Déclaration de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, sur l'aide publique au développement, à l'Assemblée nationale le 19 octobre 2011.

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Circonstance : Audition devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale sur les crédits de la mission aide publique au développement, le 19 octobre 2011

Texte intégral

Cet exercice annuel est toujours un moment privilégié qui permet de faire le point sur les politiques publiques. Je vous remercie, Madame la Présidente, de votre présentation synthétique de l’environnement politique dans lequel s’inscrit le budget 2012 pour mon ministère. C’est un grand bonheur de pouvoir évoquer l’aide publique au développement avec des parlementaires qui s’intéressent à ces questions et les connaissent bien. Il ne faut pas sous-estimer la place du développement dans la vie de la planète, même si, malheureusement, les politiques de développement ne sont pas au cœur des campagnes électorales.
Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2012, le ministre chargé de la Coopération est dans une situation plus favorable que ses collègues.
Tout d’abord, le budget du programme 209 de 2,1 milliards d’euros a été sanctuarisé sur les trois années 2011, 2012 et 2013 et cet engagement a été absolument tenu. En deuxième lieu, il n’a pas été concerné par le «rabot» budgétaire d’un milliard d’euros d’économies supplémentaires et ses crédits ont été maintenus. Enfin, le gouvernement et le Parlement souhaitent que la contribution de la France au Fonds européen de développement corresponde à la part de sa contribution au financement des politiques européennes, ce qui nous a permis de dégager 26 millions d’euros que le Premier ministre a bien voulu que nous conservions.
Pour ce qui est de la répartition des financements entre l’aide multilatérale et bilatérale, cette dernière, qui représentait l’année dernière 60 % des volumes totaux d’aide publique au développement, atteindra 65 % l’année prochaine, conformément aux souhaits du Parlement.
La France souhaite orienter sa politique de développement à la lumière des événements du monde. Nous voulons ainsi aider les pays qui ont connu le «printemps arabe», ce qui s’est traduit lors du Sommet du G8 de Deauville par une mobilisation de 40 milliards de dollars, dont 1,1 milliard d’euros de prêts de l’Agence française de développement (AFD).
Nous voulons par ailleurs accompagner et encourager les transitions démocratiques par des «primes à la démocratie», comme en Guinée-Conakry, au Niger ou en Côte d’Ivoire. Dans ce dernier pays, près de 3,5 milliards d’euros seront mobilisés, dont un engagement exceptionnel de 400 millions d’euros, un contrat de désendettement et de développement de 2 milliards d’euros et une annulation de dette d’un milliard d’euros en 2012. Ce sont là des sommes considérables. Au Niger, nous finissons de définir avec les autorités de ce pays les priorités pour lesquelles notre accompagnement est souhaité. Une ligne budgétaire de coopération civile de l’ordre de 100 millions d’euros supplémentaires est prévue à cet effet.
En matière de santé maternelle et infantile, thème évoqué lors du Sommet de Muskoka, la France apporte 100 millions d’euros par an sur cinq ans. La contribution au Fonds de lutte contre le sida, qui était de 300 millions, sera portée à 360 millions d’euros par an par un abondement de crédits extrabudgétaires de 60 millions d’euros provenant du produit de la taxe sur les billets d’avion.
Au-delà de ces grands engagements, la France souhaite également maintenir ses priorités géographiques, avec 60 % de l’effort financier de l’État à destination de l’Afrique subsaharienne, 50 % de nos subventions pour les 14 pays pauvres prioritaires et 20 % pour les pays de la Méditerranée, le reste étant destiné à aider les autres pays et à faire face aux besoins.
La France se place aujourd’hui au troisième rang mondial parmi les apporteurs de crédits. La part de la richesse nationale consacrée au financement du développement est de 0,5 % du RNB. Les chiffres de l’année 2011 figureront dans le document dont la rédaction est en cours de finalisation et pour lequel les services du budget réalisent les calculs nécessaires. Nous serons donc en mesure dans les toutes prochaines semaines de vous apporter tous les chiffres attendus, étant bien entendu que nous restons déterminés à ce que l’aide française au développement atteigne en 2015 la proportion de 0,7 % du revenu national brut, conformément aux engagements internationaux.
Le Sommet du G20 qui se tiendra à Cannes sera le premier à consacrer une attention particulière au développement. La réunion ministérielle organisée dans cette perspective à Washington le 23 septembre, à laquelle participait M. François Baroin, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, a abordé trois grands thèmes.
Le premier est celui de la sécurité alimentaire, qui reprend tout le travail réalisé autour de la grande problématique agricole par les ministres de l’Agriculture et y ajoute notamment la création de stocks alimentaires d’urgence. Nous avons en effet constaté lors de la famine survenue dans la Corne de l’Afrique qu’il s’écoulait entre la décision de fournir une aide alimentaire et le moment où cette aide était effectivement acheminée un délai pouvant atteindre plusieurs semaines. Or, il conviendrait de pouvoir réagir quasi instantanément en cas de catastrophe. Nous allons mener cette expérience en Afrique de l’Ouest en constituant avec le concours de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), organisation régionale qui s’est portée candidate à cette fin, des stocks d’un volume de 67 000 tonnes, permettant de faire face aux besoins pendant les 90 jours à couvrir jusqu’à l’arrivée de l’aide internationale.
Le deuxième grand thème est celui des infrastructures - énergie, eau et transports. Nous voulons en effet contribuer, avec d’autres, à l’émergence d’une croissance endogène en Afrique et souhaitons que les marchés régionaux puissent se développer, ce qui exige davantage d’énergie et suppose que les marchandises et les personnes puissent se déplacer. Des propositions concrètes ont été formulées en matière de financements et il a été demandé à M. Tidjane Thiam, Ivoirien président d’une très grande compagnie d’assurances basée à Londres, de présenter une liste des quelques infrastructures déterminantes à cet effet - barrages, infrastructures routières ou liaisons ferroviaires -, capables de lever le financement correspondant, qui peut être public, privé ou issu de la coopération décentralisée.
Le troisième grand thème est celui des financements innovants : on ne pourra faire face aux besoins qui se font jour, notamment sur le continent africain, qu’avec des financements nouveaux. En effet, la situation financière des pays riches ou anciennement riches ne permettra au cours des prochaines années, dans le meilleur des cas, qu’une stabilisation de l’aide publique au développement sur le plan budgétaire. Dans certains pays, la décrue est déjà entamée. Par ailleurs, compte tenu de l’évolution démographique prévisible du continent africain, dont la population passera d’un milliard de personnes aujourd’hui à 2 milliards en 2050, il faudrait accroître de 70 % la production agricole tout en luttant contre le réchauffement climatique.
Je rappelle à ce propos que, comme je l’ai appris la semaine dernière à Bamako, où je me trouvais dans le cadre de la préparation du Forum mondial de l’eau qui se tiendra à Marseille en mars prochain, le lac Tchad, qui couvrait 25 000 hectares voilà trente ans, n’en couvre plus que 2 500. Ce phénomène progresse à une allure vertigineuse : si nous ne faisons rien, nous allons au-devant des plus grandes catastrophes, qui menaceront la paix et la sécurité sur toute la planète. Dès lors que nous savons que nos budgets ne nous permettront pas de faire face à ces besoins nouveaux, des financements nouveaux sont nécessaires.
De tels financements existent déjà dans une quarantaine de pays et ont fait la preuve de leur viabilité technique - la France n’a du reste pas le monopole des idées en la matière. Ainsi, la création d’une taxe sur les billets d’avion, proposée par la France et le Brésil, est loin d’avoir vidé les aéroports, comme le prophétisaient ses détracteurs, mais elle permet de récolter des fonds pour améliorer la santé ou lutter contre le sida. La France souhaite que les secteurs économiques qui profitent le plus de la mondialisation et participent peu au financement du développement soient mis davantage à contribution. Nous avons des idées à présenter en ce sens pour les transports maritimes et routiers et souhaitons également voir instaurer le plus rapidement possible une taxe sur les transactions financières dont l’assiette serait la plus large et le taux le plus faible possible afin de ne pas nuire, comme le craignent certains pays, à la compétitivité des places financières.
À la demande de la France et de l’Allemagne, la Commission européenne a présenté des propositions en ce sens. Il appartient maintenant aux chefs d’État et de gouvernement de décider à Cannes de la suite qu’ils veulent donner à ces propositions, ainsi qu’au rapport qui sera présenté par M. Bill Gates à la demande du président de la République - rapport dont il nous a exposé les grandes lignes à Washington lors du Sommet du G20 finance-développement. Ce secteur bouge, mais il faut absolument maintenir la pression. Nous sommes en effet confrontés à un double risque : au-delà de celui qui est lié aux échéances électorales, la crise financière peut susciter la tentation de régler ses propres problèmes avant de venir en aide aux autres. Ce serait là une faute politique majeure qui se paierait très cher par la suite : il conviendra de l’expliquer à nos concitoyens.
Je conclurai en soulignant que le programme 209 est l’un des éléments de la mission «aide publique au développement» telle que la France la pratique. L’ensemble des éléments de cette mission, si l’on y intègre notamment le programme 110, qui relève de Bercy, et les crédits récupérés par le ministère de l’Intérieur sur le programme du ministère de l’Immigration, représente environ 3 milliards d’euros (soit un tiers des volumes d’aide publique globale déclarés par la France à l’OCDE - soit 10 milliards d’euros).
Q - (concernant la liste des pays prioritaires, telle que définie par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement(CICD))
R - La liste des 14 pays arrêtée par un comité interministériel correspond, comme toute liste, à une situation donnée - et un oubli est même possible. Seul un nouveau CICID peut la modifier et nous avons donc demandé au Premier ministre de bien vouloir réunir à nouveau ce comité afin de revoir cette liste. De nombreux députés se sont ainsi faits l’écho de la situation du Burundi, pays trop peu riche pour faire face seul à ses besoins.
Q - (concernant l’équilibre entre les prêts et les dons dans le domaine de l’APD)
R - L’équilibre entre prêts et dons est ce qu’il est et l’on fait avec ce que l’on a. Le Royaume-Uni, du fait qu’il ne pratique pas l’annulation de dettes - qui pèse cette année un milliard d’euros dans notre budget -, dispose de plus de moyens que la France pour consentir des prêts et peut sembler intervenir plus vite et plus fort. Ainsi, dans la Corne de l’Afrique, alors que la France annonçait laborieusement une aide de 30 millions d’euros, le Royaume-Uni en annonçait 154 millions. Je serais évidemment favorable à ce que nous disposions de plus de possibilités de dons. Je répète que 60 % de notre aide est dirigée vers l’Afrique subsaharienne et 50 % vers les 14 pays déjà évoqués.
La part des prêts et des dons dans l’aide publique au développement fait l’objet d’un débat récurrent. Cette question peut, de fait, brouiller la lecture de nos interventions. Il peut paraître choquant que la Chine soit le deuxième récipiendaire de l’aide française mais, du fait du taux pratiqué, les prêts consentis à ce pays, loin de peser sur les contribuables français, rapportent de l’argent au budget de la France.
Q - Ils permettent également à la Chine de prêter aux États-Unis à un taux supérieur !
R - Peut-être, mais ils permettent aussi des échanges sérieux avec nos collègues chinois sur notre vision respective de la politique de développement que nous souhaitons mener en Afrique. C’est là une opportunité dans le cadre du G20, auquel participent, aux côtés des pays riches, les pays émergents. En invitant ces derniers à participer à la grande politique de développement, nous nous donnons de la crédibilité.
Quant à l’Indonésie, troisième récipiendaire de l’aide française, les prêts consentis à ce pays, qui est aussi l’un des plus gros pollueurs de l’atmosphère, lui permettront d’engager les investissements nécessaires pour diminuer substantiellement son taux de pollution.
La réunion qui aura lieu à Busan, en Corée, sur l’efficacité de l’aide et la transparence nous permettra, je l’espère, de savoir qui fait quoi et comment il convient d’agir. Peut-être parviendrons-nous à une certaine harmonisation et à un certain respect des règles d’intervention.
J’ajoute qu’un certain nombre de prêts consentis à la Chine arrivent prochainement à échéance, ce qui entraînera mécaniquement une baisse de l’aide française à ce pays.
Q - (concernant la contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida)
R - L’engagement de réserver aux ONG 5 % de la contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida a été tenu, ce qui représente 18 millions d’euros. La mise en place de ce dispositif a commencé sous la responsabilité du Pr. Debré et il s’agit désormais d’en assurer la cohérence en vue de son efficacité.
Le Fonds de lutte contre le sida, qui recevait 300 millions d’euros, en recevra 60 millions de plus grâce à un prélèvement sur la taxe sur les billets d’avion. J’ai annoncé à Londres, au mois de juin, une participation de 100 millions d’euros au GAVI pour la période de 2011 à 2015. UNITAID reçoit 110 millions par an. Quant aux engagements pris à Muskoka, j’ai annoncé à Ouagadougou une contribution française de 100 millions par an pendant cinq ans.
Q - À titre multilatéral ou bilatéral ?
R - Il s’agit d’un montant globalisé, multilatéral.
Q - (concernant la mise en œuvre de l’aide publique au développement)
R - L’aspect «ésotérique» de l’APD, que vous soulignez, est l’une des choses qui m’ont le plus frappé lorsque j’ai pris mes fonctions et découvert le grand nombre d’intervenants de ce secteur. Des besoins nouveaux ont souvent donné lieu à la création de nouvelles structures, sans qu’il soit toujours procédé aux simplifications nécessaires : d’où la situation que vous décrivez. Soyez certain que je quitterai le ministère de la Coopération sans que ce problème ait été résolu, avec beaucoup d’humilité et néanmoins quelque regret. Il est regrettable par ailleurs que l’aide publique au développement relève de nombreux programmes différents du fait que chaque ministère concerné a voulu conserver ses prérogatives.
Ma deuxième découverte, en arrivant au ministère, a été la complexité de ce secteur et la profusion des sigles et des jargons employés. L’articulation entre bilatéral et multilatéral diffère selon que l’on considère le total de l’aide publique au développement - soit 10 milliards d’euros - ou les 2,1 milliards d’euros du programme 209 dont il est ici question. Dans le premier cas, le rapport est de 40 % d’aide multilatérale pour 60 % d’aide bilatérale ; dans le deuxième, il est inverse, avec 35 % de bilatéral pour 65 % de multilatéral.
Parmi les grands pays émergents que sont la Chine, l’Indonésie, le Mexique, le Brésil, la Colombie, l’Inde et la Turquie, seuls la Chine et le Brésil contribuent à des politiques de développement.
L’aide publique française à la Corne de l’Afrique a été portée à 30 millions d’euros dans le cadre de l’aide multilatérale européenne ; notre aide bilatérale ainsi que la collecte organisée par diverses organisations caritatives auprès de nos compatriotes ont réuni 60 millions d’euros (30 et 30). Le total disponible et donc de 90 millions d’euros. La France a alloué cette assistance à la Croix-Rouge, à des ONG comme Action contre la faim, et au Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies. C’est une forme de sous-traitance.
L’idée avancée par M. de Charette de créer des normes européennes est très intéressante. Il y a en la matière beaucoup à faire, car les critères et les paramètres d’intervention varient d’un pays à l’autre. Ainsi, l’APD française comporte - on nous l’a souvent reproché - une part importante d’annulations de dettes, ce qui n’est pas le cas pour la Grande-Bretagne, d’où une différence d’un milliard d’euros entre les montants d’aide des deux pays. L’instauration de normes européennes demandera du temps et du travail, mais elle me semble être facteur d’efficacité. C’est la raison pour laquelle je m’attache à travailler en étroite collaboration avec le commissaire européen chargé du Développement, M. Andris Piebalgs, homme remarquable et très ouvert. Nous avons ainsi mené une mission conjointe en Guinée-Conakry après l’arrivée au pouvoir du président Alpha Condé, afin de disposer d’un programme d’intervention complémentaire et, si possible, cohérent et allons renouveler cette opération d’ici quelques semaines à Madagascar, où il semble que la situation politique soit en voie de s’améliorer. Une fois la feuille de route signée, l’aide européenne pourra être remobilisée. M. Piebalgs et moi-même nous rendrons sur place et nous gagnerons beaucoup en efficacité à une opération commune - ce qui va dans le sens du souhait de cohérence et de transparence exprimé par Mme Martinez.
Q - (concernant la budgétisation du FED)
R - La France a toujours été favorable à la budgétisation du FED - qui du reste nous avantage sur le plan budgétaire - mais nos partenaires européens y sont encore majoritairement défavorables. La question se posera de nouveau lors de la prochaine discussion sur ce thème, qui aura lieu en 2020. Nous devrons être vigilants - je ne manquerai pas de l’être.
Q - (concernant l’ordre du jour du G20)
R - Il nous faut assumer la responsabilité du fait que le G20 n’ait pas inscrit la santé à son ordre du jour, mais je rappelle que ce sommet sera consacré au soutien à la croissance. Le président de la République a voulu que cette réunion présidée par la France ne soit pas un catalogue «fourre-tout», mais qu’elle se concentre sur quelques points de manière à pouvoir déboucher sur des projets concrets.
Q - (concernant la natalité et la contraception en Afrique)
R - La natalité et la contraception, questions très importantes tant en Afrique que dans d’autres pays, comme vous l’avez justement rappelé, et qui avaient d’ailleurs fait l’objet d’un colloque ici même, ont été largement évoquées lors de la Conférence de Ouagadougou. Certains témoignages de représentantes du continent africain étaient à cet égard tout à fait extraordinaires.
Q - (concernant la situation économique du continent africain)
R - Je suis profondément persuadé que l’Afrique est le continent du XXIème siècle. Je rappelle à ce propos le discours tenu par le président de la République au Cap : une Afrique en croissance, une croissance endogène, un soutien aux PME, l’intervention du secteur privé et, sur le plan politique, des avancées essentielles telles que la présence de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU. Les choses bougent en Afrique, même si la situation diffère d’un pays à l’autre, et des changements économiques très importants sont en train de se produire. À côté des taux de croissance à deux chiffres des pays émergents et de ceux presque nuls des pays européens, ceux des pays africains dits «fragiles» affichent une moyenne de 6 %. Dans certains pays, comme le Rwanda ou le Nigeria, ces taux atteignent même 8 %.
Il nous faut inventer, sur la base des décisions prises par les Africains pour les Africains, une politique de développement absolument différente de celle qui était pratiquée hier sur le mode de la compassion, de la charité ou de la repentance. Il faut mettre en place un partenariat équilibré, dans un respect mutuel. Samedi matin encore, à Bamako, dans son allocution au Forum de l’eau, M. Jean Ping invitait à laisser les Africains régler les problèmes des Africains. J’ai applaudi des deux mains et déclaré à M. Ping que nous devions aider les Africains à régler leurs problèmes à partir de leurs propres priorités, car il y allait autant de notre intérêt que du leur. Si ces pays ont une croissance très supérieure à la nôtre, nous irons chercher chez eux des points de croissance pour nous. Cette inversion du mouvement par rapport au passé nous ouvre des perspectives intéressantes. Avec 2 milliards d’habitants, le marché africain sera considérable et le continent possède des ressources très importantes. Soyons aussi présents que possible.
De fait, la «demande de France» qui s’exprime en Afrique ne se manifeste pas que dans les pays francophones, mais aussi dans les pays anglophones d’Afrique de l’Est, ce qui nous ouvre des perspectives considérables pour des actions où tout le monde sera gagnant. Lorsque les Chinois viennent en Afrique construire un pont, ils viennent avec leurs ingénieurs, leurs contremaîtres et leurs ouvriers, puis ils se retirent. Lorsque c’est nous qui agissons, nous commençons par voir quels sont les partenaires locaux avec lesquels nous pouvons travailler. C’est là une très grande différence d’approche.
L’Europe n’a pas les moyens de tout faire en Afrique : il ne s’agit pas d’en chasser les Chinois, mais d’être meilleur qu’eux. Il faut pour cela que les règles du jeu soient les mêmes pour tous et respectées par tous, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui - c’était du reste l’un des enjeux du sommet de Busan.
Q - (concernant les moyens logistiques de l’aide alimentaire d’urgence)
R - La solution, ce sont les infrastructures - c’est précisément l’une des raisons pour lesquelles elles figurent parmi les priorités du G20. La création de quelques grandes lignes ferroviaires en Afrique représentera déjà un immense changement pour la logistique - sans parler des questions environnementales. Le G20, je le répète, doit identifier les projets et déterminer qui les met en œuvre et qui les paie.
Les stocks devront être placés à des endroits permettant un acheminement facile, à proximité d’infrastructures de transports.
C’est précisément dans cette perspective que j’ai rencontré à Rome la directrice du PAM, qui sera la cheville ouvrière de la création de ce stock alimentaire d’urgence. La présentation qui en sera faite au G20 devra insister sur les stocks alimentaires d’urgence, car cet aspect était initialement loin de faire l’unanimité - la directrice du PAM elle-même, dans les premières rédactions du texte qu’elle a présenté au G20, vidait cette idée de sa substance, car les tenants du marché redoutaient en effet que ces stocks soient utilisés, contre le marché, comme un outil de gestion des cours.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011