Déclaration de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur l'analyse du déficit du commerce extérieur de la France, sur à l'Assemblée nationale le 25 octobre 2011.

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Circonstance : Audition du secrétaire d'Etat par la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, le 25 octobre 2011

Texte intégral

Monsieur le Président,
Je vais faire court et, si vous voulez bien, je vais utiliser un langage de vérité, mais un langage très politique.
Les données globales du commerce mondial sont très simples : il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. En gros, le commerce mondial représente 15 200 milliards de dollars. 10 % de ce commerce, aujourd’hui, est le fait de la Chine, qui pèse à elle seule pour 1 580 milliards dans ce total ; la Chine qui, je le rappelle, représentait seulement 1 % des échanges il y a trente ans, qui était septième il y a dix ans. Dans cinq ans, c’est-à-dire à l’issue du prochain quinquennat, la Chine sera devenue la première puissance économique de la planète avant les États-Unis ; au maximum dans dix ans, mais probablement dans cinq ans ! Au coude à coude, suivent les États-Unis et l’Allemagne avec environ 1 280 milliards de dollars d’exportation, le Japon (770 milliards), les Pays-Bas (572 milliards) et la France qui occupe le sixième rang (521 milliards de dollars représentant 3,4 % de parts de marché).
Les zones excédentaires sont en Asie et en Amérique latine, portées par la vague démographique ou la rente du sous-sol. La Chine enregistre 183 milliards de surplus commercial, le Moyen-Orient est globalement à 444 milliards de surplus commercial. Le monde occidental compte deux exceptions, deux pays qui gagnent : l’Allemagne, avec plus de 200 milliards de dollars d’excédent commercial et le Japon qui, malgré le vieillissement de sa population, reste un pays exportateur net, avec plus 77 milliards d’excédent.
Les grands pays déficitaires sont, en gros, l’Occident, ce que j’appelle dans mon prochain livre «les anciens pays riches» : les États-Unis, l’Europe, l’Europe du sud surtout et la France, beaucoup trop ! D’ailleurs, quand j’ai été nommé ministre en charge du Commerce extérieur, j’ai tenu à donner les chiffres, que l’on ne donnait pas précédemment, parce que l’on considérait que ce n’était pas bien grave.
Quand je suis arrivé, le déficit se montait à - 51 milliards d’euros. On m’a dit : «ne vous inquiétez pas, Monsieur le Ministre, - 51milliards, c’est la facture énergétique de la France.» Sauf que, de l’autre côté du Rhin, l’Allemagne a une facture énergétique plus forte (70 milliards) et parvient à réaliser un excédent de plus de 150 milliards, avec la même monnaie que nous, l’euro, et avec quasiment les mêmes contraintes, avec les mêmes normes, avec les mêmes problèmes à l’égard de la Chine. Je dis cela au passage pour tous ceux que j’appelle «les charlatans de la démondialisation».
La faute ne revient pas à l’étranger, aux Indiens, aux Chinois ! La faute, ce n’est pas l’étranger. Il y a en Europe des pays qui gagnent et d’autres qui ne gagnent pas. Ceux qui ne gagnent pas ce sont les pays qui s’endettent. Le clivage constaté aujourd’hui dans la zone euro entre les pays qui sont en difficulté et ceux qui ne le sont pas, se retrouve dans le commerce extérieur. Il y a un lien absolument direct entre le déficit commercial et les déficits en général.
La crise de l’euro est une crise de l’endettement, Mesdames et Messieurs les Députés ; un endettement qui résulte des changements dans la compétition du commerce mondial. Ceux qui réussissent dans cette compétition ont aujourd’hui le plein emploi : l’Autriche est à 3,7 % de taux de chômage, l’Allemagne à 6 %. Et ceux qui n’arrivent pas à faire les réformes n’arrivent pas à réaliser ce plein emploi.
Pour ce qui me concerne, je suis en charge, dans ce gouvernement, de la «partie VRP». Je m’occupe du bout de la chaîne, de l’accompagnement des entreprises à l’exportation. Mais je vous le dis, parce que nous sommes ici dans la Maison de la démocratie, le problème de la France n’est pas à chercher dans l’activité du VRP, qui peut toujours être améliorée, le problème c’est la compétitivité de son économie et c’est la production en France.
Le commerce extérieur de la France, ou d’un autre pays, c’est le rapport entre ce que nous sommes capables de produire chez nous, et d’exporter, et ce que nous importons pour notre confort. Le delta aujourd’hui est d’un déficit à l’exportation de 75 milliards d’euros, un chiffre que j’ai annoncé même si j’espère que nous serons légèrement en dessous au terme de cette année.
Mais c’est un chiffre absolument considérable, un «record» franchement inquiétant. Surtout si on les met en rapport avec notre voisin allemand, qui dégagera un excédent 170 milliards d’euros. Vous avez là un delta de 10-15 points de P.I.B. C’est considérable quand on veut, comme nous essayons de le faire, sauver notre zone économique, sauver notre zone monétaire. Donc, le problème du déficit commercial de la France, c’est un problème stratégique du «produire en France».
Je ne vais pas entrer dans les détails, parce que je pense que vous aurez beaucoup de questions. Ce que je veux vous dire, c’est que la principale différence entre nous et les Allemands, ce n’est pas un problème de demande. La demande mondiale pour les produits européens, allemands ou français ne fait qu’augmenter. La croissance de la demande chinoise est en augmentation de 10 %, l’Amérique latine, l’Afrique et le Moyen Orient exprime aussi des croissances de leur demande voisines de 6 %.
Le problème, c’est l’offre : comment nous produisons et comment nous organisons notre offre. Or, en France, nous avons aujourd’hui quatre fois moins d’entreprises exportatrices que les Allemands : 94 000 en France, plus de 400 000 en Allemagne et près de 200 000 en Italie. Et les deux tiers de nos exportations sont réalisés par les 1 000 premières, c’est-à-dire par les grands groupes. Or, en ce qui concerne les fameux grands groupes - autre spécificité du capitalisme français -, nous avons le CAC 40 ! Les Allemands ont moins de multinationales que nous : nous sommes effectivement le pays européen qui compte le plus de multinationales. Sauf que les multinationales sont meilleures à l’investissement à l’étranger que pour la création de richesses et d’emplois chez nous. Les emplois sont créés par les PME.
Le travail que nous devons faire consiste donc à recréer de la production au niveau de nos PME, en France. Deux millions d’emplois industriels ont été perdus en trente ans, essentiellement dans les grands groupes. Par conséquent, mon combat de chaque jour vise à recréer des filières à l’exportation à partir des régions et de les amener à l’autre bout du monde, là où il y a de la demande. Voilà le vrai sujet. Et je reviens, sans esprit polémique, sur ceux qui nous expliquent que c’est la faute des autres : je trouve cela consternant !
Franchement. Nous avons un problème de remise en ordre de notre appareil productif. Bien sûr qu’il y a des problèmes avec la Chine, sur les normes, sur l’accès aux marchés publics, sur les contrefaçons. Mais il y a aussi beaucoup de technologies transférées un peu vite, beaucoup de légèreté, beaucoup de comportements contre lesquels il faut lutter, tous ensemble et c’est pourquoi l’Assemblée nationale et le Sénat ont un rôle majeur à jouer. Mais, franchement, regardons d’abord nos problèmes. S’indigner et prétendre «démondialiser», ça ne suffit pas. Le sujet, c’est produire. Et donc d’aborder franchement les questions de coût du travail, de fiscalité, d’éducation, d’innovation : telles sont les clés de l’exportation.
Pendant très longtemps, pour les Français, le commerce extérieur signifiait d’abord les «grands contrats». On voyait le président de la République prendre l’avion, emmener avec lui des grands patrons du CAC 40 et à la fin, on signait des accords sur des ventes de TGV, d’Airbus, d’armement, de centrales nucléaires. Eh bien, Mesdames et Messieurs, on a changé de monde. Depuis vingt ans, les clients d’hier sont devenus les compétiteurs d’aujourd’hui. Quand vous voyez une filière coréenne, avec les mêmes réacteurs PWR exportés dans le temps depuis la France, nous battre à Abu Dhabi, cela veut dire que d’un côté il y a une équipe organisée pour l’exportation et de l’autre une équipe qui ne l’est pas, avec pourtant des technologies similaires.
Quand vous constatez la compétition à laquelle nous nous confrontons avec la Chine sur les trains à grande vitesse, une technologie là aussi importée par les Chinois à partir de technologies dont les origines sont allemandes et japonaises et que vous savez que les Chinois travaillent sur seize marchés simultanément en amenant non seulement le train, mais aussi «le chèque», c’est-à-dire du financement, «la solution» du commerce extérieur français ne peut plus être uniquement celle des «grands contrats», même si nous y travaillons d’arrache-pied dans ces domaines : j’étais par, exemple, il y a quinze jours à Tanger avec le Premier ministre pour lancer le premier TGV du monde arabe.
Le travail que nous avons à faire, c’est une reconstruction de notre outil industriel qui commence par les PME. L’idée selon laquelle on va résoudre les problèmes du commerce extérieur par de l’armement vingt ans après la fin de la Guerre froide, non ! J’ai signé au mois de juillet avec monsieur Medvedev les contrats conclus avec la Russie pour la vente de deux bateaux «Mistral», cela représente 1,2 milliard d’euros, alors que nous serons en déficit de 75 milliards : combien de «Mistral» faudrait-il vendre pour équilibrer nos échanges ? L’armement à lui tout seul ou encore les centrales nucléaires après Fukushima… il va bien falloir trouver des choses à vendre.
Il faut donc recommencer un travail consacré aux filières, dans les régions, y compris en ce qui concerne l’agroalimentaire. C’est un domaine dans lequel nous sommes très bons. En témoigne le diplôme de l’Unesco reçu il y a un an pour la gastronomie française. Pourtant, nous y perdons tout de même des parts de marché, puisque notre part de marché a baissé de 9 à 6 % en dix ans. Nous sommes même maintenant doublés par les Allemands et les Néerlandais dont on ne peut pas dire que la gastronomie soit le point fort ! Nous avons donc un travail systématique de remise en ordre de notre appareil productif, filière par filière, région par région.
Mon travail est de faire en sorte que notre force de vente soit aussi opérationnelle que possible. Et je n’ai pas attendu le rapport de la cour des comptes pour demander du «qualitatif» et plus seulement du «quantitatif» aux responsables d’Ubifrance, organisme qui fonctionne d’ailleurs plutôt bien. C’est une vraie révolution par rapport à ce qui existait auparavant et on peut en faire crédit à l’actuel gouvernement, ainsi qu’à François Loos, qui avait initié ce qu’est devenu Ubifrance qui est maintenant un outil moderne présent dans 56 pays, avec un contrat d’objectifs.
Ce document lui assigne notamment pour mission que le tiers des entreprises qu’il aura emmenées à l’exportation devra avoir signé du «business», c’est-à-dire des contrats. Et Ubifrance sera comptable de ses résultats, il en ira de même pour nos postes d’expansion économique. C’est un réseau qui a besoin d’être modernisé. La mobilité se fait désormais en fonction du jugement des entreprises : on n’est plus seulement noté en interne, on écoute ce que les entreprises ont appris sur les postes. On travaille aussi à une autre modernisation, celle du réseau des conseillers du commerce extérieur et nous visons également à élargir le système des volontaires internationaux en entreprise (V.I.E.). Cela marche très bien. : Nous avons ainsi 6.500 jeunes à l’exportation et nous nous fixons un objectif de 15 000 postes.
J’essaie aussi de faire en sorte que l’État travaille lui aussi en réseau, d’une part avec les grands groupes, d’autre part avec les régions. Un des problèmes que nous rencontrons, c’est l’accompagnement ou le portage des PME par les grands groupes. Encore une spécificité «gauloise». Quand on a affaire à des Coréens en face de nous, ou à des Chinois, ou encore à des Japonais, leurs grands groupes arrivent avec leur écosystème, leurs sous-traitants. En France, ce n’est pas le cas. Nous considérons que le sous-traitant peut être trouvé sur la planète entière. Je dispose de lettres circulaires de grands groupes qui écrivent à leurs sous-traitants en anglais, en leur fixant les conditions pour rentrer dans tel programme, avec la nécessité de financer ceci ou cela. Je ne vais pas demander une préférence nationale sur les sous-traitants, ce qui est juridiquement interdit. Mais, au moins, j’estime que les grands groupes doivent consulter l’écosystème en France !
Seulement treize entreprises du CAC 40 ont signé la «Charte à l’exportation» («le Pacte Export») entre les grands groupes et les PME. On n’est pas dans l’oukase, on est dans un rapport de forces et ma conviction est qu’il nous faut réhabiliter la notion de patriotisme économique. Mais cela ne peut pas se faire par la loi. Votre rôle à ce sujet est toutefois très important, je me permets de vous le dire.
Dernier point, parce que je ne veux pas vous lasser : le travail en région. La loi a donné aux régions une responsabilité première en matière de développement économique, y compris à l’exportation. La loi de 2010 a donné aux chambres régionales de commerce un rôle de leadership auprès des entreprises.
J’ai donc besoin que ce que l’on appelle un peu pompeusement «l’Équipe de France de l’exportation», avec la mise en réseau de la COFACE, d’Ubifrance et d’Oséo qui fonctionne de mieux en mieux à l’international, se retrouve dans chacune des régions, où nous avons besoin d’une «Maison de l’Export» : là, les PME ayant quelque chose à vendre peuvent trouver toutes les informations sur l’exportation, aussi bien sur l’Amérique latine, sur l’Allemagne, toutes les aides, sur les services d’Oséo ou encore d’Ubifrance, etc. Du côté de l’État, nous faisons le maximum pour que la force de vente soit la plus efficace possible. Nous allons avoir une Charte nationale Export et des objectifs région par région.
Mon directeur de cabinet vient de me donner d’autres chiffres qui donnent la mesure de notre problème, par rapport à nos voisins allemands. À l’intérieur de la zone euro (et non en Chine où tout est plus difficile), c’est-à-dire là où nous réalisons encore l’essentiel de nos exportations (ce qui donne tort à ceux qui disent que c’est la faute aux Chinois), nous sommes en recul : la France est passée de 18 à 12 % des exportations de la zone euro, tandis que l’Allemagne passait de 26 à 29 % en dix ans. Cherchez l’erreur !
Mesdames et Messieurs, et je m’adresse sur ce point plus spécialement aux représentants de l’opposition - ceci dit sans une ombre de polémique -, si vous voulez réellement comprendre pourquoi nous sommes à 75 milliards d’euros de déficit, il y a d’autres explications que le livre de M. Montebourg ou les appels à l’indignation ! Il faut regarder pourquoi notre économie est devenue moins compétitive et il y a à cela des raisons parfaitement objectives.
Tout ceci commence à produire petit à petit des résultats. On a connu cette année une augmentation, pour la première fois, du nombre de nos entreprises exportatrices, grâce à une meilleure organisation de l’accueil à destination des PME, et même une augmentation de 3 % des primo-exportateurs. Je suis donc convaincu que ce travail va payer sur la durée. Si les Allemands ont aujourd’hui des résultats qu’ils n’avaient pas auparavant, c’est grâce aux réformes de structure conduites par le chancelier Schröder il y a dix ans. Il n’y a pas de mystère particulier aux résultats de la Finlande, des Pays-Bas, de l’Autriche ou de l’Allemagne. Ce sont des réformes de coût, de flexibilité, de fiscalité qui, à terme, sont payantes à l’export. Si vous alourdissez la barque en matière de fiscalité des entreprises, le seul résultat est d’amoindrir leurs capacités d’innovation et d’investissement, sans lesquelles vous ne vendez pas. Les clés de l’exportation sont l’innovation, la taille des entreprises et leur accompagnement. Sur ce dernier point, je prétends que nous commençons à devenir assez professionnels en France. Mais la force Export est une chose ; ce qui compte, c’est l’écosystème économique qui fait ou qui ne fait pas de la production nationale. Voilà le sujet, et ceci, encore une fois, sans polémique aucune.
(…) Il faut regarder les choses en face. S’il n’était pas convenable, c’est-à-dire en état, il y a de ça quelques années, notre appareil de vente devient acceptable. Désormais, il reste à faire un véritable effort pour structurer l’offre de produits et de services français pour l’exportation.
Monsieur le Rapporteur, la COFACE remplit de mieux en mieux les missions de service public qui lui sont confiées mais qui ne constituent qu’une partie de ses activités. Je rappelle qu’il s’agit d’une entreprise privée. Elle fait des bénéfices importants grâce à d’autres activités - essentiellement assurancielles, notamment en Asie. Pendant longtemps, son activité a été centrée sur les grands groupes, mais la COFACE accorde une attention croissante au PME. La prime acquittée par celles-ci a diminué de 25 % ; de plus sa mise en réseau avec Oséo permet de leur proposer des produits financiers adaptés.
Le manque de salons constitue une autre faiblesse de l’économie française. Vous avez indiqué, avec raison, que de tels salons sont particulièrement répandus en Allemagne. Les choses, là-bas, se font très naturellement : ce sont les chambres de commerce ou les grands groupes qui réunissent les acteurs, ce qui explique qu’ils n’aient pas besoin d’un ministre du Commerce extérieur. Leur organisation à l’exportation est traditionnellement puissante, la nôtre est encore à inventer ! Face au manque d’implication des acteurs privés français, la puissance publique doit impulser ce mouvement. Ubifrance prend ainsi à sa charge l’organisation de nombreux salons.
Notre industrie agro-alimentaire est une perle. La croissance démographique de notre planète est constante, nous atteignons les sept milliards d’habitants. Comment peut-il se faire que la France perde 3 % de part de marché dans ce secteur ? L’explication est très simple : chacun est content dans son coin. L’industrie agro-alimentaire française tient encore d’une vision digne d’Ernest Lavisse. C’est l’histoire de France vue par les Gaulois !
Je ne peux évidemment me satisfaire de ces résultats. Il y a une telle demande mondiale de produits français que nous ne devrions pas atteindre six milliards d’euros d’excédent commercial dans ce secteur, mais le double. Élu des huitième et neuvième arrondissements de Paris, dans lesquels se trouvent les grands magasins, je suis bien placé pour savoir que les touristes chinois sont fous de produits français. Mais je me suis rendu dans des salons en Asie, et je n’ai guère trouvé de traces de ces derniers.
Les produits «haut de gamme», comme les grands vins de Bordeaux, n’ont aucune peine à trouver des débouchés. Ils sont même vendus, en Chine, avant d’être produits. En revanche, les petits producteurs sont incapables de vendre à l’étranger s’ils ne s’organisent pas. Pour tout vous dire, leurs produits, aussi excellents soient-ils, ne dépassent même pas la frontière de leur département…
Dans le vin par exemple, l’entrée de gamme est dévastée car elle ne résiste pas à la concurrence de pays comme l’Espagne, l’Italie, l’Argentine, l’Afrique du Sud, et d’autres encore. Prenons exemple sur l’Italie, qui mène une véritable politique de filières. À New York, on trouve dans l’immeuble «Eataly» tous les produits de la gastronomie italienne avec des restaurants. Le jour où un tel immeuble verra le jour, à New York ou à Tokyo, pour promouvoir les produits français, je considérerai que j’aurai rempli ma mission. La France demeure engluée dans des querelles de boutique, entre la maison Sopexa et la maison Ubifrance, ou entre certaines régions. Au final, c’est le contribuable qui paie, mais nous sommes incapables de nous entendre pour structurer l’offre française à l’exportation.
Monsieur Brottes, vous m’avez interpellé sur les prix de l’énergie pour les entreprises. Les voici : le prix moyen du gaz vendu en France est de 3,85 centimes d’euros par kilowattheure, contre 4,53 centimes d’euros par kilowattheure en Allemagne. Le prix de l’électricité est de 8,01 centimes d’euros par kilowattheure, contre 12,26 centimes d’euros par kilowattheure en Allemagne. Ces chiffres, datant de 2010, sont extraits d’une étude publiée en 2011.
Monsieur Dionis du Séjour, vous m’avez demandé le détail des chiffres du commerce extérieur par secteur. Les postes excédentaires sont les transports, et notamment l’aéronautique - nous sommes «Airbus A320 Neo dépendants» -, avec 14,5 milliards d’euros, les produits chimiques, les parfums et cosmétiques, avec 7 milliards d’euros, l’agro-alimentaire, avec 5,5 milliards d’euros, les produits pharmaceutiques, avec 3,9 milliards d’euros, ainsi que les produits agricoles, sylvicoles et piscicoles, avec 2,2 milliards d’euros. Tous les autres secteurs sont déficitaires ; certains sont même très déficitaires, comme l’énergie, avec un déficit de 37 milliards d’euros ou les produits manufacturés - moins 31 milliards d’euros. Au total, le déficit est de 51 milliards d’euros, dont 26 milliards vis-à-vis de la Chine.
(…)
S’agissant du coût du travail, toute une série de rapports, dont certains émanent des partenaires sociaux, ont relevé un différentiel de l’ordre de 10 % avec l’Allemagne.
L’action de la France est particulièrement volontariste en matière de promotion de règles du commerce international équitables. Sur ce sujet, nous sommes malheureusement bloqués par nos partenaires européens. D’une part, je rappelle que les négociations commerciales avec les pays extérieurs constituent une compétence communautaire. D’autre part, la France est le seul pays qui s’est fait l’avocate de la taxe carbone aux frontières de l’Union, de la prise en compte des règles de l’Organisation internationale du travail, ou encore d’un accès réciproque aux marchés publics. L’exemple de l’autoroute construite en Pologne par une entreprise chinoise, filiale de l’État chinois, sur des fonds européens me rend particulièrement amer. Aucune entreprise européenne ne peut rivaliser, car les prix proposés sont 50 % inférieurs. Le secteur ferroviaire est une autre illustration de concurrence déloyale : le Japon peut vendre des trains à grande vitesse au Royaume-Uni, mais ni Alstom ni Siemens n’ont accès au marché japonais…
M. Michel Barnier essaie de faire progresser ces idées dans sa fonction de commissaire européen, mais il n’est pas seul au sein de la commission de Bruxelles. En la matière, nous sommes pieds et poings liés aux autres États membres, qui sont encore favorables à la tradition libre-échangiste plutôt qu’à la tradition utilement interventionniste promue par le général de Gaulle. Le paradoxe, bien souligné par M. Brottes, c’est que nos concurrents comme la Chine, la Corée, la Russie, le Brésil, le Qatar ou les Émirats arabes unis, mènent, eux, une véritable politique gaulliste. Dans ces pays, ce sont de petites équipes disposant de gros moyens qui mettent en place des filières industrielles compétitives. Nous avons détricoté ce modèle, mais ce gouvernement travaille à le reconstruire, grâce au crédit impôt recherche, aux investissements d’avenir, à Oséo, etc.
C’est la première fois que nous voyons renaître une politique industrielle en France et c’est bien qu’il y ait sur ce point un consensus dans le débat politique. Si nous pouvons tous faire campagne sur ce thème, je crois que nous ferons gagner notre pays.
Sur le traitement des PME, je suis encore plus sévère que vous. Je voudrais vous informer d’une chose que j’ai faite et dont je suis assez fier, parce que ce n’était pas évident. J’ai dit ceci aux patrons du CAC 40 : «Mesdames et Messieurs les grands Patrons, quand vous viendrez à Bercy chercher du financement d’accompagnement à l’exportation, vous serez toujours les bienvenus car nous sommes là pour les grands contrats et les grands investissements. Simplement, je vais vous demander : combien de PME amenez-vous avec vous et combien d’emplois allez-vous créer ? En effet, si vous n’amenez pas de PME et que cela ne profite pas à l’emploi, vous pouvez vous adresser au secteur bancaire privé». Cela, c’est une sorte de mini-révolution, croyez-moi, et ce n’est pas si simple à faire parce qu’il faut faire attention aux problèmes des aides d’État, aux problèmes de législations européenne et internationale notamment dans le cadre de l’OMC. De cette façon, nous essayons de réhabiliter l’idée de patriotisme économique, l’idée qu’il y a un lien entre le donneur d’ordres et les PME.
À l’autre extrémité, vous avez les entreprises qui ont carrément décidé de s’installer dans leurs marchés, en déménageant l’équipe dirigeante, y compris la direction des ressources humaines (DRH) ! Ce n’est pas franchement ma façon de concevoir la politique industrielle. Le déménagement de la technologie, le déménagement des chaînes d’assemblage comme des centres de recherche n’est pas dans l’intérêt national. Je le dis très clairement. À mon avis, ceux qui le font servent peut-être l’intérêt de leur entreprise, au plus près de leur marché, mais nous, nous avons en charge la politique industrielle et d’exportation de notre pays. Il est de mon devoir de le dire. Quand un grand groupe fait cela, je ne suis donc pas nécessairement d’accord.
Je pourrais continuer longtemps, mais, vu l’heure, il vaut mieux s’arrêter. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges. Je sens, malgré les différences qu’on peut avoir sur des questions de fiscalité ou sur le coût du travail, selon nos sensibilités, qu’il émerge une prise de conscience de la gravité de la situation. C’est la seule chose qui m’importe.
(…).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011