Texte intégral
Paris, 10 juillet 1997)
Je suis heureux que cette conférence de presse intervienne assez vite, guère plus d'un mois après ma prise de fonction, alors que je m'inscris dans la durée, comme le Premier ministre nous y invite. Ceci va éviter sans doute que l'image de "Josselin l'Africain" ne vienne en quelque sorte faire oublier ce qui sous-tendait la nouvelle organisation gouvernementale. Je m'occupe de Coopération pas seulement en Afrique, mais dans tous les pays en développement. C'est par là que je voudrais commencer, avant de parler de l'Afrique, car si je n'en parlais pas, je pense que certains d'entre vous souhaiteraient que je le fasse. La volonté du Premier ministre, en composant son gouvernement et en créant un secrétariat d'Etat à la Coopération, auprès du ministre des Affaires étrangères, était d'adresser un signal fort. Désormais, c'est la politique de développement, de Coopération dans son ensemble, qui apparaît comme une des composantes essentielles de la politique extérieure de la France. Il n'est pas nécessaire de développer les raisons trop longuement : la modification considérable que connaît la planète, le phénomène de mondialisation, les solidarités qui interviennent, les interdépendances en matière d'environnement, en matière de démographie.
Tout ceci a amené Lionel Jospin à souhaiter que nous redéfinissions une politique de Coopération qui réponde à quelques exigences : clarté, meilleure lisibilité, solidarité active aussi, fondées sur un dialogue entre partenaires responsables, adultes, dans une relation contraignante mais libre. J'emploie parfois l'expression : de la même manière que nous sommes en économie ouverte, nous sommes aussi en diplomatie ouverte. Il faut enfin une exigence de méthode. Il faut être capable de diversifier nos actions, mais nous avons l'obligation d'atteindre la meilleure efficacité possible, y compris parce que nous entendons mieux utiliser des finances publiques nécessairement limitées.
Trois attitudes devront nous guider : celle d'abord d'une attention particulière aux pays qui connaissent les difficultés les plus grandes, qui sont engagés dans des politiques exigeantes, qui ont avec nous les liens de proximité les plus forts, géographiques mais aussi historiques, et là je parle de l'Afrique, qui est, comme on l'a dit parfois, le sud de la France ; ce continent est, en tout cas, et sûrement, le sud de l'Europe.
La deuxième attitude est d'apporter une contribution forte au dialogue international et à la solidarité, qu'elle s'exprime par une participation financière à l'effort de tous, et là j'espère que nous pourrons, dans la durée, augmenter les ressources affectées à l'aide publique au développement. Vous avez entendu le discours du Premier ministre à l'Assemblée nationale, et il a été très clair quant à cette intention. Qu'il s'agisse d'exprimer cette solidarité au travers de politiques bilatérales, qu'il s'agisse de l'exprimer au travers des politiques multilatérales, nous pensons à l'Union européenne, en particulier à la veille de la renégociation avec les pays ACP de l'instrument qui succédera à la Convention de Lomé.
Mais je voudrais aussi insister sur une troisième attitude : celle qui veut associer à cette entreprise les élus, - et je parle là de Coopération décentralisée -, les organisations de solidarité internationale, et plus généralement la population et les citoyens, à l'effort de la France envers le monde en développement. Je suis heureux de pouvoir dire, à vous qui allez avoir un rôle considérable à jouer à cet égard, l'intention qui est la mienne d'entreprendre un très grand effort de communication en direction de l'opinion française. Elle a non seulement besoin d'être informée sur ce que nous faisons dans le cadre des politiques de Coopération, mais elle peut aussi se mobiliser pour les appuyer. La communication doit se faire aussi en direction des populations partenaires de cette Coopération, et je pense en particulier aux populations africaines dont j'aimerais bien qu'elles sachent mieux ce que nous faisons là-bas, pour les aider à un effort de mémoire et éviter, comme on l'observe trop souvent, que ce soient ceux qui commencent à soutenir l'Afrique qui semblent intéresser davantage les Africains
Ayant dit cela, je serais tenté d'arrêter, pour vous laisser m'interroger, et pouvoir ainsi décliner les différents thèmes qui sont à l'ordre du jour aujourd'hui : la politique africaine nous l'avons dit, mais aussi la Francophonie et peut-être quelques autres dossiers que l'actualité oblige à prendre en considération.
Q - Quelles sont les orientations fondamentalement différentes par rapport à celles de votre prédécesseur, M. Jacques Godfrain ?
R - J'observe qu'actuellement l'image de la France est pour le moins brouillée dans un certain nombre de pays d'Afrique, et je dis bien "un certain nombre de pays d'Afrique". Je ne voudrais pas laisser dire que c'est le cas partout. J'ai eu l'occasion de faire quelques voyages au cours de la période récente. J'ai pu observer, dans les pays qui bordent l'Océan indien par exemple, que l'image de la France est positive à ce point qu'on la réclame davantage, y compris en matière de Francophonie, par exemple. C'est le cas du Mozambique, pour prendre l'exemple d'un pays qui a connu une période de troubles et de guerres extraordinairement longue, et qui aujourd'hui fait partie des pays où l'économie et la démocratie semblent en train d'émerger de manière parallèle. J'étais en Afrique de l'Ouest avant-hier, et là aussi, je ne peux pas y laisser dire que la France y ferait l'objet d'une sorte de refus de la part des populations. Je ne parle pas des gouvernants, parce qu'on pourrait comprendre qu'ils souhaitent conserver nos relations, parce qu'ils savent davantage ce que nous apportons. En réalité, la situation est aujourd'hui critique, en particulier en Afrique centrale, où la situation est préoccupante, et on sait les risques de contagion que la situation au Congo pourrait entraîner, plus généralement l'instabilité que connaît l'Afrique centrale.
Mais on sait aussi que l'organisation de notre Coopération avec l'Afrique s'inscrit dans le droit fil de l'histoire de notre Coopération, celle de la modification du lien qui unissait la France à l'Afrique. En clair, c'était la sortie des décolonisations avec le souci, qui ne s'est pas complètement démenti, de préserver, ce qui n'est pas totalement anormal, des intérêts économiques, une relation très étroite entre les chefs d'Etat et le pouvoir politique français. Mais il s'agit aussi d'une relation économique souvent limitée à quelques entreprises ayant une position dominante, ayant parfois considéré qu'elles étaient en situation d'exclusivité. Les résultats qui justifient notre volonté de changer cette situation sont apparus ici ou là comme un mélange, comme on a dit parfois, d'ingérence et d'impuissance. Bref, c'était une relation à l'Afrique qui renvoyait davantage au passé qu'à la réalité d'aujourd'hui. On avait un peu tendance à regarder l'Afrique dans un rétroviseur.
Ce que nous voudrions, c'est instaurer un nouveau dialogue avec l'Afrique d'aujourd'hui, y compris avec celle des nouvelles élites africaines qui émergent, qui n'ont pas la même relation à la France que celle qu'avaient leurs parents, qui ont pour beaucoup d'entre elles commencé à parfaire leur formation dans les universités américaines par exemple, qui ont aussi un souci plus grand d'un meilleur fonctionnement de la démocratie dans leur pays. On pourra d'ailleurs évoquer tout à l'heure la question de la démocratie et des Droits de l'Homme parce qu'on la rencontre quotidiennement en Afrique, à cause d'un télescopage, justement, entre l'organisation démocratique et le besoin identitaire. Nous voudrions que ce dialogue, je crois l'avoir dit en commençant mais cela vaut pour l'ensemble du dossier de la Coopération, puisse associer d'autres interlocuteurs, y compris du côté français ; de nouvelles entreprises qui, elles aussi, auront une relation à l'Afrique débarrassée d'un passé plus ancien. Et puis, parmi les partenaires, il y a tout le champ de la société civile. On a parlé des ONG qui font déjà sur le terrain un travail considérable. J'ai pu le vérifier, mais j'avais déjà eu l'occasion de le faire bien avant de prendre ces responsabilités, dans le cadre des actions de Coopération décentralisées que je conduisais personnellement en ma qualité de présent de Conseil général. Et si j'insiste tellement sur l'implication des élus locaux français, c'est parce que cette relation peut aider à faire émerger de nouveaux responsables africains. Or, j'observe que, dans le même temps, plusieurs Etats d'Afrique engagent une politique de décentralisation. Je crois d'ailleurs que c'est du succès de cette décentralisation que dépendra la consolidation de la démocratie dans ces pays.
Nous voudrions plus de transparence. Il est vrai qu'il s'agit là d'un domaine qu'on a souvent qualifié de "réservé". Et cette définition du domaine réservé renvoyait nécessairement à une sorte de secret. Le domaine est aujourd'hui partagé, et il y a une quasi obligation de rechercher le plus souvent un consensus. Je pense aux questions de défense, dont nous parlerons tout à l'heure, mais vous comprendrez que j'en parle avec réserve n'étant pas le ministre en charge de ces questions. Si vous voulez en savoir plus, et de manière plus précise, sur les conclusions auxquelles vont conduire "la remise à plat" des accords de défense, je vous renvoie à la conférence de presse que d'ici quelque temps Alain Richard organisera peut-être. Plus de transparence, cela veut dire que le Parlement, par exemple, doit être davantage associé à la définition des orientations, des objectifs. Et cela renvoie à l'idée, que j'évoquais à l'instant, d'une démocratisation de la politique de Coopération parce que nous avons besoin de la mobilisation de l'opinion française, ne serait-ce que pour éviter que certains continuent de faire leur fond de commerce de l'exploitation du thème de "la Corrèze contre le Zambèze". C'estune réalité encore aujourd'hui. Pour faire bonne mesure, je crois qu'il serait bien que nous arrivions à mieux séparer les intérêts économique des enjeux politiques. Ce ne sera pas le plus facile. C'est surtout plus difficile là où les intérêts économiques, - ceux qui sont liés à l'énergie, je pense au pétrole, aux mines-, donnent évidemment une acuité particulière à la relation entre le politique et les intérêts économiques. Mais j'observe, pour m'en féliciter, que certains responsables importants d'entreprises françaises très investies en Afrique arrivent à la même conclusion et considèrent qu'il faut désormais que chacun fasse son métier et que l'on ne mélange plus les choses.
Je voudrais, en tout cas, vous dire notre refus d'opposer l'aide publique à l'investissement privé. J'insiste car nous sortons d'un débat qui a eu lieu à Denver, au cours duquel l'expression bien connue "trade not aid" est venue résumer l'approche qu'ont certains des questions de Coopération et de développement. Nous, nous pensons qu'une telle démarche risque d'écarter de la Coopération au développement une bonne partie des pays africains, par exemple, mais aussi de pays en Amérique latine peut-être, ou centrale, qui n'offrent pas les mêmes opportunités économiques que d'autres. Une telle orientation risquerait d'accroître encore les inégalités dans le développement et de créer des distorsions sociales conduisant nécessairement à l'enchaînement de la violence. Nous voudrions donc articuler, je le répète, l'aide publique, qui renvoie aux politiques que cette maison, en particulier, a l'habitude de conduire sur le terrain, grâce aux missions, et l'investissement privé, qui a évidemment besoin de répondre aux opportunités qui se présentent et qu'il faudra d'ailleurs faire progresser. Ce qui pose un problème auquel je suis attentif : comment faire connaître aux entreprises françaises les opportunités qui peuvent se présenter.
Q - Dans les comptes-rendus de votre audience devant la commission des Affaires étrangères, il était souligné que vous avez dit que tous les accords d'assistance militaire avec les pays d'Afrique francophones allaient être remis à plat. Pouvez-vous préciser vos pensées là-dessus ?
R - Sur les accords de défense, je l'ai dit à l'instant, ce n'est pas le secrétaire d'Etat à la Coopération qui a mandat d'en traiter. Mais, puisqu'aussi bien le dossier avait été ouvert hier par Alain Juppé, qu'Alain Richard, il y a quelques semaines, y a fait à nouveau allusion, je peux confirmer que ce dossier-là est ouvert, et que ces accords de défense vont faire l'objet d'une actualisation, parce que l'Afrique d'aujourd'hui n'est pas l'Afrique des années soixante, parce que l'armée française conduit une mutation importante, que la notion de mobilité n'est plus ce qu'elle était, qu'elle peut se gérer autrement. Il y a, de plus une volonté des Etats africains, que nous encourageons, à assumer eux-mêmes, et le plus souvent dans un cadre régional, leur sécurité. De ce fait, les missions que nous serions amenés à conduire seraient davantage des missions de sécurité que de défense, mieux, de préparation au maintien de la paix. Vous savez que la mission de Coopération militaire est très liée à cette maison. Il y a, là aussi, une cohérence à améliorer entre Coopération militaire et Coopération au développement, ne serait-ce que pour évoquer un dossier qui n'est pas aujourd'hui sans intérêt, celui de la relation entre désarmement et développement. Le calendrier, je laisserai à Alain Richard le soin de le décider, ne pourra être arrêté qu'après concertation avec les principaux intéressés, et d'abord les chefs d'Etat africains. C'est à cette concertation que le ministre de la Défense va s'attacher dans les jours qui viennent.
Q - Le projet du Parti socialiste prévoit la disparition du ministère de la Coopération. Etes-vous le dernier ministre de la Coopération ?
R - C'est une question qui a été évoquée tout à l'heure. Certains m'y encouragent, y compris au sein du Parti socialiste, puisque la commission spécialisée en matière de Coopération a en effet imaginé une organisation conduisant à la disparition de ce ministère, la Coopération devenant partie complètement intégrée au ministère des Affaires étrangères. Mais il est beaucoup trop tôt pour préjuger de l'organigramme définitif qu'il faudra mettre en place au terme de la réflexion que nous commençons, que Lionel Jospin vient de me confirmer, et qui va associer les autres ministères, y compris le ministère de l'Economie et des Finances. La présence de Dominique Strauss-Kahn, ce midi, rappelle qu'en effet une partie importante des outils de Coopération est très directement liée à la direction du Trésor. Je pense à la Caisse française de développement qui fonctionne aussi sous le contrôle de la rue Monsieur. Tout cela nous amène à souhaiter parfois une autre organisation. Nous en parlerons et la discussion va être conduite avec le ministère de l'Economie et des Finances sur ce point. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudra bien que, indépendamment de l'organisation future, le contrôle politique des outils de Coopération soit assuré. On peut penser que c'est plutôt à partir du ministère des Affaires étrangères que ce contrôle politique sera assuré, ce qui justifierait l'existence d'un ministre délégué ou d'un secrétaire d'Etat.
Q - Avez-vous les moyens de faire cette nouvelle politique, d'autant plus que vous regroupez la Coopération, les Droits de l'Homme, la Francophonie etc... et que vous allez, comme vous l'avez dit, vous occuper de l'ensemble des ACP
R - Les discussions budgétaires commencent à peine. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la situation des finances publiques n'est pas des plus confortables. Je rappelle que l'ensemble des aides publiques au développement correspond à peu près à un peu moins d'un demi % du PIB, je crois que l'on doit être aux environs de 0,45 % - c'était 0,48 en 1996 - il est encore un peu tôt pour apprécier ce que sera ce pourcentage en 1997, en tout cas moins de 0,50 % ; les Etats-Unis, c'est 0,15 %, la moyenne des pays de l'OCDE c'est 0,29 %.
C'est important de le rappeler. Nous sommes le premier bailleur de fonds, en terme d'aide publique au développement parmi les pays du G8, pour parler d'eux puisqu'ils étaient réunis récemment. Je ne suis pas en mesure, je le répète, d'apprécier aujourd'hui avec exactitude les moyens dont je disposerai l'an prochain et les années suivantes. Vous avez compris que je m'inscris dans la durée, que nous allons essayer d'organiser la montée en puissance de la politique de Coopération. Mais au-delà des chiffres, il y a notre volonté de mieux utiliser les moyens nécessairement limités qui seront à notre disposition. C'est là qu'une autre organisation de l'ensemble des outils aujourd'hui dispersés devrait nous permettre de faire davantage, en particulier en ce qui concerne ce que nous appelons les projets, c'est-à-dire les actions concrètes servant au développement.
Q - Comment voulez-vous persuader les Africains de ne pas regarder vers les Américains pour ne pas les nommer, mais vers les Français, si vous continuez à les mettre dans des charters et si, quand un homme d'affaires veut venir en France, on ne lui donne pas un visa pour telle ou telle raison .
R - Je crois que c'est la même personne qui évoquait la contradiction qu'il y a à parler d'une nouvelle politique en matière de Coopération et à pratiquer en matière de visas - on a même parlé des charters - ce qui s'est passé il y a quelques mois en ce qui concerne le dossier de l'immigration. Cela a été pour beaucoup dans la dégradation de l'image de la France en Afrique, et plusieurs chefs d'Etat m'en ont entretenu très directement. Ils l'ont vécu comme une sorte d'atteinte à leur dignité et tous, insistent en tout cas, beaucoup sur le besoin d'accueillir autrement et de gérer autrement cette question des visas car, disent-ils, et je crois qu'ils n'ont pas tort, certains pays utilisent le dysfonctionnement français en matière de visa pour attirer précisément les nouvelles élites africaines. Des instructions ont d'ailleurs déjà été données aux postes pour améliorer cette situation et là encore, c'est un autre ministre, c'est le ministère de l'Intérieur, M. Chevènement, qui est compétent, pour mieux organiser l'accueil de ceux qui pour des raisons économiques ou universitaires, ont besoin et souhaitent venir en France
Q - (Sur la dévaluation du franc CFA).
R - La question est intéressante. Il est vrai que parmi les instruments de Coopération, il y a la zone franc, on oublie parfois d'en parler, mais en termes économiques, c'est probablement l'un des outils les plus importants. Il faut convenir que la dévaluation aura eu des effets bénéfiques pour les pays qui ont su l'accompagner par des politiques de sortie de crise efficaces. Plus sûrement aussi, pour ceux qui pouvaient exporter que ceux qui ne le pouvaient pas. Mais puisqu'on évoque la dévaluation - je vous disais tout à l'heure que la situation économique était très contrastée d'un pays à l'autre -, je ne voudrais pas qu'on accentue le pessimisme trop souvent pratiqué envers l'Afrique. Certains pays africains, économiquement, vont bien ou vont mieux. Si les Etats-Unis semblent s'intéresser davantage au continent africain, c'est certainement pour des raisons humanitaires que je salue, c'est aussi parce que leurs experts leur disent que l'Afrique offre des perspectives de développement pour le siècle qui vient. J'observe aussi d'ailleurs que ces économies qui émergent essaient de se consolider dans le cadre d'organisations régionales que nous encourageons, je pense à l'UEMOA en ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest. Nul doute que ces solidarités économiques qui se mettent en place à travers les organisations régionales peuvent aussi contribuer à consolider la paix, à empêcher la violence lorsque les intérêts sont davantage partagés. On peut penser qu'on arrivera ainsi à limiter les risques de conflits. J'observe que beaucoup de ces pays sont en train de conduire une ouverture sur le monde, en sortant d'une relation bilatérale obligée. Il faut que nous en prenions la mesure. Je disais tout à l'heure que nous étions à la fois en économie ouverte et en diplomatie ouverte. Il faut que nos entreprises, en particulier, sachent que, nonobstant le rapport affectif dont on peut penser qu'il jouera encore, doivent être capable de répondre aux appels d'offres en sachant que c'est dans une organisation concurrentielle qu'ils vont devoir s'inscrire.
Q - Une soixantaine d'experts militaires américains se déploient actuellement au Sénégal et en Ouganda ; d'autres pays sont prévus d'ici la fin de l'année. Comment voyez-vous cette forme de cohabitation à l'africaine ?
R - En fait de présence, je crois qu'il faut la ramener à ses justes proportions. Il s'agit de l'arrivée de 60 militaires américains au Sénégal au cours de ce mois et, je crois, d'un contingent comparable en Ouganda, qui vont faire de la formation en matière de maintien de la paix. C'est cela, mais ce n'est que cela. Pour un peu, on serait en train de présenter les choses, je caricature un peu, en disant que les Français s'en vont et que les Américains arrivent. Ce n'est pas du tout comme cela que les choses se présentent. Et je ne pense pas que les choses soient appelées à se présenter ainsi.
Q - Au-delà du "pré carré" et même des pays ACP, quelles actions en direction des autres pays en développement allez-vous engager et avec quels moyens ?
R - Je renvoie à ce que j'ai dit tout l'heure sur la montée en puissance que l'on allait essayer d'organiser, et sur la mise en meilleure synergie de l'ensemble des outils de Coopération, y compris une plus grande implication de la société civile. Mais il est vrai que nous pensons qu'après tout, même si le lien avec l'Afrique restera fort, et même si j'ai eu l'occasion d'utiliser l'expression, rompre ce lien serait nous amputer, il y a d'autres pays en développement dans le monde que nous souhaitons pouvoir accompagner en y mobilisant aussi l'ensemble des moyens dont nous disposons. En Asie aussi ; on sait qu'une partie des pays asiatiques sont encore en développement, mais certains avec des caractéristiques qui les éloignent déjà un peu de la zone des pays en développement.
Q - Une petite question sur l'aide, ce que l'on appelle l'aide liée...
R - Il y a des règles commerciales qui contredisent le principe de l'aide liée, comme vous le rappeliez tout à l'heure. Même si nous souhaitons que nos entreprises puissent, à conditions économiques comparables, profiter des aides que nous accordons. La règle va se développer, ce sont les pays aidés qui organisent librement les appels d'offres conduisant ensuite à des dévolutions des marchés. Je ne suis pas sûr que la France, d'ailleurs, soit forcément la plus coupable.
Q - Si on regarde les chiffres fournis par l'OCDE, la France est un des pays qui pratique le plus l'aide liée.
R - Il n'est pas anormal, compte tenu de la présence des entreprises françaises en Afrique, et depuis longtemps, qu'elles soient parfois les mieux placées, et tant mieux, pour réaliser les travaux facilités par notre Coopération. Mais je pourrais vous citer aussi quelques exemples récents, où des dossiers initiés par nous, montés avec des bureaux d'études français, ont été finalement réalisés par d'autres. Mais là encore, j'ai des chiffres qui peuvent être intéressants à cet égard. On dit que 80 % des fonds de l'USAID reviennent aux entreprises américaines, preuve que chaque pays s'efforce d'avoir un certain retour. Mais, je le répète, les règles de dévolution des marchés s'appliquent aussi dans ces pays. Au demeurant, je crois bien que l'OMC ou l'OCDE interviendraient, et on n'échapperait pas à quelques rappels si les règles en question n'était pas respectées.
Q -Est-ce que la MISAB, la force d'interposition qui est à Bangui qui reçoit l'appui logistique de l'armée française, vous semble être un exemple à reproduire dans ce type de crise ?
R - J'espère bien, d'une manière générale, que l'on ne sera pas à amené à reproduire trop souvent ce genre d'intervention parce que cela voudrait dire que les crises se multiplient. Je n'en sais pas davantage, en tout cas s'agissant de préciser les moyens que la France serait amenée à apporter dans le cas de la force d'interposition susceptible d'intervenir à Brazzaville, puisque c'est de cela vous me parliez. Nous savons simplement et nous avons reçu comme une bonne nouvelle que, non seulement le Sénégal accepte d'y envoyer un détachement important, mais que le Sénégal a aussi accepté que la force multinationale soit conduite par un Sénégalais. Comme vous le savez, c'est un général sénégalais qui va être chargé de la coordination. Je ne peux pas vous en dire plus, posez la question à mon collègue Richard quant au détail, si vous voulez, de l'appui que la France est susceptible d'apporter.
Q - Est-ce que la mission de la MISAB à Bangui vous satisfait ?
R - On peut toujours regretter qu'alors qu'on pensait être en seconde ligne, on se retrouve en première. Mais je me félicite en observant que le général Touré a lui-même hier salué en quelque sorte la fin de la violence, au cours d'une réunion à laquelle participait une partie des ex-mutins, si on veut les appeler ainsi. Il s'est exprimé pour considérer que, normalement, une solution civile était désormais en train de se mettre en place.
Q - Monsieur le Ministre, j'ai écouté vos propos avec attention et j'ai relevé deux choses : vous parlez de l'évolution possible vers de nouvelles élites africaines avec lesquelles il faudrait dialoguer, et vous avez dit aussi, à un moment donné, que quelquefois la démocratie et l'affirmation de l'identité n'étaient pas directement liées. Est-ce que vous considérez aujourd'hui que le régime du Niger est le meilleur régime possible pour la population du Niger ?
R - Sur le premier point, je voudrais observer que la France a affiché très fortement sa volonté de voir la démocratie s'enraciner partout et, en particulier, dans les Etats africains. J'observe que d'autres pays se satisfont apparemment davantage de l'organisation identitaire actuelle. François Mitterrand, à la Baule, avait insisté, en parlant de cette démocratie, sur l'idée que chacun la conduirait à sa façon et à son rythme. Il est vrai que l'idée même d'élection, dans des sociétés très structurées par ethnie - vous connaissez comme moi cette réalité-là - n'est pas toujours facile à concrétiser, et les résultats, si cela doit être simplement, chaque fois, la victoire de l'ethnie dominante, ne peuvent pas toujours être considérés comme satisfaisants. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut saluer les efforts qui ont pu être conduits, je pense à la Côte d'Ivoire, pour construire une nation qui dépasse l'organisation ethnique. Et ce qui fait peur aujourd'hui, c'est que, dans un certain nombre d'endroits, il y a une résurgence de ces identités ethniques. Comme quoi, on n'est jamais sûr que la direction va être poursuivie.
Sur le Niger, vous savez que je connais un peu mieux ce pays que d'autres pour l'avoir rencontrer voilà déjà une dizaine d'années. J'ai suivi l'évolution, j'ai observé que toutes les organisations politiques ont finalement sinon salué, du moins reconnu, que l'arrivée du général Barré était de nature à remettre ce pays en mouvement. Les élections qui ont suivi n'ont pas été considérées par beaucoup comme étant une expression démocratique normale. J'observe simplement que, pour l'instant, les forces qui se sont regroupées dans le front d'opposition, et qui ont été au pouvoir il y a quelques années n'ont peut-être pas encore fait la preuve qu'elles seraient capables, revenues au pouvoir, de permettre au Niger de reprendre sa marche en avant. C'est la question essentielle. Nous suivons évidemment avec beaucoup d'attention la manière dont les choses se passent. Nous avons apprécié qu'enfin certains grévistes de la Société nationale d'Electricité aient été libérés il y a quelques jours. Ils avaient été emprisonnés à la suite de sabotages constatés voilà plusieurs mois. Je souhaite que, très vite, les conditions soient réunies pour que l'organisation d'élections, certainement surveillées de près par la communauté internationale, permette au Niger de sortir de cette situation insatisfaisante du point de vue de la démocratie - je suis prêt à en convenir avec vous -, mais qui du point de vue de l'économie du Niger, n'est pas nécessairement la pire. Des réformes difficiles sont à conduire. J'aimerais qu'elles soient conduites.
Q - Est-ce que le général Barré pourrait conduire ces réformes s'il n'associe pas justement cette opposition qui lui fait quand même un contrepoids assez sensible ?
R - Le général Barré, mais aussi le Premier ministre en particulier, m'ont confirmé le souhait qui était le leur de voir l'opposition s'associer aux réformes envisagées. Pour l'instant, force est de reconnaître que le dialogue n'existe pas entre la majorité et l'opposition. Et même s'il est vrai qu'au Niger les élections ne se sont pas déroulées de la meilleure façon, d'une manière générale, j'observe qu'en Afrique la majorité, souvent, méprise les droits de l'opposition. J'observe souvent que l'opposition n'arrive pas à s'assumer comme opposition. Si on a perdu l'élection, on boycotte l'institution dans laquelle on espérait entrer. Je crois qu'il y a besoin d'apprendre, y compris à être opposant. Au Mozambique, il est extraordinaire de voir que les deux chefs de guerre qui se sont battus pendant 16 ans sont aujourd'hui dans une relation, j'allais dire normale, pour nous qui sommes habitués, quand même depuis quelques années, à la démocratie. Le gouvernement de M. Chissano est très informé par le responsable de l'opposition. Des conditions normales président à la manière dont il siège à l'assemblée. Mais il y a peu d'endroits où les choses se passent ainsi, et la pédagogie que nous pouvons pratiquer lorsque nous conduisons une délégation d'élus dans ces pays, c'est de conduire une délégation plurielle politiquement et de montrer que l'on peut être, majorité et opposition ensemble, pour mener une opération de développement.
Q - Et à propos d'Haïti, y a-t-il du nouveau au ministère de la Coopération ?
R - Je connais bien Haïti, j'y suis allé en 1961 pour la première fois. J'étais responsable étudiant français. J'ai fait une enquête avec un Canadien, à la suite d'une plainte des étudiants haïtiens devant une organisation internationale d'étudiants J'ai une raison supplémentaire de m'y intéresser. J'ai reçu, il y a quelques jours, notre chef de mission et nous avons commencé à travailler sur un dossier auquel je tiens, qui serait une Coopération régionale organisée en prenant appui sur les départements français de Guadeloupe et Martinique. Il y a là-bas, en effet, des besoins considérables, comme l'ont d'ailleurs confirmé les responsables de Saint-Domingue, que j'ai reçus quelques jours après, car on imagine mal Saint-Domingue pouvoir se développer si Haïti ne se développe pas en même temps. Donc, je réponds oui, nous nous intéressons de très près à Haïti et nous entendons bien les aider à se développer.
Q - (Sur l'Algérie)
R - Voulez-vous poser la question à M. Védrine, quand il reviendra d'Algérie. Il y va aujourd'hui ou demain, donc je crois qu'il sera bien mieux placé que moi pour répondre à une question concernant l'Algérie. Pardonnez-moi.
Q - Vous avez dit que vous souhaitiez articuler aide publique et aide privée, que vous souhaitiez plus de transparence, mais cela M. Godfrain le disait aussi. En quoi votre politique sera différente de celle de M. Godfrain ?
R - Attendez, ce n'est pas sur le discours qu'on juge, vous êtes bien d'accord avec moi. Alors, j'espère vous convaincre par mes actes, et par ceux qui seront conduits, plus globalement, par le gouvernement, parce que je ne suis pas seul.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2001)
Je suis heureux que cette conférence de presse intervienne assez vite, guère plus d'un mois après ma prise de fonction, alors que je m'inscris dans la durée, comme le Premier ministre nous y invite. Ceci va éviter sans doute que l'image de "Josselin l'Africain" ne vienne en quelque sorte faire oublier ce qui sous-tendait la nouvelle organisation gouvernementale. Je m'occupe de Coopération pas seulement en Afrique, mais dans tous les pays en développement. C'est par là que je voudrais commencer, avant de parler de l'Afrique, car si je n'en parlais pas, je pense que certains d'entre vous souhaiteraient que je le fasse. La volonté du Premier ministre, en composant son gouvernement et en créant un secrétariat d'Etat à la Coopération, auprès du ministre des Affaires étrangères, était d'adresser un signal fort. Désormais, c'est la politique de développement, de Coopération dans son ensemble, qui apparaît comme une des composantes essentielles de la politique extérieure de la France. Il n'est pas nécessaire de développer les raisons trop longuement : la modification considérable que connaît la planète, le phénomène de mondialisation, les solidarités qui interviennent, les interdépendances en matière d'environnement, en matière de démographie.
Tout ceci a amené Lionel Jospin à souhaiter que nous redéfinissions une politique de Coopération qui réponde à quelques exigences : clarté, meilleure lisibilité, solidarité active aussi, fondées sur un dialogue entre partenaires responsables, adultes, dans une relation contraignante mais libre. J'emploie parfois l'expression : de la même manière que nous sommes en économie ouverte, nous sommes aussi en diplomatie ouverte. Il faut enfin une exigence de méthode. Il faut être capable de diversifier nos actions, mais nous avons l'obligation d'atteindre la meilleure efficacité possible, y compris parce que nous entendons mieux utiliser des finances publiques nécessairement limitées.
Trois attitudes devront nous guider : celle d'abord d'une attention particulière aux pays qui connaissent les difficultés les plus grandes, qui sont engagés dans des politiques exigeantes, qui ont avec nous les liens de proximité les plus forts, géographiques mais aussi historiques, et là je parle de l'Afrique, qui est, comme on l'a dit parfois, le sud de la France ; ce continent est, en tout cas, et sûrement, le sud de l'Europe.
La deuxième attitude est d'apporter une contribution forte au dialogue international et à la solidarité, qu'elle s'exprime par une participation financière à l'effort de tous, et là j'espère que nous pourrons, dans la durée, augmenter les ressources affectées à l'aide publique au développement. Vous avez entendu le discours du Premier ministre à l'Assemblée nationale, et il a été très clair quant à cette intention. Qu'il s'agisse d'exprimer cette solidarité au travers de politiques bilatérales, qu'il s'agisse de l'exprimer au travers des politiques multilatérales, nous pensons à l'Union européenne, en particulier à la veille de la renégociation avec les pays ACP de l'instrument qui succédera à la Convention de Lomé.
Mais je voudrais aussi insister sur une troisième attitude : celle qui veut associer à cette entreprise les élus, - et je parle là de Coopération décentralisée -, les organisations de solidarité internationale, et plus généralement la population et les citoyens, à l'effort de la France envers le monde en développement. Je suis heureux de pouvoir dire, à vous qui allez avoir un rôle considérable à jouer à cet égard, l'intention qui est la mienne d'entreprendre un très grand effort de communication en direction de l'opinion française. Elle a non seulement besoin d'être informée sur ce que nous faisons dans le cadre des politiques de Coopération, mais elle peut aussi se mobiliser pour les appuyer. La communication doit se faire aussi en direction des populations partenaires de cette Coopération, et je pense en particulier aux populations africaines dont j'aimerais bien qu'elles sachent mieux ce que nous faisons là-bas, pour les aider à un effort de mémoire et éviter, comme on l'observe trop souvent, que ce soient ceux qui commencent à soutenir l'Afrique qui semblent intéresser davantage les Africains
Ayant dit cela, je serais tenté d'arrêter, pour vous laisser m'interroger, et pouvoir ainsi décliner les différents thèmes qui sont à l'ordre du jour aujourd'hui : la politique africaine nous l'avons dit, mais aussi la Francophonie et peut-être quelques autres dossiers que l'actualité oblige à prendre en considération.
Q - Quelles sont les orientations fondamentalement différentes par rapport à celles de votre prédécesseur, M. Jacques Godfrain ?
R - J'observe qu'actuellement l'image de la France est pour le moins brouillée dans un certain nombre de pays d'Afrique, et je dis bien "un certain nombre de pays d'Afrique". Je ne voudrais pas laisser dire que c'est le cas partout. J'ai eu l'occasion de faire quelques voyages au cours de la période récente. J'ai pu observer, dans les pays qui bordent l'Océan indien par exemple, que l'image de la France est positive à ce point qu'on la réclame davantage, y compris en matière de Francophonie, par exemple. C'est le cas du Mozambique, pour prendre l'exemple d'un pays qui a connu une période de troubles et de guerres extraordinairement longue, et qui aujourd'hui fait partie des pays où l'économie et la démocratie semblent en train d'émerger de manière parallèle. J'étais en Afrique de l'Ouest avant-hier, et là aussi, je ne peux pas y laisser dire que la France y ferait l'objet d'une sorte de refus de la part des populations. Je ne parle pas des gouvernants, parce qu'on pourrait comprendre qu'ils souhaitent conserver nos relations, parce qu'ils savent davantage ce que nous apportons. En réalité, la situation est aujourd'hui critique, en particulier en Afrique centrale, où la situation est préoccupante, et on sait les risques de contagion que la situation au Congo pourrait entraîner, plus généralement l'instabilité que connaît l'Afrique centrale.
Mais on sait aussi que l'organisation de notre Coopération avec l'Afrique s'inscrit dans le droit fil de l'histoire de notre Coopération, celle de la modification du lien qui unissait la France à l'Afrique. En clair, c'était la sortie des décolonisations avec le souci, qui ne s'est pas complètement démenti, de préserver, ce qui n'est pas totalement anormal, des intérêts économiques, une relation très étroite entre les chefs d'Etat et le pouvoir politique français. Mais il s'agit aussi d'une relation économique souvent limitée à quelques entreprises ayant une position dominante, ayant parfois considéré qu'elles étaient en situation d'exclusivité. Les résultats qui justifient notre volonté de changer cette situation sont apparus ici ou là comme un mélange, comme on a dit parfois, d'ingérence et d'impuissance. Bref, c'était une relation à l'Afrique qui renvoyait davantage au passé qu'à la réalité d'aujourd'hui. On avait un peu tendance à regarder l'Afrique dans un rétroviseur.
Ce que nous voudrions, c'est instaurer un nouveau dialogue avec l'Afrique d'aujourd'hui, y compris avec celle des nouvelles élites africaines qui émergent, qui n'ont pas la même relation à la France que celle qu'avaient leurs parents, qui ont pour beaucoup d'entre elles commencé à parfaire leur formation dans les universités américaines par exemple, qui ont aussi un souci plus grand d'un meilleur fonctionnement de la démocratie dans leur pays. On pourra d'ailleurs évoquer tout à l'heure la question de la démocratie et des Droits de l'Homme parce qu'on la rencontre quotidiennement en Afrique, à cause d'un télescopage, justement, entre l'organisation démocratique et le besoin identitaire. Nous voudrions que ce dialogue, je crois l'avoir dit en commençant mais cela vaut pour l'ensemble du dossier de la Coopération, puisse associer d'autres interlocuteurs, y compris du côté français ; de nouvelles entreprises qui, elles aussi, auront une relation à l'Afrique débarrassée d'un passé plus ancien. Et puis, parmi les partenaires, il y a tout le champ de la société civile. On a parlé des ONG qui font déjà sur le terrain un travail considérable. J'ai pu le vérifier, mais j'avais déjà eu l'occasion de le faire bien avant de prendre ces responsabilités, dans le cadre des actions de Coopération décentralisées que je conduisais personnellement en ma qualité de présent de Conseil général. Et si j'insiste tellement sur l'implication des élus locaux français, c'est parce que cette relation peut aider à faire émerger de nouveaux responsables africains. Or, j'observe que, dans le même temps, plusieurs Etats d'Afrique engagent une politique de décentralisation. Je crois d'ailleurs que c'est du succès de cette décentralisation que dépendra la consolidation de la démocratie dans ces pays.
Nous voudrions plus de transparence. Il est vrai qu'il s'agit là d'un domaine qu'on a souvent qualifié de "réservé". Et cette définition du domaine réservé renvoyait nécessairement à une sorte de secret. Le domaine est aujourd'hui partagé, et il y a une quasi obligation de rechercher le plus souvent un consensus. Je pense aux questions de défense, dont nous parlerons tout à l'heure, mais vous comprendrez que j'en parle avec réserve n'étant pas le ministre en charge de ces questions. Si vous voulez en savoir plus, et de manière plus précise, sur les conclusions auxquelles vont conduire "la remise à plat" des accords de défense, je vous renvoie à la conférence de presse que d'ici quelque temps Alain Richard organisera peut-être. Plus de transparence, cela veut dire que le Parlement, par exemple, doit être davantage associé à la définition des orientations, des objectifs. Et cela renvoie à l'idée, que j'évoquais à l'instant, d'une démocratisation de la politique de Coopération parce que nous avons besoin de la mobilisation de l'opinion française, ne serait-ce que pour éviter que certains continuent de faire leur fond de commerce de l'exploitation du thème de "la Corrèze contre le Zambèze". C'estune réalité encore aujourd'hui. Pour faire bonne mesure, je crois qu'il serait bien que nous arrivions à mieux séparer les intérêts économique des enjeux politiques. Ce ne sera pas le plus facile. C'est surtout plus difficile là où les intérêts économiques, - ceux qui sont liés à l'énergie, je pense au pétrole, aux mines-, donnent évidemment une acuité particulière à la relation entre le politique et les intérêts économiques. Mais j'observe, pour m'en féliciter, que certains responsables importants d'entreprises françaises très investies en Afrique arrivent à la même conclusion et considèrent qu'il faut désormais que chacun fasse son métier et que l'on ne mélange plus les choses.
Je voudrais, en tout cas, vous dire notre refus d'opposer l'aide publique à l'investissement privé. J'insiste car nous sortons d'un débat qui a eu lieu à Denver, au cours duquel l'expression bien connue "trade not aid" est venue résumer l'approche qu'ont certains des questions de Coopération et de développement. Nous, nous pensons qu'une telle démarche risque d'écarter de la Coopération au développement une bonne partie des pays africains, par exemple, mais aussi de pays en Amérique latine peut-être, ou centrale, qui n'offrent pas les mêmes opportunités économiques que d'autres. Une telle orientation risquerait d'accroître encore les inégalités dans le développement et de créer des distorsions sociales conduisant nécessairement à l'enchaînement de la violence. Nous voudrions donc articuler, je le répète, l'aide publique, qui renvoie aux politiques que cette maison, en particulier, a l'habitude de conduire sur le terrain, grâce aux missions, et l'investissement privé, qui a évidemment besoin de répondre aux opportunités qui se présentent et qu'il faudra d'ailleurs faire progresser. Ce qui pose un problème auquel je suis attentif : comment faire connaître aux entreprises françaises les opportunités qui peuvent se présenter.
Q - Dans les comptes-rendus de votre audience devant la commission des Affaires étrangères, il était souligné que vous avez dit que tous les accords d'assistance militaire avec les pays d'Afrique francophones allaient être remis à plat. Pouvez-vous préciser vos pensées là-dessus ?
R - Sur les accords de défense, je l'ai dit à l'instant, ce n'est pas le secrétaire d'Etat à la Coopération qui a mandat d'en traiter. Mais, puisqu'aussi bien le dossier avait été ouvert hier par Alain Juppé, qu'Alain Richard, il y a quelques semaines, y a fait à nouveau allusion, je peux confirmer que ce dossier-là est ouvert, et que ces accords de défense vont faire l'objet d'une actualisation, parce que l'Afrique d'aujourd'hui n'est pas l'Afrique des années soixante, parce que l'armée française conduit une mutation importante, que la notion de mobilité n'est plus ce qu'elle était, qu'elle peut se gérer autrement. Il y a, de plus une volonté des Etats africains, que nous encourageons, à assumer eux-mêmes, et le plus souvent dans un cadre régional, leur sécurité. De ce fait, les missions que nous serions amenés à conduire seraient davantage des missions de sécurité que de défense, mieux, de préparation au maintien de la paix. Vous savez que la mission de Coopération militaire est très liée à cette maison. Il y a, là aussi, une cohérence à améliorer entre Coopération militaire et Coopération au développement, ne serait-ce que pour évoquer un dossier qui n'est pas aujourd'hui sans intérêt, celui de la relation entre désarmement et développement. Le calendrier, je laisserai à Alain Richard le soin de le décider, ne pourra être arrêté qu'après concertation avec les principaux intéressés, et d'abord les chefs d'Etat africains. C'est à cette concertation que le ministre de la Défense va s'attacher dans les jours qui viennent.
Q - Le projet du Parti socialiste prévoit la disparition du ministère de la Coopération. Etes-vous le dernier ministre de la Coopération ?
R - C'est une question qui a été évoquée tout à l'heure. Certains m'y encouragent, y compris au sein du Parti socialiste, puisque la commission spécialisée en matière de Coopération a en effet imaginé une organisation conduisant à la disparition de ce ministère, la Coopération devenant partie complètement intégrée au ministère des Affaires étrangères. Mais il est beaucoup trop tôt pour préjuger de l'organigramme définitif qu'il faudra mettre en place au terme de la réflexion que nous commençons, que Lionel Jospin vient de me confirmer, et qui va associer les autres ministères, y compris le ministère de l'Economie et des Finances. La présence de Dominique Strauss-Kahn, ce midi, rappelle qu'en effet une partie importante des outils de Coopération est très directement liée à la direction du Trésor. Je pense à la Caisse française de développement qui fonctionne aussi sous le contrôle de la rue Monsieur. Tout cela nous amène à souhaiter parfois une autre organisation. Nous en parlerons et la discussion va être conduite avec le ministère de l'Economie et des Finances sur ce point. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudra bien que, indépendamment de l'organisation future, le contrôle politique des outils de Coopération soit assuré. On peut penser que c'est plutôt à partir du ministère des Affaires étrangères que ce contrôle politique sera assuré, ce qui justifierait l'existence d'un ministre délégué ou d'un secrétaire d'Etat.
Q - Avez-vous les moyens de faire cette nouvelle politique, d'autant plus que vous regroupez la Coopération, les Droits de l'Homme, la Francophonie etc... et que vous allez, comme vous l'avez dit, vous occuper de l'ensemble des ACP
R - Les discussions budgétaires commencent à peine. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la situation des finances publiques n'est pas des plus confortables. Je rappelle que l'ensemble des aides publiques au développement correspond à peu près à un peu moins d'un demi % du PIB, je crois que l'on doit être aux environs de 0,45 % - c'était 0,48 en 1996 - il est encore un peu tôt pour apprécier ce que sera ce pourcentage en 1997, en tout cas moins de 0,50 % ; les Etats-Unis, c'est 0,15 %, la moyenne des pays de l'OCDE c'est 0,29 %.
C'est important de le rappeler. Nous sommes le premier bailleur de fonds, en terme d'aide publique au développement parmi les pays du G8, pour parler d'eux puisqu'ils étaient réunis récemment. Je ne suis pas en mesure, je le répète, d'apprécier aujourd'hui avec exactitude les moyens dont je disposerai l'an prochain et les années suivantes. Vous avez compris que je m'inscris dans la durée, que nous allons essayer d'organiser la montée en puissance de la politique de Coopération. Mais au-delà des chiffres, il y a notre volonté de mieux utiliser les moyens nécessairement limités qui seront à notre disposition. C'est là qu'une autre organisation de l'ensemble des outils aujourd'hui dispersés devrait nous permettre de faire davantage, en particulier en ce qui concerne ce que nous appelons les projets, c'est-à-dire les actions concrètes servant au développement.
Q - Comment voulez-vous persuader les Africains de ne pas regarder vers les Américains pour ne pas les nommer, mais vers les Français, si vous continuez à les mettre dans des charters et si, quand un homme d'affaires veut venir en France, on ne lui donne pas un visa pour telle ou telle raison .
R - Je crois que c'est la même personne qui évoquait la contradiction qu'il y a à parler d'une nouvelle politique en matière de Coopération et à pratiquer en matière de visas - on a même parlé des charters - ce qui s'est passé il y a quelques mois en ce qui concerne le dossier de l'immigration. Cela a été pour beaucoup dans la dégradation de l'image de la France en Afrique, et plusieurs chefs d'Etat m'en ont entretenu très directement. Ils l'ont vécu comme une sorte d'atteinte à leur dignité et tous, insistent en tout cas, beaucoup sur le besoin d'accueillir autrement et de gérer autrement cette question des visas car, disent-ils, et je crois qu'ils n'ont pas tort, certains pays utilisent le dysfonctionnement français en matière de visa pour attirer précisément les nouvelles élites africaines. Des instructions ont d'ailleurs déjà été données aux postes pour améliorer cette situation et là encore, c'est un autre ministre, c'est le ministère de l'Intérieur, M. Chevènement, qui est compétent, pour mieux organiser l'accueil de ceux qui pour des raisons économiques ou universitaires, ont besoin et souhaitent venir en France
Q - (Sur la dévaluation du franc CFA).
R - La question est intéressante. Il est vrai que parmi les instruments de Coopération, il y a la zone franc, on oublie parfois d'en parler, mais en termes économiques, c'est probablement l'un des outils les plus importants. Il faut convenir que la dévaluation aura eu des effets bénéfiques pour les pays qui ont su l'accompagner par des politiques de sortie de crise efficaces. Plus sûrement aussi, pour ceux qui pouvaient exporter que ceux qui ne le pouvaient pas. Mais puisqu'on évoque la dévaluation - je vous disais tout à l'heure que la situation économique était très contrastée d'un pays à l'autre -, je ne voudrais pas qu'on accentue le pessimisme trop souvent pratiqué envers l'Afrique. Certains pays africains, économiquement, vont bien ou vont mieux. Si les Etats-Unis semblent s'intéresser davantage au continent africain, c'est certainement pour des raisons humanitaires que je salue, c'est aussi parce que leurs experts leur disent que l'Afrique offre des perspectives de développement pour le siècle qui vient. J'observe aussi d'ailleurs que ces économies qui émergent essaient de se consolider dans le cadre d'organisations régionales que nous encourageons, je pense à l'UEMOA en ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest. Nul doute que ces solidarités économiques qui se mettent en place à travers les organisations régionales peuvent aussi contribuer à consolider la paix, à empêcher la violence lorsque les intérêts sont davantage partagés. On peut penser qu'on arrivera ainsi à limiter les risques de conflits. J'observe que beaucoup de ces pays sont en train de conduire une ouverture sur le monde, en sortant d'une relation bilatérale obligée. Il faut que nous en prenions la mesure. Je disais tout à l'heure que nous étions à la fois en économie ouverte et en diplomatie ouverte. Il faut que nos entreprises, en particulier, sachent que, nonobstant le rapport affectif dont on peut penser qu'il jouera encore, doivent être capable de répondre aux appels d'offres en sachant que c'est dans une organisation concurrentielle qu'ils vont devoir s'inscrire.
Q - Une soixantaine d'experts militaires américains se déploient actuellement au Sénégal et en Ouganda ; d'autres pays sont prévus d'ici la fin de l'année. Comment voyez-vous cette forme de cohabitation à l'africaine ?
R - En fait de présence, je crois qu'il faut la ramener à ses justes proportions. Il s'agit de l'arrivée de 60 militaires américains au Sénégal au cours de ce mois et, je crois, d'un contingent comparable en Ouganda, qui vont faire de la formation en matière de maintien de la paix. C'est cela, mais ce n'est que cela. Pour un peu, on serait en train de présenter les choses, je caricature un peu, en disant que les Français s'en vont et que les Américains arrivent. Ce n'est pas du tout comme cela que les choses se présentent. Et je ne pense pas que les choses soient appelées à se présenter ainsi.
Q - Au-delà du "pré carré" et même des pays ACP, quelles actions en direction des autres pays en développement allez-vous engager et avec quels moyens ?
R - Je renvoie à ce que j'ai dit tout l'heure sur la montée en puissance que l'on allait essayer d'organiser, et sur la mise en meilleure synergie de l'ensemble des outils de Coopération, y compris une plus grande implication de la société civile. Mais il est vrai que nous pensons qu'après tout, même si le lien avec l'Afrique restera fort, et même si j'ai eu l'occasion d'utiliser l'expression, rompre ce lien serait nous amputer, il y a d'autres pays en développement dans le monde que nous souhaitons pouvoir accompagner en y mobilisant aussi l'ensemble des moyens dont nous disposons. En Asie aussi ; on sait qu'une partie des pays asiatiques sont encore en développement, mais certains avec des caractéristiques qui les éloignent déjà un peu de la zone des pays en développement.
Q - Une petite question sur l'aide, ce que l'on appelle l'aide liée...
R - Il y a des règles commerciales qui contredisent le principe de l'aide liée, comme vous le rappeliez tout à l'heure. Même si nous souhaitons que nos entreprises puissent, à conditions économiques comparables, profiter des aides que nous accordons. La règle va se développer, ce sont les pays aidés qui organisent librement les appels d'offres conduisant ensuite à des dévolutions des marchés. Je ne suis pas sûr que la France, d'ailleurs, soit forcément la plus coupable.
Q - Si on regarde les chiffres fournis par l'OCDE, la France est un des pays qui pratique le plus l'aide liée.
R - Il n'est pas anormal, compte tenu de la présence des entreprises françaises en Afrique, et depuis longtemps, qu'elles soient parfois les mieux placées, et tant mieux, pour réaliser les travaux facilités par notre Coopération. Mais je pourrais vous citer aussi quelques exemples récents, où des dossiers initiés par nous, montés avec des bureaux d'études français, ont été finalement réalisés par d'autres. Mais là encore, j'ai des chiffres qui peuvent être intéressants à cet égard. On dit que 80 % des fonds de l'USAID reviennent aux entreprises américaines, preuve que chaque pays s'efforce d'avoir un certain retour. Mais, je le répète, les règles de dévolution des marchés s'appliquent aussi dans ces pays. Au demeurant, je crois bien que l'OMC ou l'OCDE interviendraient, et on n'échapperait pas à quelques rappels si les règles en question n'était pas respectées.
Q -Est-ce que la MISAB, la force d'interposition qui est à Bangui qui reçoit l'appui logistique de l'armée française, vous semble être un exemple à reproduire dans ce type de crise ?
R - J'espère bien, d'une manière générale, que l'on ne sera pas à amené à reproduire trop souvent ce genre d'intervention parce que cela voudrait dire que les crises se multiplient. Je n'en sais pas davantage, en tout cas s'agissant de préciser les moyens que la France serait amenée à apporter dans le cas de la force d'interposition susceptible d'intervenir à Brazzaville, puisque c'est de cela vous me parliez. Nous savons simplement et nous avons reçu comme une bonne nouvelle que, non seulement le Sénégal accepte d'y envoyer un détachement important, mais que le Sénégal a aussi accepté que la force multinationale soit conduite par un Sénégalais. Comme vous le savez, c'est un général sénégalais qui va être chargé de la coordination. Je ne peux pas vous en dire plus, posez la question à mon collègue Richard quant au détail, si vous voulez, de l'appui que la France est susceptible d'apporter.
Q - Est-ce que la mission de la MISAB à Bangui vous satisfait ?
R - On peut toujours regretter qu'alors qu'on pensait être en seconde ligne, on se retrouve en première. Mais je me félicite en observant que le général Touré a lui-même hier salué en quelque sorte la fin de la violence, au cours d'une réunion à laquelle participait une partie des ex-mutins, si on veut les appeler ainsi. Il s'est exprimé pour considérer que, normalement, une solution civile était désormais en train de se mettre en place.
Q - Monsieur le Ministre, j'ai écouté vos propos avec attention et j'ai relevé deux choses : vous parlez de l'évolution possible vers de nouvelles élites africaines avec lesquelles il faudrait dialoguer, et vous avez dit aussi, à un moment donné, que quelquefois la démocratie et l'affirmation de l'identité n'étaient pas directement liées. Est-ce que vous considérez aujourd'hui que le régime du Niger est le meilleur régime possible pour la population du Niger ?
R - Sur le premier point, je voudrais observer que la France a affiché très fortement sa volonté de voir la démocratie s'enraciner partout et, en particulier, dans les Etats africains. J'observe que d'autres pays se satisfont apparemment davantage de l'organisation identitaire actuelle. François Mitterrand, à la Baule, avait insisté, en parlant de cette démocratie, sur l'idée que chacun la conduirait à sa façon et à son rythme. Il est vrai que l'idée même d'élection, dans des sociétés très structurées par ethnie - vous connaissez comme moi cette réalité-là - n'est pas toujours facile à concrétiser, et les résultats, si cela doit être simplement, chaque fois, la victoire de l'ethnie dominante, ne peuvent pas toujours être considérés comme satisfaisants. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut saluer les efforts qui ont pu être conduits, je pense à la Côte d'Ivoire, pour construire une nation qui dépasse l'organisation ethnique. Et ce qui fait peur aujourd'hui, c'est que, dans un certain nombre d'endroits, il y a une résurgence de ces identités ethniques. Comme quoi, on n'est jamais sûr que la direction va être poursuivie.
Sur le Niger, vous savez que je connais un peu mieux ce pays que d'autres pour l'avoir rencontrer voilà déjà une dizaine d'années. J'ai suivi l'évolution, j'ai observé que toutes les organisations politiques ont finalement sinon salué, du moins reconnu, que l'arrivée du général Barré était de nature à remettre ce pays en mouvement. Les élections qui ont suivi n'ont pas été considérées par beaucoup comme étant une expression démocratique normale. J'observe simplement que, pour l'instant, les forces qui se sont regroupées dans le front d'opposition, et qui ont été au pouvoir il y a quelques années n'ont peut-être pas encore fait la preuve qu'elles seraient capables, revenues au pouvoir, de permettre au Niger de reprendre sa marche en avant. C'est la question essentielle. Nous suivons évidemment avec beaucoup d'attention la manière dont les choses se passent. Nous avons apprécié qu'enfin certains grévistes de la Société nationale d'Electricité aient été libérés il y a quelques jours. Ils avaient été emprisonnés à la suite de sabotages constatés voilà plusieurs mois. Je souhaite que, très vite, les conditions soient réunies pour que l'organisation d'élections, certainement surveillées de près par la communauté internationale, permette au Niger de sortir de cette situation insatisfaisante du point de vue de la démocratie - je suis prêt à en convenir avec vous -, mais qui du point de vue de l'économie du Niger, n'est pas nécessairement la pire. Des réformes difficiles sont à conduire. J'aimerais qu'elles soient conduites.
Q - Est-ce que le général Barré pourrait conduire ces réformes s'il n'associe pas justement cette opposition qui lui fait quand même un contrepoids assez sensible ?
R - Le général Barré, mais aussi le Premier ministre en particulier, m'ont confirmé le souhait qui était le leur de voir l'opposition s'associer aux réformes envisagées. Pour l'instant, force est de reconnaître que le dialogue n'existe pas entre la majorité et l'opposition. Et même s'il est vrai qu'au Niger les élections ne se sont pas déroulées de la meilleure façon, d'une manière générale, j'observe qu'en Afrique la majorité, souvent, méprise les droits de l'opposition. J'observe souvent que l'opposition n'arrive pas à s'assumer comme opposition. Si on a perdu l'élection, on boycotte l'institution dans laquelle on espérait entrer. Je crois qu'il y a besoin d'apprendre, y compris à être opposant. Au Mozambique, il est extraordinaire de voir que les deux chefs de guerre qui se sont battus pendant 16 ans sont aujourd'hui dans une relation, j'allais dire normale, pour nous qui sommes habitués, quand même depuis quelques années, à la démocratie. Le gouvernement de M. Chissano est très informé par le responsable de l'opposition. Des conditions normales président à la manière dont il siège à l'assemblée. Mais il y a peu d'endroits où les choses se passent ainsi, et la pédagogie que nous pouvons pratiquer lorsque nous conduisons une délégation d'élus dans ces pays, c'est de conduire une délégation plurielle politiquement et de montrer que l'on peut être, majorité et opposition ensemble, pour mener une opération de développement.
Q - Et à propos d'Haïti, y a-t-il du nouveau au ministère de la Coopération ?
R - Je connais bien Haïti, j'y suis allé en 1961 pour la première fois. J'étais responsable étudiant français. J'ai fait une enquête avec un Canadien, à la suite d'une plainte des étudiants haïtiens devant une organisation internationale d'étudiants J'ai une raison supplémentaire de m'y intéresser. J'ai reçu, il y a quelques jours, notre chef de mission et nous avons commencé à travailler sur un dossier auquel je tiens, qui serait une Coopération régionale organisée en prenant appui sur les départements français de Guadeloupe et Martinique. Il y a là-bas, en effet, des besoins considérables, comme l'ont d'ailleurs confirmé les responsables de Saint-Domingue, que j'ai reçus quelques jours après, car on imagine mal Saint-Domingue pouvoir se développer si Haïti ne se développe pas en même temps. Donc, je réponds oui, nous nous intéressons de très près à Haïti et nous entendons bien les aider à se développer.
Q - (Sur l'Algérie)
R - Voulez-vous poser la question à M. Védrine, quand il reviendra d'Algérie. Il y va aujourd'hui ou demain, donc je crois qu'il sera bien mieux placé que moi pour répondre à une question concernant l'Algérie. Pardonnez-moi.
Q - Vous avez dit que vous souhaitiez articuler aide publique et aide privée, que vous souhaitiez plus de transparence, mais cela M. Godfrain le disait aussi. En quoi votre politique sera différente de celle de M. Godfrain ?
R - Attendez, ce n'est pas sur le discours qu'on juge, vous êtes bien d'accord avec moi. Alors, j'espère vous convaincre par mes actes, et par ceux qui seront conduits, plus globalement, par le gouvernement, parce que je ne suis pas seul.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 novembre 2001)