Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur le chantier de la rénovation du musée d'Orsay et la politique muséale, à Paris le 12 octobre 2011.

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Circonstance : Inauguration des espaces rénovés du musée d'Orsay, à Paris le 12 octobre 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Après deux ans de travaux, menés à bien sans qu’il y eut besoin de fermer ses portes, le musée d’Orsay présentera la semaine prochaine son nouveau visage au public.
Lancé en 1977 par Valéry Giscard d’Estaing, inauguré en 1986 par François Mitterrand, il fête cette année un quart de siècle d’existence en écrivant une nouvelle page de son histoire.
Je veux rendre hommage à Guy Cogeval qui a initié et qui a conduit ce grand chantier.
Un chantier qui redessine pratiquement de fond en comble le musée, mise à part la grande nef.
Un chantier qui octroie à ce musée 2000 m2 supplémentaires. Un chantier au terme duquel plus de la moitié des œuvres auront été ré-accrochées. Un chantier qui va permettre d’améliorer aussi bien l’accueil des visiteurs que la mise en valeur des collections et des expositions temporaires.
C’est vrai qu’il y a longtemps que la nécessité de ces travaux était reconnue.
L’installation d’un musée dans l’ancienne gare d’Orsay avait été une véritable prouesse architecturale. J’évoquais d’ailleurs à l’instant mon premier souvenir du musée d’Orsay ; C’était en 1978, j’étais un tout jeune collaborateur du ministre des Transports et le président Giscard d’Estaing avait donné des ordres pour que la SNCF finance la mise en place de systèmes pour faire en sorte que le musée ne tremble pas trop sous le passage des métros. C’était une prouesse architecturale, mais c’était une prouesse architecturale qui avait engendré des contraintes dont il était apparu assez vite qu’il faudrait y remédier dans un second temps.
Eh bien, c’est aujourd’hui chose faite.
Le musée d’Orsay dispose, enfin, d’un espace qui est à la mesure de son succès et qui va l’amplifier.
Plus de 3 millions de personnes s’y rendent chaque année.
Ce qui veut dire qu’avec le Louvre, avec Versailles, avec le Centre Pompidou, Orsay fait partie des dix musées les plus visités au monde.
Ce succès démontre toute la pertinence et toute la richesse de la vocation qui lui a été assignée à sa création.
Françoise Cachin, qui a joué un si grand rôle pour en faire triompher l’idée, n’est malheureusement plus là, mais je suis heureux que parmi les nouveaux espaces que nous inaugurons, une galerie qui porte son nom préserve la mémoire de tout ce qu’elle a accompli ici.
Si le musée d’Orsay est aussi populaire, s’il est aussi apprécié des Français, c’est parce qu’il présente des chefs-d’œuvre qui appartiennent à la fois à notre mémoire collective et à l’histoire de l’art mondial.
C’est parce que la période à laquelle il se consacre est encore fondatrice de nos goûts, de notre sensibilité, de notre manière de voir le monde.
C’est parce qu’il témoigne, sur le vif, des grands bouleversements esthétiques qui ont engendré ces mutations, en confrontant devant nos regards les œuvres des artistes qui étaient alors célèbres et qui sont devenus obscurs, et celles des artistes qui étaient au même moment dédaignés et que la postérité a finalement reconnu parmi les plus grands.
Et c’est, enfin, parce que cette époque qui est celle que Gaétan Picon – le grand critique ami de Malraux – appelait "la naissance de la peinture moderne" est aussi celle de la naissance de la France moderne, celle d’une modernisation technique, économique, politique, à laquelle font écho les révolutions de la perception et de la représentation dont le musée d’Orsay recueille le témoignage.
Derrière la lutte entre les académismes et les avant-gardes, entre Bouguereau et Manet, se dessine en filigrane celle qui oppose le Second Empire finissant et les institutions républicaines dont le sens de l’histoire appelait le rétablissement.
Je suis sensible à ces correspondances entre art et politique qui caractérisent le long demi-siècle couvert par le musée d’Orsay et que jalonnent l’année 1863 ; année où Napoléon III concède sous la pression l’organisation du salon des Refusés, et l’année 1897 où la IIIe République signe la défaite officielle de l’académisme en faisant entrer au musée du Luxembourg les œuvres des impressionnistes.
La grandeur de ce musée, c’est de ne privilégier aucun courant, c’est d’exposer tous les partis en présence, c’est de révéler les antagonismes qui s’affrontent dans un contexte où rien n’est encore écrit d’avance.
C’est de laisser percevoir, sous l’angle de l’art, la richesse de toute cette période marquée par un faisceau d’aspirations nouvelles, mais aussi par des doutes, des hésitations, des continuités puissantes, soutenues par des forces nombreuses.
La grandeur de ce musée, c’est de permettre au visiteur de tracer son propre parcours au milieu de toutes les tendances, celles qui regardent du côté de la tradition comme celles qui regardent du côté de l’innovation.
Dans les travaux que vous avez conduits et dont nous célébrons la fin, il y a une ambition qui est double : celle de renforcer l’évocation de cette époque si riche, et en même temps d’utiliser les ressources de l’architecture et du design contemporain, avec Jean-Michel Wilmotte, avec Dominique Brard, avec Tokujin Yoshioka, avec les frères Campana.
Ce qui frappe, dans ce nouvel Orsay, c’est évidemment la couleur, la couleur des murs, qui est au cœur du projet esthétique de Guy Cogeval.
Elle est là pour redonner chaleur et subtilité à la perception des œuvres.
Elle est là pour recréer les atmosphères dans lesquelles les peintures avaient été conçues et contemplées en leur temps.
En évoquant les statues grecques, qui étaient autrefois polychromes et dont les yeux avaient la prunelle peinte en rouge, Malraux disait qu’elles avaient été "repeintes en blanc par les siècles" et que "le passé presque entier nous est arrivé sans couleur".
Eh bien, ce sont en quelque sorte les couleurs du XIXe siècle que vous avez cherché à raviver, ces couleurs sur lesquelles celles des tableaux gagnent à être replacées. C’est une ambition qui est fidèle à la vocation du musée d’Orsay.
C’est une ambition qui tranche avec le dogme de la blancheur des murs qui s’est imposé dans les musées du XXe siècle.
Il y a finalement de l’audace dans cette entreprise qui illustre le renouvellement permanent qui caractérise le rapport que nous entretenons avec les richesses de notre patrimoine.
Cette inauguration du nouvel Orsay, c’est aussi l’occasion pour moi de rendre hommage au travail accompli par tous ceux qui travaillent dans les musées de France, qu’ils soient d’Etat, qu’ils relèvent des collectivités locales, ou qu’ils soient privés. Parce que la richesse picturale de notre pays n’appartient pas seulement à l’Etat, elle est préservée et valorisée par tout un réseau d’institutions et d’acteurs qui font de la France un grand pays de culture.
En l’espace de dix ans, nos musées se sont considérablement développés, dynamisés, modernisés.
Ils l’ont fait d’abord de leur propre initiative, dans le cadre d’une autonomie plus grande, et avec le soutien actif de la puissance publique, dont l’effort budgétaire est passé de 335 à 528 millions d’euros entre 2000 et 2010.
Sur cette même période, la fréquentation des musées nationaux a augmenté de plus de 50% - un engouement auquel la gratuité pour les moins de 26 ans instaurée à l’initiative du président de la République a aussi contribué depuis deux ans.
Les collections se sont enrichies, grâce à la participation financière de l’Etat, des collectivités, grâce au renforcement du mécénat, grâce aux dons des collectionneurs privés pour lesquels le prestige et l’attrait de nos musées restent forts.
Les prêts, les dépôts et les transferts en direction des musées territoriaux se sont intensifiés.
Le tournant de la numérisation a été engagé, le programme d’investissements d’avenir ayant rendu possible, à cet égard, des initiatives concrètes extrêmement ambitieuses.
Des grands chantiers sont en cours, menés par Frédéric Mitterrand : le département des arts de l’Islam du Louvre, le renouveau du musée Picasso, le Mucem à Marseille, la Maison de l’Histoire de France.
Le Centre Pompidou Metz, qui est déjà un très beau succès, le Centre Pompidou Mobile, qui s’installe en ce moment à Chaumont, le Louvre Lens, qui ouvrira dans un peu plus d’un an, sont des exemples qui illustrent parfaitement l’esprit d’innovation qui anime aujourd’hui les musées français.
Je sais qu’Orsay réfléchit à des initiatives du même ordre et nous pouvons souhaiter qu’il y ait un jour une grande antenne d’Orsay hors de Paris, par exemple au Havre comme cela a été évoqué, et peut-être aussi un "Orsay Mobile" qui permette au plus grand nombre de voir les grandes œuvres de votre musée.
A travers ces modes d’action nouveaux, ce sont des ambitions anciennes qui se perpétuent et qui se réinventent, des ambitions anciennes mais qui sont encore les nôtres parce qu’elles établissent la valeur et la dignité de notre destin national.
Nous sommes les héritiers de l’abbé Grégoire qui avait voulu rendre au peuple les témoignages de la grandeur humaine, jusqu’alors réservés à quelques-uns, dans le secret des cabinets de curiosité.
Les musées sont devenus un enjeu politique en même temps que naissait l’idée républicaine. C’est un enjeu qui est toujours actuel, c’est un enjeu qui est à reprendre sans cesse, parce que nul ne doit se sentir éloigné ou privé de ce qui est notre patrimoine commun.
A l’enjeu de la démocratisation, s’ajoute celui du rayonnement de notre pays, dont nos musées sont depuis longtemps un axe essentiel.
Et il n’y a, de ce point de vue, aucun sens à considérer leur développement comme une manière de se tourner vers le passé et de négliger l’action. Tous nos atouts doivent être valorisés. Toutes nos potentialités doivent être déployées.
La culture, le patrimoine sont des domaines d’action à part entière sur lesquelles nous devons nous appuyer pour écrire notre avenir. Ils nous donnent des repères, des valeurs, des ressources dans le monde nouveau qui est en train de se dessiner sous nos yeux. C’est un monde où de grandes puissances émergent sur tous les continents. C’est un monde où les positions dominantes des vieilles nations industrialisées vacillent. C’est un monde où la concurrence s’annonce de plus en plus rude.
Les équilibres politiques et économiques subissent des bouleversements qui sont présents à l’esprit de chacun. Ils font naître des inquiétudes. Ils nous obligent à la lucidité, au courage, à cette capacité aussi de dominer la vitesse de l’Histoire.
Tous nos atouts doivent être mobilisés, et tous nos atouts ne sont pas d’ordre matériel.
Dans ce qui relève de l’esprit et des arts, nous avons des ressources qui nous sont enviées et sur lesquelles nous devons miser.
Je crois que l’avenir ne se construira qu’avec la connaissance de ce que notre humanité nous a légué de plus précieux et de plus beau.
Nous vivons une époque où la préservation du passé a d’ailleurs atteint un degré inédit.
Il y a d’abord la paix entre les nations qui a certainement favorisée cette préservation. Il y a aussi le progrès technologique qui a démultiplié les possibilités d’archivage, et les musées sont le symbole de cette démultiplication.
On a beaucoup disserté sur la "muséification" de notre vieux pays. Mais en réalité c’est un phénomène mondial qui mérite beaucoup mieux qu’un slogan péjoratif. Parce qu’il signifie que nous ne voulons pas céder aux forces de la destruction. Parce qu’il signifie aussi que jamais les civilisations n’ont autant aspiré à faire dialoguer le meilleur de leurs héritages.
Et si la France est à l’avant-garde de ce mouvement, elle ne doit certainement pas s’en désoler. Bien au contraire, il y a de la vie, il y a de la générosité et il y a du respect, dans cette ambition. C’est en continuant à s’affirmer comme une grande puissance culturelle que notre pays continuera à peser sur le cours du monde. Et c’est en continuant de souligner les liens incandescents entre les élans artistiques du passé et les fulgurances du présent que nous pouvons donner à notre univers contemporain sa profondeur.
Alors, en inaugurant avec vous ces nouvelles salles, je veux saluer la part que prend le musée d’Orsay à notre rayonnement national. Et j’en appelle, Mesdames et Messieurs, devant toutes ces œuvres qui nous entourent en silence, à cette étincelle intime qui peut éclairer à jamais le cœur de leurs visiteurs.
Source http://www.gouvernement.fr, le 13 octobre 2011