Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative à RTL le 28 septembre 2011, sur la grève des enseignants, la réforme des pratiques pédagogiques et les suppressions de postes d'enseignants.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
JEAN-MICHEL APHATIE Bonjour Luc CHATEL.
 
LUC CHATEL Bonjour Jean-Michel APHATIE.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Il y avait, on ne sait pas combien, parce que les chiffres n’arrivent jamais, beaucoup d’enseignants, du privé et du public dans les rues des villes de France hier. Les enseignants sont-ils heureux en France Luc CHATEL ?
 
LUC CHATEL Je vais vous répondre. Vous savez nous sommes en démocratie, et chacun a droit d’exprimer ses convictions, a le droit à ne pas être d’accord avec la politique du gouvernement, de le faire savoir y compris par le recours à la grève ou à la manifestation. C’est la démocratie sociale qui fonctionne.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Ce n’est même pas en cause !
 
LUC CHATEL Non, je ne la mets pas en cause, mais juste un mot, parce que j’entends dire depuis hier que nous avions affaire hier à une journée absolument inédite et historique, il y avait 28 % des enseignants dans le premier degré en grève, et 21 % dans le second degré. Ca veut quand même dire qu’il y avait trois enseignants sur quatre qui travaillaient hier. Alors est-ce qu’ils étaient…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Les organisations syndicales donnent d’autres chiffres, c’est pour ça que j’en n’ai pas cités. Les enseignants sont-ils heureux en France ?
 
LUC CHATEL Justement, je vais répondre. Est-ce que ça veut dire que ces trois enseignants sur quatre qui travaillaient hier étaient pour autant heureux de leur sort ? Je crois que nous devons améliorer la condition enseignante et nous devons, Alain DUHAMEL y faisait référence tout à l’heure, revoir l’organisation générale de notre enseignement, nos méthodes pédagogiques, nos méthodes de travail, l’organisation du ministère, et valoriser davantage la condition enseignante. Nous, nous sommes engagés dans cette voie. Je rappelle qu’on parle beaucoup des suppressions de postes depuis 2007, mais ces suppressions de postes ont une conséquence, c’est que la moitié des économies réalisées nous servent à revaloriser les enseignants et de puis 2007 il y a un milliard d’euros qui a été redistribués pour les enseignants, et c’est vrai en début de carrière nous avons augmenté il y a un an les enseignants de 10 %. 10 %, quel est le pays qui aujourd’hui a fait ce choix d’augmenter les enseignants en début de carrière de 10 % alors que dans tous les grands pays développés, compte tenu des problèmes budgétaires, on entend plutôt parler de licenciement ou de baisse de la rémunération. Ca n’est pas le choix que nous faisons parce que notre choix c’est moins de fonctionnaires mieux rémunérés, mieux valorisés avec des possibilités d’évolution de carrière qui soient meilleures, ou on intègre, ou on valorise l’engagement de chacun.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Mais vous convenez, pour de multiples raisons sans doute, du malaise enseignant ?
 
LUC CHATEL Oui il y a un malaise ; il y a un malaise parce que d’abord le métier a changé. Quel est le grand changement depuis vingt cinq ans dans l’Education nationale ? C’est l’éducation de masse. Aujourd’hui on accueille 100 % d’une génération au collège. Aujourd’hui on accueille 70 % d’une génération au lycée. C’était 20 % au début des années 80. Le métier n’est plus le même. Dans une classe vous avez une hétérogénéité qui rend le travail de l’enseignant beaucoup plus difficile. Or notre ministère ne s’est pas depuis vingt ans suffisamment adapté à cela. Nous utilisons trop les mêmes pratiques pédagogiques là où il faut personnaliser, différencier…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vos successeurs n’ont pas fait le travail.
 
LUC CHATEL Je ne dis pas cela. Vous savez moi j’essaye d’être modeste, simplement le temps de l’éducation est un temps long qui est souvent différent du temps politique. J’observe que je fais ma troisième rentrée scolaire comme ministre de l’Education nationale, et que…
 
JEAN-MICHEL APHATIE C’est un record.
 
LUC CHATEL Je ne dis pas que c’est un record mais je pense que l’Education nationale a besoin de temps long. Un élève passe quinze années à l’école, quinze années à l’école. Ca veut dire qu’il va connaître en moyenne pas loin de vingt ministres de l’Education nationale.
 
JEAN-MICHEL APHATIE C’est horrible !!
 
LUC CHATEL Donc il faut rester modeste mais il faut essayer de garder le cap. Le cap que nous avons retenu c’est celui de la personnalisation des parcours. Une solution pour chacun. Aujourd’hui il y a trop d’élèves qui quittent l’éducation sans diplôme, sans qualification…
 
JEAN-MICHEL APHATIE 150 000 par an.
 
LUC CHATEL 150 000 par an. Sans oublier ceux qui n’ont pas de solution en fin de première année d’université.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Parlons des suppressions de postes si vous le voulez bien Luc CHATEL, puisque c’est tout de même au centre de la préoccupation exprimée en tout cas dans les rues hier et par beaucoup d‘enseignants, 14 000 postes seront supprimés à la rentrée 2012, c’est le chiffre qui est présent dans le budget qui sera présenté aujourd’hui en Conseil des ministres, 80 000 postes ont été supprimés dans l’Education nationale depuis 2007, il y a 850 000 enseignants en France. Ca veut dire que 10 % des effectifs enseignants sont supprimés. Est-ce que dans le prochain quinquennat il faudra encore supprimer des postes pour des raisons budgétaires ?
 
LUC CHATEL D’abord une précision pour bien expliquer aux auditeurs de RTL. Il y a aujourd’hui en septembre 2011, 35 000 professeurs de plus qu’il y en avait il y a vingt ans dans le système éducatif. Alors qu’il y a 500 000 élèves de moins ; Donc le taux d’encadrement…
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous brouillez un peu les pistes. Est-ce qu’on peut encore supprimer des postes ou est-ce qu’on est arrivé …
 
LUC CHATEL Je ne brouille pas les pistes… Il ne faut pas regarder les choses comme ça. Nous verrons dans le cadre du débat présidentiel… Moi je souhaite qu’il y ait une confrontation d’idées sur cette question de l’éducation. Et nous devons réfléchir, je l’évoquais un petit peu tout à l’heure, à l’organisation du système. Quelle est aujourd’hui la place de l’école dans la société ? Quelle est donc la mission des enseignants ? Et donc quelle est l’obligation de service, quel est le travail qui vient de l’enseignant ?
 
JEAN-MICHEL APHATIE Revenons à ma question, dans le prochain quinquennat il faudra encore continuer à supprimer des postes ou c’est impossible ?
 
LUC CHATEL Je crois qu’il ne faut pas fixer de préalable. Le président de la République avait fixé un objectif ….
 
JEAN-MICHEL APHATIE Donc c’est possible, il faut peut-être continuer à supprimer des postes dans l’Education nationale ?
 
LUC CHATEL Le président de la République avait fixé un objectif pour son quinquennat, qui était de dire aux Français : moins de fonctionnaire mieux on est rémunéré, et ça s’est traduit par la règle du 1 sur 2. Non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Je vais juste dire une chose, c’est que l’Education nationale est non seulement le premier employeur de France mais reste le premier recruteur de France. On oublie que chaque année nous recrutons cette année 17 000 personnes.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous ne voulez pas dire ce matin sur RTL Luc CHATEL si on est arrivé au maximum et s’il faut arrêter de supprimer des postes.
 
LUC CHATEL Je crois qu’il faudra une évaluation précise de la situation, et chaque candidat s’exprimera par rapport à ça.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Voici comment le chef de l’Etat en visite dans l’Oise hier a parlé des fonctionnaires.
 
NICOLAS SARKOZY Mon devoir de chef de l’Etat c’est d’abord de penser aux ouvriers, aux salariés et aux cadres plus que de penser à ceux qui ont un travail difficile, mais qui ont un statut qui les protège.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous imaginez que dans la fonction publique, quand on entend ça on ne doit pas être très content.
 
LUC CHATEL Ne vous méprenez pas sur ces déclarations. Le président de la République ne veut pas opposer les catégories de fonctionnaires les uns aux autres. Le président de la République, qu’est-ce qu’il fait ? D’abord il reconnaît la difficulté du métier d’enseignant. Je l’ai accompagné à plusieurs reprises dans des établissements scolaires et il a rappelé les difficultés que peuvent rencontrer les enseignants. Ensuite, ce qu’il dit c’est une vérité que chaque Français peut comprendre. Dans la crise tout le monde souffre, oui. Mais il y en a qui souffrent un peu plus que d’autres parce que leur contrat, leur poste est un peu plus exposé. C’est ça qu’il veut dire, c’est quand on est en contrat à durée déterminée ou quand on est dans une entreprise qui a de grandes difficultés sur un marché, eh bien oui on est plus exposé que ceux qui ont des contrats à durée indéterminée.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Vous êtes le ministre du secteur protégé, Luc CHATEL.
 
LUC CHATEL Je ne dis pas protégé. Ce que je dis c’est que …
 
JEAN-MICHEL APHATIE C’est ce que dit le président.
 
LUC CHATEL Attendez, ce que je dis c’est que moi je travaille pour améliorer la fonction enseignante et améliorer les résultats de notre système éducatif. Voilà ma préoccupation quotidienne.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Si vous aviez un conseil d’ami Luc CHATEL, pas un conseil politique, mais un conseil d’ami à donner à Nicolas SARKOZY. Vous lui diriez « représente toi Nicolas » ou bien « choisis toi une autre vie Nicolas » ?
 
LUC CHATEL Ah moi je pense que Nicolas SARKOZY est non seulement un bon candidat mais c’est le seul à pouvoir faire gagner notre camp.
 
JEAN-MICHEL APHATIE C’est un conseil d’ami ?
 
LUC CHATEL Oui c’est un conseil d’ami. Mais je ne suis pas sur qu’il ait besoin de conseil de ses amis, je pense qu’il sera prendre sa décision seul.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Il l’a déjà prise ?
 
LUC CHATEL Je n’en sais rien.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Et quand vous voyez les sondages, tout ce qu’on dit, vous pensez qu’il peut encore gagner ?
 
LUC CHATEL Est-ce que vous connaissez un sondage qui a donné le vainqueur de l’élection présidentielle au mois de septembre ? Moi je n’en connais pas.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Si, ça a du exister.
 
LUC CHATEL Moi je n’en connais pas. Et j’en connais même qui jusqu’au mois de janvier ou février ne donnaient pas le vainqueur de l’élection présidentielle. Donc il ne faut pas être favori au mois de septembre pour gagner en mai.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Ca va être qui alors le vainqueur de l’élection présidentielle d’après vous ?
 
LUC CHATEL Ecoutez nous le ferons quelque chose comme la mi mai. C’est ça ?
 
 JEAN-MICHEL APHATIE Celui que les sondages donnent perdant ?
 
LUC CHATEL Non, écoutez, en tout cas ce que je constate c’est que les sondages au mois de septembre ce ne sont pas eux qui font le vainqueur de l’élection présidentielle. Et Nicolas SARKOZY c’est celui qui peut faire gagner notre camp, pourquoi ? Parce que d’abord les Français je pense se rendront compte de la nature et de la qualité de son bilan, notamment face à la crise ; et puis ensuite c’est le seul capable d’expliquer simplement aux Français la situation dans laquelle ils sont et de leur proposer des perspectives d’avenir.
 
JEAN-MICHEL APHATIE Luc CHATEL qui donnait des conseils à un ami ce matin sur RTL était notre invité. Bonne journée.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 4 octobre 2011