Texte intégral
M. HUBERT VEDRINE,
LORS DE SON ARRIVEE A L'AEROPORT
(Tunis, 4 août 1997)
Je suis très content d'être aujourd'hui à Tunis, accueilli par le ministre des Affaires étrangères que j'ai rencontré il y a trois semaines à peu près. Je souhaitais venir en Tunisie avant les vacances, en tous les cas avant mes vacances. Je souhaitais venir vite, en fait, après ma prise de fonctions qui a été entièrement occupée par toute une série de sommets internationaux. Je souhaitais venir parce que, pour moi, il est très important de parler avec les responsables tunisiens sur toute une série de questions qui nous sont communes et qui concernent la Méditerranée, ce qui se passe au Proche-Orient, ce qui se passe en Afrique, l'évolution de l'Europe, et des relations entre l'Europe et tous les pays du Maghreb et l'ensemble des pays de la Méditerranée.
Il y a beaucoup de sujets sur lesquels je ne conçois pas l'activité de la diplomatie française sans qu'elle soit en relation très étroite et très confiante avec la politique des dirigeants tunisiens. Voilà pourquoi je suis là et, naturellement, j'ajouterai que tout cela se passe dans le cadre de la préparation de la visite du président Ben Ali en France, à l'automne prochain.
Voilà en quelques mots le résumé des raisons de ma venue mais il n'y a pas besoin de raisons particulières pour venir ici, naturellement. Pour tout le reste, nous en parlerons après puisqu'il faut que les conversations aient eu lieu pour que je puisse vous en parler.
CONFERENCE DE PRESSE,
M. HUBERT VEDRINE
(Tunis, 5 août 1997)
Je vous dirais tout simplement pour commencer que lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, au début du mois de juin, de nombreux sommets multilatéraux étaient déjà programmés, sur mon emploi du temps. J'ai souhaité ajouter à ces échéances multilatérales internationales, dès que c'était possible, dès que je le pouvais, des visites dans cette partie du monde, au Maghreb et donc en Tunisie. J'ai souhaité le faire aussitôt que possible, ce qui pour moi, était donc fin juillet-début août. Mais mon emploi du temps rendait ces déplacements quasiment impossibles. Pour moi, c'est une région du monde qui est extrêmement importante et proche de la France, avec laquelle notre pays doit avoir des relations étroites, confiantes, naturellement mais surtout, des relations utiles qui ne doivent pas être tournées vers le passé. Elles doivent être fondées sur la recherche des actions communes que nous pouvons mener aujourd'hui ensemble. C'est donc dans cet esprit que j'ai souhaité venir dès que possible à Tunis.
J'ai été accueilli extrêmement bien par les autorités tunisiennes, par le président de la République qui m'a longuement reçu ce matin, par mon homologue M. Zouari, avec lequel j'ai eu de nombreuses conversations depuis hier. Je dois vous dire que nous avons parlé au cours de ces heures apparemment brèves, mais en réalité bien remplies, très denses, de tous les sujets qui intéressent la France et qui intéressent aussi la Tunisie, des questions bilatérales bien sûr.
Vous noterez que je ne dis pas "les problèmes bilatéraux", parce qu'il n'y a pas à proprement parler de problèmes. Il y a des questions, comme il y en a toujours dans les relations entre deux pays amis et proches sur de nombreux sujets. Donc, nous avons parlé des questions bilatérales, notamment dans la perspective de la venue en France du président Ben Ali. Et nous avons travaillé à tout ce qui peut faire de cette visite un succès, un élément de relance supplémentaire des relations franco-tunisiennes. D'autres membres du gouvernement sans doute viendront et auront des contacts avant la visite du président Ben Ali en France à différents niveaux, notamment l'Economie et les Finances, et sans doute d'autres. Et nous avons beaucoup parlé de questions qui ne sont pas strictement bilatérales, mais à propos desquelles la France et la Tunisie éprouvent le besoin de travailler davantage ensemble, car elles ont tout à y gagner. Je veux dire par là la situation en Méditerranée, toutes les formes de coopération qui se sont développées en Méditerranée, et notamment le processus euro-méditerranéen. Nous avons parlé de l'Union européenne et j'ai eu l'occasion d'indiquer à mes interlocuteurs quels étaient les grands problèmes du moment au sein de l'Union européenne et comment l'Union européenne abordait les perspectives des prochaines années parce que cela a des répercussions très directes sur ce que l'Union européenne fait ou fera avec ses partenaires méditerranéens. Nous avons parlé de la situation dans le Maghreb en général, nous avons parlé de la situation au Proche-Orient, le blocage du processus de paix avec les conséquences que cela entraîne, nous avons parlé de la situation en Afrique. Donc, retenez surtout que je ne suis pas venu régler les problèmes qui n'existent pas, mais qui relèvent des relations bilatérales normales qu'il y a entre tous les pays.Je suis surtout venu pour réfléchir à toutes ces grandes questions et voir ce que la France peut apporter à la Tunisie dans ces questions et ce que la Tunisie peut apporter à la France. Voilà quel a été le contexte et j'ai été accueilli ici à Tunis dans un climat qui m'a touché, qui était extrêmement sympathique, extrêmement amical, et en même temps très concret et très centré sur le désir d'aboutir et d'être le plus fructueux possible. J'ai eu en fin de matinée, après les contacts dont je viens de vous parler, un long échange avec le président de l'Assemblée qui s'est déroulé dans une ambiance également très sympathique. Nous avons beaucoup parlé de toutes les relations qui se nouent, notamment entre les parlementaires de tous les pays riverains de la Méditerranée et avec les pays européens au sens large du terme, car c'est une des dimensions de cette perspective euro-méditerranéenne, une dimension qui n'est pas à négliger, au contraire, puisqu'elle permet de créer un réseau humain, des relations, une compréhension qui est notre objectif mais qui n'est pas toujours acquise dès le point de départ. Donc, nous avons eu beaucoup de contacts, en peu de temps, mais c'est un séjour qui durera -car il n'est pas encore tout à fait terminé - au maximum vingt-quatre heures mais ce sont vingt-quatre heures remplies au mieux, en tout cas de mon point de vue.
Voilà donc un résumé rapide de ce à quoi je me suis employé depuis mon arrivée ici en fin d'après-midi hier. Maintenant, je serais heureux de répondre à vos questions.
Q - Vous avez parlé de la prochaine visite du président Ben Ali en France. Est-ce que vous avez fixé une date pour cette visite ? Ma deuxième question concerne le Proche-Orient. Vous avez dit que vous avez parlé avec les responsables tunisiens de la situation au Proche-Orient. Quelle est la position de la France au vu des problèmes que connaît le processus de paix dans la région ?
R - En ce qui concerne le calendrier à propos de la visite du président de la République en France, à l'automne prochain, il est arrêté en principe mais vous le connaîtrez prochainement. En tout cas, je vous le confirme pour l'automne, mais la date exacte, vous la connaîtrez bientôt.
En ce qui concerne le Proche-Orient, je crois que la position de la France est bien connue puisqu'elle a eu l'occasion de la confirmer encore récemment, à deux occasions, d'une part quand elle a pris l'initiative au moment du Conseil européen d'Amsterdam, de la présentation d'un texte qui rappelle les principes d'Oslo, les principes du processus de paix et les principes à partir desquels il faut travailler si on veut conserver ou retrouver une chance d'aller vers une solution. Ce texte européen a été adopté, à ce moment-là, chacun le sait, à l'initiative de la France. D'autre part, le président Arafat a eu l'occasion de venir à Paris il y a quelques semaines et à cette occasion, le président de la République, comme le Premier ministre et moi-même, avons rappelé la position constante de la France. Nous déplorons profondément le blocage du processus de paix qui dure maintenant depuis un long moment et qui commence à produire visiblement des effets extrêmement graves. Ces effets graves ne peuvent que s'aggraver encore ; c'est pour cela que tous ceux, dans toutes les régions du monde, qui ont à coeur cette question du Proche-Orient et qui pensent que la paix, c'est-à-dire la sécurité pour tous, ne sera trouvée qu'en reprenant le processus qui avait été entamé, doivent aujourd'hui réunir leurs efforts et les faire converger sur cette question.
J'ai trouvé auprès de mes interlocuteurs tunisiens une très bonne connaissance naturellement et une très bonne compréhension de la position de la France et des efforts qu'elle fait constamment, notamment au sein de l'Union européenne. Ses positions reçoivent un soutien de plus en plus large.
Q - Comment évaluez-vous les relations tuniso-françaises et quelle est la position de la France vis-à-vis de certains étrangers qui choisissent de vivre sur le territoire français ou européen, au nom des Droits de l'Homme, alors qu'ils justifient des attentats et des crimes odieux commis dans leur pays ?
R - D'abord, tout ce que j'ai dit en préambule répond un peu à la question sur les relations tuniso-françaises. Ce sont des relations qui sont bonnes, qui sont confiantes et ce sont des relations qui sont naturellement importantes. Deux pays liés par l'Histoire, liés par les affinités, liés par d'innombrables liens personnels qui font qu'ils se connaissent particulièrement bien et d'autre part, une situation actuelle qui fait que ce sont des pays qui ont intérêt à travailler ensemble, d'abord parce que les relations bilatérales sont fécondes et dynamiques et naturellement, il faut toujours renforcer ce mouvement, et ensuite parce que cette question des relations entre l'Union européenne et les pays du Sud de l'Europe, ceux de la rive Sud de la Méditerranée est l'une des grandes questions du moment. Donc, toutes les raisons s'additionnent pour faire de la Tunisie et de la France deux partenaires particulièrement importants l'un pour l'autre. Voilà comment je vois ces relations et à cet égard la visite prochaine du président Ben Ali en France sera naturellement un temps fort. C'est le premier point.
Concernant les étrangers en France, il n'y a pas de réponse spéciale pays par pays. Les étrangers en France le sont dans le cadre des lois de la France et des engagements de la France ou, dans certains cas, de dispositions qui ne sont pas que françaises mais plus larges, par exemple au titre des accords de Schengen. Donc, je n'ai pas à porter d'appréciation sur ceux qui sont en France et qui remplissent les conditions pour y être à tel ou tel titre. Je n'ai pas à porter d'appréciation sur l'interférence entre cela et tel ou tel événement de politique intérieure.
Q - Dans votre préambule, vous avez parlé des rencontres méditerranéennes et comme vous le savez la Tunisie a signé un accord d'association avec l'Union européenne. Dernièrement, il y a eu le Sommet de Malte qui, d'après les échos que nous avons eus, n'est pas arrivé à des résultats au niveau des Accords de Barcelone. Je voudrais savoir où en sont la coopération et l'association entre les deux rives de la Méditerranée.
En ce qui concerne la monnaie européenne unique, il y a encore une polémique dans les pays européens sur la possibilité de parvenir à des critères permettant de réaliser cette monnaie unique, par exemple le critère des 3 %. Est-ce que la France, qui connaît des problèmes de chômage et d'instabilité monétaire vis-à-vis du dollar, sera en mesure de se conformer à ces critères pour accéder à l'union monétaire ?
R - En ce qui concerne votre première question, Madame, je crois qu'il faut distinguer les différents aspects de ces questions méditerranéennes qui sont très larges et qui comportent plusieurs volets ; il faut distinguer deux choses. Vous nous avez parlé de l'accord d'association entre la Tunisie et l'Union européenne, c'est une chose. Cet accord d'association est le résultat d'une orientation stratégique de la Tunisie qui estime que, compte tenu de son propre avenir, de sa modernisation sur tous les plans, cette relation plus étroite encore avec l'Union européenne est un axe autour duquel beaucoup de choses doivent s'ordonner. Là, il n'y a pas de commentaires particuliers à faire, sauf que naturellement, j'ai rencontré des interlocuteurs tunisiens très conscients du fait que c'était un effort très important d'aller dans cette direction pour tirer tout le parti possible de cet accord d'association.
Comment la France intervient-elle ? Parmi les Quinze, elle est, disons, l'un des deux ou trois pays européens les plus conscients de l'intérêt qu'il y a dans des relations étroites avec les pays de la Méditerranée. Donc nous serons, au sein de l'Union européenne, un ami pour la Tunisie, un partenaire, un interlocuteur pour faire en sorte que cet accord d'association soit mis en oeuvre de façon concrète, féconde, utile et que cela se passe bien. C'est notre intérêt en tant que France et notre intérêt en tant qu'élément de l'Union européenne.
Vous m'avez parlé d'un autre sujet qui est plus compliqué, celui du Processus de Barcelone. Ce n'est pas la même chose. Le fait que le Processus de Barcelone ait un petit peu de mal à déboucher sur certaines réalisations n'affecte pas les relations entre la Tunisie et l'Union européenne. Cela ne remet pas en cause le choix, je crois, très judicieux qui a été pris par la Tunisie par rapport à l'Union européenne. Le Processus de Barcelone a l'intérêt de regrouper tous les pays riverains de la Méditerranée, donc c'est très important qu'il y ait une enceinte, une structure, dans laquelle tous les pays sont là, se parlent, essaient de faire les choses ensemble, essaient de développer des relations politiques meilleures, des échanges culturels, économiques, etc. Et en même temps, puisque toute la Méditerranée est regroupée, c'est plus compliqué, puisque l'on retombe inévitablement sur des difficultés que je ne vais pas énumérer puisque chacun les connaît. C'est un processus ambitieux, très important mais qui patine un peu. C'est une vérité ! Nous, Français, nous réfléchissons, avec plusieurs de nos partenaires européens ou du Sud de la Méditerranée, à la façon de redonner un peu plus d'énergie à ce Processus de Barcelone. Voilà pour les deux questions que vous m'avez posées, concernant les relations et les questions euro-méditerranéennes.
En ce qui concerne la monnaie, il n'y a pas de problème français particulier. Aujourd'hui, les pays de l'Union européenne se sont engagés dans un processus considérable, qui aura des conséquences géopolitiques et géoéconomiques de tout premier plan : c'est la création d'une monnaie unique. Ils sont engagés dans ce processus parce qu'ils sont arrivés à la conclusion, il y a quelques années, que c'était leur intérêt, et que s'ils voulaient avoir des relations économiques et monétaires mondiales, les Européens devaient se regrouper pour fabriquer une grande monnaie. Pour que cette grande monnaie soit crédible, il faut annoncer des critères rigoureux pour la future gestion de cette grande monnaie. C'est pour cela qu'à l'époque du Traité de Maastricht, l'accord s'est fait entre les uns et les autres sur cinq critères. Aujourd'hui, puisque vous me poser la question sur la France, la France remplit parfaitement quatre critères sur cinq. Elle ne remplit pas parfaitement encore le critère concernant le déficit puisque l'objectif à atteindre était de 3 % et que la France était encore il y a quatre ans à 5,6 % je crois. Elle est descendue à 4,8 puis 4,2 et nous étions, quand le nouveau gouvernement est arrivé, à 3,7. Donc, du côté de la France, vous voyez que la tendance va exactement dans la bonne direction. Du côté allemand, les Allemands remplissent quatre critères sur cinq aussi. Ils remplissent mieux que nous le critère du déficit public mais pas celui de la dette. Donc c'est une situation variable. Il ne faut pas s'égarer dans les chiffres ni dans les détails. Ce que je peux vous dire, c'est que tout cela s'inscrit parfaitement dans le cadre du Traité de Maastricht, le traité d'union politique, qui a prévu que le moment venu, la décision serait prise avec une interprétation en tendance de la situation de chacun des pays au regard des critères qui doivent être remplis et je dois dire, ce n'est pas un sentiment personnel, que la décision sera prise. Il n'y a aucune espèce de doute à avoir sur ce plan. Le nouveau gouvernement français a pris des mesures économiques qui montrent une double volonté : une volonté de répondre aux engagements nés de sa campagne électorale sur le plan économique et social et, en même temps, la volonté de tenir les engagements européens, ce qui veut dire en clair d'aller vers les 3 %, ce qui veut dire faire l'euro à la date prévue par le Traité. Donc il n'y a pas, il n'y a plus, de polémique sur ce sujet, de la part d'aucun des opérateurs économiques, monétaires, ou diplomatiques en Europe et le monde entier est en train de s'inscrire dans cette perpective. Et je crois que c'est une très bonne chose qu'il puisse y avoir dans le monde, maintenant à court terme, une autre grande monnaie. Je crois que c'est un facteur de stabilité et de progrès à tous égards.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé de votre rencontre avec le président Ben Ali. Peut-on savoir comment s'est déroulée cette rencontre et quelles sont vos impressions ?
R - Je ne pense pas qu'il soit d'usage de se livrer à des comptes-rendus très détaillés des rencontres avec le président de la République. Je voudrais vous dire que j'ai été d'abord très sensible au fait que le président de la République m'ait reçu et m'ait reçu longuement. D'autre part, j'ai été très sensible au climat confiant et amical dans lequel s'est déroulé cet entretien et nous avons parlé essentiellement des grands sujets sur lesquels la politique française et la politique tunisienne, la diplomatie française et la diplomatie tunisienne ont tout à gagner à travailler à l'intérieur d'une relation étroite : Maghreb, Proche-Orient, Méditerranée, Europe, Afrique.
Q - La France a toujours joué un rôle important en Afrique. Cependant, les milieux diplomatiques constatent un recul ou même un désistement de la part de la France, surtout après les événements au Zaïre, en Afrique centrale et au Congo-Brazzaville. Comment expliquez-vous cela, Monsieur le Ministre ; est-ce qu'il y a une nouvelle politique française en Afrique ?
R - Je ne pense pas qu'on puisse parler de recul mais cela mériterait une analyse un peu plus longue. Par exemple, on ne peut pas présenter le Zaïre initialement comme une zone française. Cela n'a pas été le cas et l'influence française n'a jamais été dominante. Les intérêts français sont mineurs, d'ailleurs, dans cette région. Enfin, je peux vous dire que je ne pars pas forcément du même point de départ que celui que vous indiquez dans votre question. Ce que je peux vous confirmer en revanche, c'est que le président de la République française, comme le gouvernement, estiment que la politique française en Afrique doit être assez largement adaptée à la situation d'aujourd'hui. Tout le monde est en train d'adapter sa politique africaine, d'ailleurs. Ce n'est pas une sorte de contrainte faite pour la France parce qu'elle aurait échoué dans tel ou tel domaine. Tous les pays que je connais qui ont une politique africaine sont en train de la réadapter. Donc ce n'est pas le signe d'un échec. C'est au contraire le signe d'une volonté d'avenir puisque la France entend bien avoir une politique africaine, demain comme aujourd'hui. Alors sur différents plans, la présence française en Afrique, son mode d'action, son mode de coopération devront être adaptés parce que l'Afrique change, parce que l'Afrique aussi est un continent qui s'ouvre au monde et que nous ne sommes plus dans un monde bipolaire. Donc il faut avoir une politique africaine française plus moderne. Par exemple sur le plan militaire, vous avez noté qu'il y a quelques changements qui découlent des décisions prises en France pour moderniser l'armée française. Le président de la République a mis fin au service militaire ; nous allons donc vers une armée plus professionnelle, plus restreinte, plus mobile qui a besoin de moins d'implantations fixes pour exercer sa mission, que ce soit en France ou en Afrique. Donc ne n'est pas lié à un abandon quelconque ni à un recul par rapport à la dimension africaine. D'autre part, nous voulons adapter notre politique de Coopération et d'aide au développement qui est très considérable. Nous sommes le premier pays en Afrique sur ce plan. Nous voulons l'adapter parce que les économies africaines évoluent. Pour être véritablement utile, il faut tenir compte de l'état réel de développement qui n'est pas le même qu'il y a cinq ou dix ans ou quinze ans. Il y a aussi toute une dimension humaine concernant la circulation des personnes, la dimension culturelle. Il y a d'autre part une volonté de la diplomatie française de s'intéresser à l'ensemble des pays africains et pas uniquement les pays africains très étroitement liés à la France avec lesquels, bien sûr, les relations resteront très étroites. Mais l'Afrique est aussi un très vaste continent. Donc voilà, c'est une redéfinition qui est en cours et qui consiste tout simplement - parce que nous menons une diplomatie dynamique et non pas statique - à s'adapter aux réalités africaines d'aujourd'hui.
Q - Vous avez parlé précédemment du processus de paix au Moyen-Orient et de l'intérêt que porte la France à cette question. Les peuples arabes ont beaucoup d'estime pour la position française mais espèrent que la France exerce davantage de pressions sur Netanyahou qui a fait arriver le processus de paix au point où il en est. Est-ce qu'il y a une orientation française ou même européenne en ce sens ?
R - Je crois que j'ai déjà répondu sur l'essentiel. La France pense que l'arrêt du processus de paix est quelque chose de très dangereux, très grave pour la région du Proche-Orient. On commence à en voir les effets. La France pense par conséquent qu'il faut, d'une façon ou d'une autre, reprendre ce processus, revenir aux Accords d'Oslo, revenir aux principes qui l'ont inspiré, qui sont des principes courageux et intelligents. Et donc tous les moyens d'action de la France sont employés dans cette direction, que ce soit quand la France parle aux pays arabes, aux Israéliens, aux Européens ou aux Américains. Voilà ce qui est fait par la France dans toutes les directions. Elle est plus ou moins soutenue, selon les cas. Je suis sensible au fait que vous attendiez beaucoup de la France sur ce plan. Cela montre que vous avez confiance en la politique française, connue sur ce sujet, mais je crois que chaque pays intéressé par les développements au Proche-Orient doit se poser la question et ne pas uniquement attendre d'un autre qu'il fasse, lui, des pressions. C'est une question qui concerne tout de même un grand nombre de pays.
Q - Nous, les Maghrébins, nous nous demandons jusqu'à quand les pays occidentaux vont tergiverser dans l'affaire de Lockerbie parce qu'en l'absence de preuves accablantes et irréfutables contre la Libye, il serait plus juste de la faire bénéficier de la présomption d'innocence et de lever cet embargo injuste et inhumain.
R - Je ne suis pas en mesure de répondre à la question que vous posez parce que c'est une question qui relève d'abord de procédures judiciaires en cours dans lesquelles je ne veux pas m'immiscer ni préjuger de leurs conclusions. Et ensuite, cela relève du Conseil de sécurité. Ce n'est pas un regroupement de pays occidentaux qui a pris des mesures particulières, c'est le Conseil de sécurité des Nations unies. Si l'on regarde les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, il y a les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine. Ce ne sont pas uniquement des pays occidentaux. C'est une question qui relève du Conseil de sécurité à partir des enquêtes menées par les juges que vous connaissez.
M. ZINE EL ABIDINE BEN ALI
(Tunis, 5 août 1997)
J'ai été reçu par le président de la République très longuement et j'ai été très sensible à son attention. Il m'a interrogé sur les orientations de la diplomatie française actuelle dans tous les domaines où nos deux pays ont intérêt à travailler ensemble encore plus que par le passé, si c'est possible. Nous avons évoqué la situation en Méditerranée, la situation au Proche-Orient, la situation en Afrique, les relations entre l'Union européenne et le Maghreb et naturellement nous avons parlé également des questions bilatérales, des relations entre la France et la Tunisie, je dis bien les questions et non pas les problèmes. Il n'y a pas de problèmes particuliers, mais des questions, tel qu'il s'en pose dans toutes les relations bilatérales entre deux pays proches et amis. Et donc, j'ai indiqué au président Ben Ali, j'ai confirmé au président Ben Ali quelles étaient les orientations du président de la République - il les connaît bien - sur toutes ces questions et quels sont les grands axes de travail du gouvernement français.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2001
LORS DE SON ARRIVEE A L'AEROPORT
(Tunis, 4 août 1997)
Je suis très content d'être aujourd'hui à Tunis, accueilli par le ministre des Affaires étrangères que j'ai rencontré il y a trois semaines à peu près. Je souhaitais venir en Tunisie avant les vacances, en tous les cas avant mes vacances. Je souhaitais venir vite, en fait, après ma prise de fonctions qui a été entièrement occupée par toute une série de sommets internationaux. Je souhaitais venir parce que, pour moi, il est très important de parler avec les responsables tunisiens sur toute une série de questions qui nous sont communes et qui concernent la Méditerranée, ce qui se passe au Proche-Orient, ce qui se passe en Afrique, l'évolution de l'Europe, et des relations entre l'Europe et tous les pays du Maghreb et l'ensemble des pays de la Méditerranée.
Il y a beaucoup de sujets sur lesquels je ne conçois pas l'activité de la diplomatie française sans qu'elle soit en relation très étroite et très confiante avec la politique des dirigeants tunisiens. Voilà pourquoi je suis là et, naturellement, j'ajouterai que tout cela se passe dans le cadre de la préparation de la visite du président Ben Ali en France, à l'automne prochain.
Voilà en quelques mots le résumé des raisons de ma venue mais il n'y a pas besoin de raisons particulières pour venir ici, naturellement. Pour tout le reste, nous en parlerons après puisqu'il faut que les conversations aient eu lieu pour que je puisse vous en parler.
CONFERENCE DE PRESSE,
M. HUBERT VEDRINE
(Tunis, 5 août 1997)
Je vous dirais tout simplement pour commencer que lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, au début du mois de juin, de nombreux sommets multilatéraux étaient déjà programmés, sur mon emploi du temps. J'ai souhaité ajouter à ces échéances multilatérales internationales, dès que c'était possible, dès que je le pouvais, des visites dans cette partie du monde, au Maghreb et donc en Tunisie. J'ai souhaité le faire aussitôt que possible, ce qui pour moi, était donc fin juillet-début août. Mais mon emploi du temps rendait ces déplacements quasiment impossibles. Pour moi, c'est une région du monde qui est extrêmement importante et proche de la France, avec laquelle notre pays doit avoir des relations étroites, confiantes, naturellement mais surtout, des relations utiles qui ne doivent pas être tournées vers le passé. Elles doivent être fondées sur la recherche des actions communes que nous pouvons mener aujourd'hui ensemble. C'est donc dans cet esprit que j'ai souhaité venir dès que possible à Tunis.
J'ai été accueilli extrêmement bien par les autorités tunisiennes, par le président de la République qui m'a longuement reçu ce matin, par mon homologue M. Zouari, avec lequel j'ai eu de nombreuses conversations depuis hier. Je dois vous dire que nous avons parlé au cours de ces heures apparemment brèves, mais en réalité bien remplies, très denses, de tous les sujets qui intéressent la France et qui intéressent aussi la Tunisie, des questions bilatérales bien sûr.
Vous noterez que je ne dis pas "les problèmes bilatéraux", parce qu'il n'y a pas à proprement parler de problèmes. Il y a des questions, comme il y en a toujours dans les relations entre deux pays amis et proches sur de nombreux sujets. Donc, nous avons parlé des questions bilatérales, notamment dans la perspective de la venue en France du président Ben Ali. Et nous avons travaillé à tout ce qui peut faire de cette visite un succès, un élément de relance supplémentaire des relations franco-tunisiennes. D'autres membres du gouvernement sans doute viendront et auront des contacts avant la visite du président Ben Ali en France à différents niveaux, notamment l'Economie et les Finances, et sans doute d'autres. Et nous avons beaucoup parlé de questions qui ne sont pas strictement bilatérales, mais à propos desquelles la France et la Tunisie éprouvent le besoin de travailler davantage ensemble, car elles ont tout à y gagner. Je veux dire par là la situation en Méditerranée, toutes les formes de coopération qui se sont développées en Méditerranée, et notamment le processus euro-méditerranéen. Nous avons parlé de l'Union européenne et j'ai eu l'occasion d'indiquer à mes interlocuteurs quels étaient les grands problèmes du moment au sein de l'Union européenne et comment l'Union européenne abordait les perspectives des prochaines années parce que cela a des répercussions très directes sur ce que l'Union européenne fait ou fera avec ses partenaires méditerranéens. Nous avons parlé de la situation dans le Maghreb en général, nous avons parlé de la situation au Proche-Orient, le blocage du processus de paix avec les conséquences que cela entraîne, nous avons parlé de la situation en Afrique. Donc, retenez surtout que je ne suis pas venu régler les problèmes qui n'existent pas, mais qui relèvent des relations bilatérales normales qu'il y a entre tous les pays.Je suis surtout venu pour réfléchir à toutes ces grandes questions et voir ce que la France peut apporter à la Tunisie dans ces questions et ce que la Tunisie peut apporter à la France. Voilà quel a été le contexte et j'ai été accueilli ici à Tunis dans un climat qui m'a touché, qui était extrêmement sympathique, extrêmement amical, et en même temps très concret et très centré sur le désir d'aboutir et d'être le plus fructueux possible. J'ai eu en fin de matinée, après les contacts dont je viens de vous parler, un long échange avec le président de l'Assemblée qui s'est déroulé dans une ambiance également très sympathique. Nous avons beaucoup parlé de toutes les relations qui se nouent, notamment entre les parlementaires de tous les pays riverains de la Méditerranée et avec les pays européens au sens large du terme, car c'est une des dimensions de cette perspective euro-méditerranéenne, une dimension qui n'est pas à négliger, au contraire, puisqu'elle permet de créer un réseau humain, des relations, une compréhension qui est notre objectif mais qui n'est pas toujours acquise dès le point de départ. Donc, nous avons eu beaucoup de contacts, en peu de temps, mais c'est un séjour qui durera -car il n'est pas encore tout à fait terminé - au maximum vingt-quatre heures mais ce sont vingt-quatre heures remplies au mieux, en tout cas de mon point de vue.
Voilà donc un résumé rapide de ce à quoi je me suis employé depuis mon arrivée ici en fin d'après-midi hier. Maintenant, je serais heureux de répondre à vos questions.
Q - Vous avez parlé de la prochaine visite du président Ben Ali en France. Est-ce que vous avez fixé une date pour cette visite ? Ma deuxième question concerne le Proche-Orient. Vous avez dit que vous avez parlé avec les responsables tunisiens de la situation au Proche-Orient. Quelle est la position de la France au vu des problèmes que connaît le processus de paix dans la région ?
R - En ce qui concerne le calendrier à propos de la visite du président de la République en France, à l'automne prochain, il est arrêté en principe mais vous le connaîtrez prochainement. En tout cas, je vous le confirme pour l'automne, mais la date exacte, vous la connaîtrez bientôt.
En ce qui concerne le Proche-Orient, je crois que la position de la France est bien connue puisqu'elle a eu l'occasion de la confirmer encore récemment, à deux occasions, d'une part quand elle a pris l'initiative au moment du Conseil européen d'Amsterdam, de la présentation d'un texte qui rappelle les principes d'Oslo, les principes du processus de paix et les principes à partir desquels il faut travailler si on veut conserver ou retrouver une chance d'aller vers une solution. Ce texte européen a été adopté, à ce moment-là, chacun le sait, à l'initiative de la France. D'autre part, le président Arafat a eu l'occasion de venir à Paris il y a quelques semaines et à cette occasion, le président de la République, comme le Premier ministre et moi-même, avons rappelé la position constante de la France. Nous déplorons profondément le blocage du processus de paix qui dure maintenant depuis un long moment et qui commence à produire visiblement des effets extrêmement graves. Ces effets graves ne peuvent que s'aggraver encore ; c'est pour cela que tous ceux, dans toutes les régions du monde, qui ont à coeur cette question du Proche-Orient et qui pensent que la paix, c'est-à-dire la sécurité pour tous, ne sera trouvée qu'en reprenant le processus qui avait été entamé, doivent aujourd'hui réunir leurs efforts et les faire converger sur cette question.
J'ai trouvé auprès de mes interlocuteurs tunisiens une très bonne connaissance naturellement et une très bonne compréhension de la position de la France et des efforts qu'elle fait constamment, notamment au sein de l'Union européenne. Ses positions reçoivent un soutien de plus en plus large.
Q - Comment évaluez-vous les relations tuniso-françaises et quelle est la position de la France vis-à-vis de certains étrangers qui choisissent de vivre sur le territoire français ou européen, au nom des Droits de l'Homme, alors qu'ils justifient des attentats et des crimes odieux commis dans leur pays ?
R - D'abord, tout ce que j'ai dit en préambule répond un peu à la question sur les relations tuniso-françaises. Ce sont des relations qui sont bonnes, qui sont confiantes et ce sont des relations qui sont naturellement importantes. Deux pays liés par l'Histoire, liés par les affinités, liés par d'innombrables liens personnels qui font qu'ils se connaissent particulièrement bien et d'autre part, une situation actuelle qui fait que ce sont des pays qui ont intérêt à travailler ensemble, d'abord parce que les relations bilatérales sont fécondes et dynamiques et naturellement, il faut toujours renforcer ce mouvement, et ensuite parce que cette question des relations entre l'Union européenne et les pays du Sud de l'Europe, ceux de la rive Sud de la Méditerranée est l'une des grandes questions du moment. Donc, toutes les raisons s'additionnent pour faire de la Tunisie et de la France deux partenaires particulièrement importants l'un pour l'autre. Voilà comment je vois ces relations et à cet égard la visite prochaine du président Ben Ali en France sera naturellement un temps fort. C'est le premier point.
Concernant les étrangers en France, il n'y a pas de réponse spéciale pays par pays. Les étrangers en France le sont dans le cadre des lois de la France et des engagements de la France ou, dans certains cas, de dispositions qui ne sont pas que françaises mais plus larges, par exemple au titre des accords de Schengen. Donc, je n'ai pas à porter d'appréciation sur ceux qui sont en France et qui remplissent les conditions pour y être à tel ou tel titre. Je n'ai pas à porter d'appréciation sur l'interférence entre cela et tel ou tel événement de politique intérieure.
Q - Dans votre préambule, vous avez parlé des rencontres méditerranéennes et comme vous le savez la Tunisie a signé un accord d'association avec l'Union européenne. Dernièrement, il y a eu le Sommet de Malte qui, d'après les échos que nous avons eus, n'est pas arrivé à des résultats au niveau des Accords de Barcelone. Je voudrais savoir où en sont la coopération et l'association entre les deux rives de la Méditerranée.
En ce qui concerne la monnaie européenne unique, il y a encore une polémique dans les pays européens sur la possibilité de parvenir à des critères permettant de réaliser cette monnaie unique, par exemple le critère des 3 %. Est-ce que la France, qui connaît des problèmes de chômage et d'instabilité monétaire vis-à-vis du dollar, sera en mesure de se conformer à ces critères pour accéder à l'union monétaire ?
R - En ce qui concerne votre première question, Madame, je crois qu'il faut distinguer les différents aspects de ces questions méditerranéennes qui sont très larges et qui comportent plusieurs volets ; il faut distinguer deux choses. Vous nous avez parlé de l'accord d'association entre la Tunisie et l'Union européenne, c'est une chose. Cet accord d'association est le résultat d'une orientation stratégique de la Tunisie qui estime que, compte tenu de son propre avenir, de sa modernisation sur tous les plans, cette relation plus étroite encore avec l'Union européenne est un axe autour duquel beaucoup de choses doivent s'ordonner. Là, il n'y a pas de commentaires particuliers à faire, sauf que naturellement, j'ai rencontré des interlocuteurs tunisiens très conscients du fait que c'était un effort très important d'aller dans cette direction pour tirer tout le parti possible de cet accord d'association.
Comment la France intervient-elle ? Parmi les Quinze, elle est, disons, l'un des deux ou trois pays européens les plus conscients de l'intérêt qu'il y a dans des relations étroites avec les pays de la Méditerranée. Donc nous serons, au sein de l'Union européenne, un ami pour la Tunisie, un partenaire, un interlocuteur pour faire en sorte que cet accord d'association soit mis en oeuvre de façon concrète, féconde, utile et que cela se passe bien. C'est notre intérêt en tant que France et notre intérêt en tant qu'élément de l'Union européenne.
Vous m'avez parlé d'un autre sujet qui est plus compliqué, celui du Processus de Barcelone. Ce n'est pas la même chose. Le fait que le Processus de Barcelone ait un petit peu de mal à déboucher sur certaines réalisations n'affecte pas les relations entre la Tunisie et l'Union européenne. Cela ne remet pas en cause le choix, je crois, très judicieux qui a été pris par la Tunisie par rapport à l'Union européenne. Le Processus de Barcelone a l'intérêt de regrouper tous les pays riverains de la Méditerranée, donc c'est très important qu'il y ait une enceinte, une structure, dans laquelle tous les pays sont là, se parlent, essaient de faire les choses ensemble, essaient de développer des relations politiques meilleures, des échanges culturels, économiques, etc. Et en même temps, puisque toute la Méditerranée est regroupée, c'est plus compliqué, puisque l'on retombe inévitablement sur des difficultés que je ne vais pas énumérer puisque chacun les connaît. C'est un processus ambitieux, très important mais qui patine un peu. C'est une vérité ! Nous, Français, nous réfléchissons, avec plusieurs de nos partenaires européens ou du Sud de la Méditerranée, à la façon de redonner un peu plus d'énergie à ce Processus de Barcelone. Voilà pour les deux questions que vous m'avez posées, concernant les relations et les questions euro-méditerranéennes.
En ce qui concerne la monnaie, il n'y a pas de problème français particulier. Aujourd'hui, les pays de l'Union européenne se sont engagés dans un processus considérable, qui aura des conséquences géopolitiques et géoéconomiques de tout premier plan : c'est la création d'une monnaie unique. Ils sont engagés dans ce processus parce qu'ils sont arrivés à la conclusion, il y a quelques années, que c'était leur intérêt, et que s'ils voulaient avoir des relations économiques et monétaires mondiales, les Européens devaient se regrouper pour fabriquer une grande monnaie. Pour que cette grande monnaie soit crédible, il faut annoncer des critères rigoureux pour la future gestion de cette grande monnaie. C'est pour cela qu'à l'époque du Traité de Maastricht, l'accord s'est fait entre les uns et les autres sur cinq critères. Aujourd'hui, puisque vous me poser la question sur la France, la France remplit parfaitement quatre critères sur cinq. Elle ne remplit pas parfaitement encore le critère concernant le déficit puisque l'objectif à atteindre était de 3 % et que la France était encore il y a quatre ans à 5,6 % je crois. Elle est descendue à 4,8 puis 4,2 et nous étions, quand le nouveau gouvernement est arrivé, à 3,7. Donc, du côté de la France, vous voyez que la tendance va exactement dans la bonne direction. Du côté allemand, les Allemands remplissent quatre critères sur cinq aussi. Ils remplissent mieux que nous le critère du déficit public mais pas celui de la dette. Donc c'est une situation variable. Il ne faut pas s'égarer dans les chiffres ni dans les détails. Ce que je peux vous dire, c'est que tout cela s'inscrit parfaitement dans le cadre du Traité de Maastricht, le traité d'union politique, qui a prévu que le moment venu, la décision serait prise avec une interprétation en tendance de la situation de chacun des pays au regard des critères qui doivent être remplis et je dois dire, ce n'est pas un sentiment personnel, que la décision sera prise. Il n'y a aucune espèce de doute à avoir sur ce plan. Le nouveau gouvernement français a pris des mesures économiques qui montrent une double volonté : une volonté de répondre aux engagements nés de sa campagne électorale sur le plan économique et social et, en même temps, la volonté de tenir les engagements européens, ce qui veut dire en clair d'aller vers les 3 %, ce qui veut dire faire l'euro à la date prévue par le Traité. Donc il n'y a pas, il n'y a plus, de polémique sur ce sujet, de la part d'aucun des opérateurs économiques, monétaires, ou diplomatiques en Europe et le monde entier est en train de s'inscrire dans cette perpective. Et je crois que c'est une très bonne chose qu'il puisse y avoir dans le monde, maintenant à court terme, une autre grande monnaie. Je crois que c'est un facteur de stabilité et de progrès à tous égards.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez parlé de votre rencontre avec le président Ben Ali. Peut-on savoir comment s'est déroulée cette rencontre et quelles sont vos impressions ?
R - Je ne pense pas qu'il soit d'usage de se livrer à des comptes-rendus très détaillés des rencontres avec le président de la République. Je voudrais vous dire que j'ai été d'abord très sensible au fait que le président de la République m'ait reçu et m'ait reçu longuement. D'autre part, j'ai été très sensible au climat confiant et amical dans lequel s'est déroulé cet entretien et nous avons parlé essentiellement des grands sujets sur lesquels la politique française et la politique tunisienne, la diplomatie française et la diplomatie tunisienne ont tout à gagner à travailler à l'intérieur d'une relation étroite : Maghreb, Proche-Orient, Méditerranée, Europe, Afrique.
Q - La France a toujours joué un rôle important en Afrique. Cependant, les milieux diplomatiques constatent un recul ou même un désistement de la part de la France, surtout après les événements au Zaïre, en Afrique centrale et au Congo-Brazzaville. Comment expliquez-vous cela, Monsieur le Ministre ; est-ce qu'il y a une nouvelle politique française en Afrique ?
R - Je ne pense pas qu'on puisse parler de recul mais cela mériterait une analyse un peu plus longue. Par exemple, on ne peut pas présenter le Zaïre initialement comme une zone française. Cela n'a pas été le cas et l'influence française n'a jamais été dominante. Les intérêts français sont mineurs, d'ailleurs, dans cette région. Enfin, je peux vous dire que je ne pars pas forcément du même point de départ que celui que vous indiquez dans votre question. Ce que je peux vous confirmer en revanche, c'est que le président de la République française, comme le gouvernement, estiment que la politique française en Afrique doit être assez largement adaptée à la situation d'aujourd'hui. Tout le monde est en train d'adapter sa politique africaine, d'ailleurs. Ce n'est pas une sorte de contrainte faite pour la France parce qu'elle aurait échoué dans tel ou tel domaine. Tous les pays que je connais qui ont une politique africaine sont en train de la réadapter. Donc ce n'est pas le signe d'un échec. C'est au contraire le signe d'une volonté d'avenir puisque la France entend bien avoir une politique africaine, demain comme aujourd'hui. Alors sur différents plans, la présence française en Afrique, son mode d'action, son mode de coopération devront être adaptés parce que l'Afrique change, parce que l'Afrique aussi est un continent qui s'ouvre au monde et que nous ne sommes plus dans un monde bipolaire. Donc il faut avoir une politique africaine française plus moderne. Par exemple sur le plan militaire, vous avez noté qu'il y a quelques changements qui découlent des décisions prises en France pour moderniser l'armée française. Le président de la République a mis fin au service militaire ; nous allons donc vers une armée plus professionnelle, plus restreinte, plus mobile qui a besoin de moins d'implantations fixes pour exercer sa mission, que ce soit en France ou en Afrique. Donc ne n'est pas lié à un abandon quelconque ni à un recul par rapport à la dimension africaine. D'autre part, nous voulons adapter notre politique de Coopération et d'aide au développement qui est très considérable. Nous sommes le premier pays en Afrique sur ce plan. Nous voulons l'adapter parce que les économies africaines évoluent. Pour être véritablement utile, il faut tenir compte de l'état réel de développement qui n'est pas le même qu'il y a cinq ou dix ans ou quinze ans. Il y a aussi toute une dimension humaine concernant la circulation des personnes, la dimension culturelle. Il y a d'autre part une volonté de la diplomatie française de s'intéresser à l'ensemble des pays africains et pas uniquement les pays africains très étroitement liés à la France avec lesquels, bien sûr, les relations resteront très étroites. Mais l'Afrique est aussi un très vaste continent. Donc voilà, c'est une redéfinition qui est en cours et qui consiste tout simplement - parce que nous menons une diplomatie dynamique et non pas statique - à s'adapter aux réalités africaines d'aujourd'hui.
Q - Vous avez parlé précédemment du processus de paix au Moyen-Orient et de l'intérêt que porte la France à cette question. Les peuples arabes ont beaucoup d'estime pour la position française mais espèrent que la France exerce davantage de pressions sur Netanyahou qui a fait arriver le processus de paix au point où il en est. Est-ce qu'il y a une orientation française ou même européenne en ce sens ?
R - Je crois que j'ai déjà répondu sur l'essentiel. La France pense que l'arrêt du processus de paix est quelque chose de très dangereux, très grave pour la région du Proche-Orient. On commence à en voir les effets. La France pense par conséquent qu'il faut, d'une façon ou d'une autre, reprendre ce processus, revenir aux Accords d'Oslo, revenir aux principes qui l'ont inspiré, qui sont des principes courageux et intelligents. Et donc tous les moyens d'action de la France sont employés dans cette direction, que ce soit quand la France parle aux pays arabes, aux Israéliens, aux Européens ou aux Américains. Voilà ce qui est fait par la France dans toutes les directions. Elle est plus ou moins soutenue, selon les cas. Je suis sensible au fait que vous attendiez beaucoup de la France sur ce plan. Cela montre que vous avez confiance en la politique française, connue sur ce sujet, mais je crois que chaque pays intéressé par les développements au Proche-Orient doit se poser la question et ne pas uniquement attendre d'un autre qu'il fasse, lui, des pressions. C'est une question qui concerne tout de même un grand nombre de pays.
Q - Nous, les Maghrébins, nous nous demandons jusqu'à quand les pays occidentaux vont tergiverser dans l'affaire de Lockerbie parce qu'en l'absence de preuves accablantes et irréfutables contre la Libye, il serait plus juste de la faire bénéficier de la présomption d'innocence et de lever cet embargo injuste et inhumain.
R - Je ne suis pas en mesure de répondre à la question que vous posez parce que c'est une question qui relève d'abord de procédures judiciaires en cours dans lesquelles je ne veux pas m'immiscer ni préjuger de leurs conclusions. Et ensuite, cela relève du Conseil de sécurité. Ce n'est pas un regroupement de pays occidentaux qui a pris des mesures particulières, c'est le Conseil de sécurité des Nations unies. Si l'on regarde les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, il y a les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et la Chine. Ce ne sont pas uniquement des pays occidentaux. C'est une question qui relève du Conseil de sécurité à partir des enquêtes menées par les juges que vous connaissez.
M. ZINE EL ABIDINE BEN ALI
(Tunis, 5 août 1997)
J'ai été reçu par le président de la République très longuement et j'ai été très sensible à son attention. Il m'a interrogé sur les orientations de la diplomatie française actuelle dans tous les domaines où nos deux pays ont intérêt à travailler ensemble encore plus que par le passé, si c'est possible. Nous avons évoqué la situation en Méditerranée, la situation au Proche-Orient, la situation en Afrique, les relations entre l'Union européenne et le Maghreb et naturellement nous avons parlé également des questions bilatérales, des relations entre la France et la Tunisie, je dis bien les questions et non pas les problèmes. Il n'y a pas de problèmes particuliers, mais des questions, tel qu'il s'en pose dans toutes les relations bilatérales entre deux pays proches et amis. Et donc, j'ai indiqué au président Ben Ali, j'ai confirmé au président Ben Ali quelles étaient les orientations du président de la République - il les connaît bien - sur toutes ces questions et quels sont les grands axes de travail du gouvernement français.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2001