Déclaration de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, sur la question du développement dans le cadre du G20, à Paris le 21 octobre 2011.

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Circonstance : Clôture de la Conférence de la présidence française du G20 sur le développement, à Paris le 21 octobre 2011

Texte intégral

Monsieur le Ministre d’État,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Avant de conclure cette première Conférence - parce que c’est en effet une première - cette Conférence de haut niveau du G20 sur le Développement, je voudrais d’abord vous exprimer ma satisfaction et mes remerciements. Je suis heureux qu’elle ait suscité un si grand intérêt.
La venue du président de la République, la force et l’envergure de son engagement, lui donnent une résonnance particulière et un élan décisif. Il a délivré le message ardent qui donne au G20 Développement sa légitimité et son irréversibilité. Votre mobilisation répond à la force de sa conviction.
Vous êtes venus nombreux, des quatre coins de l’horizon pour partager et transmettre un bel idéal : le développement, ce n’est pas la compassion mais l’espérance.
Je voudrais vous remercier tous, chaleureusement, de votre engagement dans ce débat ouvert et constructif, pour vos contributions souvent passionnées, et remercier en particulier nos intervenants pour leur contribution.
M. Tomasi nous a rappelé à l’instant que cette Conférence marque l’aboutissement d’un long processus de négociation, intense et passionnant. Les propositions que nous faisons aujourd’hui témoignent de notre volonté de construire une mondialisation plus juste et plus respectueuse des populations. Les comptes-rendus que nous venons d’entendre montrent que ce projet n’est pas vain !
Nos conclusions d’aujourd’hui sont importantes, au moins pour trois raisons : devant l’émergence d’un monde nouveau, qui souvent inquiète, elles montrent notre volonté d’instaurer une nouvelle gouvernance ; elles soulignent ensuite que les solutions innovantes du G20 Développement peuvent contribuer à une «mondialisation maîtrisée», enfin, elles lancent un appel à la mobilisation de nouveaux acteurs et à de nouvelles alliances.
Permettez-moi de revenir tout d’abord sur ce nouveau monde qui se dessine sous nos yeux, à la vitesse de la lumière.
Notre monde se caractérise par une interdépendance croissante entre les nations et les peuples. La mondialisation a des aspects positifs. Au cours des dernières décennies, elle a favorisé le progrès économique dans de nombreux pays.
Elle a contribué ainsi à sortir des millions de personnes de l’extrême pauvreté. Paradoxalement, dans le même temps, elle a laissé s’instaurer un modèle de croissance déséquilibré, écologiquement insoutenable et trop inéquitable. Le chômage et les inégalités se sont développés.
Cette mutation ne date pas d’hier. Mais tout se passe comme si le temps s’accélérait, donnant l’impression d’un irrésistible emballement. Au cours des derniers mois, nous avons vu se produire des bouleversements majeurs : d’abord, l’espoir soulevé par le printemps des peuples, cette formidable aspiration à la liberté, au progrès et à la démocratie ; mais il y a aussi cette tragédie d’une nouvelle famine dans la Corne de l’Afrique ; et, depuis quelques semaines, la crise de la dette financière.
Nous sommes parvenus, semble-t-il, au bout du système. La situation nous oblige à réinventer nos modèles. Tous les citoyens sont concernés. Nous sommes tous dans le même bateau. Je suis convaincu que nous pouvons travailler, ensemble, à prendre ce nouveau départ. Nous ne devons pas subir la mondialisation. Nous pouvons façonner une mondialisation à dimension humaine, dont les risques seront contrôlés et dont les bénéfices seront mieux partagés, au Nord comme au Sud.
À mes yeux, le G20 doit contribuer à l’émergence de cette nouvelle gouvernance mondiale. D’abord, par construction, le G20 consacre la place grandissante des pays émergents. Leur poids économique ne doit pas nous faire peur. Leur croissance est indispensable à la relance mondiale. Elle nous ouvre des marchés, sources d’emplois nouveaux chez nous.
Le G20 est une enceinte politique majeure. Il représente les deux tiers de la population de la planète et 85% de l’économie mondiale. De par sa composition, il est le mieux placé pour apporter des solutions concrètes aux déséquilibres nés de la mondialisation.
La création d’un G20 Développement démontre que l’enjeu du développement est devenu central. Ce n’est plus l’affaire d’un petit «club de pays riches», aussi généreux soient-ils. La question du développement doit être posée en des termes nouveaux et globaux. Elle doit être débarrassée d’une vision marquée par la compassion. Elle doit être fondée désormais sur un partage des responsabilités et un partenariat respectueux avec les pays du Sud.
La construction d’un développement plus équilibré et durable est un objectif en soi. C’est également une condition de la progression de l’économie, de la Paix, et de la sécurité. Nos politiques de développement sont un investissement pour la prospérité de tous les peuples.
Je soulignerai enfin que le risque du monde qui s’offre à nous, c’est que les interdépendances progressent plus vite que notre capacité à les gérer. Dans cette fable moderne du lièvre et de la tortue, les marchés courent plus vite que les institutions et prétendent imprimer un rythme qu’il est difficile de suivre.
Nous devons donc démontrer notre capacité à jouer une nouvelle partition, sans que le jeu ne tourne à la cacophonie. Pour rendre la mondialisation plus humaine et plus équitable, nous devons prendre les problèmes à bras le corps, qu’ils soient économiques, démographiques ou écologiques.
L’organisation du premier G20 Développement, à l’initiative du Président de la République, est une étape décisive pour bâtir une gouvernance mondiale maitrisée. Cette nouvelle perspective ne peut pas être différée.
Elle ouvrira la voie à une croissance nouvelle et mieux partagée. Elle redonnera confiance en un avenir meilleur. Elle sera source d’espoir pour les jeunes générations.
Mon second point sera pour souligner que le G20 Développement peut jouer un rôle de précurseur en faveur de solutions innovantes.
Le G20 Développement s’engage tout d’abord en faveur d’une mondialisation plus solidaire en anticipant les défis globaux de demain. Inquiet de la famine qui frappe dans la Corne de l’Afrique, averti des enjeux démographiques à l’horizon de prochaines décennies, le G20 développement a pointé la priorité de la sécurité alimentaire.
La volatilité et l’interdépendance des marchés agricoles ne datent pas de la mondialisation financière. Mais celle-ci en démultiplie les effets déstabilisateurs. Aujourd’hui près d’un milliard d’êtres humains souffrent de la faim. Le défi pourrait être plus considérable lorsque notre planète comptera neuf milliards d’habitants. Pourtant nous pouvons apporter des réponses, ou au moins les initier.
En créant par exemple, des réserves alimentaires d’urgence pour prévenir les crises, en améliorant le fonctionnement des marchés et en les rendant plus transparents, en mettant en place des dispositifs pour protéger les populations vulnérables.
Chaque paysan doit pouvoir vivre dignement et durablement de son travail. La production agricole doit s’accroître, tout en préservant l’environnement. Pour cela, nous voulons réunir des organisations internationales et des centres de recherche agronomique, afin de partager les connaissances et les découvertes.
Le G20 Développement promeut aussi une mondialisation source de croissance pour tous, grâce à l’investissement dans les infrastructures.
Dans de nombreux pays, le manque d’infrastructures étouffe toute croissance à la base. L’énergie, les moyens de transports et de communication, l’eau sont indispensables à la mise en mouvement de l’économie. Ces moyens sont aussi simplement essentiels si l’on veut que des populations entières ne soient pas laissées à l’écart de la mondialisation et de ses progrès.
De nombreux villageois attendent toujours la route viable qui leur permettra de se rendre au marché proche pour y vendre leur production. De trop nombreux foyers attendent toujours un accès à l’électricité. Trop nombreux sont ceux qui espèrent une eau saine ou qui ont besoin de moyens de communications pour travailler.
Les partenaires du développement, le secteur privé et les organisations internationales doivent s’attaquer ensemble aux blocages et définir les règles d’une concurrence loyale et transparente. Pour la première fois, dans le cadre du G20, nous leur avons demandé de proposer des mesures et une liste de grandes constructions régionales, susceptibles d’attirer les investissements.
Le G20 Développement défend également une mondialisation qui refuse le nivellement par le bas grâce à une convergence des normes sociales.
La crise financière frappe systématiquement les populations les plus vulnérables. Le besoin d’une meilleure protection sociale se fait plus pressant. Une mondialisation à visage humain doit s’opposer à la dérive du moins disant social. C’est une question d’équité entre les peuples et de lutte contre les inégalités.
Les exemples de réussites présentées ce matin montrent que d’autres voies sont possibles. Ils prouvent que la protection sociale n’est pas un fardeau qui entrave la croissance, mais plutôt un stabilisateur contre les chocs sociaux et économiques, et donc un bon outil de développement. La promotion de ces systèmes de protection sociale, adaptés aux besoins de chaque pays, peut être une des innovations phare du G20.
Le G20 Développement, c’est enfin une arme pour une mondialisation plus juste, où les principaux bénéficiaires de la globalisation contribuent au financement du développement.
C’est là tout le sens des financements innovants. L’aide publique au développement est indispensable. Elle doit être maintenue. Mais face aux besoins nouveaux et supplémentaires, elle ne pourra suffire. Nous devons mobiliser des sources de financement nouvelles, stables et prévisibles, provenant des secteurs ayant le plus bénéficié de la mondialisation.
La France milite de longue date en faveur des financements innovants. Nous avons déjà levé plus de 5 milliards de dollars au service du développement.
Aujourd’hui, nous pouvons et nous devons dépasser cette étape. Nous plaidons en particulier pour la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières. Nous sommes convaincus qu’il s’agit du vecteur le plus efficace en termes de volumes et d’impacts. Sa faisabilité technique est avérée.
Un taux très bas, reposant sur une assiette très large, évitera les risques de contournement et d’évasion, sans peser sur la compétitivité des places financières. Une Taxe sur les Transactions Financières, ce n’est pas une punition.
Nous pensons au contraire qu’elle est légitime car elle comporte une dimension éthique. L’opinion publique ne comprendra pas que les acteurs qui bénéficient de la mondialisation ne contribuent pas à l’effort collectif pour la rendre plus équilibrée, plus solidaire, et que les contribuables soient davantage sollicités. Ils n’en peuvent plus et ce serait injuste.
La France est déterminée à s’engager dans cette voie. C’est un rendez-vous historique que nous ne saurions différer ni émasculer.
Au-delà de ces initiatives portées par le G20, je voudrais terminer en appelant à de nouvelles alliances pour répondre aux enjeux du développement.
Naturellement, l’action des États demeure indispensable. La France continue par exemple de mobiliser des financements et de l’expertise en faveur d’une croissance plus équitable et plus durable au Sud. Elle mène une politique généreuse et ambitieuse. Elle maintient ses engagements d’Aide Publique au Développement.
Elle a sanctuarisé son budget malgré les contraintes. Nous sommes le 3e donateur au niveau mondial, avec plus de 10 milliards d’Euros en 2010 (soit 0,5 % du PIB). Plus de la moitié de notre aide est consacrée, et c’est une exception française, à l’Afrique subsaharienne. Au-delà de cet effort, nous voulons faire émerger de nouvelles politiques et de meilleures approches, plus adaptées à notre temps. Pour cela, nous n’hésitons pas à nous remettre en cause, en interrogeant les Français.
Le sondage que nous avons publié la semaine dernière sur « les Français et l’aide au développement » montre qu’en dépit d’une actualité pleine d’incertitudes et d’inquiétudes, la société française demeure généreuse et volontaire. Une large majorité de nos compatriotes (6 sur 10) approuvent l’aide de la France aux pays pauvres.
Les jeunes réclament un engagement plus fort. Et ils sont venus nombreux aujourd’hui échanger avec nous sur les enjeux du développement. Nous avons entendu les professeurs et lycéens de Terminale ES de Valbonne, de Roissy en Brie, des étudiants des universités de Paris, Rennes, Strasbourg, Lille, en sciences politiques, en gestion, en droit, en histoire, des ingénieurs.
Nous connaissons la force de la jeunesse qui se lève pour prendre en main son destin et bâtir un avenir meilleur. Nous avons besoin de sa mobilisation.
Les citoyens souhaitent également que l’aide puisse être versée aux collectivités locales, aux associations, aux ONG, aux entrepreneurs, que tous les acteurs soient impliqués au sein de nouvelles alliances pour le développement.
Au-delà des jeunes, la participation aujourd’hui de la société civile représentée dans ses multiples composantes en fait encore la démonstration.
Nous avons entendu des parlementaires, des journalistes français et étrangers, une délégation est venue du Sénégal, de nombreux représentants du secteur privé en particulier avec l’appui d’Africa 2.0, de fondations, d’ONG, j’espère ne pas en oublier comme Coordination Sud, Oxfam, Action Contre la Faim, Aides, One, CCFD, Médecins du Monde, le Secours Catholique, Planète Urgence…Je salue à nouveau votre présence et votre participation active au débat. Je redis mon attachement à la coopération décentralisée et ma gratitude à ses acteurs.
Les sociétés civiles, au Nord et au Sud, ont un rôle déterminant pour provoquer des avancées, proposer des solutions et contribuer à leur mise en place et à leur évaluation. Cette collaboration de tous englobe aussi le secteur privé, acteur déterminant de cette nouvelle politique.
Au-delà des besoins financiers, nous comptons sur vous et sur ce nouvel espace de dialogue avec la société civile. Notre conférence d’aujourd’hui répond à cette volonté. Nous avons besoin de confronter nos politiques publiques à votre vision, à votre expérience, à votre idéal.
Ces échanges sont nécessaires pour améliorer la pertinence de nos choix, la qualité et l’efficacité de nos actions, pour inventer avec vous un monde dans lequel nous nous reconnaîtrons et reconnaîtrons les autres dans le respect mutuel.
Ce partenariat avec vous est un élément clé de la modernisation de nos politiques de coopération. Je crois qu’il ne peut être que fécond, qu’il nous aidera à faire jaillir ensemble un monde plus juste, plus apaisé.
Mesdames et Messieurs,
Nos compatriotes souhaitent un monde plus juste et plus humain. Ils aspirent à moins d’inégalités, à une croissance partagée, plus respectueuse des peuples, des personnes et de l’environnement. C’est pour cette raison que nous avons choisi d’ouvrir aux citoyens le G20 Développement.
Face aux crises, face à la tentation d’un repli sur soi, notre conférence, nos discussions et nos engagements concrets montrent que l’on doit rêver et inventer, ensemble, un nouveau monde.
À l’origine, le G20 a été conçu comme un lieu de concertation pour faire face aux crises. Nous voulons aujourd’hui lui donner un visage humain.
J’espère qu’aujourd’hui notre respiration collective donnera du souffle aux idées du progrès et du développement. Si nous voulons des résultats concrets, nous avons la capacité et l’énergie de les faire advenir. Pour cela, nous devons agir et agir ensemble. Vous tous qui êtes des acteurs du développement, vous les plus jeunes qui voulez aussi vous joindre à cet engagement de longue haleine, je compte sur vous pour poursuivre cette belle aventure. C’est celle du XXIème siècle.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2011