Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à France Inter le 26 septembre 2011, sur l'élection d'une majorité de gauche au Sénat, le climat politique dans la perspective de l'élection présidentielle et la polémique au sujet du coût d'une éventuelle sortie du nucléaire en France.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN Bonjour Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Bonjour.
 
PATRICK COHEN La perte du Sénat, c’est le premier acte de la bataille de 2012 ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je ne le verrai pas comme ça. Je crois que c’est plutôt le dernier acte d’une suite d’élections locales qui ont été très défavorables à la droite.
 
PATRICK COHEN C’est François FILLON qui le voit comme ça ! Dans son communiqué hier soir il dit « ce soir la bataille commence », donc on comprend que c’est la bataille de 2012 qui est engagée, avec le Sénat.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On va un jour être en élection présidentielle. Logiquement, pour moi, ce qui s’est passé hier, la progression forte de la gauche au Sénat, c’est la suite logique d’élections perdues par la droite, gagnées par la gauche, depuis 2004, qui ont amené d’ailleurs, en 2004, la gauche à gagner déjà 14 sièges et en 2008, 21 je crois.
 
PATRICK COHEN Si c’était arithmétique, pourquoi avoir répété pendant des mois que la majorité garderait la majorité au Sénat précisément ? Gérard LARCHER, encore il y a 10 jours dans LE FIGARO : « la majorité sénatoriale va gagner les élections. Je suis sûr de moi. N’ayons pas une lecture trop partisane et trop parisienne de ce scrutin. Un délégué sénatorial sur deux n’a pas d’étiquette politique. » Ce sont ces grands électeurs, sans étiquette, qui faisaient votre majorité et qui se sont détournés de vous, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce n’est pas 100% arithmétique. Il y a une part arithmétique parce que les grands électeurs, malgré tout, ils sont engagés politiquement, donc on sait à peu près où ils sont, et quand on perd des séries d’élections locales il y a forcément, à un moment, des conséquences au Sénat. Là où ce n’est pas 100% arithmétique, c’est que c’est vrai que des divisions dans la droite ont beaucoup pesé. Moi je suis élue dans l’Essonne, dans l’Essonne il y avait 4 listes à droite, les voix se sont réparties entre les 4 listes de droite, on a perdu 1 siège comme ça.
 
PATRICK COHEN Et Serge DASSAULT, dans votre département…
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Serge DASSAULT a été élu.
 
PATRICK COHEN A été élu, mais il a été devancé par une liste dissidente, la liste du Parti Radical.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, moi je n’aurais même pas dit qu’elle était dissidente, c’était une liste…
 
PATRICK COHEN C’était une liste en plus.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, enfin il y a eu des listes dissidentes UMP, et il y en a eu deux autres, c’était autre chose. Mais ce n’est pas… je veux dire, la question ce n’est pas qui avait raison, qui avait tort parmi les 4, le problème c’était qu’il y en ait 4, c’est ridicule. De toute façon…
 
PATRICK COHEN A qui la faute ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Dans un scrutin avec – ça va être un peu technique – mais c’est une répartition au plus fort reste. En gros, il faut avoir le maximum de voix sur une liste pour passer un maximum d’élus, si vous répartissez beaucoup les voix vous pouvez en perdre et vous pouvez même en perdre beaucoup. Et bien, avoir 4 listes, c’est une folie.
 
PATRICK COHEN A qui la faute ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je pense qu’on n’est pas assez discipliné, à droite. Ça peut paraître bizarre…
 
PATRICK COHEN Mais il y a une responsabilité du sein du parti, de l’UMP ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Attendez, ça peut paraître bizarre, c’est qu’on a dans l’idée, à travers l’histoire, que la droite c’est le parti de l’ordre. Je crois que c’est une grande erreur. On est très, très indiscipliné, et on l’est trop, me semble-t-il, en matière électorale, sur une élection comme ça. Maintenant, moi je n’aime pas, de toute façon, ce type de scrutin-là. Les scrutins de listes, les scrutins à plusieurs étages, là le scrutin au plus fort reste, ça donne des choses très, très compliquées, et je trouve qu’un bon scrutin, uninominal, direct, où on sait pour qui on vote et on sait par qui on est élu, il n’y a que ça de vrai. Mais c’est mon côté gaulliste.
 
PATRICK COHEN La perte de départements ruraux, le grand chelem de la gauche dans le Morbihan, Jacques BLANC battu en Lozère, tout ces grands électeurs de départements ruraux qui, encore une fois étaient à droite, dans la majorité, jusque là.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je fais… pour Jacques BLANC, qui est un sénateur avec lequel j’ai beaucoup travail, et avec lequel on a notamment obtenu l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO des paysages de Causses Cévennes, et je trouve que c’est vraiment triste, moi je suis triste pour lui, parce que l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO de Causses Cévennes ça lui doit beaucoup.
 
PATRICK COHEN Le climat actuel, le poids des affaires, comme on dit, a-t-il joué dans ce résultat, a-t-il pesé, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, à votre avis ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Qui parmi nos auditeurs, là, a voté pour les élections sénatoriales ? Probablement très peu d’entre eux. Ce n’est pas une élection dans laquelle il y a des grands mouvements d’opinion, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Alors, vous pouvez toujours moquer l’argument arithmétique, mais enfin il a quand même une grosse, grosse réalité.
 
PATRICK COHEN Le perdant dit toujours que ce n’est pas significatif, ce qui est de bonne guerre, simplement on peut s’interroger sur la suite maintenant, et sur les mois à venir. Nicolas SARKOZY avait promis une année utile, avec le vote de réformes jusqu’au bout de son quinquennat, est-ce qu’on peut dire ce matin que les réformes c’est fini ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non. Je crois que ce vote au Sénat ne paralyse pas, ne doit pas paralyser l’action gouvernementale. Ça s’est déjà vu à travers l’histoire. Vous vous souvenez JOSPIN 97/ 2002, le gouvernement est à gauche, le Sénat est à droite, et c’est une majorité qui met en oeuvre un certain nombre de réformes, pour certaines d’entre elles, genre les 35 heures, je les déplore, mais enfin elle met en oeuvre un certain nombre de réformes. Ça ne crée pas de blocage que le Sénat ne soit pas de la même couleur que la majorité, ça allonge les délais…
 
PATRICK COHEN Ça retarde.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il y a plus de, ce qu’on appelle des navettes, donc des textes qui doivent faire l’aller-retour entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
 
PATRICK COHEN Et il ne reste plus que 6 mois.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ça complique l’organisation de l’ordre du jour, mais ça ne crée pas un blocage institutionnel.
 
PATRICK COHEN Question posée par un certain nombre d’éditorialistes ce matin : Nicolas SARKOZY peut-il être encore candidat à la présidentielle ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi je retourne la question. Pourquoi Nicolas SARKOZY pourrait-il ne pas être candidat ? Enfin moi je souhaite que Nicolas SARKOZY soit candidat. Quel rapport cela peut-il avoir avec la progression de la gauche au Sénat ?
 
PATRICK COHEN Demandez-le à vos amis, assez nombreux, qui ont dit encore, même ces derniers jours, si le Sénat est perdu à droite, la question se posera de la légitimité et des chances de Nicolas SARKOZY…
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Pour moi, la seule question qui se pose pour l’élection présidentielle c’est : qui est utile ? De qui la France a besoin en ce moment ? Je prétends que dans une crise mondiale comme jamais, une crise économique, une crise financière, mais pas seulement, parce que derrière on pressent aussi une crise du sens, je prétends qu’il faut une personnalité, du tempérament, et de la vision de Nicolas SARKOZY. C’est mon point de vue, on n’est pas obligé de le partager.
 
PATRICK COHEN Et une République irréprochable ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Aussi.
 
PATRICK COHEN La formule est renvoyée en ce moment comme un boomerang au président de la République. Est-ce que vous diriez comme Nadine MORANO, il y a quelques jours, que la République irréprochable est en train de parfaitement fonctionner, puisque, disait-elle, les juges travaillent et que des mises en examen sont prononcées.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il y a une chose qui est sûr, c’est qu’on reproche, on lit ici ou là, dans les éditoriaux, qu’il y aurait des pressions sur la justice, que… Moi ce que j’observe c’est qu’il y a…
 
PATRICK COHEN Des fuites.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Une procédure d’information qui a l’air de vouloir impliquer Brice HORTEFEUX ancien ministre de l’Intérieur, deux personnalités qui sont décrites comme proches du chef de l’Etat qui sont en examen, est-ce qu’on peut parler de pressions sur la justice ? L’argument se retourne fortement. La réalité c’est qu’on a tendance, de plus en plus, à vouloir ériger les politiques en procureurs, c’est là que la séparation des pouvoirs pèche. Les politiques n’ont pas à faire les procureurs, la justice est là pour ça.
 
PATRICK COHEN On parle d’affaires qui sont liées à une campagne, la campagne présidentielle de 95, à ce moment-là, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, vous étiez étudiante, je pense…
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui.
 
PATRICK COHEN Est-ce que vous ne vous dites pas, vivement que notre génération arrive au pouvoir et balaye tous ces fantômes du passé, qui ne nous concernent pas ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce que je dis c’est qu’on parle d’affaires qui datent d’il y a… ça fait 16 ans ou 17 ans…
 
PATRICK COHEN 15 ans.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Et qui ressortent, boom, comme ça, à 7 mois de l’élection présidentielle, je garde un doute sur les motifs.
 
PATRICK COHEN Une question avant la pause, à la ministre de l’Ecologie. Avez-vous chiffré le coût d’une sortie du nucléaire en France, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, puisque des chiffres ont émergé la semaine dernière, il y a quelques jours, et une polémique a suivi, on va y revenir en détail, mais est-ce que vous, vous avez commencé un chiffrage ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On est en train de le chiffrer. Les chiffres qui sont sortis, à mon avis, n’ont pas de réalité. Qu’est-ce qui s’est passé : il y a une banque allemande qui a dit en Allemagne la sortie du nucléaire c’est 250 milliards d’euros, c’est à peu près, en proportion du système électrique…
 
PATRICK COHEN D’ici 2020.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Trois fois moins que la France, donc on multiplie par 3 et on dit que ce sera 750. Et puis à ce moment-là il y a l’administrateur général du Commissariat à l’Energie Atomique qui dit…
 
PATRICK COHEN Bernard BIGOT.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET En fait ce serait probablement plus que ça, pour des raisons structurelles au système français.
 
PATRICK COHEN L’impact risque d’être plus lourd que la simple implication d’une règle de 3, disait Bernard BIGOT.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Le gouvernement a mis en place un travail pour essayer d’avoir des chiffres plus sérieux que ça. Pourquoi est-ce que ces chiffres ne sont pas sérieux ? Parce qu’il y a à la fois la question de savoir combien coûte le nucléaire, et par quoi vous le remplacer. Par quoi vous le remplacez en termes d’équipements, de production énergétique, combien ça coûte aussi pour le réseau électrique, parce que ce n’est pas le même réseau électrique suivant que vous avez une très grosse part d’énergie renouvelable, décentralisée, ou vous avez des énergies très centralisées comme le nucléaire. Donc on a besoin d’un travail de fond, qui va être fait. J’ajoute que pour la première fois…
 
PATRICK COHEN Il était temps.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui.
 
PATRICK COHEN Il était temps. Les écologistes disent « comment se fait-il qu’on n’ait jamais fait d’études sérieuses là-dessus ? »
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ecoutez, pour la première fois, et en réponse à la demande, en l’occurrence, des associations environnementales que le président de la République recevait dans le cadre du Grenelle de l’environnement, il y a un travail, qui est lancé, de manière complètement transparente, un audit, sur les coûts, mais tous les coûts du nucléaire, stockage des déchets, démantèlement des centrales etc, et c’est un travail qui est fait par des financiers, par la Cour des comptes. C’est important - pourquoi je dis ça ? Parce qu’on a toujours reproché au nucléaire d’être l’otage, en quelque sorte, des ingénieurs – qu’il y ait un travail de financier, pour dire combien ça coûte vraiment. C’est cette majorité qui le fait, ce sera rendu public en décembre ou en janvier, je crois que ça a son importance, ce sera mis au dossier. On saura à ce moment-là combien coûte le nucléaire et combien ça coûte de faire autre chose que du nucléaire. Maintenant, si vous me demandez aujourd’hui combien coûte le kilowattheure photovoltaïque ou combien coûte le kilowattheure éolien, je peux vous répondre, mais ça ne dit pas combien ça coûte de sortir du nucléaire, le sujet est plus compliqué que ça.
 
PATRICK COHEN Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET invitée de FRANCE INTER.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 26 septembre 2011