Texte intégral
Monsieur le Président,
Je vais faire court et, si vous voulez bien, je vais utiliser un langage de vérité, mais un langage très politique.
Les données globales du commerce mondial sont très simples : il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. En gros, le commerce mondial représente 15 200 milliards de dollars. 10 % de ce commerce, aujourdhui, est le fait de la Chine, qui pèse à elle seule pour 1 580 milliards dans ce total ; la Chine qui, je le rappelle, représentait seulement 1 % des échanges il y a trente ans, qui était septième il y a dix ans. Dans cinq ans, cest-à-dire à lissue du prochain quinquennat, la Chine sera devenue la première puissance économique de la planète avant les États-Unis ; au maximum dans dix ans, mais probablement dans cinq ans ! Au coude à coude, suivent les États-Unis et lAllemagne avec environ 1 280 milliards de dollars dexportation, le Japon (770 milliards), les Pays-Bas (572 milliards) et la France qui occupe le sixième rang (521 milliards de dollars représentant 3,4 % de parts de marché).
Les zones excédentaires sont en Asie et en Amérique latine, portées par la vague démographique ou la rente du sous-sol. La Chine enregistre 183 milliards de surplus commercial, le Moyen-Orient est globalement à 444 milliards de surplus commercial. Le monde occidental compte deux exceptions, deux pays qui gagnent : lAllemagne, avec plus de 200 milliards de dollars dexcédent commercial et le Japon qui, malgré le vieillissement de sa population, reste un pays exportateur net, avec plus 77 milliards dexcédent.
Les grands pays déficitaires sont, en gros, lOccident, ce que jappelle dans mon prochain livre «les anciens pays riches» : les États-Unis, lEurope, lEurope du sud surtout et la France, beaucoup trop ! Dailleurs, quand jai été nommé ministre en charge du Commerce extérieur, jai tenu à donner les chiffres, que lon ne donnait pas précédemment, parce que lon considérait que ce nétait pas bien grave.
Quand je suis arrivé, le déficit se montait à - 51 milliards deuros. On ma dit : «ne vous inquiétez pas, Monsieur le Ministre, - 51milliards, cest la facture énergétique de la France.» Sauf que, de lautre côté du Rhin, lAllemagne a une facture énergétique plus forte (70 milliards) et parvient à réaliser un excédent de plus de 150 milliards, avec la même monnaie que nous, leuro, et avec quasiment les mêmes contraintes, avec les mêmes normes, avec les mêmes problèmes à légard de la Chine. Je dis cela au passage pour tous ceux que jappelle «les charlatans de la démondialisation».
La faute ne revient pas à létranger, aux Indiens, aux Chinois ! La faute, ce nest pas létranger. Il y a en Europe des pays qui gagnent et dautres qui ne gagnent pas. Ceux qui ne gagnent pas ce sont les pays qui sendettent. Le clivage constaté aujourdhui dans la zone euro entre les pays qui sont en difficulté et ceux qui ne le sont pas, se retrouve dans le commerce extérieur. Il y a un lien absolument direct entre le déficit commercial et les déficits en général.
La crise de leuro est une crise de lendettement, Mesdames et Messieurs les Députés ; un endettement qui résulte des changements dans la compétition du commerce mondial. Ceux qui réussissent dans cette compétition ont aujourdhui le plein emploi : lAutriche est à 3,7 % de taux de chômage, lAllemagne à 6 %. Et ceux qui narrivent pas à faire les réformes narrivent pas à réaliser ce plein emploi.
Pour ce qui me concerne, je suis en charge, dans ce gouvernement, de la «partie VRP». Je moccupe du bout de la chaîne, de laccompagnement des entreprises à lexportation. Mais je vous le dis, parce que nous sommes ici dans la Maison de la démocratie, le problème de la France nest pas à chercher dans lactivité du VRP, qui peut toujours être améliorée, le problème cest la compétitivité de son économie et cest la production en France.
Le commerce extérieur de la France, ou dun autre pays, cest le rapport entre ce que nous sommes capables de produire chez nous, et dexporter, et ce que nous importons pour notre confort. Le delta aujourdhui est dun déficit à lexportation de 75 milliards deuros, un chiffre que jai annoncé même si jespère que nous serons légèrement en dessous au terme de cette année.
Mais cest un chiffre absolument considérable, un «record» franchement inquiétant. Surtout si on les met en rapport avec notre voisin allemand, qui dégagera un excédent 170 milliards deuros. Vous avez là un delta de 10-15 points de P.I.B. Cest considérable quand on veut, comme nous essayons de le faire, sauver notre zone économique, sauver notre zone monétaire. Donc, le problème du déficit commercial de la France, cest un problème stratégique du «produire en France».
Je ne vais pas entrer dans les détails, parce que je pense que vous aurez beaucoup de questions. Ce que je veux vous dire, cest que la principale différence entre nous et les Allemands, ce nest pas un problème de demande. La demande mondiale pour les produits européens, allemands ou français ne fait quaugmenter. La croissance de la demande chinoise est en augmentation de 10 %, lAmérique latine, lAfrique et le Moyen Orient exprime aussi des croissances de leur demande voisines de 6 %.
Le problème, cest loffre : comment nous produisons et comment nous organisons notre offre. Or, en France, nous avons aujourdhui quatre fois moins dentreprises exportatrices que les Allemands : 94 000 en France, plus de 400 000 en Allemagne et près de 200 000 en Italie. Et les deux tiers de nos exportations sont réalisés par les 1 000 premières, cest-à-dire par les grands groupes. Or, en ce qui concerne les fameux grands groupes - autre spécificité du capitalisme français -, nous avons le CAC 40 ! Les Allemands ont moins de multinationales que nous : nous sommes effectivement le pays européen qui compte le plus de multinationales. Sauf que les multinationales sont meilleures à linvestissement à létranger que pour la création de richesses et demplois chez nous. Les emplois sont créés par les PME.
Le travail que nous devons faire consiste donc à recréer de la production au niveau de nos PME, en France. Deux millions demplois industriels ont été perdus en trente ans, essentiellement dans les grands groupes. Par conséquent, mon combat de chaque jour vise à recréer des filières à lexportation à partir des régions et de les amener à lautre bout du monde, là où il y a de la demande. Voilà le vrai sujet. Et je reviens, sans esprit polémique, sur ceux qui nous expliquent que cest la faute des autres : je trouve cela consternant !
Franchement. Nous avons un problème de remise en ordre de notre appareil productif. Bien sûr quil y a des problèmes avec la Chine, sur les normes, sur laccès aux marchés publics, sur les contrefaçons. Mais il y a aussi beaucoup de technologies transférées un peu vite, beaucoup de légèreté, beaucoup de comportements contre lesquels il faut lutter, tous ensemble et cest pourquoi lAssemblée nationale et le Sénat ont un rôle majeur à jouer. Mais, franchement, regardons dabord nos problèmes. Sindigner et prétendre «démondialiser», ça ne suffit pas. Le sujet, cest produire. Et donc daborder franchement les questions de coût du travail, de fiscalité, déducation, dinnovation : telles sont les clés de lexportation.
Pendant très longtemps, pour les Français, le commerce extérieur signifiait dabord les «grands contrats». On voyait le président de la République prendre lavion, emmener avec lui des grands patrons du CAC 40 et à la fin, on signait des accords sur des ventes de TGV, dAirbus, darmement, de centrales nucléaires. Eh bien, Mesdames et Messieurs, on a changé de monde. Depuis vingt ans, les clients dhier sont devenus les compétiteurs daujourdhui. Quand vous voyez une filière coréenne, avec les mêmes réacteurs PWR exportés dans le temps depuis la France, nous battre à Abu Dhabi, cela veut dire que dun côté il y a une équipe organisée pour lexportation et de lautre une équipe qui ne lest pas, avec pourtant des technologies similaires.
Quand vous constatez la compétition à laquelle nous nous confrontons avec la Chine sur les trains à grande vitesse, une technologie là aussi importée par les Chinois à partir de technologies dont les origines sont allemandes et japonaises et que vous savez que les Chinois travaillent sur seize marchés simultanément en amenant non seulement le train, mais aussi «le chèque», cest-à-dire du financement, «la solution» du commerce extérieur français ne peut plus être uniquement celle des «grands contrats», même si nous y travaillons darrache-pied dans ces domaines : jétais par, exemple, il y a quinze jours à Tanger avec le Premier ministre pour lancer le premier TGV du monde arabe.
Le travail que nous avons à faire, cest une reconstruction de notre outil industriel qui commence par les PME. Lidée selon laquelle on va résoudre les problèmes du commerce extérieur par de larmement vingt ans après la fin de la Guerre froide, non ! Jai signé au mois de juillet avec monsieur Medvedev les contrats conclus avec la Russie pour la vente de deux bateaux «Mistral», cela représente 1,2 milliard deuros, alors que nous serons en déficit de 75 milliards : combien de «Mistral» faudrait-il vendre pour équilibrer nos échanges ? Larmement à lui tout seul ou encore les centrales nucléaires après Fukushima il va bien falloir trouver des choses à vendre.
Il faut donc recommencer un travail consacré aux filières, dans les régions, y compris en ce qui concerne lagroalimentaire. Cest un domaine dans lequel nous sommes très bons. En témoigne le diplôme de lUnesco reçu il y a un an pour la gastronomie française. Pourtant, nous y perdons tout de même des parts de marché, puisque notre part de marché a baissé de 9 à 6 % en dix ans. Nous sommes même maintenant doublés par les Allemands et les Néerlandais dont on ne peut pas dire que la gastronomie soit le point fort ! Nous avons donc un travail systématique de remise en ordre de notre appareil productif, filière par filière, région par région.
Mon travail est de faire en sorte que notre force de vente soit aussi opérationnelle que possible. Et je nai pas attendu le rapport de la cour des comptes pour demander du «qualitatif» et plus seulement du «quantitatif» aux responsables dUbifrance, organisme qui fonctionne dailleurs plutôt bien. Cest une vraie révolution par rapport à ce qui existait auparavant et on peut en faire crédit à lactuel gouvernement, ainsi quà François Loos, qui avait initié ce quest devenu Ubifrance qui est maintenant un outil moderne présent dans 56 pays, avec un contrat dobjectifs.
Ce document lui assigne notamment pour mission que le tiers des entreprises quil aura emmenées à lexportation devra avoir signé du «business», cest-à-dire des contrats. Et Ubifrance sera comptable de ses résultats, il en ira de même pour nos postes dexpansion économique. Cest un réseau qui a besoin dêtre modernisé. La mobilité se fait désormais en fonction du jugement des entreprises : on nest plus seulement noté en interne, on écoute ce que les entreprises ont appris sur les postes. On travaille aussi à une autre modernisation, celle du réseau des conseillers du commerce extérieur et nous visons également à élargir le système des volontaires internationaux en entreprise (V.I.E.). Cela marche très bien. : Nous avons ainsi 6.500 jeunes à lexportation et nous nous fixons un objectif de 15 000 postes.
Jessaie aussi de faire en sorte que lÉtat travaille lui aussi en réseau, dune part avec les grands groupes, dautre part avec les régions. Un des problèmes que nous rencontrons, cest laccompagnement ou le portage des PME par les grands groupes. Encore une spécificité «gauloise». Quand on a affaire à des Coréens en face de nous, ou à des Chinois, ou encore à des Japonais, leurs grands groupes arrivent avec leur écosystème, leurs sous-traitants. En France, ce nest pas le cas. Nous considérons que le sous-traitant peut être trouvé sur la planète entière. Je dispose de lettres circulaires de grands groupes qui écrivent à leurs sous-traitants en anglais, en leur fixant les conditions pour rentrer dans tel programme, avec la nécessité de financer ceci ou cela. Je ne vais pas demander une préférence nationale sur les sous-traitants, ce qui est juridiquement interdit. Mais, au moins, jestime que les grands groupes doivent consulter lécosystème en France !
Seulement treize entreprises du CAC 40 ont signé la «Charte à lexportation» («le Pacte Export») entre les grands groupes et les PME. On nest pas dans loukase, on est dans un rapport de forces et ma conviction est quil nous faut réhabiliter la notion de patriotisme économique. Mais cela ne peut pas se faire par la loi. Votre rôle à ce sujet est toutefois très important, je me permets de vous le dire.
Dernier point, parce que je ne veux pas vous lasser : le travail en région. La loi a donné aux régions une responsabilité première en matière de développement économique, y compris à lexportation. La loi de 2010 a donné aux chambres régionales de commerce un rôle de leadership auprès des entreprises.
Jai donc besoin que ce que lon appelle un peu pompeusement «lÉquipe de France de lexportation», avec la mise en réseau de la COFACE, dUbifrance et dOséo qui fonctionne de mieux en mieux à linternational, se retrouve dans chacune des régions, où nous avons besoin dune «Maison de lExport» : là, les PME ayant quelque chose à vendre peuvent trouver toutes les informations sur lexportation, aussi bien sur lAmérique latine, sur lAllemagne, toutes les aides, sur les services dOséo ou encore dUbifrance, etc. Du côté de lÉtat, nous faisons le maximum pour que la force de vente soit la plus efficace possible. Nous allons avoir une Charte nationale Export et des objectifs région par région.
Mon directeur de cabinet vient de me donner dautres chiffres qui donnent la mesure de notre problème, par rapport à nos voisins allemands. À lintérieur de la zone euro (et non en Chine où tout est plus difficile), cest-à-dire là où nous réalisons encore lessentiel de nos exportations (ce qui donne tort à ceux qui disent que cest la faute aux Chinois), nous sommes en recul : la France est passée de 18 à 12 % des exportations de la zone euro, tandis que lAllemagne passait de 26 à 29 % en dix ans. Cherchez lerreur !
Mesdames et Messieurs, et je madresse sur ce point plus spécialement aux représentants de lopposition - ceci dit sans une ombre de polémique -, si vous voulez réellement comprendre pourquoi nous sommes à 75 milliards deuros de déficit, il y a dautres explications que le livre de M. Montebourg ou les appels à lindignation ! Il faut regarder pourquoi notre économie est devenue moins compétitive et il y a à cela des raisons parfaitement objectives.
Tout ceci commence à produire petit à petit des résultats. On a connu cette année une augmentation, pour la première fois, du nombre de nos entreprises exportatrices, grâce à une meilleure organisation de laccueil à destination des PME, et même une augmentation de 3 % des primo-exportateurs. Je suis donc convaincu que ce travail va payer sur la durée. Si les Allemands ont aujourdhui des résultats quils navaient pas auparavant, cest grâce aux réformes de structure conduites par le chancelier Schröder il y a dix ans. Il ny a pas de mystère particulier aux résultats de la Finlande, des Pays-Bas, de lAutriche ou de lAllemagne. Ce sont des réformes de coût, de flexibilité, de fiscalité qui, à terme, sont payantes à lexport. Si vous alourdissez la barque en matière de fiscalité des entreprises, le seul résultat est damoindrir leurs capacités dinnovation et dinvestissement, sans lesquelles vous ne vendez pas. Les clés de lexportation sont linnovation, la taille des entreprises et leur accompagnement. Sur ce dernier point, je prétends que nous commençons à devenir assez professionnels en France. Mais la force Export est une chose ; ce qui compte, cest lécosystème économique qui fait ou qui ne fait pas de la production nationale. Voilà le sujet, et ceci, encore une fois, sans polémique aucune.
( ) Il faut regarder les choses en face. Sil nétait pas convenable, cest-à-dire en état, il y a de ça quelques années, notre appareil de vente devient acceptable. Désormais, il reste à faire un véritable effort pour structurer loffre de produits et de services français pour lexportation.
Monsieur le Rapporteur, la COFACE remplit de mieux en mieux les missions de service public qui lui sont confiées mais qui ne constituent quune partie de ses activités. Je rappelle quil sagit dune entreprise privée. Elle fait des bénéfices importants grâce à dautres activités - essentiellement assurancielles, notamment en Asie. Pendant longtemps, son activité a été centrée sur les grands groupes, mais la COFACE accorde une attention croissante au PME. La prime acquittée par celles-ci a diminué de 25 % ; de plus sa mise en réseau avec Oséo permet de leur proposer des produits financiers adaptés.
Le manque de salons constitue une autre faiblesse de léconomie française. Vous avez indiqué, avec raison, que de tels salons sont particulièrement répandus en Allemagne. Les choses, là-bas, se font très naturellement : ce sont les chambres de commerce ou les grands groupes qui réunissent les acteurs, ce qui explique quils naient pas besoin dun ministre du Commerce extérieur. Leur organisation à lexportation est traditionnellement puissante, la nôtre est encore à inventer ! Face au manque dimplication des acteurs privés français, la puissance publique doit impulser ce mouvement. Ubifrance prend ainsi à sa charge lorganisation de nombreux salons.
Notre industrie agro-alimentaire est une perle. La croissance démographique de notre planète est constante, nous atteignons les sept milliards dhabitants. Comment peut-il se faire que la France perde 3 % de part de marché dans ce secteur ? Lexplication est très simple : chacun est content dans son coin. Lindustrie agro-alimentaire française tient encore dune vision digne dErnest Lavisse. Cest lhistoire de France vue par les Gaulois !
Je ne peux évidemment me satisfaire de ces résultats. Il y a une telle demande mondiale de produits français que nous ne devrions pas atteindre six milliards deuros dexcédent commercial dans ce secteur, mais le double. Élu des huitième et neuvième arrondissements de Paris, dans lesquels se trouvent les grands magasins, je suis bien placé pour savoir que les touristes chinois sont fous de produits français. Mais je me suis rendu dans des salons en Asie, et je nai guère trouvé de traces de ces derniers.
Les produits «haut de gamme», comme les grands vins de Bordeaux, nont aucune peine à trouver des débouchés. Ils sont même vendus, en Chine, avant dêtre produits. En revanche, les petits producteurs sont incapables de vendre à létranger sils ne sorganisent pas. Pour tout vous dire, leurs produits, aussi excellents soient-ils, ne dépassent même pas la frontière de leur département
Dans le vin par exemple, lentrée de gamme est dévastée car elle ne résiste pas à la concurrence de pays comme lEspagne, lItalie, lArgentine, lAfrique du Sud, et dautres encore. Prenons exemple sur lItalie, qui mène une véritable politique de filières. À New York, on trouve dans limmeuble «Eataly» tous les produits de la gastronomie italienne avec des restaurants. Le jour où un tel immeuble verra le jour, à New York ou à Tokyo, pour promouvoir les produits français, je considérerai que jaurai rempli ma mission. La France demeure engluée dans des querelles de boutique, entre la maison Sopexa et la maison Ubifrance, ou entre certaines régions. Au final, cest le contribuable qui paie, mais nous sommes incapables de nous entendre pour structurer loffre française à lexportation.
Monsieur Brottes, vous mavez interpellé sur les prix de lénergie pour les entreprises. Les voici : le prix moyen du gaz vendu en France est de 3,85 centimes deuros par kilowattheure, contre 4,53 centimes deuros par kilowattheure en Allemagne. Le prix de lélectricité est de 8,01 centimes deuros par kilowattheure, contre 12,26 centimes deuros par kilowattheure en Allemagne. Ces chiffres, datant de 2010, sont extraits dune étude publiée en 2011.
Monsieur Dionis du Séjour, vous mavez demandé le détail des chiffres du commerce extérieur par secteur. Les postes excédentaires sont les transports, et notamment laéronautique - nous sommes «Airbus A320 Neo dépendants» -, avec 14,5 milliards deuros, les produits chimiques, les parfums et cosmétiques, avec 7 milliards deuros, lagro-alimentaire, avec 5,5 milliards deuros, les produits pharmaceutiques, avec 3,9 milliards deuros, ainsi que les produits agricoles, sylvicoles et piscicoles, avec 2,2 milliards deuros. Tous les autres secteurs sont déficitaires ; certains sont même très déficitaires, comme lénergie, avec un déficit de 37 milliards deuros ou les produits manufacturés - moins 31 milliards deuros. Au total, le déficit est de 51 milliards deuros, dont 26 milliards vis-à-vis de la Chine.
( )
Sagissant du coût du travail, toute une série de rapports, dont certains émanent des partenaires sociaux, ont relevé un différentiel de lordre de 10 % avec lAllemagne.
Laction de la France est particulièrement volontariste en matière de promotion de règles du commerce international équitables. Sur ce sujet, nous sommes malheureusement bloqués par nos partenaires européens. Dune part, je rappelle que les négociations commerciales avec les pays extérieurs constituent une compétence communautaire. Dautre part, la France est le seul pays qui sest fait lavocate de la taxe carbone aux frontières de lUnion, de la prise en compte des règles de lOrganisation internationale du travail, ou encore dun accès réciproque aux marchés publics. Lexemple de lautoroute construite en Pologne par une entreprise chinoise, filiale de lÉtat chinois, sur des fonds européens me rend particulièrement amer. Aucune entreprise européenne ne peut rivaliser, car les prix proposés sont 50 % inférieurs. Le secteur ferroviaire est une autre illustration de concurrence déloyale : le Japon peut vendre des trains à grande vitesse au Royaume-Uni, mais ni Alstom ni Siemens nont accès au marché japonais
M. Michel Barnier essaie de faire progresser ces idées dans sa fonction de commissaire européen, mais il nest pas seul au sein de la commission de Bruxelles. En la matière, nous sommes pieds et poings liés aux autres États membres, qui sont encore favorables à la tradition libre-échangiste plutôt quà la tradition utilement interventionniste promue par le général de Gaulle. Le paradoxe, bien souligné par M. Brottes, cest que nos concurrents comme la Chine, la Corée, la Russie, le Brésil, le Qatar ou les Émirats arabes unis, mènent, eux, une véritable politique gaulliste. Dans ces pays, ce sont de petites équipes disposant de gros moyens qui mettent en place des filières industrielles compétitives. Nous avons détricoté ce modèle, mais ce gouvernement travaille à le reconstruire, grâce au crédit impôt recherche, aux investissements davenir, à Oséo, etc.
Cest la première fois que nous voyons renaître une politique industrielle en France et cest bien quil y ait sur ce point un consensus dans le débat politique. Si nous pouvons tous faire campagne sur ce thème, je crois que nous ferons gagner notre pays.
Sur le traitement des PME, je suis encore plus sévère que vous. Je voudrais vous informer dune chose que jai faite et dont je suis assez fier, parce que ce nétait pas évident. Jai dit ceci aux patrons du CAC 40 : «Mesdames et Messieurs les grands Patrons, quand vous viendrez à Bercy chercher du financement daccompagnement à lexportation, vous serez toujours les bienvenus car nous sommes là pour les grands contrats et les grands investissements. Simplement, je vais vous demander : combien de PME amenez-vous avec vous et combien demplois allez-vous créer ? En effet, si vous namenez pas de PME et que cela ne profite pas à lemploi, vous pouvez vous adresser au secteur bancaire privé». Cela, cest une sorte de mini-révolution, croyez-moi, et ce nest pas si simple à faire parce quil faut faire attention aux problèmes des aides dÉtat, aux problèmes de législations européenne et internationale notamment dans le cadre de lOMC. De cette façon, nous essayons de réhabiliter lidée de patriotisme économique, lidée quil y a un lien entre le donneur dordres et les PME.
À lautre extrémité, vous avez les entreprises qui ont carrément décidé de sinstaller dans leurs marchés, en déménageant léquipe dirigeante, y compris la direction des ressources humaines (DRH) ! Ce nest pas franchement ma façon de concevoir la politique industrielle. Le déménagement de la technologie, le déménagement des chaînes dassemblage comme des centres de recherche nest pas dans lintérêt national. Je le dis très clairement. À mon avis, ceux qui le font servent peut-être lintérêt de leur entreprise, au plus près de leur marché, mais nous, nous avons en charge la politique industrielle et dexportation de notre pays. Il est de mon devoir de le dire. Quand un grand groupe fait cela, je ne suis donc pas nécessairement daccord.
Je pourrais continuer longtemps, mais, vu lheure, il vaut mieux sarrêter. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges. Je sens, malgré les différences quon peut avoir sur des questions de fiscalité ou sur le coût du travail, selon nos sensibilités, quil émerge une prise de conscience de la gravité de la situation. Cest la seule chose qui mimporte.
( ).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011
Je vais faire court et, si vous voulez bien, je vais utiliser un langage de vérité, mais un langage très politique.
Les données globales du commerce mondial sont très simples : il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. En gros, le commerce mondial représente 15 200 milliards de dollars. 10 % de ce commerce, aujourdhui, est le fait de la Chine, qui pèse à elle seule pour 1 580 milliards dans ce total ; la Chine qui, je le rappelle, représentait seulement 1 % des échanges il y a trente ans, qui était septième il y a dix ans. Dans cinq ans, cest-à-dire à lissue du prochain quinquennat, la Chine sera devenue la première puissance économique de la planète avant les États-Unis ; au maximum dans dix ans, mais probablement dans cinq ans ! Au coude à coude, suivent les États-Unis et lAllemagne avec environ 1 280 milliards de dollars dexportation, le Japon (770 milliards), les Pays-Bas (572 milliards) et la France qui occupe le sixième rang (521 milliards de dollars représentant 3,4 % de parts de marché).
Les zones excédentaires sont en Asie et en Amérique latine, portées par la vague démographique ou la rente du sous-sol. La Chine enregistre 183 milliards de surplus commercial, le Moyen-Orient est globalement à 444 milliards de surplus commercial. Le monde occidental compte deux exceptions, deux pays qui gagnent : lAllemagne, avec plus de 200 milliards de dollars dexcédent commercial et le Japon qui, malgré le vieillissement de sa population, reste un pays exportateur net, avec plus 77 milliards dexcédent.
Les grands pays déficitaires sont, en gros, lOccident, ce que jappelle dans mon prochain livre «les anciens pays riches» : les États-Unis, lEurope, lEurope du sud surtout et la France, beaucoup trop ! Dailleurs, quand jai été nommé ministre en charge du Commerce extérieur, jai tenu à donner les chiffres, que lon ne donnait pas précédemment, parce que lon considérait que ce nétait pas bien grave.
Quand je suis arrivé, le déficit se montait à - 51 milliards deuros. On ma dit : «ne vous inquiétez pas, Monsieur le Ministre, - 51milliards, cest la facture énergétique de la France.» Sauf que, de lautre côté du Rhin, lAllemagne a une facture énergétique plus forte (70 milliards) et parvient à réaliser un excédent de plus de 150 milliards, avec la même monnaie que nous, leuro, et avec quasiment les mêmes contraintes, avec les mêmes normes, avec les mêmes problèmes à légard de la Chine. Je dis cela au passage pour tous ceux que jappelle «les charlatans de la démondialisation».
La faute ne revient pas à létranger, aux Indiens, aux Chinois ! La faute, ce nest pas létranger. Il y a en Europe des pays qui gagnent et dautres qui ne gagnent pas. Ceux qui ne gagnent pas ce sont les pays qui sendettent. Le clivage constaté aujourdhui dans la zone euro entre les pays qui sont en difficulté et ceux qui ne le sont pas, se retrouve dans le commerce extérieur. Il y a un lien absolument direct entre le déficit commercial et les déficits en général.
La crise de leuro est une crise de lendettement, Mesdames et Messieurs les Députés ; un endettement qui résulte des changements dans la compétition du commerce mondial. Ceux qui réussissent dans cette compétition ont aujourdhui le plein emploi : lAutriche est à 3,7 % de taux de chômage, lAllemagne à 6 %. Et ceux qui narrivent pas à faire les réformes narrivent pas à réaliser ce plein emploi.
Pour ce qui me concerne, je suis en charge, dans ce gouvernement, de la «partie VRP». Je moccupe du bout de la chaîne, de laccompagnement des entreprises à lexportation. Mais je vous le dis, parce que nous sommes ici dans la Maison de la démocratie, le problème de la France nest pas à chercher dans lactivité du VRP, qui peut toujours être améliorée, le problème cest la compétitivité de son économie et cest la production en France.
Le commerce extérieur de la France, ou dun autre pays, cest le rapport entre ce que nous sommes capables de produire chez nous, et dexporter, et ce que nous importons pour notre confort. Le delta aujourdhui est dun déficit à lexportation de 75 milliards deuros, un chiffre que jai annoncé même si jespère que nous serons légèrement en dessous au terme de cette année.
Mais cest un chiffre absolument considérable, un «record» franchement inquiétant. Surtout si on les met en rapport avec notre voisin allemand, qui dégagera un excédent 170 milliards deuros. Vous avez là un delta de 10-15 points de P.I.B. Cest considérable quand on veut, comme nous essayons de le faire, sauver notre zone économique, sauver notre zone monétaire. Donc, le problème du déficit commercial de la France, cest un problème stratégique du «produire en France».
Je ne vais pas entrer dans les détails, parce que je pense que vous aurez beaucoup de questions. Ce que je veux vous dire, cest que la principale différence entre nous et les Allemands, ce nest pas un problème de demande. La demande mondiale pour les produits européens, allemands ou français ne fait quaugmenter. La croissance de la demande chinoise est en augmentation de 10 %, lAmérique latine, lAfrique et le Moyen Orient exprime aussi des croissances de leur demande voisines de 6 %.
Le problème, cest loffre : comment nous produisons et comment nous organisons notre offre. Or, en France, nous avons aujourdhui quatre fois moins dentreprises exportatrices que les Allemands : 94 000 en France, plus de 400 000 en Allemagne et près de 200 000 en Italie. Et les deux tiers de nos exportations sont réalisés par les 1 000 premières, cest-à-dire par les grands groupes. Or, en ce qui concerne les fameux grands groupes - autre spécificité du capitalisme français -, nous avons le CAC 40 ! Les Allemands ont moins de multinationales que nous : nous sommes effectivement le pays européen qui compte le plus de multinationales. Sauf que les multinationales sont meilleures à linvestissement à létranger que pour la création de richesses et demplois chez nous. Les emplois sont créés par les PME.
Le travail que nous devons faire consiste donc à recréer de la production au niveau de nos PME, en France. Deux millions demplois industriels ont été perdus en trente ans, essentiellement dans les grands groupes. Par conséquent, mon combat de chaque jour vise à recréer des filières à lexportation à partir des régions et de les amener à lautre bout du monde, là où il y a de la demande. Voilà le vrai sujet. Et je reviens, sans esprit polémique, sur ceux qui nous expliquent que cest la faute des autres : je trouve cela consternant !
Franchement. Nous avons un problème de remise en ordre de notre appareil productif. Bien sûr quil y a des problèmes avec la Chine, sur les normes, sur laccès aux marchés publics, sur les contrefaçons. Mais il y a aussi beaucoup de technologies transférées un peu vite, beaucoup de légèreté, beaucoup de comportements contre lesquels il faut lutter, tous ensemble et cest pourquoi lAssemblée nationale et le Sénat ont un rôle majeur à jouer. Mais, franchement, regardons dabord nos problèmes. Sindigner et prétendre «démondialiser», ça ne suffit pas. Le sujet, cest produire. Et donc daborder franchement les questions de coût du travail, de fiscalité, déducation, dinnovation : telles sont les clés de lexportation.
Pendant très longtemps, pour les Français, le commerce extérieur signifiait dabord les «grands contrats». On voyait le président de la République prendre lavion, emmener avec lui des grands patrons du CAC 40 et à la fin, on signait des accords sur des ventes de TGV, dAirbus, darmement, de centrales nucléaires. Eh bien, Mesdames et Messieurs, on a changé de monde. Depuis vingt ans, les clients dhier sont devenus les compétiteurs daujourdhui. Quand vous voyez une filière coréenne, avec les mêmes réacteurs PWR exportés dans le temps depuis la France, nous battre à Abu Dhabi, cela veut dire que dun côté il y a une équipe organisée pour lexportation et de lautre une équipe qui ne lest pas, avec pourtant des technologies similaires.
Quand vous constatez la compétition à laquelle nous nous confrontons avec la Chine sur les trains à grande vitesse, une technologie là aussi importée par les Chinois à partir de technologies dont les origines sont allemandes et japonaises et que vous savez que les Chinois travaillent sur seize marchés simultanément en amenant non seulement le train, mais aussi «le chèque», cest-à-dire du financement, «la solution» du commerce extérieur français ne peut plus être uniquement celle des «grands contrats», même si nous y travaillons darrache-pied dans ces domaines : jétais par, exemple, il y a quinze jours à Tanger avec le Premier ministre pour lancer le premier TGV du monde arabe.
Le travail que nous avons à faire, cest une reconstruction de notre outil industriel qui commence par les PME. Lidée selon laquelle on va résoudre les problèmes du commerce extérieur par de larmement vingt ans après la fin de la Guerre froide, non ! Jai signé au mois de juillet avec monsieur Medvedev les contrats conclus avec la Russie pour la vente de deux bateaux «Mistral», cela représente 1,2 milliard deuros, alors que nous serons en déficit de 75 milliards : combien de «Mistral» faudrait-il vendre pour équilibrer nos échanges ? Larmement à lui tout seul ou encore les centrales nucléaires après Fukushima il va bien falloir trouver des choses à vendre.
Il faut donc recommencer un travail consacré aux filières, dans les régions, y compris en ce qui concerne lagroalimentaire. Cest un domaine dans lequel nous sommes très bons. En témoigne le diplôme de lUnesco reçu il y a un an pour la gastronomie française. Pourtant, nous y perdons tout de même des parts de marché, puisque notre part de marché a baissé de 9 à 6 % en dix ans. Nous sommes même maintenant doublés par les Allemands et les Néerlandais dont on ne peut pas dire que la gastronomie soit le point fort ! Nous avons donc un travail systématique de remise en ordre de notre appareil productif, filière par filière, région par région.
Mon travail est de faire en sorte que notre force de vente soit aussi opérationnelle que possible. Et je nai pas attendu le rapport de la cour des comptes pour demander du «qualitatif» et plus seulement du «quantitatif» aux responsables dUbifrance, organisme qui fonctionne dailleurs plutôt bien. Cest une vraie révolution par rapport à ce qui existait auparavant et on peut en faire crédit à lactuel gouvernement, ainsi quà François Loos, qui avait initié ce quest devenu Ubifrance qui est maintenant un outil moderne présent dans 56 pays, avec un contrat dobjectifs.
Ce document lui assigne notamment pour mission que le tiers des entreprises quil aura emmenées à lexportation devra avoir signé du «business», cest-à-dire des contrats. Et Ubifrance sera comptable de ses résultats, il en ira de même pour nos postes dexpansion économique. Cest un réseau qui a besoin dêtre modernisé. La mobilité se fait désormais en fonction du jugement des entreprises : on nest plus seulement noté en interne, on écoute ce que les entreprises ont appris sur les postes. On travaille aussi à une autre modernisation, celle du réseau des conseillers du commerce extérieur et nous visons également à élargir le système des volontaires internationaux en entreprise (V.I.E.). Cela marche très bien. : Nous avons ainsi 6.500 jeunes à lexportation et nous nous fixons un objectif de 15 000 postes.
Jessaie aussi de faire en sorte que lÉtat travaille lui aussi en réseau, dune part avec les grands groupes, dautre part avec les régions. Un des problèmes que nous rencontrons, cest laccompagnement ou le portage des PME par les grands groupes. Encore une spécificité «gauloise». Quand on a affaire à des Coréens en face de nous, ou à des Chinois, ou encore à des Japonais, leurs grands groupes arrivent avec leur écosystème, leurs sous-traitants. En France, ce nest pas le cas. Nous considérons que le sous-traitant peut être trouvé sur la planète entière. Je dispose de lettres circulaires de grands groupes qui écrivent à leurs sous-traitants en anglais, en leur fixant les conditions pour rentrer dans tel programme, avec la nécessité de financer ceci ou cela. Je ne vais pas demander une préférence nationale sur les sous-traitants, ce qui est juridiquement interdit. Mais, au moins, jestime que les grands groupes doivent consulter lécosystème en France !
Seulement treize entreprises du CAC 40 ont signé la «Charte à lexportation» («le Pacte Export») entre les grands groupes et les PME. On nest pas dans loukase, on est dans un rapport de forces et ma conviction est quil nous faut réhabiliter la notion de patriotisme économique. Mais cela ne peut pas se faire par la loi. Votre rôle à ce sujet est toutefois très important, je me permets de vous le dire.
Dernier point, parce que je ne veux pas vous lasser : le travail en région. La loi a donné aux régions une responsabilité première en matière de développement économique, y compris à lexportation. La loi de 2010 a donné aux chambres régionales de commerce un rôle de leadership auprès des entreprises.
Jai donc besoin que ce que lon appelle un peu pompeusement «lÉquipe de France de lexportation», avec la mise en réseau de la COFACE, dUbifrance et dOséo qui fonctionne de mieux en mieux à linternational, se retrouve dans chacune des régions, où nous avons besoin dune «Maison de lExport» : là, les PME ayant quelque chose à vendre peuvent trouver toutes les informations sur lexportation, aussi bien sur lAmérique latine, sur lAllemagne, toutes les aides, sur les services dOséo ou encore dUbifrance, etc. Du côté de lÉtat, nous faisons le maximum pour que la force de vente soit la plus efficace possible. Nous allons avoir une Charte nationale Export et des objectifs région par région.
Mon directeur de cabinet vient de me donner dautres chiffres qui donnent la mesure de notre problème, par rapport à nos voisins allemands. À lintérieur de la zone euro (et non en Chine où tout est plus difficile), cest-à-dire là où nous réalisons encore lessentiel de nos exportations (ce qui donne tort à ceux qui disent que cest la faute aux Chinois), nous sommes en recul : la France est passée de 18 à 12 % des exportations de la zone euro, tandis que lAllemagne passait de 26 à 29 % en dix ans. Cherchez lerreur !
Mesdames et Messieurs, et je madresse sur ce point plus spécialement aux représentants de lopposition - ceci dit sans une ombre de polémique -, si vous voulez réellement comprendre pourquoi nous sommes à 75 milliards deuros de déficit, il y a dautres explications que le livre de M. Montebourg ou les appels à lindignation ! Il faut regarder pourquoi notre économie est devenue moins compétitive et il y a à cela des raisons parfaitement objectives.
Tout ceci commence à produire petit à petit des résultats. On a connu cette année une augmentation, pour la première fois, du nombre de nos entreprises exportatrices, grâce à une meilleure organisation de laccueil à destination des PME, et même une augmentation de 3 % des primo-exportateurs. Je suis donc convaincu que ce travail va payer sur la durée. Si les Allemands ont aujourdhui des résultats quils navaient pas auparavant, cest grâce aux réformes de structure conduites par le chancelier Schröder il y a dix ans. Il ny a pas de mystère particulier aux résultats de la Finlande, des Pays-Bas, de lAutriche ou de lAllemagne. Ce sont des réformes de coût, de flexibilité, de fiscalité qui, à terme, sont payantes à lexport. Si vous alourdissez la barque en matière de fiscalité des entreprises, le seul résultat est damoindrir leurs capacités dinnovation et dinvestissement, sans lesquelles vous ne vendez pas. Les clés de lexportation sont linnovation, la taille des entreprises et leur accompagnement. Sur ce dernier point, je prétends que nous commençons à devenir assez professionnels en France. Mais la force Export est une chose ; ce qui compte, cest lécosystème économique qui fait ou qui ne fait pas de la production nationale. Voilà le sujet, et ceci, encore une fois, sans polémique aucune.
( ) Il faut regarder les choses en face. Sil nétait pas convenable, cest-à-dire en état, il y a de ça quelques années, notre appareil de vente devient acceptable. Désormais, il reste à faire un véritable effort pour structurer loffre de produits et de services français pour lexportation.
Monsieur le Rapporteur, la COFACE remplit de mieux en mieux les missions de service public qui lui sont confiées mais qui ne constituent quune partie de ses activités. Je rappelle quil sagit dune entreprise privée. Elle fait des bénéfices importants grâce à dautres activités - essentiellement assurancielles, notamment en Asie. Pendant longtemps, son activité a été centrée sur les grands groupes, mais la COFACE accorde une attention croissante au PME. La prime acquittée par celles-ci a diminué de 25 % ; de plus sa mise en réseau avec Oséo permet de leur proposer des produits financiers adaptés.
Le manque de salons constitue une autre faiblesse de léconomie française. Vous avez indiqué, avec raison, que de tels salons sont particulièrement répandus en Allemagne. Les choses, là-bas, se font très naturellement : ce sont les chambres de commerce ou les grands groupes qui réunissent les acteurs, ce qui explique quils naient pas besoin dun ministre du Commerce extérieur. Leur organisation à lexportation est traditionnellement puissante, la nôtre est encore à inventer ! Face au manque dimplication des acteurs privés français, la puissance publique doit impulser ce mouvement. Ubifrance prend ainsi à sa charge lorganisation de nombreux salons.
Notre industrie agro-alimentaire est une perle. La croissance démographique de notre planète est constante, nous atteignons les sept milliards dhabitants. Comment peut-il se faire que la France perde 3 % de part de marché dans ce secteur ? Lexplication est très simple : chacun est content dans son coin. Lindustrie agro-alimentaire française tient encore dune vision digne dErnest Lavisse. Cest lhistoire de France vue par les Gaulois !
Je ne peux évidemment me satisfaire de ces résultats. Il y a une telle demande mondiale de produits français que nous ne devrions pas atteindre six milliards deuros dexcédent commercial dans ce secteur, mais le double. Élu des huitième et neuvième arrondissements de Paris, dans lesquels se trouvent les grands magasins, je suis bien placé pour savoir que les touristes chinois sont fous de produits français. Mais je me suis rendu dans des salons en Asie, et je nai guère trouvé de traces de ces derniers.
Les produits «haut de gamme», comme les grands vins de Bordeaux, nont aucune peine à trouver des débouchés. Ils sont même vendus, en Chine, avant dêtre produits. En revanche, les petits producteurs sont incapables de vendre à létranger sils ne sorganisent pas. Pour tout vous dire, leurs produits, aussi excellents soient-ils, ne dépassent même pas la frontière de leur département
Dans le vin par exemple, lentrée de gamme est dévastée car elle ne résiste pas à la concurrence de pays comme lEspagne, lItalie, lArgentine, lAfrique du Sud, et dautres encore. Prenons exemple sur lItalie, qui mène une véritable politique de filières. À New York, on trouve dans limmeuble «Eataly» tous les produits de la gastronomie italienne avec des restaurants. Le jour où un tel immeuble verra le jour, à New York ou à Tokyo, pour promouvoir les produits français, je considérerai que jaurai rempli ma mission. La France demeure engluée dans des querelles de boutique, entre la maison Sopexa et la maison Ubifrance, ou entre certaines régions. Au final, cest le contribuable qui paie, mais nous sommes incapables de nous entendre pour structurer loffre française à lexportation.
Monsieur Brottes, vous mavez interpellé sur les prix de lénergie pour les entreprises. Les voici : le prix moyen du gaz vendu en France est de 3,85 centimes deuros par kilowattheure, contre 4,53 centimes deuros par kilowattheure en Allemagne. Le prix de lélectricité est de 8,01 centimes deuros par kilowattheure, contre 12,26 centimes deuros par kilowattheure en Allemagne. Ces chiffres, datant de 2010, sont extraits dune étude publiée en 2011.
Monsieur Dionis du Séjour, vous mavez demandé le détail des chiffres du commerce extérieur par secteur. Les postes excédentaires sont les transports, et notamment laéronautique - nous sommes «Airbus A320 Neo dépendants» -, avec 14,5 milliards deuros, les produits chimiques, les parfums et cosmétiques, avec 7 milliards deuros, lagro-alimentaire, avec 5,5 milliards deuros, les produits pharmaceutiques, avec 3,9 milliards deuros, ainsi que les produits agricoles, sylvicoles et piscicoles, avec 2,2 milliards deuros. Tous les autres secteurs sont déficitaires ; certains sont même très déficitaires, comme lénergie, avec un déficit de 37 milliards deuros ou les produits manufacturés - moins 31 milliards deuros. Au total, le déficit est de 51 milliards deuros, dont 26 milliards vis-à-vis de la Chine.
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Sagissant du coût du travail, toute une série de rapports, dont certains émanent des partenaires sociaux, ont relevé un différentiel de lordre de 10 % avec lAllemagne.
Laction de la France est particulièrement volontariste en matière de promotion de règles du commerce international équitables. Sur ce sujet, nous sommes malheureusement bloqués par nos partenaires européens. Dune part, je rappelle que les négociations commerciales avec les pays extérieurs constituent une compétence communautaire. Dautre part, la France est le seul pays qui sest fait lavocate de la taxe carbone aux frontières de lUnion, de la prise en compte des règles de lOrganisation internationale du travail, ou encore dun accès réciproque aux marchés publics. Lexemple de lautoroute construite en Pologne par une entreprise chinoise, filiale de lÉtat chinois, sur des fonds européens me rend particulièrement amer. Aucune entreprise européenne ne peut rivaliser, car les prix proposés sont 50 % inférieurs. Le secteur ferroviaire est une autre illustration de concurrence déloyale : le Japon peut vendre des trains à grande vitesse au Royaume-Uni, mais ni Alstom ni Siemens nont accès au marché japonais
M. Michel Barnier essaie de faire progresser ces idées dans sa fonction de commissaire européen, mais il nest pas seul au sein de la commission de Bruxelles. En la matière, nous sommes pieds et poings liés aux autres États membres, qui sont encore favorables à la tradition libre-échangiste plutôt quà la tradition utilement interventionniste promue par le général de Gaulle. Le paradoxe, bien souligné par M. Brottes, cest que nos concurrents comme la Chine, la Corée, la Russie, le Brésil, le Qatar ou les Émirats arabes unis, mènent, eux, une véritable politique gaulliste. Dans ces pays, ce sont de petites équipes disposant de gros moyens qui mettent en place des filières industrielles compétitives. Nous avons détricoté ce modèle, mais ce gouvernement travaille à le reconstruire, grâce au crédit impôt recherche, aux investissements davenir, à Oséo, etc.
Cest la première fois que nous voyons renaître une politique industrielle en France et cest bien quil y ait sur ce point un consensus dans le débat politique. Si nous pouvons tous faire campagne sur ce thème, je crois que nous ferons gagner notre pays.
Sur le traitement des PME, je suis encore plus sévère que vous. Je voudrais vous informer dune chose que jai faite et dont je suis assez fier, parce que ce nétait pas évident. Jai dit ceci aux patrons du CAC 40 : «Mesdames et Messieurs les grands Patrons, quand vous viendrez à Bercy chercher du financement daccompagnement à lexportation, vous serez toujours les bienvenus car nous sommes là pour les grands contrats et les grands investissements. Simplement, je vais vous demander : combien de PME amenez-vous avec vous et combien demplois allez-vous créer ? En effet, si vous namenez pas de PME et que cela ne profite pas à lemploi, vous pouvez vous adresser au secteur bancaire privé». Cela, cest une sorte de mini-révolution, croyez-moi, et ce nest pas si simple à faire parce quil faut faire attention aux problèmes des aides dÉtat, aux problèmes de législations européenne et internationale notamment dans le cadre de lOMC. De cette façon, nous essayons de réhabiliter lidée de patriotisme économique, lidée quil y a un lien entre le donneur dordres et les PME.
À lautre extrémité, vous avez les entreprises qui ont carrément décidé de sinstaller dans leurs marchés, en déménageant léquipe dirigeante, y compris la direction des ressources humaines (DRH) ! Ce nest pas franchement ma façon de concevoir la politique industrielle. Le déménagement de la technologie, le déménagement des chaînes dassemblage comme des centres de recherche nest pas dans lintérêt national. Je le dis très clairement. À mon avis, ceux qui le font servent peut-être lintérêt de leur entreprise, au plus près de leur marché, mais nous, nous avons en charge la politique industrielle et dexportation de notre pays. Il est de mon devoir de le dire. Quand un grand groupe fait cela, je ne suis donc pas nécessairement daccord.
Je pourrais continuer longtemps, mais, vu lheure, il vaut mieux sarrêter. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges. Je sens, malgré les différences quon peut avoir sur des questions de fiscalité ou sur le coût du travail, selon nos sensibilités, quil émerge une prise de conscience de la gravité de la situation. Cest la seule chose qui mimporte.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011