Texte intégral
Dans un ouvrage récent, Jean-François Sirinelli a déploré la perte dinfluence et de rayonnement des historiens français dans le paysage international. Des initiatives à succès, ouvertes sur le monde, comme les Rendez-vous de lHistoire de Blois ou le Festival du film dhistoire de Pessac démontrent la vitalité et la richesse du débat historiographique dans notre pays, la richesse dune écriture qui se nourrit aujourdhui du dialogue avec les autres sciences sociales, de linfluence de questionnements neufs à limage des gender studies. Lhistoire nest pas une, elle est plurielle. Le sillon creusé par lEcole des Annales, par Lucien Febvre, reste profond, mais depuis lors de nouveaux questionnements ont germé, qui ont permis dinterroger les cultures sensibles, la vie de personnages inconnus à limage du François-René Pinagot dAlain Corbin, la symbolique et les couleurs, lhistoire du genre et des « constructions sociales », le cinéma comme « agent de lhistoire » du Xxe siècle (Marc Ferro) ou encore larchéologie des zones de conflit de la Première guerre mondiale.
Lédition en matière dhistoire, comme lensemble du secteur, traverse, vous le savez, une période contrastée. Toutefois de grandes maisons dédition ont fait des productions historiques leur porte-drapeau : je pense à Fayard, aux éditions du Seuil, à Perrin, à Flammarion, à Taillandier et à tant dautres. Les 250 exposants présents au Salon du Livre dhistoire, que javais eu le plaisir de visiter lan dernier, témoignent de cette vitalité. Cela passe par lédition douvrages dérudition, de travaux de recherche, de biographies, cela passe aussi par la présence de lhistoire dans la littérature, dans la fiction, à laquelle le Prix du roman historique rend justice grâce au parrainage du Crédit industriel et commercial (CIC Ouest).
La qualité des auteurs en compétition, la diversité de leurs écritures, de leurs univers révèlent pleinement combien le passé informe le présent, combien le patrimoine commun laissé par le siècles nourrit la création autant quil fait vibrer nos imaginaires, cette part de nous-mêmes où lintime rejoint la grande aventure collective, où lindividu se fond dans lépopée, celle dun Max Aue dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell, celle dun Victorien Salagnon dans LArt français de la guerre dAlexis Jenni, roman remarqué de la rentrée littéraire sans oublier le Ian Karski mis en scène par Arthur Nauzyciel lors du dernier festival dAvignon.
Les Rendez-vous de lHistoire, sous la Présidence de Pierre Nora et la direction avisée de Francis Chevrier, rendent hommage à cette pluralité et à cette vitalité. En choisissant le thème de lOrient, lhistoire se confronte à lactualité brûlante des révolutions arabes, dont la fulgurance a été captée par tant dimages, mises à lhonneur dans le cadre du cycle cinéma coordonné par Rithy Panh. Un extraordinaire foisonnement dimages y est proposé, filmées par les plus grands réalisateurs du Proche Orient à lAsie orientale : regards sur cet horizon à la fois proche et lointain, regards sur nous-mêmes aussi, sur nos orientalismes qui auront déterminé notre rapport à laltérité de ces Orients « compliqués », avec Fritz Lang, avec Jean Renoir.
Permettez-moi de marrêter quelques instants sur le projet de Maison de lhistoire de France dont le Président de la République ma confié la mise en oeuvre. Le 16 juin dernier, cinq mois après avoir installé le Comité dorientation scientifique de la Maison de lhistoire de France présidé par Jean-Pierre Rioux, jai reçu lavant projet pour la Maison de lHistoire de France, document détape présentant ses préconisations concernant ce grand projet culturel. Fruit de ses travaux ,de ses réunions plénières comme des groupes de travail qui ont été constitués, des échanges au sein du Comité comme de ses visites et de ses consultations - que je sais avoir été nombreuses - ce rapport offre un chemin, que je crois apaisé, de ce que sera demain la Maison de lHistoire de France.
Cest un travail dhistoriens et de personnalités culturelles venus dhorizons scientifiques, culturels et épistémologiques très différents. Il porte en lui une exigence de rigueur et de pluralisme au service dune idée pour notre temps : celle dun lieu trait dunion entre les questions du présent, les chemins de lavenir et les travaux sur le passé. Conformément à ce que javais souhaité, ce Comité a bien été, sous la conduite vigilante de son Président, Jean-Pierre Rioux et de son rapporteur, le doyen Dominique Borne une instance de réflexion, délaboration et de travail afin dapporter à lassociation de préfiguration chargée de la mise en oeuvre de ce projet une expertise dans lensemble des champs et des disciplines de lhistoire, de larchéologie à lhistoire du temps présent, des sciences sociales aux études dites « post-coloniales ».
Lors des nombreux entretiens et des séances de travail qui ont eu lieu, ce Comité a pris la mesure de limportance dun réseau ouvert sur les enjeux du patrimoine, des mémoires et de la diversité des histoires vécues ; il a mesuré lexigence dune histoire sachant articuler lapproche globale et la perception locale, qui ne soit pas repliée dans un récit essentialiste et unificateur, capable de prendre en compte la richesse de nos écritures historiques : lapport de lécole des Annales, des interrogations de Michel de Certeau dans Linvention du quotidien ou encore, plus récemment, celles de lhistoire du genre.
La remise de ce rapport donne de la consistance au projet. Il traduit pleinement lesprit dans lequel le Président de la République ma confié cette mission : louverture à une histoire pensée et construite par les historiens et les producteurs dhistoire ; la volonté de construire un projet inscrit dans la durée, en cohérence avec les attentes du public mais aussi avec les besoins de la communauté savante.
Cest assurément une étape importante dans ce projet qui, je le sais, a nourri la polémique et échauffé les esprits, parfois jusquà lexcès. Ce document est disponible sur le site du Ministère de la Culture et de la Communication et sur le site de la Maison de lhistoire de France ; il a par ailleurs été adressé à près de 1000 personnalités, historiennes et historiens, associations denseignants, conservateurs de musée, acteurs culturel des territoires, il est aujourdhui lobjet de débats et de rencontres en régions, comme celle qui a eu lieu cet après-midi, à Blois.
Je me suis fortement engagé, vous le savez, et jai accordé toute ma confiance à ce Comité dans la conduite de ses travaux. Il a pleinement rempli sa mission, telle que je lavais alors définie, consistant à être consulté et à se prononcer sur tous les aspects du projet :
La création dun projet numérique ;
La constitution du réseau des musées et lieux dhistoire et de mémoire ;
Les projets dexpositions temporaires et autres manifestations ;
Une galerie des temps modulaire ;
Les échanges internationaux et les relations avec les musées dhistoire en Europe et dans le monde ;
Les relations avec le monde éducatif et avec les organismes de recherche, dans toute leur diversité ;
Les politiques des publics, enfin.
Sur aucun de ces sujets, le Comité na été bridé. Sur aucun de ces chantiers, son champ dinvestigation et sa réflexion souveraine nont été limités. Il a travaillé en toute indépendance et en bonne intelligence. Le rapport que vous aurez entre les mains, et qui nest quune étape dans lavancement du projet, en témoigne pleinement.
Dans lesprit qui a présidé à sa création et dans une confiance renouvelée, je sais pouvoir compter sur les membres de ce Comité pour avancer vers lavenir et poursuivre le travail quil a engagé. Dici la fin de lannée, le Comité dorientation scientifique continuera à se réunir et à préciser le projet qui vous est présenté aujourdhui, en tenant compte des avis, observations, propositions qui lui seront faites.
Il poursuivra notamment le projet dexposition de préfiguration pour la fin de lannée 2012, dont Pascal Ory et Martine Segalen, que je tiens à remercier, ont accepté dassurer le Commissariat. Cette dernière dira la France à parti de six thèmes qui semblent incarner sa singularité et sa trace dans la longue durée : le rapport à lespace, lhistoire de la démographie, des peuples de la France, le rapport au pouvoir, aux langues, à la religion, aux Droits de lhomme, en ayant toujours en tête les points de comparaison avec dautres formes de constructions nationales en Europe, voire hors dEurope. Ces séquences, telles quelles ont été pensées, manifestent bien la volonté de rassembler et de fédérer les divers courants de la réflexion historique et les traditions épistémologiques : des Annales à la microstoria, des sciences sociales à lapproche sociale du politique, de lhistoire du genre aux post-colonial studies, elle nentend ni exclure, ni hiérarchiser mais présenter toutes les facettes dune France qui est aujourdhui un « pays monde ».
Désormais dotée dun avant-projet, la Maison de lhistoire de France peut avancer. Au 1er janvier 2012, lEtablissement public de la Maison de lhistoire de France deviendra le pilote et la tête de réseau de ce projet. Jinsiste sur ce point : cette Maison veut agréger, fédérer, rassembler toutes les énergies, toutes les initiatives, celles des sociétés savantes, celle des associations valorisant des lieux de mémoire, celle des collectivités locales, celles des professionnels de lhistoire. Je crois à lidée dun espace numérique dédié à lhistoire, à sa fabrique, à la construction de son discours, à ses supports audiovisuels, si importants dans lactivité des pédagogues aujourdhui.
Conformément à ce que jai indiqué et rappelé à diverses reprises, la Maison de lhistoire de France sera installée dans le quadrilatère de Rohan-Soubise, aux côtés des Archives nationales et non pas contre les Archives nationales. Jai engagé une grande politique pour les archives dans notre pays : le bâtiment de Massimiliano Fuksas à Pierrefitte pour lequel lEtat a investi près de 200 millions deuros proposera 66 000 m2 pour les collections et les fonds postérieurs à 1790. Aujourdhui le quadrilatère de Rohan Soubise nen propose que 44 000 m2. Les fonds dAncien régime et le minutier des notaires resteront dans le Marais ; ce quadrilatère, qui est un joyau de notre patrimoine, sera restauré et rénové, ses jardins sont désormais accessibles et appréciés par les visiteurs et les habitants du Marais. Qui peut douter quun projet ambitieux au service de lhistoire et de sa transmission nentre pas en résonance et en écho avec le projet scientifique, culturel et éducatif des Archives Nationales auquel j'attache le plus grand prix ? Je le redirai prochainement aux conservateurs et aux personnels des services dArchives à Paris et en région.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 18 octobre 2011