Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur l'histoire et les relations entre la France et la Suéde, Compiègne le 22 septembre 2011.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "Destins souverains, Napoléon, le tsar et le roi de Suéde" à Compiègne le 22 septembre 2011

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Votre Majesté, c'est un réel plaisir pour nous de vous accueillir avec la Reine Sylvia. Votre visite est l'occasion pour la France de vous témoigner une nouvelle fois notre estime et notre amitié.
J'ai eu l'honneur et la joie de recevoir, en septembre de l'année dernière, leurs Altesses Royales la Princesse Victoria et le Prince Daniel, à l'occasion du bicentenaire de l'élection au trône de Suède de Jean-Baptiste Bernadotte. Dans le cadre de ces célébrations, le musée national de Stockholm avait initié une exposition inédite que le Palais de Compiègne présente cet automne. Ce soir, vous nous faites l'immense honneur, avec la Reine Sylvia, d'inaugurer cette manifestation, sur la terre de vos ancêtres.
De l’amitié très ancienne entre la France et la Suède, on a coutume de dire qu’elle a connu son apogée à l'époque des Lumières. En effet, ce fut le temps où Voltaire traça de Charles XII un inoubliable portrait, celui où l'illustre Linné adressait ses travaux à notre Académie des Sciences et recueillait l'admiration de Jean-Jacques Rousseau, celui où le roi Gustave III correspondait en français avec Beaumarchais. Nos liens ont été plus resserrés encore par l'accession au trône de Jean-Baptiste Bernadotte, devenu Charles XIV Jean de Suède.
Vous savez mieux que quiconque ce que le Maréchal d'Empire Bernadotte, Prince de Ponte-Corvo, à la destinée hors du commun, a apporté à votre pays. Les Suédois ont su pressentir en sa personnalité originale les qualités d'un homme d'Etat, son humanité et son pragmatisme. Son règne a établi les bases de la Suède moderne. Entièrement dévoué à son pays d'adoption, c’est un nouvel élan politique et économique qu’il lui aura donné, tout en rétablissant les liens traditionnellement forts avec la France et en inaugurant le principe de neutralité.
S'il semble, d'après les chroniques, que Bernadotte ne soit jamais revenu dans sa ville natale, la Maison Bernadotte a toujours conservé un attachement profond à son pays d'origine et à sa patrie béarnaise. En 1872, la Reine Josefina, mère du Roi Charles XV et petite-fille de Joséphine de Beauharnais, tint à visiter la maison où il naquit ; le Roi Oscar II, en 1892, honora de sa visite la ville de son grand-père et y revint à de nombreuses reprises ; le Roi Gustave VI, votre grand-père, érudit, collectionneur, amateur d'art, manifesta toujours un vif intérêt pour la ville de Pau et une extrême générosité en faveur du musée Bernadotte. Il renforça fortement les relations d'amitié entre nos deux pays, comme vous le faites vous-même, Votre Majesté, aujourd'hui. Nous connaissons les liens affectifs qui vous unissent à la France, la terre de votre aïeul.
Dans cette exposition que nous inaugurons aujourd'hui, sous le Haut Patronage de Votre Majesté et sous celui de Monsieur Nicolas SARKOZY, Président de la République française, ce sont les destins croisés de trois souverains qui sont retracés : l’empereur Napoléon Ier, le tsar Alexandre Ier et le roi Charles XIV Jean de Suède. Tous trois furent en leur temps des stratèges dans les relations étrangères, des réformateurs dans la conduite de leur pays, des amateurs d’art dans la démonstration de leur puissance. Ces souverains, issus du Siècle des Lumières et de ses idéaux, ont littéralement remodelé l'Europe et en ont jeté les premiers fondements, au gré de leurs rivalités, au fil des campagnes militaires et des traités qui aboutirent au Congrès de Vienne de 1815.
Cette manifestation se devait de venir en France, et tout particulièrement ici. Le Palais de Compiègne avait en effet accueilli la Reine Christine de Suède en 1656 ; le Tsar Nicolas II y est également reçu en 1901. Le hasard de l'histoire a fait aussi qu'au soir du 1er mai 1814, Alexandre, Tsar de toutes les Russies et Bernadotte, alors prince héritier de Suède, se retrouvent à Compiègne pour soutenir le retour des Bourbons, à l'occasion d'un mémorable dîner en présence de Louis XVIII. L' épisode confère à cette exposition dans ces lieux un attrait tout particulier.
L’aventure de la France impériale touche alors à sa fin. Alexandre, le Tsar idéologue, le petit-fils de Catherine II, est un francophile convaincu. Porté par un idéalisme enthousiaste, il espère réformer son vaste empire, vivant dans l'illusion d'être un monarque « républicain ». Aspirant à la paix, il devra malgré lui se confronter et s'opposer à la stratégie expansionniste de Napoléon : après les lourdes défaites d'Austerlitz en 1805 et de Friedland en 1807, il sera contraint de traiter à Tilsit, mais aura sa revanche en 1814 avec l'entrée de ses troupes à Paris. Accueilli en triomphateur dans la capitale, il saura faire preuve d'une étonnante magnanimité à l'égard de Napoléon et épargner Paris.
Quant à Bernadotte, devenu par la force de ses armes et de son intelligence Maréchal de France, son éphémère carrière diplomatique le mena à Vienne et de sa rencontre avec Beethoven reste la « Sonate à Kreutzer » et la « Symphonie héroïque ». Mis à l'écart après Wagram par Napoléon, qui lui reprochait de préserver ses régiments, il sera néanmoins protégé par la présence de sa femme, Désirée Clary, qui avait été la première fiancée de Napoléon et dont la soeur avait épousé Joseph, le frère aîné du jeune Bonaparte. Malgré ses liens familiaux avec les Bonaparte, Bernadotte entretenait avec l'Empereur français des rapports complexes. Sa défiance vis-à-vis de Napoléon l'amena peu à peu à se rapprocher de la Russie.
Dans une Europe dominée désormais par la Sainte-Alliance, il est frappant de voir combien le style Empire français continua néanmoins à « régner », en quelque sorte, sur une bonne partie de l'Europe du Nord. L’âge des batailles napoléoniennes était bien révolu ; le mobilier, les objets d’art, pourtant, continuait dans toute l’Europe a porter une mémoire stylistique qui donnera naissance aux styles Empire russe et suédois. Le modèle et le savoir-faire français, encouragés par les architectes-décorateurs napoléoniens, les célèbres Percier et Fontaine, resteront prédominants dans une tradition francophile ; ils susciteront également des créations totalement originales, tels les vases en porphyre, symboles du luxe et du prestige de ces cours d'Europe du Nord. Les courants esthétiques trament ainsi des circulations souterraines qui échappent bien souvent au temps court des campagnes militaires et à l’écume du politique.
En Suède, c’est Bernadotte qui encouragea la diffusion du « style Empire » dans les arts décoratifs suédois, et les carrières d'Älvdalen produisirent ces luxueux objets destinés à ses résidences et aux cadeaux diplomatiques. À Saint-Pétersbourg, l’acquisition par Alexandre Ier de la collection de Joséphine, à la mort de cette dernière en 1814, sonnait comme un hommage à l’Impératrice douairière, la divorcée de l’Elysée et de la Malmaison, avec un indéniable parfum de revanche sur Napoléon Ier.
La présentation de plusieurs tableaux de cet ensemble est d’ailleurs une très belle invitation à prolonger la visite au Château de Malmaison, qui accueille le second volet de l'exposition consacré à Joséphine, la Suède et la Russie. On y revisite les descendances princières de Joséphine de Beauharnais avec la dynastie Romanov et la famille régnante de Suède, à travers les souvenirs de familles, les oeuvres des collections de l’Impératrice, telles que l’exceptionnel service à dessert créé par la manufacture Dihl et Guerhard pour Joséphine et son fils Eugène, dont l'extraordinaire Surtout sera vu pour la première fois en France.
Ces magnifiques témoignages de ces styles Empire russes et suédois, on les doit aux prêts consentis par le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, à ceux des collections nationales suédoises et notamment aux prêts exceptionnels des collections royales de Votre Majesté. Initialement conçue par le musée national de Stockholm qui l’a présentée avec succès à l’automne 2010, cette exposition réunit, au Palais de Compiègne, près de cent cinquante oeuvres remarquables. Je tiens à vous exprimer toute notre gratitude pour avoir accepté de nous donner à voir ces pièces incomparables.
« Destins souverains », c’est aussi une exposition qui a offert à quelques-uns des grands musées européens une très belle occasion de travailler ensemble sur un projet commun. Je tiens à adresser mes remerciements à Solfrid SÖDERLIND, directrice générale du musée national de Stockholm, et toutes mes félicitations à Magnus OLAUSSON, directeur des collections du musée et de la galerie nationale suédoise des Portraits, qui a partagé le commissariat de l’exposition. Mes remerciements vont également au Professeur Mikhail PIOTROVSKY, directeur général du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, ainsi qu'au Professeur George VILINBAKKOV, directeur chargé des collections.
Du côté français, je suis très heureux ce soir d'exprimer ma vive reconnaissance à Emmanuel STARCKY, directeur des musées nationaux et domaine de Compiègne et Blérancourt, commissaire de l’exposition, ainsi qu'à l’ensemble de ses collaborateurs pour le remarquable travail réalisé, en collaboration étroite avec les équipes de la RMN-Grand Palais qui en ont assuré, cher Jean-Paul CLUZEL, la logistique avec efficacité. Je salue enfin l’exigence et l’implication sans faille d’Hélène MEYER, conservateur au musée national du palais de Compiègne, dans la conduite de cette belle entreprise. Tous ont apporté à cette oeuvre commune le concours inappréciable de leur savoir, de leur goût et de leurs compétences. Leur travail a permis en un temps record de transférer et d'adapter pour la France cette exposition.
Je voudrais également exprimer ma gratitude à l’ensemble des prêteurs, publics et privés, français et étrangers, dont la généreuse contribution a été indispensable à l’aboutissement de ce projet. Je pense notamment aux musées de Copenhague et de Hambourg, ainsi qu’au musée du Louvre, au musée national du château de Versailles, au musée de l’Armée ou à la Bibliothèque nationale de France.
Le soutien des plus hautes autorités suédoises russes et françaises a permis que cette exposition puisse se tenir en France, avec la participation de mon ministère, avec le concours également du Conseil général de l'Oise. Elle aura par ailleurs été grandement facilitée par des mécènes français et suédois : je remercie la société Moët Hennessy, la compagnie suédoise Vattenfall et la compagnie aérienne Scandinavian Airlines, dont les présidents, Monsieur NAVARRE, Monsieur de MANNEVILLE et Monsieur BRATBERG sont parmi nous.
Je ne peux que souhaiter à ces deux belles expositions tout le succès qu’elles méritent. Elles déploient magnifiquement le tableau d’une Europe de guerre et de paix dont Tolstoï nous a plus tard admirablement transmis le souffle épique, et sur laquelle ces trois monarques auront exercé leur empreinte. Elles portent la trace, aussi, d’une sidération collective face à une histoire qui s’emballe, celle qui faisait dire à Goethe, ce grand admirateur de Napoléon, dans une lettre à son ami Charles-Frédéric Reinhard au moment de l'incendie de Moscou : « Et maintenant on ne sait pas en vérité si nos facultés d'étonnement seront à la mesure de ce que ces grands événements nous imposent ».
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 23 septembre 2011