Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le rôle et la contribution des Français de l'étranger au rayonnement de la France dans le contexte de la mondialisation, Paris le 27 septembre 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Mesdames, Messieurs les Conseillers,
En ma qualité de ministre des Affaires étrangères et européennes, il me revient l'honneur de présider l'Assemblée des Français de l'étranger, j'en suis heureux et honoré. C'est un exercice d'ailleurs qu'il m'est arrivé de pratiquer il y a quelques années. Sachez que cette responsabilité me tient tout particulièrement à cœur et que je m'efforcerai donc de contribuer au mieux à cette quinzième session plénière.
J'avais prévu de m'exprimer devant vous lors de votre session de printemps, mais l'actualité internationale, notamment en Libye, m'en a empêché.
Depuis, la situation a évolué.
La semaine dernière, que j'ai passée à New York en grande partie avec le président de la République lors de la 66e Assemblée générale des Nations unies, la France a poursuivi ses efforts pour mobiliser ses partenaires face aux bouleversements considérables en cours dans le monde arabe.
En Libye, nous pouvons légitimement être fiers d'avoir évité, grâce à notre détermination, à celle de nos amis britanniques, à la coalition que nous avons montée ensemble, un massacre annoncé à Benghazi. La période de reconstruction est maintenant ouverte. Nous y participerons activement.
En Syrie, en revanche, le régime continue à refuser toute ouverture et ne recule devant aucune atrocité, allant jusqu'à torturer des enfants. Face à cette situation intolérable, le silence du Conseil de sécurité est de notre point de vue un scandale, je l'ai dit à plusieurs reprises. Ce sont des crimes contre l'Humanité qui sont commis dans ce pays. Nous ne relâchons pas nos efforts pour obtenir une résolution condamnant la répression et organisant un régime de sanctions. C'est un combat difficile, mais nous ne baissons pas les bras et des progrès sont en cours en ce moment même au Conseil de sécurité.
A New York, le processus de paix au Proche-Orient était bien sûr au centre des débats, avec la décision palestinienne de présenter une demande d'adhésion pleine et entière de la Palestine à l'Organisation des Nations unies. Dans son discours devant l'Assemblée générale, le président de la République a fait bouger les lignes en proposant une démarche globale fondée sur l'urgence d'une reprise des négociations puisqu'il n'y aura pas de paix sans négociation et qu'il n'y aura pas de sécurité sans la paix. La France ne ménagera pas ses efforts en ce sens. Le risque d'une escalade de la violence est réel. La situation reste préoccupante, les Israéliens comme les Palestiniens privilégiant pour le moment des positions inconciliables et nous pensons qu'au cours de cette session de l'Assemblée générale, la proposition française pourrait revenir sur la table.
La 66è Assemblée générale des Nations unies nous a également donné l'occasion de promouvoir notre vision d'un monde plus juste et plus solidaire. Aujourd'hui, alors que tous les grands équilibres se modifient et que de nouvelles puissances émergent, nous devons permettre à chacune d'entre elles de trouver toute sa place dans le concert des Nations. Nous devons également mettre nos efforts en commun pour relever ensemble les grands défis globaux auxquels la planète est confrontée. La réforme de la gouvernance mondiale a donc également été au cœur de nos discussions à New York, qu'il s'agisse de la réforme du Conseil de sécurité ou de la création, à laquelle nous tenons beaucoup et qui sera à l'ordre du jour de la Conférence Rio+20 l'année prochaine, d'une organisation mondiale de l'environnement.
Dans ce monde en mouvement incessant, imprévisible, plein de risques mais aussi d'espérance, avec l'ensemble de nos compatriotes établis à l'étranger, vous avez un rôle essentiel à jouer.
La capacité d'un État à s'ouvrir au monde a toujours été un ressort fondamental de son rayonnement. Nous le savons, ce sont les liens tissés avec l'Orient qui ont fait la splendeur de Rome, de Venise ou des villes hanséatiques.
Aujourd'hui, cette ouverture n'est plus une option stratégique. C'est une nécessité, dans un monde qui se nourrit d'échanges et de flux - flux de marchandises, de capitaux, d'informations ou de personnes. Ce principe de libre circulation est d'ailleurs à la base du projet européen.
Les Français, qui sont de plus en plus nombreux à s'établir hors de France, sont au diapason de cette mondialisation quoiqu'on en dise. Au cours des 10 dernières années, le nombre des inscrits au registre consulaire a augmenté de 50 %. Cette croissance est particulièrement forte dans certaines régions, comme l'Asie ou l'Amérique du Sud. C'est une bonne nouvelle, d'autant plus que l'attractivité de la France reste forte, qu'il s'agisse d'accueillir des investissements, des expatriés ou des touristes étrangers.
Dans tous les domaines, économique, commercial, culturel, linguistique, l'expatriation est un facteur irremplaçable de la réussite de la France. Si notre expertise, nos compétences et nos savoir-faire sont reconnus sur la scène internationale, si la langue française est parlée sur les cinq continents, si nos valeurs sont partagées, c'est largement grâce à vous et grâce à la présence de nos communautés françaises dans le monde.
L'expatriation est également un atout majeur pour permettre à notre pays de se moderniser. Connaître de nouvelles cultures, découvrir d'autres systèmes, comparer les expériences, échanger les bonnes pratiques, nous avons tout à y gagner : c'est le meilleur moyen non seulement de cesser de nous dévaloriser alors que nous avons des atouts considérables, mais aussi d'identifier des insuffisances réelles qu'il nous appartient de corriger. Regardons le monde tel qu'il est et non tel que nous le rêvons ou nous le craignons : nous y avons toute notre place. Depuis quelques mois, cette conviction chez moi n'a fait que se renforcer.
L'État est aux côtés des Français de l'étranger pour les accompagner dans cette aventure, exaltante, mais parfois contraignante, qu'est l'expatriation. En 2012, nous aurons trois défis à relever.
Le premier, c'est de poursuivre la modernisation de notre réseau consulaire.
Avec 233 postes, dont 92 consulats généraux, et 496 antennes consulaires tenues par des consuls honoraires, ce réseau est le deuxième du monde en termes de couverture géographique et le premier quant à la variété des services offerts. Il évolue sous l'effet de deux contraintes : celle de notre budget, d'une part, qui nous impose de rationaliser nos dépenses, celle des transformations du monde, de l'autre : les centres d'influence se déplacent, les Français de l'étranger aussi. Il nous faut accompagner ces changements et ne pas rester figés dans des dispositifs obsolètes.
C'est la raison pour laquelle nous fermons certains postes, qui ne revêtent plus un caractère prioritaire, nous en ouvrons d'autres, en Chine et en Inde, et nous mutualisons, lorsque nous le pouvons, nos postes avec nos partenaires allemands. Ces mutations ne sont pas subies. Elles sont le fruit d'une vision stratégique.
En parallèle, nous mettons tout en œuvre pour rendre notre réseau consulaire toujours plus efficace.
D'abord, en faisant en sorte que ses moyens et ses effectifs soient épargnés par les coupes budgétaires et les réductions de personnel, dans un contexte de maîtrise des défenses publiques. En 2011, son budget a progressé de 5 %. Je me suis battu pour qu'il reste au même niveau en 2012 et ce sera bien le cas.
Ensuite, en améliorant la qualité du service rendu. Véritables guichets uniques, les consulats, qui sont à la fois une mairie, un service académique et un bureau d'aide sociale, offrent à nos compatriotes une palette de services sans équivalent dans le monde. Si, aujourd'hui, les modalités des remises des passeports biométriques sont plus simples à l'étranger qu'en France, c'est grâce à l'action de la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire. Dans les années qui viennent, nous poursuivrons nos efforts pour faciliter les démarches administratives des Français établis hors de nos frontières.
Notre deuxième défi, c'est d'aider toujours mieux les Français de l'étranger dans leur vie quotidienne.
Les préoccupations que votre Assemblée me relaie s'articulent autour de trois priorités : l'éducation, la sécurité et l'aide sociale. Permettez-moi d'en dire quelques mots aujourd'hui.
En matière d'éducation, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger dispose d'un budget de 420 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 120 millions d'euros consacrés aux aides à la scolarité (bourses et prises en charge). 31.000 élèves en bénéficient aujourd'hui. La prise en charge des frais de scolarité, instituée à la demande du président de la République à partir de 2007, est une réalité. Elle couvre aujourd'hui toutes les classes du second cycle de l'enseignement secondaire. À l'échelle du quinquennat, l'aide à la scolarité dans son ensemble sera passée de 50 millions d'euros à plus de 120 millions d'euros. C'est vrai, il existe des disparités dans le taux de prise en charge des frais de scolarité, dues à des facteurs locaux. Je sais l'impatience de vos mandants pour que les tarifs de prise en charge dans les établissements scolaires soient actualisés. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la contrainte budgétaire est incontournable pour tous les gouvernements. Nous avons engagé une réflexion destinée à corriger les plus importantes d'entre elles. J'espère que nous pourrons continuer à progresser dans le sens d'une meilleure justice.
En matière de sécurité, vous savez pouvoir compter sur des services d'un professionnalisme sans faille et sur un soutien sans équivalent dans le monde. Cette année encore, le Centre de crise du Quai d'Orsay a eu de multiples occasions de démontrer son efficacité et sa réactivité. Je pense naturellement au tremblement de terre et au tsunami au Japon, aux troubles politiques en Côte d'Ivoire et dans le monde arabe et à l'épidémie en Haïti. Cette année encore, l'investissement personnel, le discernement et le sang-froid de ses agents ont sauvé de nombreuses vies humaines. Outre le Centre de crise, nos postes et la direction des Français de l'étranger sont également mobilisés pour garantir la sécurité de nos compatriotes, qu'il s'agisse d'assurer leur protection consulaire, leur intégrité physique ou la défense de leurs droits dans le cadre de procédures judiciaires. Je sais l'importance que vous accordez à cette question. C'est pourquoi je suis favorable à la prolongation de la Commission temporaire de la sécurité de votre assemblée telle que vous me l'avez proposée.
En matière sociale, nous nous attachons à maintenir un niveau de protection élevé de nos compatriotes. Loin de l'image d'Épinal d'une population uniformément favorisée, la situation des expatriés est en effet très hétérogène. Là encore, nous avons donc déployé d'importants efforts pour que le niveau des crédits consacrés à cette mission soit maintenu en 2012.
Troisième défi : réussir l'élection des 11 députés de l'étranger, qui traduira dans les faits l'engagement du président de la République et la révision constitutionnelle de l'été 2008.
Avec cette élection, la représentation politique des Français de l'étranger sera désormais alignée sur celle des Français résidant en France. C'est une vraie avancée démocratique et je vous demande de la faire vivre en invitant l'ensemble de nos concitoyens à participer aux futurs scrutins.
L'organisation de ces scrutins n'est d'ailleurs pas partout aisée. Pour être passé à Montréal il y a quelques jours, j'ai pris conscience qu'il y avait quelques blocages de la part de certains pays mais nous allons essayer de les lever bien sûr en toute cordialité.
Les 11 députés de l'étranger conjugueront leurs efforts à ceux des sénateurs de l'étranger, qui effectuent un travail remarquable et dont le renouvellement partiel vient d'avoir lieu. Je voudrais féliciter Mme Hélène Conway-Mouret et M. Jean-Yves Leconte pour leur élection, ainsi que M. Louis Duvernois, Mme Christiane Kammermann, M. Jean-Pierre Cantegrit et Mme Joëlle Garriaud-Maylam pour leur réélection. Tous mes vœux les accompagnent dans leur mandat. Je souhaite aussi saluer et remercier Mme Monique Cerisier Ben Guiga et M. Michel Guerry, sénateurs sortants, pour leur action déterminée et leur engagement au service de nos compatriotes à l'étranger.
Cette évolution du paysage institutionnel nous conduit bien sûr à nous interroger sur le devenir de l'Assemblée des Français de l'étranger.
Comme le conseil qui l'a précédée, cette assemblée a été conçue pour incarner la voix de la France de l'étranger. L'élection de députés de l'étranger n'ôte rien à la pertinence de cette mission. Qu'est-ce que porter la voix des Français de l'étranger ? C'est naturellement relayer les préoccupations de chacun de nos compatriotes afin que l'État les accompagne au mieux dans leur expatriation. C'est aussi, et je dirais même ce sera surtout désormais, être force de proposition pour nourrir l'action politique française des expériences étrangères. Pour réformer intelligemment notre société et l'adapter au monde tel qu'il va, c'est un avantage décisif que de connaître les raisons des succès et des échecs d'autres États face à des problèmes qui souvent nous sont communs. Voilà, me semble-t-il, ce que l'on est en droit d'attendre de l'Assemblée des Français de l'étranger. Vous en êtes conscients, je le sais, et les travaux de vos commissions vont déjà dans ce sens. Peut-être faudra-t-il, pour favoriser cette mission, songer à des adaptations du statut de votre Assemblée. Vos travaux nous aideront à le savoir et j'y serai attentif.
Mesdames, Messieurs,
Avant de conclure, permettez-moi de saluer la mémoire de l'un des vôtres, Bernard Zipfel, qui nous a quittés au printemps et dont nous connaissons tous l'action en faveur des Français de la circonscription de Yaoundé.
Vous pouvez compter sur la France pour continuer de vous soutenir comme elle l'a toujours fait. Je sais pouvoir compter sur vous, en retour, pour l'éclairer sur les voies qu'elle empruntera à l'avenir.

Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2011