Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, avec France Info le 27 octobre 2011, sur la crise dans la Zone euro, la situation en Libye et sur la piraterie maritime au large de la Somalie.

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Média : France Info

Texte intégral

MATHILDE MUNOZ Est-ce que l’Europe a enfin trouvé une solution pérenne à cette crise ?
 
GERARD LONGUET C’est un cap qui est franchi, c’est une détermination qui est affichée, c’est donc une très bonne étape.
 
MATHILDE MUNOZ Mais il y en a aura d’autres ?
 
GERARD LONGUET Faut-il voir plus loin ? Faut-il voir plus loin ? Oui. Je pense profondément que ce que l’Allemagne et la France souhaitent, c’est-à-dire une gouvernance économique européenne, une convergence des politiques budgétaires est au coeur du sujet. Car au fond de quoi s’agit-il ? C’est la crise d’un certain nombre d’Etats membres de l’euro dont les budgets sont structurellement déficitaires et qui par leurs endettements menaçaient la solidité de l’ensemble de la monnaie. Nous avons donc le devoir absolu pour maintenir l’euro, d’avoir une conduite commune des politiques budgétaires, d’avoir des échanges et peut-être aussi d’avoir des contraintes en amont et non pas en aval.
 
MATHILDE MUNOZ Et cette critique de la Grande-Bretagne en particulier, mais de tous les pays qui ne sont pas membres de la zone euro, qui disent on va vers une Europe à deux vitesses, et la zone euro sera en tête et les autres seront laissés pour compte.
 
GERARD LONGUET Sans doute, mais tout le monde peut accéder à l’euro dès lors que l’on en accepte le principe. Je rappelle que la Grande-Bretagne l’a toujours refusé, donc elle paye ses propres choix politiques. La Grande- Bretagne n’est pas interdite d’euro, c’est elle qui a souhaité rester à l’extérieur.
 
MATHILDE MUNOZ Je ne sais pas si vous avez entendu tout à l’heure Daniel COHNBENDIT qui était sur notre antenne il y a quelques minutes, l’euro-député dit qu’on se livre pieds et poings liés aux pays émergeants en acceptant notamment l’aide de la Chine avec cet accord européen.
 
GERARD LONGUET On a besoin de partenaires, il y a des excédents, il y a des excédents chinois. Les Chinois achetaient des dollars, aujourd’hui ils ont envie d’acheter des euros. Tant mieux, ça prouve qu’ils ont plus confiance dans l’avenir de l’Europe et de notre monnaie que dans l’avenir des Etats-Unis et du dollar aujourd’hui.
 
MATHILDE MUNOZ Et on va leur donner quoi en échange ? Ce n’est pas gratuit, c’est ce que disait Daniel COHN-BENDIT, ils ne font pas ça juste pour être gentils.
 
GERARD LONGUET C’est leur intérêt, quand vous avez de l’argent en caisse, il ne faut pas le laisser dormir, sinon il perd de sa valeur. A tout prendre, acheter des obligations européennes pour les Chinois c’est une bonne affaire pour les Chinois, ce n’est pas une mauvaise affaire pour nous, ils ont de l’argent, nous en avons besoin, du moment que les taux d’intérêts restent bas, c’est une bonne affaire pour les deux, en tous les cas pour nous Européens.
 
MATHILDE MUNOZ Gérard LONGUET, le Colonel KADHAFI a été tué, mais le Conseil National de Transition libyen souhaite que l’OTAN poursuive ses opérations militaires au moins jusqu’à la fin de l’année, est-ce que vous êtes d’accord ?
 
GERARD LONGUET Je n’en comprends pas complètement la nécessité. Nous, nous intervenons au nom des Nations-Unies sur une résolution 1973 qui avait pour objet de protéger des populations civiles. Aujourd’hui ces populations civiles ne sont plus menacées par le gouvernement de KADHAFI, par les chars, par les armes, les avions de KADHAFI.
 
MATHILDE MUNOZ Le CNT dit que les derniers fidèles de Mouammar KADHAFI restent une menace.
 
GERARD LONGUET Naturellement, il y aura toujours des poches de résistance, il peut y avoir des poches de résistance, il peut y avoir des désordres, il peut y avoir des conflits internes, mais nous nous sommes dans les airs, à l’extérieur, et il faudrait complètement changer les conditions d’intervention. Je pense que la décision à ce moment là elle est politique, ce sont les amis de la Lybie, ce qu’on appelle les amis de la Libye, les pays qui se sont rejoints pour défendre le peuple libyen, qui ont à évaluer avec le CNT ; mais ce n’est pas sur la base de l’intervention des Nations- Unies dans laquelle nous étions engagés.
 
MATHILDE MUNOZ Donc il faut redéfinir peut-être le rôle de la France ?
 
GERARD LONGUET Il faut redéfinir une base de la France, des alliés de la Libye et accompagner le CNT dans la très difficile épreuve qui est de constituer un Etat de droit.
 
MATHILDE MUNOZ Mais ça veut dire quelle mission exacte pour la France, protéger les frontières, essayer de récupérer les armes ?
 
GERARD LONGUET C’est exactement la question qui est posée, que veut exactement le CNT ? Il y a des sujets majeurs, la dispersion des armes, c’est un vrai sujet. Il y a le contrôle des frontières puisque la Libye a toujours été un lieu d’immigration clandestine, qui a été plus ou moins maîtrisé, c’est un deuxième sujet. Le troisième sujet c’est en effet peut-être d’aider le nouveau gouvernement à faire, à installer une gendarmerie en quelque sorte, cela relève de la gendarmerie, mais ça c’est un mandat nouveau qui n’est pas celui de l’OTAN, qui n’est pas celui de la résolution 1973 et qui ne peut procéder que d’un nouvel accord entre la Libye et ce que l’on appelle les pays amis de la Libye.
 
MATHILDE MUNOZ Et donc aujourd’hui la mission de l’OTAN est terminée, il n’y a plus de bombardements, plus de raids aériens.
 
GERARD LONGUET La mission de l’OTAN, il y a une surveillance naturellement, mais le dispositif se démonte assez rapidement, j’avais dit la Toussaint, le secrétaire général de l’OTAN l’a confirmé.
 
MATHILDE MUNOZ Cette participation de la France à la guerre en Libye a coûté combien ? Est-ce que vous avez fait les comptes ?
 
GERARD LONGUET En coûts directs on est en effet autour de 330 millions d’euros, ce qui représente si vous voulez 1% du budget de la Défense, c’est donc un effort significatif mais c’est un effort qui peut-être absorbé.
 
MATHILDE MUNOZ Alors en Libye le Conseil National de Transition dit, et c’est d’ailleurs sa première déclaration, qu’il va appliquer la charia, la loi islamique. De leurs côtés les islamistes ont gagné les élections en Tunisie, ils revendiquent 40% des sièges de l’assemblée constituante. Est-ce que vous êtes inquiet ou déçu de cette situation ?
 
GERARD LONGUET Il y a un monde arabo-musulman qui existe depuis l’Hégire, et donc je ne vais pas réinventer une société qui a choisi un mode de culture. Nous notre mandat c’était de protéger les populations, et notre espérance c’est qu’il ait une démocratie. Dès lors qu’il y a une démocratie, qu’il y a une libre circulation de l’information et des points de vue, et bien les opinions seront confrontées. Prenons l’exemple de la Tunisie, les Islamistes qui sont d’ailleurs assez conservateurs représentent 40%, ça veut dire que les autres représentent 60%, la majorité, c’est aux autres de s’organiser pour faire évoluer une société qui a des traditions mais dont certaines de ces traditions ne sont en effet pas compatibles avec la majorité des Tunisiens. Et pour la Libye c’est exactement le même espoir, il y a une culture religieuse en Libye, on ne veut pas la gommer, on ne va pas l’éradiquer, ce n’est pas l’objectif, d’abord c’est l’affaire des Libyens eux-mêmes. En revanche, je pense que la libre circulation de l’information et la libre expression des citoyens permettra de faire évoluer des traditions un petit peu anciennes vers des formes beaucoup plus modernes qui existent dans nombreux pays musulmans.
 
MATHILDE MUNOZ Et parmi ces traditions il y a le retour de la polygamie en Libye, cela ça ne vous pose pas de problème ?
 
GERARD LONGUET Je ne suis pas Libyen et je n’ai pas vocation à définir le droit libyen. Ca me pose un vrai problème en France, ça je suis complètement d’accord avec vous, et je la combattrai avec énergie. Et je défendrai tous ceux qui en Libye défendent mes valeurs. Mais ce n’est pas à la France de définir la loi libyenne. En revanche, sur le terrain des idées, sur le terrain de la solidarité politique on défendra en Tunisie, comme en Libye, comme en Egypte, tous ceux qui veulent un islam ouvert sur une évolution moderne…
 
MATHILDE MUNOZ Et de quelle façon ?
 
GERARD LONGUET ...où les gens sont respectables, sont respectés.
 
MATHILDE MUNOZ De quelle façon, vous dites on défendra, mais comment ?
 
GERARD LONGUET Eh bien c’est le rôle des partis politiques. J’appartiens à une formation politique, j’imagine que cette formation politique doit avoir..., la démocratie s’est développée en Europe parce qu’on a eu une contagion dans les pays qui n’étaient pas toujours démocratiques. Eh bien nous avons ce même travail à faire immédiatement chez nos voisins méditerranéens, en respectant l’Islam, mais en leur montrant que l’Islam peut évoluer, il l’a démontré d’ailleurs dans de nombreux pays. L’archaïsme n’est pas une fatalité pour l’Islam.
 
MATHILDE MUNOZ Gérard LONGUET le Kenya est en guerre en Somalie contre les rebelles islamistes depuis dix jours, quel est le rôle exact de la France dans ce conflit ?
 
GERARD LONGUET C’est un rôle d’observateur parce que nous sommes en mer, dans ce qu’on appelle l’opération ATALANTE où nous avons des bateaux de guerre qui protègent les navires civils attaqués par des pirates.
 
MATHILDE MUNOZ Vous ne participez pas directement aux combats ?
 
GERARD LONGUET Nous ne participons pas directement, mais évidemment nous donnons toutes les informations pour que l’état de droit soit respecté en Somalie, qui est un immense désordre ; et à tout prendre on comprend que les Kényans soient exaspérés par les prises d’otages de l’autre côté de la frontière.
 
MATHILDE MUNOZ Il y a un porte-parole militaire kényan qui affirme que la France a participé, qu’un bateau français notamment a bombardé les côtes somaliennes.
 
GERARD LONGUET Nous avons dans le cadre de l’opération ATALANTE la possibilité de poursuivre des pirates lorsqu’ils se réfugient à terre, il n’y a pas de sanctuaire pour les pirates. Et dans le cadre de l’opération ATALANTE cela est en effet possible. Je ne sais pas si c’est en l’espèce ce que visent les Kényans, je n’ai pas d’informations sur ce point à cet instant.
 
MATHILDE MUNOZ Donc vous ne confirmez pas.
 
GERARD LONGUET Je ne confirme pas.
 
MATHILDE MUNOZ Mais vous n’affirmez pas non plus.
 
GERARD LONGUET Je ne confirme pas, mais je dis dans l’opération ATALANTE les règles de feu permettent de poursuivre un pirate à terre.
 
MATHILDE MUNOZ Mais par contre il n’y a pas de troupes sur la terre, de troupes françaises ça c’est sûr.
 
GERARD LONGUET Non il n’y a pas de troupes.
 
MATHILDE MUNOZ Est-ce que le Kenya vous a demandé de l’aide dans ce conflit ?
 
GERARD LONGUET Formellement non.
 
MATHILDE MUNOZ Et est-ce que vous avez l’intention de le soutenir davantage ?
 
GERARD LONGUET Totalement, nous souhaitons que les pays africains responsables qui se sont engagés pour mettre un peu d’ordre en Somalie puissent être soutenus par les pays européens solidaires. Je rappelle c’est une opération de l’Union européenne, une opération militaire de l’Union européenne ATALANTE.
 
MATHILDE MUNOZ Merci beaucoup Gérard LONGUET, invité de FRANCE INFO ce matin.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 18 novembre 2011