Extraits d'un entretien de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec Canal Plus le 8 décembre 2011, sur la crise de la Zone euro.

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Média : Canal Plus

Texte intégral


Q - Nous y sommes : aujourd’hui débute un énième sommet de la dernière chance à Bruxelles. L’Allemagne et la France jouent leur triple A, l’Europe une nouvelle fois va devoir répondre à cette question majeure : avancer ou pas, oui, mais à 27.
(…)
L’Allemagne ne cache pas son pessimisme, le jour du début de ce sommet très attendu, énième sommet nous dit-on, qui pourrait faire basculer le sort de la zone euro. Est-ce que vous pensez que tous les membres de l’Europe des 27, tous les membres de la zone euro, ont saisi justement la gravité de la situation ?
R - Oui. La situation est grave. Quand c’est nous, majorité, qui le disons, on entend toujours: « Ah, vous essayez de dramatiser avec un but électoral». Mais hier, le Secrétaire du Trésor américain est venu et a dit : «Le monde entier a les yeux rivés sur la zone euro». Cela veut bien dire que, oui, si vous me posez la question clairement, l’euro peut exploser et l’Europe peut se défaire. Et cela serait une catastrophe, non seulement pour l’Europe, non seulement pour la France, mais pour le monde.
Q - Cela se joue là, aujourd’hui, demain ?
R - Cela se joue sur toute une période. Cela ne se joue pas à un instant, parce que si je vous dis «cela se joue là», cela veut dire que si cela se passe bien là, il n’y a plus de problème après. Eh bien, il y aura des problèmes après, et il faudra que, étape par étape, on arrive à franchir ces zones de sécurité.
Q - Est-ce que la discussion se fait toujours à 27 ou est-ce qu’elle se fait d’ores et déjà à 17 ?
R - Quand on peut, cela se fait à 27, et quand dans les 27 il y en a qui disent «moi, de toute façon, cela ne m’intéresse pas, ce dont vous discutez, parce que je ne veux jamais rentrer dans l’euro»...
Q - Vous pensez à qui ?
R - Je pense à la Grande-Bretagne, pour dire les choses très clairement, à ce moment-là, si cela ne vous intéresse pas que l’on avance dans l’euro, eh bien on va vous tenir informé, on va vous respecter, mais pour autant vous n’allez pas être dans la discussion.
Et c’est donc mieux si c’est à 27, mais, si cela ne peut pas être à 27, cela ne doit pas être un élément de paralysie, cela veut dire qu’il faut quand même continuer à avancer à 17 ou à 17 et tous les États volontaires.
Q - Quels sont les points qui seront, aujourd’hui, à votre avis, les plus difficiles à négocier, on va dire, à 17, pour la zone euro ?
R - Ce qui est difficile, c’est qu’on caricature toujours la position allemande et la position française. Les Allemands ce serait la discipline, les Français ce serait la solidarité. Ce n’est pas comme cela. La règle d’or, on est tous d’accord. Les Français ont simplement dit une chose : les budgets nationaux ne sont pas contrôlés par un organisme extra national. Nous avons eu gain de cause là-dessus.
Les Français disaient aussi : il faut de la solidarité, que la Banque centrale européenne intervienne. Et les Allemands disaient : attention, si elle intervient, cela risque de déstabiliser la zone. Nous avons compris la position allemande, donc on est dans un compromis où la BCE continue son travail en toute indépendance.
Q - Aujourd’hui, ce sera un compromis, mais aujourd’hui quel est le point qui pose le plus de problèmes à vos yeux ?
R - La discipline.
Q - La discipline. Un mot sur les agences de notation, encore un petit message, le jour du début du sommet, de l’agence Standard & Poor’s, cela devient une habitude... Est-ce que cela vous dérange le rôle politique, au fond, que jouent les agences de notation, on a même entendu parler cette semaine, de complot. Est-ce que vous iriez jusque-là ? Faut-il réguler ?
R - Non...
Q - C’est la question des agences de notation.
R - Non, je n’ai pas de tendance paranoïaque. Je ne vois pas un complot partout, je ne pense pas que les agences de notation soient part d’un complot, mais elles m’agacent un peu. Elles étaient sur des standards qui étaient des standards économiques et financiers, et maintenant elles sont passées sur des standards politiques. Or, ce n’est pas aux agences de notation de faire la politique, c’est au peuple et aux représentants du peuple.
Q - Mais quand les représentants du peuple font la politique, il y a de la dette publique.
R - Que les agences de notation discutent de la dette publique, qu’elles évaluent le degré de dette, le déficit, les facteurs de croissance, mais qu’elles ne jugent pas l’aspect politique du management de cette période. Là, je pense qu’elles outrepassent leurs droits et en même temps, un jour elles ne seront plus crus.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2011