Extraits d'un entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec LCI le 2 novembre 2011, sur la décision du Premier ministre grec d'organiser un référendum portant sur le plan d'aide à la Gréce.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Vous étiez présent à la réunion de crise, hier, à l’Élysée. Le président était-il «fumasse», comme on dit ?
R - Non. Je crois que le président a deux qualités : d’abord, il a beaucoup de sang-froid - on en a besoin dans cette période ; et puis, en même temps, il a beaucoup de réactivité. Sur le perron de l’Élysée, il a, à la fois, posé les problèmes de manière claire et simple et, en même temps, de manière ferme.
Q - Il l’a appris à la télévision cette idée du référendum grec ?
R - Je ne sais pas où il l’a appris mais il dit dans son communiqué que cela a surpris tout le monde. Visiblement, M. Papandréou n’a prévenu personne. Je crois même qu’il n’a prévenu personne au sein de son gouvernement.
Q - M. Sarkozy a-t-il appelé M. Papandréou? Lui a-t-il parlé ?
R - Je ne peux pas vous répondre, mais je sais qu’ils vont se rencontrer aujourd’hui. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy vont avoir les explications de M. Papandréou sur ce référendum qui ne remet pas en cause l’ensemble du plan adopté mais fragilise, bien sûr, l’accord qui a été conclu par dix-sept États. Ces dix-sept pays s’engagent pour aider la Grèce et, en même temps, demandent à la Grèce de faire un effort ; ce qui est logique puisque tous les pays ont fait, font, et feront des efforts.
Q - Cette initiative fragilise l’accord, mais met-il la zone euro en péril ?
R - Je crois qu’il met surtout la Grèce en péril. Le vrai danger aujourd’hui, c’est que cet accord ne soit pas accepté par le peuple grec, que l’on en déduise qu’il y a une faillite de l’État grec et que la Grèce décide - mais alors c’est elle qui le déciderait - de sortir de la zone euro. À ce moment-là, ce serait plus dangereux pour la Grèce et pour le peuple grec que pour la zone euro.
Q - C’est aussi très dangereux pour la France parce qu’il y a une garantie française à hauteur de vingt milliards. Il y a aussi un prêt de l’État de pratiquement neuf milliards. Si la Grèce est en défaut, cet argent il faudra bien le payer nous-mêmes…
R - Oui, mais comme il y a aujourd’hui un engagement de cent milliards d’euros, ajoutés à cent milliards d’euros de diminution de dette acceptée par les banques à hauteur de 50 %, vous voyez que le problème est malheureusement davantage du côté du peuple grec. Dans ce cas, la Grèce serait en faillite et plus en grande difficulté que les autres pays de la zone euro qui trouverait d’autres pare-feux pour empêcher la contamination et l’effet domino.
Q - Il y a encore une chance, d’après vous, que ce référendum ne se fasse pas ?
R - Je crois qu’il faudra bien poser la question au peuple grec. Le référendum, ce n’est pas «êtes-vous d’accord avec l’accord qui a été passé ?», mais «voulez-vous rester dans la zone euro ou non ?».
Q - Vous pensez que ce sera la question posée ?
R - En tout cas, ce sera la conséquence annoncée. Je crois donc qu’il faut être clair avec le peuple grec et dire qu’il n’y a pas d’autre solution pour sortir de la crise que celle proposée par les dix-sept pays de l’Eurogroupe, à l’initiative de la France. Je ne dis pas que c’est à prendre ou à laisser mais on ne peut pas dire en même temps : «je suis contre l’accord» et «je reste dans la zone euro et je ne suis pas en faillite».
Q - Est-ce que ce n’est pas une façon quand même démocratique de sortir de cette crise ? Après tout si les Grecs disaient oui…
R - Il n’y a aucune critique qui puisse être faite sur l’idée que l’on recourt au peuple pour décider, mais il faut que la question soit bien posée.
Q - Quelle serait la question acceptable pour vous ?
R - La question c’est : «voulez-vous rester dans la zone euro ou pas ?». Voilà une question acceptable, avec d’un côté bien sûr un plan de rigueur nécessaire pour apurer la dette en contrepartie de la solidarité de l’Europe ; et puis, de l’autre côté, sortir de l’euro, revenir à la monnaie nationale, mais à ce moment-là se mettre en situation de faillite.
Rappelez-vous quand même que l’Argentine a mis dix ans pour s’en sortir, avec des capacités d’exportation que la Grèce n’a pas. Ce serait donc la misère pour le peuple grec.
Q - Il y a un problème de timing qui se pose également. Les Grecs ont dit que ce référendum interviendrait en janvier ou en février, ce qui nous reporte encore aux calendes grecques - sans mauvais jeu de mots. Ce serait quoi le bon timing ?
R - Le bon timing, c’est le plus rapidement possible.
Q - C’est-à-dire ?
R - M. Papandréou va aller devant son Parlement et il va demander la confiance de son Parlement : c’est une première étape.
Q - …il y a une chance qu’il ne l’obtienne pas ?
R - Devant un Parlement, on n’est jamais certain du résultat. Rappelez-vous Angela Merkel et l’angoisse que nous avons tous eue de savoir si elle allait obtenir l’aval du Bundestag pour le plan qui avait été décidé.
Q - Alors, s’il ne l’obtient pas, cela veut dire qu’il sera renversé, qu’il y aura un nouveau Premier ministre et on oubliera peut-être l’idée du référendum. C’est quelque chose que la France peut souhaiter ?
R - C’est le problème des Grecs.
Q - Mais non, c’est le problème de toute l’Europe !
R - La France n’a pas à souhaiter le référendum pour la Grèce ; elle n’a pas à souhaiter que M. Papandréou soit ou non renversé. La France souhaite simplement que les questions soient clairement posées et que l’on rappelle qu’il y a eu un accord : la solidarité contre la discipline budgétaire. Cet accord n’est pas négociable ; il a été négocié et voté à l’unanimité par les 17 pays de l’Eurogroupe à hauteur de deux cents milliards d’euros. Il faut que les Grecs nous aident à les aider.
Q - La Grèce attend un prêt de huit milliards d’euros en novembre. Est-ce que ce prêt est suspendu ?
R - Le prêt est suspendu à la décision du Parlement - c’est-à-dire les représentants du peuple - de ne pas accepter le plan. Je vois mal comment on pourrait continuer à payer…
Q - … En attendant, on fait quoi ?
R - Vendredi, le Parlement grec va prendre une décision ; ce sera un signal. Si le Parlement grec valide le plan, il y aura quand même une bouffée d’air frais sur l’ensemble des marchés financiers et le retour à la stabilité. Ensuite, ce sera la question du référendum. Si le référendum est maintenu, il faut que les choses soient claires et que les Grecs sachent bien les conséquences de leur vote.
Q - Est-ce qu’il n’y a pas urgence à revoir les traités pour prévoir la possibilité de sortir un pays de la zone euro en cas de problème ?
R - Je crois qu’il faudra peut-être revoir les traités, mais il est faux de donner l’impression que l’on va revoir les traités dans un, deux ou trois ans, pour régler un problème urgent. Il me semble que nous avons suffisamment d’outils aujourd’hui pour régler l’ensemble des problèmes. C’est la volonté du président de la République, qui a pris beaucoup d’initiatives et qui est parvenu à un accord avec notre partenaire allemand, accepté à l’unanimité par les dix-sept pays de la zone euro. Appliquons cet accord, et vous verrez qu’il y aura certes de la discipline budgétaire pour beaucoup de pays, mais il y aura aussi beaucoup de solidarité dans la zone euro et elle en sortira renforcée.
(…).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 novembre 2011