réunir neuf voix pour adopter une résolution, ce qui n’est pas acquis. Ensuite, de toute manière, le gouvernement américain a annoncé qu’il ferait usage de son droit de veto.
Quel est donc le sens de cette démarche et qu’attendent les Palestiniens de cette saisine du Conseil de sécurité ? C’est à la lumière de leur réponse que nous pourrons mieux définir notre propre analyse de la situation. Pour le reste, je vous redis ce que j’ai dit à l’instant et ce que j’ai dit ce matin au Conseil des Affaires étrangères : nous considérons que la seule façon d’éviter une confrontation inutile et dangereuse pour tout le monde, c’est de reprendre les négociations. Nous avons fait de gros efforts en ce sens. Ils ne sont pas encore complètement vains et c’est à cela que nous allons travailler au cours des réunions que j’ai évoquées tout à l’heure avec M. Tony Blair, Mme Catherine Ashton et les autres membres du Quartet.
Q - On parle d’un plan B que Tony Blair aurait proposé aux Palestiniens et qui serait de leur offrir, d’ici un an à l’ONU, la reconnaissance de leur Etat en échange d’une reprise immédiate des négociations. Est-ce que la France soutient ce genre d’alternative ?
R - Quand M. Blair m’aura indiqué ses propositions je pourrai répondre plus précisément à votre question.
Q - Est-ce qu’un passage par l’Assemblée générale pourrait être une solution médiane qui permettrait de gagner un peu de temps et de reprendre plus tard les négociations ?
R - Il n’est un secret pour personne que lors des réunions à 27, la France avait essayé de contribuer à la réflexion sur ce qu’aurait pu être une résolution soumise à l’Assemblée générale. Mais l’Autorité palestinienne semble avoir fait un choix différent.
Q - Est-ce que la position européenne est aujourd’hui plus unifiée ?
R - Il y a une position européenne très unifiée pour rester unis. C’est par cette déclaration de principe que commence toute intervention. Ensuite tout se complique.
Q - L’Europe demande depuis longtemps un plus grand rôle dans cette question. Certains disent que l’Europe rate le coup parce qu’elle n’a pas d’accord sur une solution…
R - Ce que je constate, c’est que si l’Europe voulait, elle pourrait jouer un rôle décisif. Le gouvernement américain ne peut pas à lui tout seul débloquer la situation. Une position commune de l’Europe est souhaitée et attendue. C’est ce à quoi nous travaillons mais, pour l’instant, il subsiste des différences d’appréciation.
Q - Pensez-vous que l’on peut aussi faire avancer les positions israéliennes ? Les Palestiniens évidemment bougeront s’il y a des concessions de l’autre côté ; est-ce que vous allez y travailler cette semaine ?
R - C’est ce que j’ai essayé de faire à Jérusalem, en discutant longuement avec le Premier ministre Netanyahu, avec M. Lieberman, avec M. Ehud Barak. Tout change autour d’Israël : l’Egypte d’aujourd’hui n’est plus l’Egypte d’hier ; la Syrie est dans uns situation extraordinairement difficile ; des tensions avec la Turquie se sont accrues autour de la période récente. Ce que j’ai essayé de dire à nos amis israéliens, c’est que face à ce monde en plein bouleversements il fallait qu’Israël bouge, que le statu quo n’était pas tenable. Nous renouvelons ce message.
Q - Avez-vous l’impression que votre interlocuteur était sensible à votre message ?
R - Quand je l’ai vu en juin, oui, et j’avais remarqué dans son discours qu’il y avait eu un certain nombre de mots qui méritaient attention. Par exemple, l’idée, à propos de Jérusalem, qu’»il fallait faire preuve de créativité». Je ne sais pas trop ce que cela veut dire mais c’est quelque chose d’important ; l’acceptation d’une discussion sur les échanges de territoires mutuellement agrées ; et puis aussi l’idée que la présence militaire israélienne sur le Jourdain ne serait pas éternelle. Il y avait donc peut être quelques marges de négociation. On va voir dans les jours prochains ce qui peut éventuellement se passer. La France ne cautionnera pas une déclaration du Quartet qui ne serait pas équilibrée entre Israéliens et Palestiniens.
Q - Mme Ashton quand elle vu les Palestiniens la dernière fois - dont la position est totalement alignée sur la position américaine et de Tony Blair - a précipité la décision palestinienne d’aller au Conseil de sécurité, car Mahmoud Abbas a réalisé qu’il n’y avait pas de position équilibrée ; ce sont les déclarations qu’ils ont faites dans les journaux arabes.
R - Mme Ashton a reçu un mandat, puisqu’elle travaille sur mandat des 27 Etats membres de l’Union européenne, et ce mandat était très clairement équilibré. Je n’ai aucune raison de penser que ce mandat n’a pas été respecté puisque pour l’instant je n’ai pas énormément d’informations sur ce que Mme Ashton a proposé. J’en saurai peut être un peu plus dans les jours qui viennent.
Q - Regrettez-vous d’avoir peu d’informations de la part de Mme Ashton ? Regrettez-vous de ne pas avoir d’informations sur ce que propose Tony Blair ?
R - Oui, absolument, je le regrette car la France a un rôle à jouer dans ce processus. Nous nous sommes beaucoup engagés. Nous avons fait des propositions, dont certaines ont d’ailleurs été retenues par le Conseil européen à la fin du mois de juin. Je pense donc qu’il serait utile que nous soyons pleinement impliqués dans l’avancement de ces discussions. C’est ce qui va se passer je pense dans les prochains jours.
Q - Qu’allez-vous dire à Mahmoud Abbas ?
R - Ce que je vous ai dit tout à l’heure : «quelle est votre stratégie ?»
Q - Allez-vous lui conseiller quelque chose ? Allez-vous lui dire de ne pas aller au Conseil de sécurité ?
R - Si je lui donne des conseils, c’est à lui que j’en réserverai la primeur.
Q - Sur les réserves de la France vis-à-vis de la démarche palestinienne, vous avez expliqué que vous avez des réserves vis-à-vis des opportunités, mais sur le fond, politiquement ?
R - Je n’ai pas émis de réserves. J’ai dit que c’était le choix des Palestiniens. Je souhaite savoir quelle est leur stratégie, mais je n’ai pas émis de réserve. C’est à eux d’en décider.
Q - Par rapport au raisonnement israélien, et semble-t-il américain, selon lequel cette démarche est forcément une remise en cause de la légitimité d’Israël…
R - Je voudrais rappeler que l’objectif, c’est deux Etats-nations pour deux peuples. C’est une chose sur laquelle tout le monde est d’accord : la feuille de route du Quartet, les principes de Madrid, l’initiative arabe... J’en oublie sans doute.
Q - La stratégie semble claire à tout le monde. Peut être qu’il faut que vous attendiez que M. Abbas vous le dise mais, jusqu’à présent, la paix pré-conditionne l’existence d’un Etat. Ce que dit M. Abbas c’est «donner un État et ensuite il y aura la paix» ; c’est cela que l’on semble comprendre…
R - Je préférerais que M. Abbas me le dise lui-même. Je n’anticiperai pas sur l’entretien de cet après-midi.
Q - Le simple fait que M. Abbas vienne à l’ONU avec le projet de présenter cette demande d’État, c’est quand même un constat d’échec du Quartet…
R - Oui, le Quartet a échoué et j’ai été le premier à le dire. Le Quartet, au mois de juillet, ne s’est pas mis d’accord tout simplement parce que Mme Ashton, à ce moment là, a suivi le mandat qu’elle avait. Il se trouve que nous étions d’accord avec les Russes et avec les Nations unies et qu’il n’y a pas eu d’accord des Américains ; c’est la raison pour laquelle le Quartet ne s’est pas mis d’accord. Aujourd’hui la question est de savoir si la position des uns et des autres évoluent et si on peut arriver à un accord. Comme je viens de vous le faire comprendre - je crois sans détour - la France aimerait bien savoir ce qui a évolué du point de vue de l’Union européenne.
Q - Je crois que l’année dernière le président Obama dans son discours devant l’Assemblée générale avait évoqué la possibilité de la création d’un État palestinien, en tout cas de son annonce, ce qui avait suscité un espoir quand même réel, que s’est-il passé, pourquoi on a l’impression de revenir en arrière ?
R - Tout d’abord, je fais le même constat que vous, tout le monde est d’accord jusqu’à présent pour dire que les Palestiniens, au même tire que les Israéliens, ont droit à un État sur leur territoire, avec une sécurité garantie : les Etats-Unis - vous faites référence au discours de M. Obama -, l’Union européenne de façon unanime et beaucoup d’autres, la Ligue arabe, l’initiative arabe… Est-ce que nous avons changé là-dessus ? Non, nous considérons toujours que c’est l’objectif.
Q - Sur la Syrie, Allez-vous rencontrer les représentants russes et chinois ? Comment sentez-vous l’évolution ?
R - C’est déjà fait, j’ai passé de longues heures avec Sergueï Lavrov la semaine dernière à Moscou. Nous avons beaucoup parlé de cela. J’étais à Pékin il y a quelques jours à peine et l’on a également beaucoup parlé de cela.
C’est surtout avec la Russie que le dialogue a été le plus franc. Nous avons une divergence fondamentale d’appréciation. Nous considérons que le régime a perdu peu à peu sa légitimité en pratiquant une répression d’une brutalité inouïe contre des gens qui étaient pacifiques, qui n’ont pas utilisé la violence et qui demandaient simplement un peu plus de liberté et de démocratie. L’analyse russe consiste à dire qu’il faut mettre sur un même plan le régime et de prétendus terroristes qui utiliseraient la violence contre ledit régime. Nous ne partageons pas cette vision des choses et c’est ce qui explique que la situation reste bloquée au Conseil de sécurité pour l’instant.
Q - Vous ne voyez pas d’évolution ?
R - Quand on voit, à chaque fois que M. Bashar Al-Assad reçoit quelqu’un à qui il donne des assurances d’ouverture et de réforme, que le lendemain matin il y a cinquante morts de plus, peut-être qu’un jour cela va amener ceux qui sont les plus réticents à évoluer. Les Turcs et le Secrétaire de la Ligue arabe ont essayé. Ils ont rencontré M. Bashar Al-Assad, ils ont recueilli de bonnes paroles mais il ne s’est rien passé ou, en tout cas, il s’est passé des choses inacceptables dans les jours qui ont suivi et cela continue encore aujourd’hui.
Q - Allez-vous voir votre homologue iranien ?
R - Oui, il a demandé à être reçu. La règle est que l’on parle à tout le monde, mais je lui dirai ce que nous pensons, à savoir que nous sommes très préoccupés par la poursuite d’un programme qui nous paraît conduire l’Iran à vouloir se doter de l’arme nucléaire et que pour nous c’est totalement inacceptable. Par conséquent, tout en restant prêts au dialogue - parce qu’il ne faut jamais fermer la porte au dialogue -, nous continuerons à appliquer et même à renforcer les sanctions pour dissuader l’Iran de progresser dans cette direction.
Q - Vous allez lui parlez aussi de la Syrie, car apparemment ils aident beaucoup la Syrie ?
R - Bien sûr, je lui dirai ce que nous pensons du comportement du régime syrien.
Q - Sur l’Iran, il semble qu’il y ait un recul du côté de la Russie sur l’idée de sanctions. Vous voudriez pousser aux sanctions ?
R - Pas vraiment, la Russie a davantage mis l’accent sur le volet dialogue que sur le volet sanctions. Nous sommes prêts aux deux mais je crois que l’unité du E3+3 - c’est-à-dire les trois pays européens, la Chine, la Russie et des États-Unis - est solide et nous tiendrons le même discours à l’Iran.
Q - les E3+3 vont se réunir ici à New York. Voyez-vous une possibilité de reprise des négociations ?
R - Si l’Iran fait preuve d’ouverture et répond de façon plus constructive à la lettre que Lady Ashton lui a adressée au mois de juillet. Il y a eu une première réponse, au mois de septembre, qui ne nous a pas paru pour l’instant extrêmement constructive et fournir la base d’un véritable dialogue.
Q - Sur La Libye, quelle est la position de la France sur la levée des sanctions économiques et du déblocage des actifs libyens gelés ?
R - Les choses sont faites maintenant, puisque la résolution 2009 a décidé un allègement des mesures des gels des avoirs sur des sommes importantes. Je crois que 15 milliards de dollars ont déjà été dégelés. Il en reste encore et nous pensons que cet argent, qui appartient au peuple libyen, doit être mis à la disposition de l’autorité légitime qui représente le peuple libyen, c’est-à-dire le CNT. On ne peut pas à la fois dire que le CNT siège aux Nations unies comme représentant de l’État libyen et ne pas mettre à sa disposition l’argent qui appartient au peuple libyen.
D’ores et déjà, le CNT a tous les moyens de fonctionner : assurer la paie de ses fonctionnaires, de ses troupes, etc. La situation des pays du Partenariat de Deauville - Egypte, Tunisie, Jordanie, Maroc - n’est pas du tout la même que celle de la Libye qui est un pays riche, qui a des ressources et qui peut les mobiliser.
R - Le Représentant permanent de la France auprès des Nations unies - Techniquement, nous n’avons dégelé qu’une partie des actifs libyens et il faudra dégeler le reste plus tard ; mais tout sera utilisé pour le peuple libyen. Si nous n’avons dégelé qu’une partie de ces actifs, ce n’est pas une question de méfiance ou de réserve vis-à-vis du Conseil national de transition, il s’agit tout simplement de savoir qui a la signature du côté du Conseil national de transition. Nous ne voulons pas que l’argent parte dans la nature. Le dégel n’a donc porté que sur des institutions dont nous savons que le CNT les contrôle parfaitement.
Q - Après les discussions que vous avez eues à Tripoli la semaine dernière avec le président de la République, a-t-on une idée du mandat que les Libyens souhaiteraient obtenir ?
R - C’est fait, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2009 qui met en place une mission - Peut être entre 100 et 200 membres ; ce n’est pas une force de maintien de la paix, ce ne sont pas des casques bleus. Le régime libyen ne souhaite pas de casques bleus, il souhaite une mission civile qui puisse l’aider dans le travail de reconstruction d’un État de droit - à supposer qu’il ait jamais existé en Libye - et puis de reconstruction économique.
Q - Est-ce que vous êtes inquiets de la présence d’islamistes assez durs au sein du CNT ?
R - Je sais bien que l’on a souvent évoqué cet argument pour nous demander pourquoi nous étions intervenus. Nous avons bien sûr pris un risque, mais peut-on décider comme cela, a proprio motu, que dans tous les pays arabes, sous prétexte qu’il y a un risque islamiste, il ne faut rien faire ? Non. Ce risque existe, il faut simplement être vigilant. Être vigilant, cela veut dire identifier, parmi les Frères musulmans, des interlocuteurs qui respectent les règles du jeu que nous souhaitons voir respectées et qui ne franchissent pas les lignes rouges que nous ne voulons pas voir franchies ; c’est-à-dire qui renoncent à la violence, au terrorisme, qui acceptent les principes fondamentaux des droits de l’homme et de la femme. Certains sont d’accord, il faut les mettre à l’épreuve et dialoguer avec eux.
Je crois que la meilleure voie est de soutenir le développement économique et social de ces pays pour que leur société civile se modernise et que l’on voit émerger des forces démocratiques qui contrebalancent cette influence. On sait très bien que c’est la misère, la pauvreté et aussi l’absence de liberté qui est le terreau des extrémismes. C’est aussi en agissant comme cela, sur le moyen terme, que l’on peut faire en sorte que les extrémismes soient marginalisés.
Q - Sur le Quartet, vu que tous les chefs d’État sont ici, sera-t-il possible de résoudre les différences avec les Américains d’ici vendredi, avant que Netanyahou et Abbas ne parlent ?
R - J’ai déjà dit que nous avions devant nous trois ou quatre jours de discussions. Je ne pense pas que des réunions du Quartet au niveau des chefs d’État et de gouvernement soient prévues.
Q - Au moment des Printemps arabes, la France a pris une position avancée et a poussé à la démocratie. Pouvez-vous vraiment vous permettre une abstention éventuelle au Conseil de sécurité sur l’État palestinien, si jamais il va au Conseil de sécurité ?
R - Votre question me fournit la réponse, puisque vous dites «si jamais». Quand le «si jamais» sera levé, on en reparlera.
Q - Mais vous avez quand même réfléchi ?
R - Oui, bien sûr ! Mais parfois je peux réfléchir et ne pas tout mettre sur la table ; à chaque jour sa réflexion.
Q - Quel est le fondement de cette réflexion ?
R - Je vous félicite de votre ténacité, c’est une question encore hypothétique. On se revoit, n’est-ce pas, dans les prochains jours ? Je vous en dirais plus à ce moment-là. N’essayez pas d’anticiper, je sais bien que c’est votre r??le d’essayer d’en savoir toujours un peu plus, c’est à l’ordre du jour.
Q - À propos des mercenaires français en Libye, est-ce que vous pouvez démentir ?
R - Qui a dit qu’il s’agissait de mercenaires français ?
Q - Le porte-parole de Kadhafi…
R - Je vous conseille vivement de retourner à une pratique journalistique fondamentale qui est le croisement des sources. Cela me rappelle un article d’un grand journal français, Libération, en double page, il y a huit jours : «La France a reçu du CNT un engagement lui garantissant 35 % des livraisons pétrolières de la Libye». Le lendemain, on s’est aperçu que ce texte était un faux grossier ; je ne fais donc pas confiance aux déclarations du porte-parole de Kadhafi. Nous n’avons pas de mercenaires français en Libye. Des conseillers techniques ont aidé le CNT à s’organiser, mais il n’y a pas de mercenaires français. En revanche, il est sûr qu’il y a eu beaucoup de mercenaires venus d’Afrique et payés par M. Kadhafi.
Q - Pour revenir à la Palestine, ne regrettez-vous pas le discours de Barack Obama l’an dernier à l’Assemblée générale, qui aboutit à la situation dans laquelle on se trouve aujourd’hui ?
R - Non, il avait justement évoqué, à ce moment-là, la création d’un État palestinien. Vous pensez qu’il faudrait regretter qu’il ait dit cela ? Non, au contraire je m’en réjouis.
Q - Pourrait-on parler d’imprudence ?
R - Je n’ai pas de jugement à apporter sur M. Obama. Ce que je souhaiterais tout simplement, c’est que l’on ne continue pas indéfiniment à faire croire au peuple palestinien qu’il aura un jour un État sans jamais se mettre en situation de pouvoir réaliser cette promesse.
Q - Pensez-vous que la présidence du Liban va encore être un obstacle de plus à l’adoption d’une résolution sur la Syrie ? Et allez-vous voir le président libanais ?
R - Non, ce n’est pas prévu. Nous faisons confiance aux autorités libanaises pour effectuer cette présidence.
Q - Reprochez-vous au président Obama de faire croire indéfiniment aux Palestiniens la création d’un État sans se donner le moyen de le faire ?
R - J’admire beaucoup la façon dont on peut interpréter les propos venant d’être tenus il y a quelques instants. J’ai dit que je n’avais rien à reprocher au discours de M. Obama qui avait pris des positions en faveur d’un État palestinien : voilà ce que j’ai dit, avant de dire ce que je souhaitais. Je ne reproche rien du tout au président Obama. D’ailleurs, je pense que la réaction de mon collègue montre que je n’ai pas été le seul à avoir compris ce que j’ai dit.
Q - Que pensez-vous de la position de l’Administration américaine par rapport au problème de la Palestine ?
R - Je n’ai pas de jugement à apporter sur l’Administration américaine. Nous avons une excellente relation avec les Américains et je souhaite la conserver ; cela veut dire travailler ensemble pour trouver des solutions.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2011